Attaques terroristes à Paris. Des victimes d’une spirale réactionnaire

Les attentats de Paris ont causé la mort d’au moins 130 personnes ainsi que plusieurs dizaines de blessés graves. Cette brutale et barbare escalade de violence prend place dans une plus large spirale sanglante de guerre et de terrorisme. En deux semaines à peine, plus de 400 personnes ont été tuées dans des attentats commis à Paris, Beyrouth, Bagdad, Bamako ainsi que dans un avion de ligne russe au-dessus de l’Egypte. Le PSL et les Etudiants de Gauche Actifs expriment leur solidarité avec toutes les familles et les proches des victimes.

En tant que marxistes, nous répondons au danger croissant du terrorisme et de la haine par la solidarité et l’unité de la classe des travailleurs à travers le monde. Provoquer une fois de plus la mort et la destruction au Moyen-Orient sous une pluie de missiles affectera bien entendu les combattants de l’Etat Islamique mais aussi la vie des civils : cela ne nous protègera pas contre l’organisation de nouveaux attentats odieux.

Dossier de Michael (Gand) paru dans l’édition de décembre/janvier de Lutte Socialiste

Bruxelles dans le collimateur

Au lendemain des attentats de Paris, le degré d’alerte terroriste en Belgique a été élevé au niveau 3, ce qui signifie que certaines indications faisaient état de possibles attaques sur le territoire. Lorsqu’il est apparu que le réseau ayant organisé les attentats de Paris étendait ses ramifications jusqu’à Molenbeek, le gouvernement a relevé le niveau de menace pour Bruxelles à 4, invoquant une menace ‘‘précise et imminente’’ d’un ‘‘attentat tel que déroulé à Paris’’. Le métro et les écoles ont été fermés tandis que des soldats patrouillaient dans les rues et que des véhicules blindés étaient déployés. Des perquisitions ont été menées dans des dizaines de maisons à Molenbeek. Le Ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) a déclaré que l’opération continuerait jusqu’à ce que l’ensemble du réseau soit démantelé.

Des attaques comme celles de Paris frappent des centaines de victimes innocentes. Il est compréhensible que la population craigne des attaques similaires en Belgique. Le thème de la sécurité ne doit pas être pris à la légère. Mais nous nous posons pas mal de questions quant à la façon dont le gouvernement s’y prend. La CGSP-Cheminots a, à juste titre, demandé pourquoi le trafic des métros a été arrêté mais pas celui des trains. Des hôtels de luxe se sont retrouvés avec des militaires à leur porte. Mais quand des conducteurs de bus ont demandé à percevoir une prime de risque, le ministre Weyts (N-VA) s’est immédiatement braqué. Tout le monde ne doit-il donc pas bénéficier de la même attention ?

Le niveau de sécurité 4 a provoqué des pertes pour les employeurs. Pour les travailleurs indépendants de Bruxelles, la paralysie de la ville fut une catastrophe majeure. Était-ce la pression des employeurs qui a conduit à ce que le degré d’alerte passe à nouveau à 3 ? Cela poserait certainement question quant à la valeur des niveaux de menace. Tout cela avait-il pour but de sonder jusqu’où pouvait aller la répression et à quel point les droits démocratiques pouvaient être mis de côté? La situation a-t-elle été utilisée pour que certains politiciens puissent passer pour des dirigeants résolus?

L’opposant à la politique d’austérité qui ose l’affirmer est réduit au silence ou traité d’irresponsable. Ce fut notamment le cas pour les grévistes du Hainaut le 23 novembre ou pour les manifestations dans le cadre du Sommet de l’ONU sur le Climat de Paris, en France et en Belgique.

Pas de sécurité avec un désert social

Mark Elchardus a fait en 2013 des recherches au sujet des opinions de la jeunesse en Belgique. Il est parvenu à la conclusion que les jeunes sont ‘‘enchainés à l’angoisse’’. Avant les dramatiques évènements de Charlie Hebdo, 69% des jeunes craignaient d’assister à une croissance du terrorisme en Europe. 83% estimaient que l’écart entre les riches et les pauvres n’allait faire que croitre. 77% ont déclaré qu’il sera nécessaire de combiner deux emplois à l’avenir, et seuls 16% des jeunes faisaient confiance aux politiciens pour leur fournir des réponses. L’étude en concluait que les jeunes sont des individualistes qui ne croient pas aux solutions collectives.

C’est la peur de l’avenir qui transparait de ces chiffres, une crainte renforcée par l’austérité. Ce gouvernement ne protège pas nos conditions de vie, très certainement pas pour les travailleurs et pour les couches les plus pauvres ou marginalisées de la population.

