Un demi-million de grévistes en Grande-Bretagne : comment poursuivre le combat?

Le mois de décembre 2022 a connu le plus grand nombre de jours ouvrables perdus pour cause de grève (1,5 million) depuis juillet 1989. Cet élan a conduit à l’action de grève coordonnée du mercredi 1er février, la plus grande journée d’action de grève coordonnée depuis 2011.

Par Tom Costello, Socialist Alternative (ASI en Angleterre, Écosse et Pays de Galles)

Le langage de la guerre des classes est à l’ordre du jour en Grande-Bretagne. Comme l’ont dit les infirmières en grève sur leurs piquets de grève : «Les patients ne meurent pas parce que nous sommes en grève. Nous sommes en grève parce que les patients meurent», ce qui a touché une corde sensible au sein de la majorité de la classe ouvrière. Les travailleurs savent que les grèves en cours concernent notre avenir : l’avenir de notre santé, de notre éducation et des services dont nous avons tous besoin.

Le 1er février, on estime que plus de 500.000 personnes ont débrayé, dont 300.000 travailleurs de l’éducation membres du syndicat National Education Union (NEU), 100.000 fonctionnaires du Public, Commercial Services Union (PCS) et 70.000 travailleurs de l’enseignement supérieur de l’University and Colleges Union (UCU). Il s’agit de la plus grande journée de grève coordonnée depuis 2011, lorsque 2 millions de personnes ont participé au conflit sur les retraites dans le secteur public.

N’oublions pas qu’il y a trois ans à peine, Boris Johnson et les Tories (le parti conservateur) semblaient avoir le vent en poupe. La corruption généralisée, les scandales et le chaos économique infligés par le capitalisme britannique ont maintenant plongé leur propre système dans la crise. Ce chaos peut être vu dans les expériences quotidiennes de millions de travailleurs. Les services ferroviaires, en particulier dans le nord de l’Angleterre, se sont complètement effondrés. Le nombre d’enseignants, d’infirmières, de pompiers et d’autres « travailleurs clés » s’est effondré. De tous les pays « avancés » du G7, la Grande-Bretagne connaît aujourd’hui l’inflation et la crise énergétique les plus graves.

Le premier ministre Sunak, qui représente les intérêts de ses collègues fraudeurs fiscaux au sein du gouvernement, a mené une vicieuse campagne antisyndicale visant à opposer les «manifestants extrémistes et les patrons des syndicats» aux «Britanniques qui travaillent dur et aux écoliers». Sa nouvelle proposition de loi sur le service minimum promet de porter très sérieusement atteinte au droit démocratique de faire grève dans des secteurs clés, en utilisant la répression de l’État pour faire reculer de plusieurs siècles les droits des travailleurs.

Malgré ses fanfaronnades, ce gouvernement n’est pas populaire. Il est en fait largement détesté. Sunak, en en prenant les rênes, a dû dire à son parti de «s’unir ou mourir». Et l’unité qui existe maintenant n’existe réellement que du papier. Les Tories restent divisés et le parti est en phase terminale.

La grève générale

Le 1er février représente une étape importante sur la voie de l’intensification de la lutte de la classe ouvrière. L’événement aurait toutefois pu être plus important. Au vu de la profonde colère et de la détermination à se battre qui existe, il serait parfaitement possible de dégager les conservateurs du pouvoir avec de nouvelles actions de grève coordonnées à la suite d’une période de préparation qui permet aux différents syndicats de synchroniser et intensifier leurs actions. L’entrée des pompiers et potentiellement des médecins juniors (employés du service national de soins de santé qui existe au Royaume Uni, NdT) dans la vague de grève illustre à quel point il est possible d’élargir et d’approfondir le mouvement.

Socialist Alternative (parti frère du PSL/LSP en Angleterre, Pays de Galle et Ecosse) défend comme prochaine étape immédiate de la lutte devrait être une journée massive d’action de grève coordonnée le jour consacré au budget du gouvernement : le 15 mars. Cela doit faire partie d’une stratégie d’intensification et d’escalade de l’action vers une grève générale. Une telle action porterait un coup dur au gouvernement de Sunak, déjà en crise, et, si elle s’inscrit dans un plan d’action soutenu, elle pourrait le forcer à quitter le pouvoir. Ce qu’il faut, c’est une stratégie élaborée et démocratique pour intensifier les conflits et élargir l’action. Mais qui va organiser cela ?

