Larmes de crocodiles et opportunisme politique
On a entendu toutes les familles politiques traditionnelles parler ‘‘d’une immense surprise’’, ‘‘d’un événement inattendu’’. De Paul Magnette à Charles Michel, ils flattent ensemble ‘‘les immenses sacrifices’’ consentis par les travailleurs en 2013. Ils se désolent en même temps que la multinationale ne respecte pas les règles du jeu en partant avec la caisse après avoir fait autant de profits. Mais Caterpillar respecte les règles du jeu: les montages financiers pour éluder l’impôt, les centres de coordination, remplacés par le mécanisme de la Déduction des intérêts notionnels, etc. sont même devenus la spécialité de ce pays, mise en place et promue par les différentes familles politiques.
D’autre part, la perte de près de 1400 emplois en 2013 n’était pas une bonne chose. C’était une défaite. La nouvelle orientation de l’usine vers des produits plus difficiles à écouler sur le marché annonçait sa fermeture prochaine, qui est donc tout sauf une surprise.
Par Thomas (Hainaut), article tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste
La colère de classe est telle qu’Olivier Chastel (MR) a pris tout le monde par surprise en lançant l’idée d’une saisie exceptionnelle des outils dans l’usine. Mais comme l’a expliqué Paul Magnette la semaine suivante, “arrêtons la foire aux idées, il faut jouer dans le cadre des procédures qui existent”. Face à la colère des masses, ils forment une “ union sacrée” des différents gouvernements. Cela illustre parfaitement le rôle du PS, véritable feuille de vigne sociale de la classe capitaliste. Paul Magnette joue à Charleroi le rôle qui fut celui de Jean-Claude Marcourt à Liège dans le dossier ArcelorMittal en 2010.
Tous s’avouent impuissants et préparent l’après-Caterpillar avec les mêmes outils que d’habitude. La task force de Marcourt composée de banquiers et de société d’investissements de la région wallonne se donne pour mission d’aider les entreprises des sous-traitants à trouver de nouveaux marchés et clients, via le crédit et les incitants fiscaux. Ils hurlent, largement à contretemps, contre la méchante multinationales américaine qui a profité du système, mais n’ont d’autres solutions que de recréer le même schéma.
Ils s’agit de serrer les rangs, l’annonce de la fermeture n’arrive pas au meilleur moment pour le gouvernement qui, pour arriver à l’équilibre budgétaire en 2018, doit prendre de nouvelles mesures d’austerité, dans une situation où chaque étincelle sociale peut mettre le feu aux poudres. La Fédération du secteur métallurgique Agoria et l’Union des classes moyennes tentent de calmer le jeu en annonçant que les travailleurs de Caterpillar sont ultra-qualifiés et très recherchés sur le marché de l’emploi. Des entreprises les contactent déjà, disent-elles, pour se renseigner sur la disponibilité des salariés !
Bien sûr que les travailleurs sont qualifiés, mais sur le marché du travail se trouvent déjà des demandeurs d’emplois armés des mêmes qualifications. Et bien sûr, aucun nom d’employeur potentiel n’est cité. Ces déclarations visent à atténuer la colère, et encourager la recherche de solution individuelle, plutôt que la lutte collective, laquelle exigera des réponses plus crédibles.64% des jeunes sont inquiets du système économique, 4% seulement expriment leur confiance envers les partis politiques(2) et, en 2013, 43% des Belges se disaient favorables à la nationalisation d’une entreprise pour sauver l’emploi(3), même en l’absence de campagne syndicale et politique massive en faveur d’une reprise publique des outils.
Nationaliser pour sauver l’emploi
Les politiques ont sauvé les banques avec l’argent public en 2010, le justifiant par le caractère “systémique’’ et donc indispensable à la société. Dans une région comme Charleroi, avec un taux d’emploi de 51%(4), Caterpillar et les nombreux emplois que l’entreprise génère chez les sous-traitants est une entreprise systémique !
Caterpillar illustre que le marché libre ne roule que pour une minorité. La production des machines est socialisée, elle demande une coopération réfléchie et planifiée entre beaucoup de travailleurs, sur différents lieux de production. Mais les profits, eux, sont privés. Et tant pis si on peut augmenter le taux de profits en envoyant des milliers de familles à la porte en les plongeant dans la misère.
On a déjà payé l’usine plusieurs fois. En produisant exactement les mêmes machines, et donc en dessous des prix du marché (voir cadre), Caterpillar Gosselies serait rentable. Mais la nationalisation de l’usine serait un excellent moyen de répondre aux besoins dans la société. Avec ses infrastructures, ses machines et le personnel, il est possible de réorienter la production, non plus en fonction des profits, mais des nécessités sociales.
