Swissport : Une grève qui fait tomber les masques

Les travailleurs du bagagiste Swissport à l’aéroport de Zaventem ont eu besoin de 5 jours de grève. C’est la deuxième fois en quelques mois – après les sous-traitants de Ford-Genk – que les couches les plus exploitées de travailleurs imposent par eux-mêmes des limites à la vague de déréglementation, de libéralisation et d’externalisation. A Swissport aussi les travailleurs n’ont pas été satisfaits des concessions arrachées par les syndicats après 4 jours de grève. Et eux aussi ont finalement réussi à obtenir plus que ce qui était initialement considéré comme possible.

Par Eric Byl

Tous les jours, les bagagistes doivent trimballer l’équivalent de 30 à 40 tonnes, la plupart du temps accroupis voir littéralement à quatre pattes. Ils empilent les bagages dans des tunnels de 5 à 10 mètres de long et d’un mètre de large, et souvent d’un mètre à peine de hauteur. Cela entraîne des maux de dos, de l’arthrite et des douleurs musculaires. Mais la libéralisation pousse à une concurrence effrénée entre compagnies aériennes. Elles instaurent donc une pression sur les sous-traitants qui compensent en augmentant l’exploitation, la flexibilité et le manque de sécurité. C’est que les compagnies aériennes peuvent toujours revoir leurs contrats conclus avec leurs fournisseurs.

Cela met aussi pression sur les marges bénéficiaires, c’est vrai. Mais Fligthcare, qui a été repris l’an dernier par Swissport, a réalisé en 2011 un rendement sur capitaux propres de 30%. Mais Swissport regarde jusqu’où il peut encore aller. Normalement, trois personnes se chargent de 1,5 tonnes, mais cela a été relevé jusqu’à deux. La grève avait été déclenchée parce que deux bagagistes inexpérimentés avaient dû charger 1,7 tonne en 40 minutes. Une pression identique s’exerce – au détriment de la sécurité – sur ceux qui planifient les charges et les équipes de nettoyage. De plus, Swissport veut imposer aux travailleurs 24 journées de travail par an où plusieurs heures de pause s’intercalent entre les heures de travail afin que les travailleurs ne soient payés que pour les heures de pointe.

Comment dès lors s’étonner que les bagagistes aient stoppé le travail et décidé en assemblée du personnel avec les syndicats de partir en grève ? En peu de temps, l’aéroport était plongé dans le chaos, des dizaines de vols ont été annulés et des milliers de sacs se sont entassés. Disposer d’un nombre de travailleurs réduit au minimum absolu peut bien être rentable quand tout se passe bien, mais ce petit groupe de 1500 travailleurs de Swissport a pu très vite tout mettre à plat. Ils ont également pu compter sur la solidarité de ceux qui connaissent le mieux ce travail, leurs collègues de Swissport Cargo Swissport (qui est maintenant indépendant) ainsi que du concurrent Aviapartner. Dans les deux cas, les travailleurs ont refusé de reprendre le travail. A Aviapartner, les syndicats ont même distribué un tract pour se mettre clairement derrière les revendications des grévistes. Là aussi, la situation est explosive.

Mais les patrons aussi ont constitué un front. Selon le CEO Marcel Buelens, la rentabilité de Swissport serait en péril avec la diminution du nombre de vols à Zaventem et la perte du contrat conclu avec Jetairfly. La presse dominante a averti les travailleurs de ne pas scier la branche sur laquelle ils sont assis. Brussels Airlines a menacé de revoir son contrat avec Swissport et a utilisé sa licence de manutention, normalement confiée à Swissport, pour tenter de briser la grève. Les médias ont abondamment montré des passagers déclarant qu’ils essaieraient d’éviter l’aéroport national à l’avenir en raison de la grève. Pas un mot par contre sur la grève des travailleurs de Lufthansa pour augmentations de salaire au même moment, ni des tensions sociales présentes dans d’autres aéroports. Ce sont les voyageurs à la recherche du voyage au moindre coût qui ont été culpabilisés, pas la soif de profit des actionnaires, afin d’expliquer les conditions de travail inhumaines.

Les patrons ont bien entendu pu compter sur le soutien de la scène politique traditionnelle. Etienne Schouppe (CD&V) ne voulait pas s’en prendre aux conditions de travail désastreuses, mais bien à l’impact de la grève en proposant qu’un troisième gestionnaire s’implique à Zaventem. Plus de libéralisation donc. Monica De Coninck (S.p.a.) a voulu diviser les grévistes en accordant des concessions aux employés mais pas aux ouvriers. Melchior Wathelet (cdH) a menacé les grévistes de sanctions au nom du gouvernement fédéral. Le PS est resté silencieux.

C’est une première. Jusqu’à présent, le gouvernement essayait de se défendre en se disant impuissant contre les abus d’astreintes juridiques de la part des patrons. Mais cette fois-ci, il s’est ouvertement rallié au camp patronal et a lui-même menacé d’utiliser ces armes. Les médias ont lancé une offensive pour le service minimum et la restriction du droit de grève. Personne n’a par contre jamais expliqué comment mener une grève sans embêter de client ou de voyageur. Finalement, le patron danois de Swissport International a dû se prononcer. Il a compris que la tension était à son comble et menaçait la position lucrative de Swissport à Zaventem. Le système de deux travailleurs par avion a été retiré et la quantité maximale de bagages par travailleur par vol a été limitée à 300. Les travailleurs ne devraient prester que 12 journées coupées par an et non 24, pour un maximum de 6 pour les plus de 45 ans tandis que les plus de 50 ans seraient épargnés. Le PDG a également présenté ses excuses pour les erreurs que la direction belge a commises. Après avoir persévéré cinq jours, le personnel a affronté la direction, les médias et le gouvernement jusqu’à une victoire retentissante.

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