Caterpillar: pourquoi et comment nationaliser ?

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L’annonce de la fermeture de la filiale de Caterpillar à Gosselies, Charleroi, a ébranlé la rhétorique gouvernementale. Jusqu’ici, le gouvernement s’accrochait exclusivement à l’idée selon laquelle la réduction des dépenses publiques, des allocations sociales et des salaires allait attirer les investisseurs. ‘‘Jobs, jobs, jobs’’, c’est là-dessus que le gouvernement devait être jugé. Mais aujourd’hui coulent les larmes de crocodile. Charles Michel parle de la brutalité de la multinationale, Paul Magnette prend des selfies et tout le monde est en colère contre les nombreux cadeaux fiscaux perdus. Même le président du MR Olivier Chastel a parlé de ‘‘saisie’’ de l’outil et du site.

Par Eric Byl

Olivier Chastel a donc voulu mettre les choses en ordre au MR. Quelques responsables du parti avaient montré un manque flagrant d’empathie ou s’étaient prononcés de façon dédaigneuse au sujet de la proposition du PTB de confisquer le terrain du site. Il s’agit d’environ 98ha dans les environs de l’aéroport et de la zone industrielle Aéropole. Chastel voudrait éviter que Caterpillar ne vende le terrain pour payer le plan social. Le président du MR a donc immédiatement dépassé sur leur gauche le gouvernement wallon et le centre-gauche. Il a dit vouloir ‘‘une lutte sans merci’’ en utilisant tous les moyens légaux ‘‘pour compliquer la vie des dirigeants de l’entreprise américaine.’’ Un libéral indigné de ce commentaire l’a qualifié de ‘‘puéril’’ dans une réponse qui fut virale. Chastel a même été accusé d’être un ‘‘communiste’’. Un lecteur plus sensible, a cependant compris la manœuvre de Chastel: ‘‘bander les muscles pour le public pendant que les véritables négociations se tiennent dans le secret des coulisses.’’

Selon le PS, personne ne croit à l’option de la saisie. Avec l’Union Wallonne des Entreprises, il pense que cela compliquera les négociations avec un acheteur potentiel. Magnette veut au contraire convaincre la direction de Caterpillar avec des arguments économiques – de nouveaux cadeaux fiscaux? – pour revenir sur sa décision. Le PS demande cependant au gouvernement fédéral, à la grande irritation de la N-VA, d’appliquer les mesures en vigueur à Ford Genk (dont la fermeture avait été annoncée en 2012) en termes de prépension, de chômage économique et d’extension des mesures sociales aux sous-traitants. En 2013, avec la fermeture de la phase à chaud d’ArcelorMittal, le ministre wallon de l’Economie Jean-Claude Marcourt (PS) avait ‘‘tenté’’ d’élaborer un décret d’expropriation sur lequel le CDH et le MR ont immédiatement tiré à boulets rouges. Chastel affirme mieux comprendre aujourd’hui les propositions de Marcourt.

ECOLO n’arrive pas plus loin que la revendication d’une réunion du Comité de développement stratégique de la région de Charleroi pour empêcher que la décision ne se concrétise ou pour en atténuer les effets. Le cdH veut reporter le dossier, exige une analyse des cadeaux fiscaux et des raisons qui n’ont pas permis d’empêcher la fermeture. Il demande également la nomination d’un médiateur social. Le PTB appelle à la ‘‘saisie temporaire’’, ce qui est possible, selon Raoul Hedebouw, par un simple Décret Royal, pour mettre Caterpillar sous pression afin de réviser les quotas de production entre les sites. Répartir la baisse de production entre les différents sites? La solidarité internationale impliquerait de lutter ensemble pour une réduction globale du temps de travail sans perte de salaire. Dans son tract du 16 septembre, le PTB plaidait en outre pour un ‘‘blocage de la production’’ et la ‘‘décrédibilisation de la marque’’.

Cette référence à la décrédibilisation de la marque est peut-être une concession à la pression publique pour de ‘‘nouveaux moyens d’action’’. Habituellement, il s’agit d’une version rafraîchie du vieux militantisme par la consommation. Le fait est qu’en 1997, après la fermeture de son usine à Vilvoorde, jamais autant de Renault n’ont été vendues en Belgique. D’autre part, comme les acheteurs de bulldozers ne sont pas légions dans la population ordinaire, l’impact de la décrédibilisation de la marque sera encore moindre. Le blocage immédiat de la production nous semble représenter une meilleure proposition : bloquer toutes les livraisons en occupant l’entreprise, utiliser le site comme quartier général de la lutte pour la préservation des emplois et, à partir de là, envoyer des groupes de travailleurs dans tous les coins du pays et en faire un point de ralliement pour les syndicalistes combatifs et autres sympathisants. Pour construire un rapport de forces, ça aurait été une étape importante. Mais ce n’est pas ce qu’entend le PTB. Selon son site web, il veut que les travailleurs laissent l’initiative du blocage au gouvernement par la saisie temporaire. Après les prochaines élections ?