A titre d’exemple, les œuvres de génie civil, (passerelles, ponts, tunnels, bâtiments) sont actuellement réalisées en partenariat public-privé (les fameux “PPP”) qui coûtent très cher à la collectivité. Les éléments de structures de ces œuvres pourraient être réalisé à Gosselies et chez ses sous-traitants. Il serait aussi possible de construire de nouveaux trains pour la SNCB. Les derniers en date, les fameux Desiros, achetés à prix fort à Siemens, sont mal conçus, mal réalisés et se révèlent inutilisables en cas de forte neige.
Se contenter des primes de départ ?
Nous pouvons bien imaginer que, sous les conditions actuelles, certains travailleurs pourraient être saisis par le fatalisme et s’en remettre à un futur plan social avec l’idée de partir avec la prime en vendant sa peau le plus chèrement possible. Mais n’oublions pas que, depuis 2013, l’ONEM considère les primes de départ comme des revenus et refuse donc de payer des allocations de chômage !
Quant au gouvernement, il peut bien refuser d’aller récupérer les 942 millions d’euros d’impôts impayés par des mul-tinationales grâce au mécanisme de l’Excess Profit Ruling considéré comme injuste et illégal par la Commission euro-péenne, il ne refusera pas de taxer les indemnités de départ ! Ces dernières peuvent de plus être plus lourdement taxées depuis le 1er janvier de cette année, des réductions d’impôt régionales ne sont plus prises en compte en conséquence de la 6e Réforme d’Etat.
Le site de Gosselies : une vache à lait pour Caterpillar
Dans son excellent livre “Carnets d’un perceur de coffre”, l’ex-syndicaliste CSC Guy Raulin démontre que, dès 1986, Caterpillar a bénéficié du système fiscal avantageux des centres de coordination, puis du système des intérêts notionnels à partir de 2006. Alors qu’elle a l’argent pour se financer seule, Caterpillar Gosselies a emprunté de l’argent à une filiale du groupe Caterpillar et lui a remboursé avec intérêts. Grâce à cela, une partie de la plus-value réalisée sur le site de Gosselies a été transférée vers la banque du groupe. Le seul client de Caterpillar Gosselies est aussi une centrale d’achat créée en 1960 à Genêve (Suisse) qui n’est en fait qu’une boîte aux lettres de la multinationale.
Toutes les machines produites à Gosselies sont achetée là-bas et, pourtant, aucune machine n’y est passée physiquement. L’idée des prix de transfert est qu’une multinationale peut se vendre ses marchandise à elle-même et peut donc choisir un prix soit très bas, soit très haut, en fonction du pays où elle veut déclarer une plus-value importante.
En 2001, ce vol s’est considérablement aggravé grâce à un artifice juridique. L’usine fut transformée en prestataire de service. Au lieu de construire des machines et de les vendre, l’usine de Gosselies est devenue un ‘‘service de fabrication’’. Le chiffre d’affaire de l’usine ne reflète donc plus du tout la production réelle de richesses. Caterpillar Gosselies a vendu chaque machine 105.000 euros à Caterpillar-Suisse(1). Pourtant, sur les différents sites d’occasion, les même modèles se vendent entre 200 et 300.000 euro !
Gustave Dache: “Témoignage pour un syndicalisme de combat anticapitaliste et démocratique”
A l’heure où vient de tomber l’annonce de la volonté de la direction de Caterpillar de fermer le site de Gosselies, ce livre sera précieux pour tous les militants et les lecteurs désireux d’entrer plus en profondeur dans la discussion portant sur la nécessité d’un syndicalisme de combat.
Gustave Dache est un vétéran du mouvement ouvrier à Charleroi. Métallo durant des années, il a été délégué à Caterpillar, où il fut parmi les fondateurs de la délégation FGTB, et à Citroën. Ce livre aborde notamment abondamment l’expérience de la grève de juin 1970 à Caterpillar, avec la reproduction commentée de la brochure publiée à l’époque par l’auteur : ‘‘10 jours de grève qui ébranlèrent la Direction de Caterpillar et la Bureaucratie Syndicale FGTB et CSC’’.
Gustave a également très activement participé à la grande grève générale de l’hiver 1960-61. Il est déjà l’auteur du livre “La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 1960/61 – Témoignage ouvrier sur la grève du siècle” également publié par les éditions Marxisme.be.
Témoignage pour un syndicalisme de combat anticapitaliste et démocratique, Gustave Dache, 176 pages, éditions Marxisme.be, 12 euros. Passez commande via notre site ou via redaction@socialisme.be.