1700 licenciements annoncés chez Carrefour: il faut résister!

Carrefour a l’intention de licencier 1.672 personnes et de fermer 21 filiales dans notre pays. Les médias parlent de baisse de rentabilité, mais Carrefour a tout de même réalisé plus de 400 millions d’euros de profits l’an dernier. Les salariés sont sacrifiés au nom de la soif de profit aveugle des actionnaires. Il faut résister!

Dossier par Jonas (Gand)

Cela faisait un moment que des rumeurs circulaient au sujet d’assainissements chez Carrefour. Avec, au final, le projet de jeter à la poubelle 1.672 travailleurs, l’entreprise a rejoint la liste des multinationales qui n’ont récemment pas hésité à annoncer des plans d’austérité aux dépens du personnel et des salaires: Opel, Bayer, Heineken, Inbev,… Ces bains de sang sociaux arrivent au moment où des centaines de milliers de salariés et de jeunes sont sans emploi.

Des licenciements prémédités

Par crainte de la réaction du personnel et de l’opinion publique, ces licenciements ont été préparés des mois durant. Différents scénarios-catastrophe circulaient déjà, y compris au sujet de l’abandon du marché belge par le groupe. Cette tactique avait également été utilisée par la direction du groupe chimique Bayer il y a quelques mois. Mais chez Bayer, face à la résistance déterminée des ouvriers et des employés, la direction a dû ravaler ses projets.

Carrefour avait aussi falsifié la comptabilité en sortant pas moins d’un milliard d’euros des caisses de Carrefour-Belgique juste avant le Nouvel An pour artificiellement appauvrir l’entreprise. Le quotidien flamand De Standaard a écrit sur ce point: «En isolant les réserves monétaires, on rend l’ensemble [le plan d’austérité, ndlr] vendable. Carrefour a retiré de l’argent de l’entreprise afin que les syndicats négocient dorénavant avec une entreprise ‘pauvre’. Maintenant que l’argent n’est plus là, Carrefour est moins vulnérable au chantage social.»

Un énième plan d’austérité

La chaîne n’en est pas à son coup d’essai en termes de plans d’austérité. En 2007, 16 filiales ont été fermées pour les revendre à des indépendants qui ont pu rouvrir les magasins avec un personnel meilleur marché et plus jeune. Le personnel plus âgé était embêtant, avec trop d’ancienneté et trop d’expérience syndicale.

Cela n’a pas empêché Carrefour de toujours engranger de l’argent avec le loyer et les droits payés par ces filiales. Coup double pour les actionnaires: des revenus garantis et, en cas de trouble, c’est au gérant de la filiale de se débrouiller.

Autre exemple: en 2008, un nouveau magasin a été ouvert à Bruges, à la Tour Bleue. Il y avait déjà un hypermarché à Bruges, mais nous savons maintenant que ce vieil hypermarché est en tête de liste des sites à fermer. A la Tour Bleue, le personnel a eu des conditions de travail non-issues de la commission paritaire 312 (pour les supermarchés), mais bien de la CP 202.01 (qui concerne les petits négociants). Pour la direction, l’avantage était clair: une réduction de 25% des frais de personnel, des caméras pour contrôler la productivité et pas de délégation syndicale.

A Bruges, la popularité de ces emplois à bas salaire était telle que Carrefour a dû collaborer avec la VDAB (équivalent flamand du FOREM et d’Actiris): tous les chômeurs de la ville ont été invités à une Foire à l’Emploi et ont été forcés d’accepter un travail chez Carrefour sous la menace de perdre les allocations en cas de refus. De l’esclavage moderne…

Mauvaise gestion ou pure spéculation?

Aux dires des médias, l’opération d’austérité annoncée a pour objectif de restaurer la compétitivité de Carrefour, qui a souffert de la concurrence de Colruyt et de Delhaize, ou encore de chaînes hard-discount comme Lidl et Aldi. C’est souvent l’incompétence de la direction de Carrefour qui est mise en cause à ce sujet, mais il s’agit de bien plus que cela.

En fait, il faudrait plutôt parler d’une stratégie lugubre, mais rationnelle, déjà précédemment appliquée en France. Année après année, le personnel des sites français a subi de continuelles attaques contre ses conditions de travail, jusqu’à atteindre des salaires parmi les plus bas du pays. Mais la réduction des coûts salariaux a augmenté les marges de profits, au profit des actionnaires.

