Les ouvriers de Techspace Aéro (moteurs aéronautiques), en région liégeoise, sont en grève en front commun syndical depuis vendredi dernier. Ils exigent des prépensions pour pouvoir engager des jeunes ainsi qu’une augmentation de leur pouvoir d’achat. Du côté patronal et des médias, on entend ou on laisse entendre qu’il s’agit d’une «grève de riches», car l’entreprise se porte bien et ne prévoit aucun plan contre les travailleurs.
L’argumentaire patronal est en fait aisé à comprendre. Quand une entreprise va bien, on ne doit rien revendiquer, car c’est une réaction de gamin gâté. Mais, quand une entreprise va mal, on ne doit rien revendiquer non plus car, là, il s’agit d’une réaction irresponsable. En bref, l’idéal, c’est que les travailleurs courbent l’échine, se crèvent à la tâche et subissent sans broncher le diktat patronal.
De l’emploi pour les jeunes!
Aujourd’hui, la crise du capitalisme frappe de plein fouet les travailleurs et les jeunes. La récession serait terminée? Seuls les actionnaires le ressentent. Pour les jeunes et les travailleurs, le pire reste à venir. Les annonces de licenciements se succèdent et un chômage de masse qui touchera plus fortement les jeunes nous attend. Les gouvernements ont sauvé les grands actionnaires des banques pour un montant d’environ 26 milliards € – nous exigeons un plan de sauvetage de l’emploi dans notre intérêt!
- Plateforme Jeunes et emploi du PSL
Les ouvriers de Techspace Aéro trouvent pourtant que leurs revendications sont tout sauf illégitime. Et à bien juste titre! Comme l’explique le front commun «cela est possible car la situation économique et financière de Techspace-Aéro est excellent et ce depuis des années grâce à l’effort des travailleurs.» C’est loin d’être une phrase en l’air, comme on peut le remarquer: le résultat d’exploitation est passé de 2,72 millions d’euros en 2008 à 22,3 millions en 2009, le bénéfice net est en progression de pas moins de 7 millions d’euros pour atteindre les 18 millions et, grâce à la déduction des intérêts notionnels, depuis 4 ans, l’entreprise économise une moyenne de 2,5 millions d’impôts par an! Une bien belle situation, gagnée par la sueur des travailleurs et sur le dos de la collectivité (notamment avec les intérêts notionnels), au bénéfice des actionnaires qui peuvent se réjouir de recevoir cette année 9,14 millions de dividendes (contre 7,6 millions en 2008). (1)
Malgré le fait que ceux qui produisent cette richesse n’en bénéficient pas et malgré l’important taux chômage chez les jeunes, la direction traîne les ouvriers de palabres en palabres depuis le mois de juin 2009. Pire, ils sont qualifiés d’égoïstes, car ils revendiquent alors que d’autres entreprises licencient et restructurent…
Ce mardi 16 mars, le PSL s’est rendu au piquet. Là, la détermination est grande, la connaissance du sujet aussi. Il faut dire que depuis le mois de juin dernier, plusieurs assemblées générales avaient préparé le terrain. De plus, l’attitude de la direction est on ne peut plus claire; il a par exemple fallu pas moins de 6 mois pour simplement obtenir un calendrier de discussion! Histoire d’illustrer encore la mesquinerie de la direction, il suffit de dire qu’elle a tout simplement refusé de payer les chèques-repas de l’équipe du week-end (les autres les avaient reçus le vendredi 12, avant la grève). La grève a été décidée vendredi, après une Assemblée Générale, à l’unanimité. Il y a eu un peu plus de discussion sur l’utilité de déposer un préavis de grève «Le préavis, c’est un truc qu’ils utilisent pour vider le site.» nous a expliqué un travailleur au piquet « Alors on a voté pour la grève, sans préavis, et on occupe.»
On parle aussi des médias et de la manière dont la presse parle de la grève bien entendu. «Elle relaye et puis c’est tout. Ils ne disent rien et explique très peu pourquoi nous faisons grève. On laisse les gens face à l’argumentaire patronal. Pourtant, ce dont on parle ici, ce n’est pas d’un problème qui ne concerne que les gens de Techspace. La prépension et l’emploi des jeunes, cela concerne tout le monde et toutes les entreprises»
Un groupe de jeunes ouvriers de la FGTB nous explique la raison principale de la grève: «l’emploi des jeunes! Les chiffres du chômage parlent d’eux-mêmes non? Avec les prépensions, on peut sortir de la précarité une trentaine de jeunes. Et ici, il y a du bénéfice, il y a de l’argent. Mais attention, jamais pour nous! Et bien on n’est pas d’accord.» Plus généralement, à propos des fins de carrière, un ouvrier plus ancien de la CSC explique un peu plus loin: «On parle sans arrêt de problèmes pour payer les pensions. On s’en est déjà pris à nos droits là-dessus, et on va encore s’en prendre dans la tronche! Mais ces caisses, ce sont nos réserves, qu’on arrête d’aller piocher dedans pour donner aux patrons! On parle de la santé, on parle de plein de choses, mais c’est notre pognon tout ça, faut pas le donner aux patrons avec les intérêts notionnels et d’autres cornichoneries.»
En fait, très vite, on discute de problématiques plus globales. Sous la banderole de la FGTB «le capitalisme nuit gravement à la santé», on parle de la crise, des attaques un peu partout, et qu’il faut riposter. Un jeun militant CSC nous dit «Tous ces groupes là, Carrefour ou InBev, ils jouent les gros bras, mais c’est le travail des salariés qui a transformé le Grand Bazar (l’ancêtre des GB, repris par le groupe Carrefour, NDLR) et la brasserie Piedboeuf (ancêtre d’Inbev, NDLR). Ils nous doivent tout et ils nous méprisent.» Ailleurs, c’est un groupe de syndiqués plus âgés qui s’exclament : «La manifestation du 29 janvier à Bruxelles, à la base, c’était pour Opel. Dans la précipitation, bien d’autres sont venus, parce que sa nous pend au-dessus de la tête à tous. On l’a bien vu avec Carrefour. On doit réagir ensemble, on en a vraiment besoin!» Plusieurs travailleurs disent fièrement qu’avec cette grève, ils veulent remettre à l’agenda leur propre ordre du jour. Il ne s’agit pas à Techspace Aéro de riposter contre des assainissements ou des licenciements, mais de partir à l’offensive pour réclamer son dû. Pour le pouvoir d’achat et pour l’emploi des jeunes. Beaucoup espèrent que cela puisse servir d’exemple pour une riposte généralisée des travailleurs. La nécessité d’un plan d’action national pour l’emploi est partout ressentie et a été le centre de la plupart des discussions que nous avons eues.
Hélas, si l’on trouve des employés au piquet, en solidarité, ils ne suivent pas le mouvement pour l’instant. Les négociations sont séparées, et cela permet de discuter de la question d’un statut unique ouvriers/employés, mais en reprenant le meilleur des deux bien entendu, et pas le pire comme le souhaitent les patrons.
(1) Chiffre issus du tract du front commun distribué à l’action des travailleurs de Techspace Aéro ce mercredi 17 mars.
17 mars: Action des travailleurs de Techspace Aéro
Le mercredi 17 mars au matin, une action a été menée au rond point de l’usine; une distribution de tracts aux automobilstes expliquant leur situation et le pourquoi de la grève.