Accord interprofessionnel: Attention, la faiblesse appelle l’agression !

On en parle encore peu jusqu’ici, mais à la confection des budgets des différentes autorités (fédérales, régionales, communautaires et communales) s’ajoutent les négociations pour le prochain Accord Interprofessionnel (AIP) 2015-2016, qui porte sur les conditions de travail et de salaire du secteur privé. Là non plus, les nouvelles ne s’annoncent pas roses. Là aussi, il faudra résister avec toute notre énergie.

Par Nicolas Croes

Si nous ne savons pas encore avec précision ce qui sera au menu – les fédérations patronales retiennent leur souffle en attendant la formation de la coalition suédoise et ne veulent pas mettre trop d’huile sur le feu avant la tenue du prochain Congrès de la FGTB, les lignes directrices sont d’ores et déjà très claires. À l’occasion des élections et par la suite, les fédérations patronales ne se sont pas gênées pour dire ce qu’elles pensaient. Elles sont intervenues dans le débat politique comme jamais encore auparavant, particulièrement dans le chef des fédérations patronales francophones, afin de défendre leur option privilégiée pour le fédéral.

Tous les discours sur la sacro-sainte compétitivité des entreprises sont évidemment loin d’être neufs. Mais une nouvelle occasion se présente aujourd’hui pour ‘‘prendre des décisions fortes et courageuses pour réduire le coût du travail, moderniser les fins de carrière et le calcul des pensions, améliorer la formation et la mise à l’emploi, flexibiliser le marché du travail, etc.’’, comme le disait il y a peu Philippe Godfroid, président de l’Union des Classes Moyennes (UCM). Tout ça, bien entendu, pour ‘‘garantir le bien-être de tous’’ et non pas uniquement les profits des entreprises… En clair, à les entendre, il nous faudrait remercier les patrons d’exiger de nous autant de sacrifices !

Trop gourmands, les travailleurs belges ?

Les deux précédentes négociations pour l’AIP n’avaient débouché sur aucun accord entre ‘‘partenaires sociaux’’. Le gouvernement fédéral avait donc unilatéralement imposé la norme salariale par Arrêté Royal. Pour 2011-2012, il s’agissait d’un gel des salaires pour la première année et d’une augmentation de 0,3% à peine pour la seconde. Quant aux années 2013 et 2014, elles furent marquées par un gel salarial total. À n’en pas douter, les patrons vont se sentir pousser des ailes avec la coalition kamikaze…

En mars dernier, la Commission européenne avait abordé dans un rapport les prochaines négociations pour l’AIP en disant : ‘‘En plus de prendre des mesures visant à corriger la croissance excessive des salaires dans le passé, le gouvernement [Di Rupo] a tenté en vain de modifier la loi de 1996 pour empêcher le découplage futur des salaires et de la productivité’’ (Déséquilibres macroéconomiques – Belgique 2014). La loi de 1996 a pour but ‘‘d’accorder’’ notre évolution salariale à celle en vigueur en Allemagne, en France et aux Pays-Bas. L’idée était de durcir la logique au point que la menace planait d’un gel pur et simple des salaires jusqu’en 2018 ! Pour la Commission, la nouvelle loi devait absolument être instaurée suffisamment à temps pour s’appliquer à l’AIP 2015-2016.

Ce ne serait toutefois pas encore suffisant : ‘‘même si la norme salariale nationale était rendue plus stricte, l’écart de salaires pourrait encore se creuser en raison du recours généralisé à l’indexation automatique des salaires au niveau sectoriel’’. Rien de neuf sous le soleil là non plus : s’en prendre au mécanisme d’indexation des salaires est un vieux fantasme patronal. Dans son document ‘‘Stratégie 2010’’, la FEB déclarait déjà sans ambages que ‘‘la suppression de l’indexation salariale automatique serait la meilleure solution pour (améliorer) la capacité concurrentielle des entreprises belges’’. La suppression totale n’est sans doute pas à l’ordre du jour, mais une nouvelle détérioration de ce mécanisme, qui en a déjà vu de toutes les couleurs, nous attend très certainement, de même qu’un saut d’index.
Pourtant, une étude de l’Institut syndical européen (European Trade Union Institute, ETUI) a mis l’an dernier en lumière, sur base de données de la Commission européenne elle-même, que l’évolution des salaires réels (c’est-à-dire hors inflation) en Belgique durant la période 2009-2013 n’était que de 0,0901 %, et de 0,4593 pour la période 2000-2008…

Le syndicalisme de concertation a échoué !