Un tel contexte de désespoir joue le même rôle que celui de l’humidité : on assiste au développement de moisissures, telle l’extrême droite. Le racisme trouve ainsi une porte d’entrée chez certaines franges de la classe des travailleurs. De la même manière, le courant particulièrement conservateur du salafisme, un fondamentalisme de droite de l’islam sunnite, peut trouver une entrée parmi des musulmans. L’extrême droite prétend représenter les intérêts des ‘‘autochtones’’ belges de la même manière que les fondamentalistes religieux prétendent défendre la population musulmane.

La meilleure réponse à la rhétorique du diviser-pour-mieux-régner des divers courants de droite ainsi qu’à l’individualisme, au désespoir et à la division, c’est l’action collective. Toutes les divisions ont été surmontées grâce au plan d’action syndical contre l’austérité de l’automne 2014. Il a illustré à quel point de nombreux travailleurs ne font pas confiance au gouvernement, que soit pour assurer de bonnes conditions de travail, la sécurité d’emploi ou plus fondamentalement un bon avenir. A Gand, la jeunesse avait ouvert la voie avec deux mois de lutte collective et une grève des étudiants du secondaire, contre l’augmentation du minerval en Flandre et pour un refinancement public de l’enseignement. Aux piquets de grève et aux manifestations syndicales également, on a pu voir un bon nombre de jeunes syndicalistes qui ont dépoussiéré les meilleures traditions militantes du mouvement des travailleurs.

La menace terroriste détourne désormais l’attention de l’agenda social, ce que le gouvernement utilise pour lancer de nouvelles attaques. Résister à l’austérité sera condamné comme étant un acte ‘‘irresponsable’’, tandis que la crainte justifiée qui vit parmi de larges couches de la population sera instrumentalisée. La politique d’austérité n’est pas synonyme de sécurité, au contraire. La lutte sociale est nécessaire pour que l’anxiété, la frustration et l’insécurité laissent place à la confiance et à la solidarité. Des mobilisations de masse qui soulignent nos intérêts communs peuvent balayer les divisions entretenues parmi la population.

Lutter ne sera cependant pas assez. Il nous faut aussi une alternative à l’austérité pour briser les ‘‘chaînes de l’angoisse’’ du capitalisme, ce qui ne peut se faire que grâce à la lutte et à la solidarité pour une alternative de société contre la folie capitaliste.

Une gauche trop laxiste, correcte pour le social mais qui fait fausse route pour la sécurité?

La gauche est souvent critiquée car, dans les années ’90, elle n’aurait pas été suffisamment ‘‘répressive’’. La gauche aurait été naïve, n’aurait pas assez contrôlé les migrants et serait restée aveugle aux problèmes sociaux des quartiers les plus pauvres. Il est vrai que la social-démocratie a été laxiste en termes de résistance contre la dégradation des quartiers populaires à coup de politiques néolibérales ! Cela a créé un cocktail explosif où les idées réactionnaires trouvent leur entrée (voir notre article sur Molenbeek).

Mais le radicalisme islamiste n’est ni un phénomène culturel ni un phénomène religieux. La première version du programme raciste en 70 points du Vlaams Blok n’abordait d’ailleurs qu’à peine la thématique de l’Islam. Par ailleurs, diverses études démontrent que 80% des jeunes gens qui se radicalisent via le salafisme n’ont pas été élevés dans des familles pratiquantes. La racine du problème ne se trouve ni chez les individus, ni chez les familles, ni dans la culture. Tout cela provient d’une société qui aliène les individus au point d’en faire des proies pour les idées réactionnaires. Les diverses couches de la population répondent différemment à des phénomènes similaires qui s’affectent mutuellement.
Traditionnellement, le terrorisme est essentiellement issu de couches légèrement mieux loties, particulièrement quand elles sentent qu’elles subissent une discrimination ethnique, religieuse ou nationale et que leurs espoirs de promotion sociale sont bloqués par la crise. Ce cocktail explosif n’est pas créé par une politique de gauche. Cela n’a rien à voir avec la culture ou la religion, c’est le résultat d’une politique néolibérale antisociale dans laquelle ont trempé les sociaux-démocrates et les Verts et que le gouvernement de droite actuel renforce encore.

Des partis de gauche comme le PTB ou le président du parti travailliste britannique Jeremy Corbyn soulignent à juste titre cette dégradation sociale de même que l’hypocrisie des gouvernements occidentaux qui entretiennent des liens étroits avec l’Arabie Saoudite. Mais il leur manque un appel à la résistance unitaire ainsi que la défense offensive d’une perspective socialiste dans la lutte quotidienne.