L’occupation de l’entreprise est cependant l’une des meilleures traditions du mouvement ouvrier, y compris en Belgique, inondée d’occupations entre 1970 et 1975. Dans quel but? Habituellement, il s’agit d’une prise de contrôle par le gouvernement par la nationalisation. Le plus grand boom économique de l’histoire, après-guerre, a été précédé d’une vague d’occupations d’usines et nationalisations. Cela n’a pas empêchés les ‘‘années dorées’’ ‘60 et ‘70. Ce n’est que lorsque que l’offensive néo-libérale de Thatcher et Reagan a connu sa vitesse de croisière après la chute du mur de Berlin en 1989 que l’opinion selon laquelle le secteur privé était plus efficace que le public a commencé à être plus généralement acceptée. L’idée reposait sur une présentation caricaturale des choses qui mettait en exergue la bureaucratie dans un processus de nationalisation sans contrôle des travailleurs. On laissait par contre plus facilement de côté les exemples où le marché avait rayées des communautés entières de la carte socio-économique et écologique.

Les politiciens versent aussi une larme de crocodile pour les employés des nombreux sous-traitants et fournisseurs. Ils admettent ainsi implicitement que Caterpillar est une entreprise systémique dans la région. Beaucoup d’autres entreprises et de travailleurs indépendants de même que toute la communauté seront entraîné dans son piège. Au début de la crise économique, des banques systémiques ont pu être nationalisées en dépit de toute la rhétorique néolibérale ‘‘pour protéger le reste de l’économie’’. Pourquoi les choses seraient-elles différentes pour une entreprise industrielle?

Charles Michel déclarait, il y a quelques semaines encore, vouloir investir dans l’infrastructure, l’enseignement et les innovations créatives. Les machines pour les travaux d’infrastructure sont prêtes à être saisies. Et pendant que nous nous occupons ainsi de notre infrastructure, Michel peut combiner la créativité des universités belges pour élaborer un projet durable pour une usine ultra-moderne de machines multifonctionnelles. Des collèges techniques et des écoles d’ingénieurs bénéficieraient immédiatement d’un endroit idéal pour donner libre cours à leur créativité. La banque nationalisée Belfius pourrait se voir obligée de mobiliser de l’argent frais pour cela, au lieu de pousser les épargnants vers le marché des capitaux à risques. Voilà qui serait une ‘‘politique industrielle intégrée’’. La participation et le contrôle démocratique des travailleurs et de la collectivité garantiraient une vision à long terme tout en mettant un frein à la soif de profits rapides de propriétaires qui se fichent de la communauté dans la région touchée.


Comment lutter contre les fermetures ? L’exemple des Forges de Clabecq, il y a 20 ans

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Au centre, Gustave Dache. Autrour de lui: Silvio Marra et Roberto D’Orazio de la délégation syndicale des Forges de Clabecq dans les années ‘90. Photo : Karim Brikci / Collectif Krasnyi

En décembre 1996, les Forges de Clabecq sont déclarées en faillite. Les actionnaires avaient pris la poudre d’escampette. Les délégations syndicales prennent alors la sécurité du site en main et occupent l’entreprise. Ils se rendent compte qu’ils auront besoin de la mobilisation permanente de tous les 1800 travailleurs, mais ils sont bien préparés. Avant même la faillite, la délégation FGTB nous expliquait qu’ils discutaient chaque semaine de l’évolution mondiale du marché de l’acier, qu’ils évaluaient la position des Forges et préparaient ainsi politiquement les militants pour ce qui allait survenir et, surtout, comment y faire face. Au travers de dizaines de militants, toute l’usine était politiquement prête.

A partir de la faillite, environ 1.500 travailleurs se réunissent toutes les deux semaines à peu près, dans l’un des halls vides de l’usine, pour dresser un état de lieu et lancer des propositions d’action. La délégation réalise bien le danger que certains, au fil du temps, restent à la maison. Les militants contrarient cela en appelant chacun bien à l’avance et, si nécessaire, en leur rendant une visite à la maison. Ici, pas de privilèges ou de tapis rouge pour les journalistes. Le ‘‘pape rouge’’ ou encore le ‘‘clan D’Orazio’’ est fustigé dans la presse pour cela. Mais les sympathisants d’autres entreprises et les militants de gauche sont accueillis à bras ouverts. La distribution de tracts et la vente de journaux de gauche n’y est pas considéré comme un problème, mais comme une contribution précieuse au débat. Les plus motivés sont reçus par la délégation lors des réunions régulières, de sorte que non seulement leur solidarité est reçue mais aussi leur mobilisation et leur capacité organisationnelle.

A coups de bus remplis de travailleurs de Clabecq, une mobilisation se lance dans tout le pays. La délégation est ainsi capable de réunir 70.000 manifestants à Clabecq le 2 février 1997 dans une Marche multicolore. À la fin du mois de mars, les travailleurs sont attirés dans un piège de la gendarmerie sur une autoroute. Des coups sont donnés des deux côtés. Les dirigeants syndicaux instrumentalisent l’événement pour démettre la délégation de ses fonctions. A partir de là, les dirigeants de la délégation sont poursuivis en justice. Après cinq ans, les 13 accusés sont acquittés sur toute la ligne. Entretemps, ils avaient réussi à négocier une reprise, un petit miracle. Mais ils se retrouvent eux-mêmes sur liste noire. La Lutte de Clabecq a eu lieu dans une période d’expansion économique, et non pas après une crise mondiale du capitalisme comme aujourd’hui. Il y avait d’autres foyers de résistance, mais très loin du mouvement généralisé d’aujourd’hui contre le gouvernement de droite.

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