Les grandes entreprises ne manquent pourtant pas de moyens, que du contraire. En mai dernier, L’Écho titrait : ‘‘26 milliards de cash inutilisés dans les grandes sociétés belges’’ (L’Écho, 21 mai 2014). Les 150 plus grandes entreprises belges font clairement la grève des investissements! À nous d’aller chercher les moyens qui nous reviennent de droit par la lutte. Ce sont les travailleurs qui créent les richesses, pas les actionnaires !

La stratégie du ‘‘syndicalisme de concertation’’ – c’est-à-dire la cogestion de la régression sociale entre patrons et syndicats – a clairement fait faillite. Depuis 1981, nos salaires et nos allocations ont subi une baisse du pouvoir d’achat estimée à plus de 20% (en incluant le coût des manipulations successives de l’index).

Quand les syndicats se prépareront-ils sérieusement à la lutte avec des assemblées générales du personnel, des interruptions de travail et des réunions sectorielles et interprofessionnelles pour informer, mobiliser et impliquer les travailleurs vers un plan d’action audacieux allant crescendo, avec grèves générales ? Aucun secteur d’activité ne sera épargné à l’avenir, le potentiel pour une lutte de l’ensemble de notre classe est proprement gigantesque, il faut maintenant l’organiser.


 

Ce sont leurs propres mots !

Même la BCE l’admet…

La Banque centrale européenne (BCE) plaide pour l’instauration de salaires plus élevés en Allemagne. Attendez, la BCE, ce n’est pas ce machin qui fait partie de la Troïka ? Cette institution qui prône partout des réductions de salaire, la destruction d’avantages sociaux, plus de privatisation et autres monstruosités ? Si, si, c’est bien elle. Mais même cette institution de choc du néolibéralisme est bien forcée de reconnaître que des salaires plus élevés en Allemagne permettraient d’accroître le pouvoir d’achat. Pour la BCE, l’objectif n’est cependant pas d’accorder un niveau de vie plus élevé aux travailleurs – c’est profondément accessoire à ses yeux – mais bien de stimuler la très faible inflation. L’argument ne vaudrait d’ailleurs pas que pour l’Allemagne. L’économiste de la BCE Peter Praet ne défend pas d’augmentation de salaire en Europe du Sud, mais rajoute que ‘‘les pays forts comme l’Allemagne’’ doivent avoir des augmentations de salaire plus importantes. Le gouvernement kamikaze entendra-t-il le conseil ? Peu probable. C’est marrant, les seules recommandations prises en compte par l’élite dirigeante sont systématiquement celles qui tirent nos conditions de vie vers le bas.

… et De Tijd reconnaît que les hausses de TVA sont néfastes à l’économie…

Le 13 août dernier, on a pu lire dans les pages du quotidien flamand De Tijd, ouvertement destiné au monde des affaires : ‘‘L’économie japonaise a encaissé au deuxième trimestre son coup le plus dur depuis le tsunami de 2011. Cette fois-ci, la catastrophe n’était pas naturelle : la hausse de la TVA d’avril’’. Chez nous, la mesure est pourtant envisagée par la coalition kamikaze pour dégager 17 milliards d’euros, au côté d’un saut d’index notamment. Son média par excellence vient pourtant de reconnaître que cela avait porté un coup très rude à l’économie japonaise.

… pendant que La Libre parle d’un ‘‘handicap salarial’’ sur lequel les médias restent généralement silencieux.

La Libre écrivait le 18 août : ‘‘Les dirigeants des entreprises cotées à l’indice vedette de la Bourse de Londres gagnent en moyenne 143 fois plus que leurs employés. (…) Ces données montrent la hausse incroyable des rémunérations des dirigeants par comparaison avec la plupart des travailleurs britanniques depuis trois décennies, a souligné le think-tank High Pay Centre en diffusant ce rapport. En 1998, l’écart de rémunération n’était “que” de 1 à 47. Pour parvenir à ce résultat, elle a comparé, pour chaque entreprise cotée à l’indice FTSE-100, la rémunération totale déclarée du directeur général (éléments variables compris) avec le salaire moyen des employés de la société. (…) ‘‘Les statistiques officielles montrent que les salaires des travailleurs ordinaires diminuent, mais tout le monde ne souffre pas’’, a pointé Deborah Hargreaves, la directrice du High Pay Centre. En juin, les salaires (hors bonus) des Britanniques ont progressé de 0,6% sur un an, beaucoup moins que l’inflation (1,9% en juin), ce qui a entraîné une diminution de leur pouvoir d’achat.’’

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