La même stratégie devait être appliquée en Belgique à la reprise de la chaîne GB, avec une différence de taille: la filiale belge a été achetée pour la revendre plus tard, avec bénéfices. Il fallait donc abaisser les coûts au maximum pour revendre l’entreprise par la suite à une valeur supérieure. Suivant cette logique, les salaires ont été attaqués, le travail partiel est devenu la règle, du personnel fixe a été licencié et les magasins dont on ne voulait plus ont été négligés.

Au final, le but est d’obtenir une chaîne de magasins plus petits avec un personnel flexible et bon marché, sans représentation syndicale de préférence. Une telle chaîne serait beaucoup plus rentable qu’au moment de l’achat. Pour en arriver là, les sites les moins intéressants doivent fermer leurs portes et le personnel restant doit accepter des conditions de travail et de salaire encore plus détestables.

Seuls comptent les profits

Cette stratégie illustre on ne peut mieux notre économie actuelle: tout pour le profit et tant pis si cela est en contradiction totale avec les intérêts de la société. Et les travailleurs de Carrefour ne sont pas les seuls à en souffrir, des magasins Carrefour importants pour des collectivités ou comme magasins de proximité sont impitoyablement fermés.

L’exemple du Carrefour «Groene Vallei» à Gand est édifiant. Ce quartier comprend beaucoup de personnes âgées qui comptaient uniquement sur le Carrefour pour leurs achats de tous les jours. Pour eux, se rendre en voiture de l’autre côté de la ville n’est plus une option. Mais ce genre de besoin social ne figure évidemment pas dans les projets stratégiques des multinationales.

La répression pour seule réponse

Carrefour avait fait appel à une société privée de sécurité lors du conseil d’entreprise qui a annoncé cette dernière restructuration. Son contrat était de tenir le personnel à distance, une belle illustration de la considération de la direction pour ses travailleurs.

Pour le groupe Carrefour, les travailleurs et leurs droits sont des choses détestables et à contrôler. Lors de précédentes restructurations, le droit de grève a plusieurs fois été remis en cause, certains piquets de grève ont fait l’objet de requêtes unilatérales, avec visites d’huissiers et astreintes, violence physique, menaces par téléphone et même violence policière.

Ainsi, à l’occasion d’une action le 8 novembre 2008, un militant CGSP membre du PSL a été arrêté au Carrefour de Leeuw- Saint-Pierre. Il a reçu une amende pour une combitaxe de cinquante euros et mène actuellement campagne contre cela avec, entre autres, le soutien de la CGSP de la VUB. Même les médias capitalistes et l’appareil judiciaire avouent parfois que cela va trop loin, et divers tribunaux ont déclaré injustifiées les requêtes unilatérales lancées par Carrefour.

Rester passifs ne nous fera pas avancer!

Nous ne pouvons pas nous reposer sur la justice et les médias pour remporter une victoire chez Carrefour et vaincre ce plan d’austérité. Le personnel et les syndicats doivent organiser la lutte.

Seules la résistance et la lutte paient, comme l’ont démontré de précédentes actions, y compris chez Carrefour. En tant que salariés et syndicalistes, face à l’avidité des capitalistes, nous devons être prêts à riposter. Des années durant, nous n’avons rien reçu en échange des superprofits, pourquoi serait- ce maintenant à nous de payer si ces mêmes profits sont un peu en baisse? Se plier aux désirs de la direction serait interprété comme un signe de faiblesse. Nous pouvons alors être sûrs et certains que plus de licenciements et de baisses de salaire suivront en conséquence. Même dans les magasins à l’abri des actuelles menaces de fermeture, une défaite aura de graves répercussions pour l’avenir. Diverses actions et une grève nationale dans tous les magasins Carrefour ont déjà montré le bon exemple.

Organiser la résistance dans une chaîne de supermarchés n’est pas chose évidente. Le personnel, réparti sur plusieurs magasins dont de plus petits, est plus faible que dans d’autres secteurs pour faire face à la répression et aux huissiers. Organiser la solidarité entre les divers sites et avec les riverains est donc crucial pour une victoire de la lutte.

Ces derniers mois, Bayer et Inbev ont montré le bon exemple. Là aussi, les salariés ont été confrontés à des menaces de licenciements et de fermetures. Les délégations syndicales ont pris l’initiative pour organiser la résistance. Elles ont bloqué les filiales et ont organisé la solidarité. Ainsi, chez Bayer, elles ont pris contact avec leurs collègues allemands et, chez Inbev, elles ont organisé des actions de solidarité jusque dans les filiales de São Paolo au Brésil.

La même voie doit être suivie ici et il est crucial que les syndicats avancent un projet capable d’organiser la lutte des travailleurs et la solidarité.

