Aucun gouvernement ne s’en prendra à la crise sociale sans lutte de masse

Joachim Coens. Photo : Wikimedia

Dans les jours qui ont suivi la désignation de Georges-Louis Bouchez (MR) et de Joachim Coens (CD&V) comme informateurs il a semblé un court instant qu’une piste se dessinait pour constituer un gouvernement quatre couleurs (Vivaldi : socialistes, verts, libéraux, CD&V). Puis Bart De Wever a fait quelques déclarations qui pouvaient être interprétées comme une ‘‘ouverture’’ vers une participation de la N-VA. Donc, retour à la case départ.

Par Anja Deschoemacker

Partir des besoins de la population laborieuse

Le 28 janvier nous manifestons pour une sécurité sociale forte. Car cette ‘‘cathédrale de la classe ouvrière’’ est en difficulté : sans changement de politique le déficit s’élèvera à 6,4 milliards vers 2024. Alors qu’aujourd’hui vivre avec une indemnité sociale signifie vivre dans la pauvreté.

Une bonne partie des pensionnés ne peut vivre de sa pension qu’en étant propriétaire de leur logement. La pension mensuelle moyenne est de 1.065 €/mois selon Axa (17/04/2018), alors qu’un séjour en maison de repos coûte en moyenne 1.800€/mois.

La chasse aux chômeurs qui dure depuis des décennies a mené à ce que les chômeurs au statut de cohabitant (surtout les femmes et les jeunes) soient condamnés à la dépendance du partenaire ou des parents. En Wallonie 27% des chômeuses se trouvent dans une telle situation, et 12% des chômeurs masculins.

Si pour l’une ou l’autre raison on se retrouve hors du système de sécurité sociale, la situation est encore pire. Le revenu mensuel d’intégration pour isolé n’est que de 940,11€/mois, pour les cohabitants c’est 626,74€/ mois. Avec un enfant à charge cette somme n’est de 1270,51€/mois. Alors que le loyer moyen d’un appartement en Flandre et à Bruxelles tourne autour de 700€/mois (500€/mois en Wallonie).

Ce n’est donc pas étonnant que les CPAS soient débordés par des demandes d’aide sociale et que le nombre de familles dépendant de l’aide alimentaire ne cesse de croître. Selon les statistiques européennes 20% de la population de notre pays vit dans la pauvreté. Assez de raisons pour manifester pour un rétablissement de la sécurité sociale. Mais apparemment pas assez pour que les élus des partis traditionnels ne voient pas que le problème est urgent.

Prolongation de la mission de Bouchez et Coens : encore un tour de manège pour faire illusion

La préoccupation principale des informateurs n’est pas la situation sociale des chômeurs et des pensionnés. Pour le tandem Bouchez-Coens, il s’agit de tenter de résoudre la contradiction entre d’une part l’affaiblissement en sièges des partis concernés et d’autre part sa soif de participer au gouvernement.

Dès le début nous avons écrit qu’une coalition gouvernementale entre le PS et la N-VA serait un suicide politique pour chacun de ces deux partis. Ils ont d’ailleurs donné assez de signaux qui montrent l’avoir compris. Le Soir (13 et 14 janvier) passait en revue leurs déclarations respectives depuis les élections.

Pour Paul Magnette “Le PS ne gouvernera pas avec la N-VA” (13/6/2019). Le 3 octobre il déclarait: ‘‘Nous nous sommes beaucoup vus, nous ne sommes d’accord nulle part et sur rien avec les nationalistes.’’ (13/10/2019) Le 17 décembre Rudy Demotte : ‘‘On est en train de faire croire aux gens qu’une coalition avec la N-VA est possible. C’est un mensonge. Ce n’est pas une option.” (17/12/2019)

Du côté de la N-VA on souffle un peu le chaud et le froid, mais les déclarations qui vont contre une telle alliance sont beaucoup plus nombreuses. ‘‘Les Flamands veulent une politique socio-économique de droite. Ils payent le plus d’impôts. Il ne faut pas les sanctionner.’’ (Ben Weyts, 8/11/2019). ‘‘Transférer la facture à un autre est facile. En Flandre il faudra alors expliquer aux électeurs – qui veulent une politique différente sur l’immigration, la sécurité et l’emploi – que ce n’est pas possible parce qu’il faut trouver des milliards pour entretenir les électeurs passifs du Sud du pays.’’ (9/12/2019)

Dans leur rapport, les préformateurs Rudy Demotte et Geert Bourgeois avaient clairement écrit : ‘‘Les divergences de fond sont telles (entre la N-Va et le PS) qu’elles ne permettent pas de passer à une phase suivante bâtie autour ces deux partis.’’