Cela ne suffit pas de dire que nous ‘‘ne devons pas accepter d’avoir peur’’. Nous devons garder à l’esprit que la plupart des travailleurs sont en état de choc. Heureusement, à la différence de la Turquie ou de l’Irlande du Nord, nous ne sommes pas habitués à ce type de violence. Pour nous, dans ces circonstances, la gauche doit, dans un premier temps, développer ses réponses sur les lieux de travail, par le biais d’assemblées générales du personnel. Une fois que le pic du danger est passé, nous avons besoin de décompresser avec des manifestations de masse pour défendre notre programme contre l’austérité et pour un avenir décent pour chacun.

De cette façon, l’espoir d’un meilleur avenir peut dominer le débat et couper l’herbe sous le pied au désespoir, à la violence, au terrorisme et au fondamentalisme religieux. Avec des mobilisations qui défendent les intérêts communs des travailleurs indépendamment de la religion, de l’origine, du syndicat ou de la couleur de peau, il est possible d’isoler les prédicateurs de la haine tout en démasquant les instigateurs de la surenchère réactionnaire.

Le terrorisme renforce les divisions

Les fondamentalistes prétendent recourir à la violence pour défendre les intérêts de la population musulmane. Ils prétendent parler au nom de millions de pauvres et de réfugiés du Moyen-Orient et être en guerre contre les envahisseurs étrangers. Mais les objectifs des terroristes n’ont rien à voir avec les intérêts de la population ordinaire, cette dernière étant la première victime de leurs violences, que ce soit en Europe, en Asie, en Afrique, aux Etats-Unis ou au Moyen-Orient. C’est la menace permanente d’attentats similaires et d’autres actes de violence aveugle au Moyen-Orient qui se trouve à la base du flux de réfugiés vers l’Europe.

La classe des travailleurs en payera le prix à travers le monde : une première fois en étant victime des attaques. Une deuxième fois avec l’augmentation des interventions impérialistes au Moyen Orient (comme l’a encore illustré le président français François Hollande), des attentats au Moyen-Orient ou de la répression dans les pays occidentaux. Et une troisième fois parce que le terrorisme rompt les liens de solidarité, et laisse la classe ouvrière orpheline et impuissante en sapant le potentiel d’une riposte collective de classe. Cette situation sera instrumentalisée par les compétiteurs réactionnaires de l’Etat Islamique en Europe, l’extrême droite, pour favoriser les préjugés racistes et mener des actes de représailles à l’instar des incendies de centres d’asile en Allemagne.

Le terrorisme est une réponse réactionnaire à l’impérialisme, le revers d’une même médaille réactionnaire. Les marxistes doivent pouvoir y répondre. Si nous n’offrons aucune issue hors de ce système malade qui engendre ce cercle vicieux grâce à un programme anti-impérialiste et anti-terroriste, alors la voie est ouverte pour que l’extrême-droite, le fondamentalisme religieux et toutes les forces antisociales puissent se développer grâce à la peur et à la confusion. C’est pourquoi nous plaidons pour la construction d’un parti des travailleurs de masse indépendant qui dépasse les frontières religieuses et qui repose sur un programme de nationalisation sous contrôle ouvrier démocratique du secteur du pétrole et des autres secteurs clés de l’économie du Moyen-Orient, sur l’expansion des services publics, sur la création d’emplois décents et sur le droit à l’autodétermination des peuples.

Une spirale de guerre et de terreur depuis l’Irak

Les marxistes tentent de regarder les fondements de l’extrémisme religieux, les causes profondes qui déterminent si une religion est utilisée ou non pour prêcher la terreur. Les médias ne nient pas que le phénomène du radicalisme de droite, en particulier islamiste, a augmenté ces dernières décennies, mais ils refusent d’en tirer les conclusions nécessaires. C’est à peine si l’on parle de la ruine sociale causée par les guerres impérialistes pour le pétrole, les matières premières et le contrôle de la région.
L’invasion de l’Irak en 2003 a néanmoins été un moment clé dans l’histoire récente du Moyen-Orient. Cette guerre a pu compter sur la résistance de millions de personnes à travers le monde. Le PSL n’a pas accordé de soutien à la politique de Saddam Hussein, mais a systématiquement défendu que les véritables enjeux de cette invasion étaient le contrôle du pétrole, la restauration d’une économie chancelante et les intérêts de l’industrie militaro-industrielle. Apporter la démocratie et la liberté, ce n’était que de la rhétorique, la ‘‘guerre contre le terrorisme’’ n’allait provoquer que plus de terreur. Ces avertissements se sont avérés tragiquement corrects.