Pourquoi ne pas annoncer une journée de grève nationale et une manifestation, même un mois ou six semaines auparavant ? Pour préparer cette journée, nous pourrions distribuer des tracts à chaque caisse et – qui sait – y compris chez les collègues des autres chaînes. Chez Carrefour, nous pourrions utiliser les micros des magasins pour donner des informations sur la lutte une fois par heure ou toutes les deux heures et lancer un appel à la solidarité avec le personnel. Nous pourrions recouvrir les magasins de calicots, d’affiches et de drapeaux. Pendant six semaines, tout en travaillant, nous pourrions motiver nos collègues et nos clients à activement s’impliquer dans la lutte. Nous pensons qu’une manifestation massive de centaines de milliers de travailleurs en solidarité avec le personnel de Carrefour n’est pas seulement possible, mais aussi nécessaire afin de faire reculer la direction.

Qu’une direction locale ose arracher nos calicots, nos affiches et nos drapeaux, qu’elle ose confisquer nos tracts ou nous refuser le micro et nous pourrions alors entrer immédiatement en grève. Lorsque le patron d’Inbev a menacé de recourir aux huissiers pour casser les blocages, les salariés ont immédiatement menacé d’une grève générale. La direction a rapidement été refroidie. Faisons la même chose chez Carrefour!

Nous avons besoin d’un projet d’action, de blocages et d’actions à long terme, en impliquant d’autres entreprises du secteur et même au-delà du secteur. Les travailleurs de Carrefour ne sont pas les seuls à être attaqués. Ne luttons pas entreprise par entreprise, mais utilisons le conflit chez Carrefour pour généraliser la lutte.


EUX ET NOUS

0,008% d’impôts…

Les choses ne vont pas si mal chez Carrefour! Bien que les profits en 2009, une année de crise, aient baissé de 70% (entre autre dû au milliard d’euros de soi-disant «coûts de restructuration»), les profits nets ont tout de même été de 385 millions d’euros (1,27 milliard d’euros en 2008). La contribution de Carrefour-Belgique à ce profit a été de 66 millions d’euros. GMR, l’entreprise mère de Carrefour, dispose également en Belgique d’un centre de coordination qui a réalisé des profits d’un montant de 381 millions d’euros en 2008, dont exactement 33.225 euros ont été payés en impôts. Cela revient à un taux d’imposition de 0,008%…

Pas de baisses de salaires pour les managers!

Jose Luis Duran, membre dirigeant du groupe en 2007, a reçu un salaire annuel brut de 1,1 million d’euros avec un bonus de 700.000 euros. Cela revient à deux millions par an, soit 150.000 euros par mois, avec en plus tout un tas d’avantages qui ne sont pas compris dans le salaire. Un patron de Carrefour gagne par mois cent ou cent cinquante fois plus qu’une caissière. En outre, les cadres supérieurs jouissent d’un «parachute doré» pour leur départ, tandis que le simple personnel doit se contenter d’une indemnité de départ bien maigre. Il ne fait aucun doute que le sommet sera récompensé pour les importants profits avec d’immenses bonus. NOS baisses de salaires qui servent à payer LEURS bonus.


Licenciements chez Carrefour: Il faut une alternative politique !

Le monde politique est bien silencieux et ce n’est que logique au vu des liens entretenus par les partis politiques traditionnels avec les directions d’entreprises. Ainsi Jean-Luc Dehaene (CD&V) était membre du conseil d’entreprise d’InBev quand les licenciements ont été décidés et Willy Claes (SP.a) est membre du conseil de gestion de Carrefour. Pour ces conseillers, cette restructuration est probablement une bonne affaire vu que la valeur de leurs actions va s’envoler et, avec un peu de chance, ils pourront également encaisser une prime supplémentaire.

Qu’attendent-ils pour véritablement s’attaquer à Carrefour? Pourquoi ne pas commencer à réclamer le remboursement de toutes les baisses de charges et autres subventions gouvernementales puisque Carrefour ne parvient pas à garantir un bon emploi et de bons salaires pour tous? Mais les politiciens traditionnels, tous partis confondus, démontrent une fois de plus qu’ils ne sont pas du côté des travailleurs, mais du côté de la direction, du capitalisme et du libre marché.

Nous pensons que nous ne devons pas compter sur ces partis, et qu’il est grand temps que la FGTB et la CSC rompent les liens avec ces partis. Pourquoi ne pas prendre l’initiative de rassembler les syndicalistes combatifs et les militants politiques pour construire une alternative? Il nous faut un nouveau parti de travailleurs large, qui représente et défende nos intérêts. Le PSL veut soutenir toutes les initiatives dans cette direction.

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