La raison fondamentale pour laquelle Bouchez et Coens refont un tour de piste s’explique par la crise historique du CD&V. Il ne reste plus grand-chose de ce parti, qui pendant plus d’un siècle a été le principal parti sur lequel se reposait la bourgeoisie : un parti organisé en ‘‘piliers’’ qui entretenaient des liens avec différentes couches sociales : la petite bourgeoisie, le monde agricole et le plus grand syndicat du pays.

En panique totale à la suite de déroutes électorales en série, le CD&V a fait le contraire de ce qui aurait pu le sauver. Au lieu de tenter de rétablir ses liens avec sa base sociale la plus nombreuse il a foncé tête baissée dans la surenchère communautaire de droite, tentant de battre la N-VA sur son propre terrain. Mais chaque tournant à droite l’a éloigné de plus en plus du mouvement ouvrier chrétien. Ces derniers mois les mesures prises par le gouvernement flamand ont provoqué la première vague, dans l’histoire, de protestations de masse contre un gouvernement flamand. Il est peu probable que le CD&V puisse encore – comme le commandant du Titanic – tenter de redresser la barre au dernier moment en renouant avec sa base sociale historique. Cela ne va certainement pas se passer en poussant et tirant pour maintenir la même politique au niveau fédéral et en se battant de toutes ses forces contre un gouvernement fédéral avec un visage plus social.

Après la casse sociale du gouvernement suédois, quelques concessions ne suffiront pas

Dans le dossier de ce journal nous expliquons comment le déficit de la sécurité sociale a été créé consciemment en diminuant systématiquement les recettes. Dans De Standaard (15/1/2020) Marc Reynebeau écrivait “Il était déjà connu que les avantages accordés par la coalition ‘suédoise’, maintenant minoritaire, aux entreprises étaient insuffisamment ‘couverts’ – ils ont fait un trou dans le budget. Et fin décembre il apparut que c’était surtout à cause de cela qu’en 2019 il y avait 2 milliards de recettes fiscales en moins que les prévisions du ministre de Finances de l’époque, Johan Van Overtveldt (N-VA). A peu près au même temps la Banque Nationale confirmait ce que l’économiste gantois Gert Peersman avait calculé : les entreprises ont utilisé les revenus du tax-shift et du saut d’index pour augmenter leurs marges de profits plutôt que d’améliorer leur position concurrentielle.’’ Il écrit aussi que la Belgique, à l’exception du Luxembourg, la Suisse et la Slovénie est le seul pays d’Europe qui ne taxe pas ni le patrimoine, ni les plus-values sur actions.

Le mouvement ouvrier ne sait compter que sur ses propres forces !

La note Magnette pouvait donner l’illusion – et c’était certainement le but – que le PS reste quand même encore le parti ouvrier fidèle à ses origines. Robert Vertenueil (FGTB) considérait alors qu’on ne pouvait accepter que cette note soit par la suite détricotée par les libéraux. Cela montre la méfiance et le scepticisme de certains milieux syndicaux. Le PS est devenu un parti bourgeois, malgré son implantation dans le monde du travail. Depuis la deuxième moitié des années 1980 il a opéré un tournant néolibéral.

Son masque social ne parvient à cacher qu’il se préoccupe davantage aujourd’hui des déséquilibres causés à l’économie capitaliste en général par la politique néolibérale que du sort des salariés et de leur famille. Un gouvernement dirigé par le PS mènera une politique néolibérale en prenant quelques mesures sociales destinées à apaiser la colère.

La banqueroute de la gauche en Flandre est encore claire quand on voit les ouvertures des dirigeants du SP.a en direction des libéraux et de la N-VA. Même sur son lit de mort – parce qu’il vit sans doute ses derniers années – ce parti ne réussit même plus à se différentier du VLD ou du CD&V. On peut dire la même chose de Groen..

Heureusement il y a la montée du PTB/PVDA. Mais pour changer le rapport de forces il faudra mobiliser sur un cahier de revendications sociales fondamentales. Le PTB pourra-t-il jouer un rôle dans la naissance d’une formation qui contribue, sur le plan démocratique et social, à changer le rapport de forces ? Peut-être. Mais cela ne se fera pas simplement par des glissements électoraux et sans luttes dans la rue.

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