L’Irak n’a pas été reconstruit. La priorité n’était pas là. La dictature de Saddam a disparu, mais le désordre social a empiré. L’Irak était l’un des pays les plus armés de la région et dans les mois qui ont suivi l’invasion du pays, ce dernier fut traversé par de nombreux conflits. Différents groupes se sont battus sur les cendres du régime de Saddam Hussein et son héritage de pénuries sociales et de répression ethnique. Un conflit entre sunnites et chiites a éclaté. Voilà les racines de l’émergence de l’Etat Islamique sunnite.

Depuis la guerre en Irak, la région est dans un état d’instabilité permanent. Les derniers régimes de pailles de l’impérialisme occidental, des dictatures amicales tels que les régimes du Golfe (Arabie Saoudite,…), la Tunisie, l’Egypte,… où la démocratie est sans importance, se sont retrouvés être des points cruciaux pour la stabilité et les intérêts des gouvernements européens et américains. Ces dictatures ont toutefois été sans cesse plus haïes par leur population.

La vague révolutionnaire au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qui a ébranlée ces dictatures ou les a fait chuter a également touché la Syrie. Les masses avaient la confiance de pouvoir prendre leur avenir en mains. Dans plusieurs de ces mouvements révolutionnaires, les divisions sectaires ou ethniques avaient disparu et le fondamentalisme religieux s’était retrouvé provisoirement relégué à l’arrière-plan parce que les masses avaient réalisé qu’elles avaient des intérêts identiques et qu’elles étaient plus fortes ensemble. Pendant l’occupation de la place Tahrir en Egypte, la protection des manifestants musulmans en prière contre les attaques de la police était organisée par les manifestants chrétiens. Cela illustre que la religion joue un rôle secondaire lorsque les masses deviennent conscientes de leurs liens de classe et de la position qu’occupe cette dernière dans la société.

L’Impérialisme et notamment l’Arabie saoudite – qui craignait la contagion révolutionnaire – se sont rapidement impliqués dans le soulèvement populaire syrien pour en dévier le processus vers un bourbier sans issue de guerre civile et de conflits confessionnaux. Le soutien de l’Arabie Saoudite aux djihadistes et à l’opposition sunnite contre Bachar el-Assad en Syrie a assisté l’émergence de l’Etat Islamique. Mais cela n’a pas empêché la France de conclure avec l’Arabie Saoudite un contrat d’armement de 10 milliards $. Les États-Unis ont notamment soutenu le front Al-Nusra (Al-Qaïda) dans sa lutte contre Assad alors que la Russie a soutenu ce dernier. La Syrie est devenue le champ de bataille des puissances mondiales, le rôle de la population s’est limité à celui de victime.

L’absence d’une alternative de classe

En plus du rôle décisif de l’impérialisme au cours de ces trois dernières décennies, il faut parler de l’absence de réponse de la part de la gauche dans la région concernée. Les dictatures fantoches dans la région ont brisé beaucoup d’organisations ouvrières existantes – c’est d’ailleurs l’une des raisons qui a poussé les puissances occidentales à les soutenir. Peu de temps après les soulèvements de 2011, des centaines de syndicats ont été formés, mais aucun parti de masse indépendant avec une perspective de classe claire. Pourtant, plusieurs manifestations de masse contre les gouvernements en Irak et au Liban ont eu lieues, de même que des mouvements de lutte contre le chômage, l’effondrement des services publics et les privatisations. Il manquait un programme, une méthode et une organisation pour que la lutte puisse attendre un niveau supérieur.

Le rôle d’une position d’indépendance de classe est le plus clairement illustré par la comparaison entre la Tunisie et d’autres pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. La fédération syndicale UGTT y est forte et influente, elle a limité l’impact des conflits sectaires après la chute du dictateur Ben Ali. En dépit des conditions sociales inchangées de pauvreté et de désespoir, la situation n’a pas dégénéré en une guerre civile religieuse. C’est en raison de la force du syndicat dans la région. Si cette force entre de manière décidée en lutte avec les nouvelles autorités pour améliorer les conditions de vie de la population, cela limiterait l’espace de groupes réactionnaires pour recruter des jeunes.

Les enseignements positifs et négatifs de la vague révolutionnaire au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, le rôle d’une perspective de classe, la résistance sociale en Belgique et la nécessité d’un programme de nationalisation sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs qui va à l’encontre de l’impérialisme et des fondamentalistes réactionnaires donnent des indications sur la façon dont la plus grande unité possible peut être créée dans la lutte pour une société socialiste.

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