Delhaize et les droits syndicaux : que faire après la manifestation ?

Un appel national à manifester est finalement enfin arrivé pour riposter à l’attaque scandaleuse contre les conditions de travail et de salaire chez Delhaize ainsi qu’en défense des libertés syndicales. Avec 20 000 manifestants et des délégations de différents secteurs, l’action a été couronnée de succès. Cependant, le potentiel est bien plus important : le soutien au personnel de Delhaize est élevé et il manque une perspective pour la lutte et un plan d’action en escalade visant à mobiliser l’ensemble du mouvement ouvrier.

Le patronat passe à l’offensive. Alors que le personnel des supermarchés a été loué ces dernières années comme faisant partie des « héros de la crise sanitaire », on lui demande maintenant de s’écraser pour alimenter les profits déjà considérables des enseignes dans la lutte concurrentielle qu’elles se mènent entre elles. Dire non, défendre ses droits ? C’est immédiatement réprimé, y compris de façon préventive dans certains cas.

La direction d’Ahold-Delhaize a annoncé sa volonté de faire passer la totalité de ses magasins sous franchise le 7 mars. Le 17 avril, une action nationale de tout le secteur a eu lieu et une manifestation interprofessionnelle a eu lieu aujourd’hui. Le personnel de Delhaize s’est déjà bien battu ces dernières semaines, en affrontant une répression policière et judiciaire inédite. La direction de Delhaize veut s’attaquer aux conditions de travail et, comme si ça ne suffisait pas, on veut renvoyer le droit de grève au 19ème siècle ! Tout cela sous couvert de « progrès ». Le progrès des profits et des dividendes aux actionnaires, ça c’est certain. Et tant pis pour nos salaires et nos conditions de travail.

Après Delhaize, les patrons voudront aller plus loin, c’est déjà évident. Aujourd’hui, Dominique Michel, de l’organisation patronale Comeos, s’est exprimée dans les pages du Standaard en affirmant que les magasins doivent tout simplement être plus flexibles, car le secteur est sous pression. « Les marges diminuent et la concurrence étrangère s’intensifie », explique Dominique Michel. Si les marges sont sous pression, c’est notamment parce que les chaînes continuent d’ouvrir des supermarchés dans leur élan concurrentiel pour bloquer les nouveaux arrivants sur le marché. De nouveaux points de vente s’ajoutent sans cesse. La concurrence est acharnée, et c’est le personnel qui doit payer les pots cassés.

Dans la pratique, Comeos prône un modèle néerlandais où l’on utilise massivement des étudiants jobistes, souvent des jeunes de 13 ou 14 ans à peine, qui travaillent quelques heures dans le supermarché avant ou après l’école pour un salaire de moins de 5 euros de l’heure ! Ça aussi, ça rappelle le 19e siècle… Les dirigeants de Comeos ont immédiatement indiqué que l’amélioration des conditions de travail dans les magasins franchisés est inenvisageable et que la présence syndicale dans les magasins constitue un point de rupture.

Pour imposer ce principe chez Delhaize, le droit à l’action collective a déjà été jeté à la poubelle. Un juge bruxellois peut émettre des injonctions valables dans tout le pays (en dehors de sa juridiction, donc). La police peut arrêter préventivement des syndicalistes s’ils sont « soupçonnés » de se rendre à une manifestation… Entre-temps, Delhaize-Ahold ne lésine pas sur les huissiers. S’adresser aux clients est assimilé à un blocage d’accès. Et les juges, eux, estiment que le droit du commerce prime sur le droit à l’action collective ! Si les syndicats se laissent faire, c’en est fini du droit de grève. Qu’en est-il de la promesse d’organiser immédiatement des grèves interprofessionnelles dès que le droit d’action syndicale sera à nouveau attaqué ?

La manifestation d’aujourd’hui a exprimé en partie une large solidarité avec le personnel de Delhaize. Le potentiel est sans aucun doute beaucoup plus grand que ce qui était dans la rue ce 22 mai. Les discours prononcés avant le début de la manifestation mettaient en garde le gouvernement et les employeurs et dénonçaient les attaques. Mais nous n’avons pas entendu le moindre mot d’ordre concret au sujet des prochaines étapes. C’est pourtant absolument nécessaire pour remporter des victoires. L’organisation de manifestations locales autour des magasins touchés et d’une grève de l’ensemble du secteur serait une étape logique.

Comme l’indique le tract distribué aujourd’hui par le PSL, « Les actions sont toujours plus fortes si l’étape suivante est claire et connue à l’avance. On pourrait ainsi construire un élan vers une grande grève de l’ensemble du secteur de la distribution, avec la possibilité pour tous les travailleur.euse.s des autres secteurs de se joindre à l’action sous couvert d’un préavis de grève ! La grève, ça marche ! Aux Pays-Bas, les travailleur.euse.s des centres de distribution d’Albert Heijn sont entré.e.s en grève, la direction promettant ensuite de négocier une augmentation salariale de 10 % et d’accepter d’autres revendications. L’impact d’une grande grève avec la solidarité d’autres secteurs peut être énorme. »

La lutte contre cette spirale infernale qui nous conduit vers un monde où l’on aura besoin de deux ou trois emplois pour survivre concerne l’ensemble du mouvement ouvrier et la société dans son ensemble. Ces dernières semaines, les preuves n’ont pas manqué pour souligner que c’est la soif de profit des grandes entreprises, et non nos salaires, qui est le principal moteur de l’inflation. On parle ainsi de « Greedflation ». En haut de l’échelle, on s’empare tranquillement de l’argent, ici et là une miette tombe dans les poches de politiciens bienveillants et nous, pendant ce temps, nous devons travailler de manière de plus en plus flexible, de plus en plus dure et dans des conditions de plus en plus mauvaises.

Alors, qu’en est-il, messieurs les dirigeants syndicaux ? Allons-nous évaluer la situation dans un mois ou deux ? Ou y aura-t-il enfin un plan d’action en escalade qui s’appuiera sur le succès de la manifestation pour impliquer dans l’action la solidarité la plus large possible ? Qui transforme tous les magasins concernés en centres d’action, qui invite des membres du personnel de Delhaize dans des réunions de délégations syndicales et des rassemblements syndicaux, avec du matériel de mobilisation comme des pétitions et des tracts à diffuser de façon conséquente dans les quartiers et dans l’ensemble du secteur ? Ces actions pourraient déboucher sur une puissante grève de tout le secteur, soutenue par des militants d’autres secteurs couverts par un préavis de grève.

Reportage photo de Liesbeth:

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