Il est clair que nous ne pouvons pas compter sur le leader du Parti travailliste, Kier Starmer, pour soutenir ne serait-ce qu’un peu les travailleurs en lutte. Alors que les syndicats ont défendu les salaires et les conditions de travail de leurs membres, Starmer s’est assis au Forum économique mondial de Davos pour côtoyer les milliardaires du monde entier. Nous savons de quel côté il se trouve dans la lutte des classes.

Le Trades Union Congress, qui représente des syndicats comptant environ 6 millions de membres, aurait une autorité et un poids énormes s’il menait une campagne en vue d’une grève générale. Mais une telle approche a malheureusement fait défaut. Le nouveau secrétaire général du TUC, Paul Nowak, par exemple, tout en critiquant le projet de loi sur les services minimums, a limité ses appels à laisser le combat aux tribunaux. Les tribunaux ne sont pas de notre côté. Ce sont ces mêmes tribunaux qui ont statué il y a quelques semaines à peine contre le droit du peuple écossais à organiser un second référendum sur l’indépendance. Ils ont à maintes reprises pris le parti des employeurs contre nos syndicats lorsqu’il s’agit de conflits. Cette bataille ne sera gagnée que par des actions de masse, en faisant grève autour de revendications claires et en se préparant à défier des lois injustes et antidémocratiques si nécessaire.

Des millions de personnes ont été inspirées par l’action historique des travailleurs de la santé, des infirmières et des ambulanciers. Bientôt, les médecins juniors entreront dans la mêlée après des décennies de privatisation du NHS (le service national de soins de santé). Ces travailleurs font partie de l’épine dorsale de cette lutte, dont l’action aurait été encore renforcée si leurs syndicats avaient rejoint la date de grève coordonnée du 1er février, plutôt que de mener des actions plus tard dans la même semaine.

Malheureusement, les dirigeants du Royal College of Nursing (RCN) ont pour l’instant rejeté toute idée de coordination en dehors du secteur de la santé. Jusqu’à présent, cette attitude semble avoir été motivée par la volonté de maintenir les grèves «apolitiques» et d’éviter de perdre du soutien en associant les travailleurs de la santé à des grèves  «moins populaires». Mais il n’est pas vrai que les travailleurs de la santé sont les seuls à bénéficier d’un soutien important de la part du public. Un récent sondage auprès des parents a révélé que 62 % d’entre eux soutenaient l’action des enseignants. La grève des chemins de fer, malgré un barrage incessant de propagande médiatique sur les «riches conducteurs de train aux salaires mirobolants», bénéficie toujours d’un soutien nettement supérieur à l’opposition. Cela montre simplement qu’en réalité, à mesure que la vague de grève s’intensifie et s’étend, les travailleurs voient à quoi servent les syndicats. Cela encourage davantage de personnes à vouloir se battre en tant que membres de notre classe.

Une stratégie de lutte s’impose

Beaucoup d’entre nous savent déjà que le 1er février ne doit être qu’un début si les travailleurs désirent l’emporter. Mais pour s’assurer que cela soit pleinement pris en compte dans la prochaine phase de la lutte, nous devrons nous battre pour maximiser l’implication des travailleurs eux-mêmes dans la prise de décision démocratique concernant la manière de faire grève. Cela pourrait signifier la mise en place de comités de grève intersyndicaux et de réunions régulières sur les lieux de travail, impliquant la couche la plus large possible de collègues.

Des conférences régulières de représentants sur le lieu de travail pourraient être organisées à travers les syndicats au niveau régional et national : il s’agirait en fait de conférences de résistance, où nous pourrions discuter des prochaines étapes de l’action, mais aussi exercer une pression maximale sur les dirigeants qui ne veulent pas se battre et, si nécessaire, les remplacer par ceux qui le veulent.

Là où la société soutient clairement les grèves, des groupes communautaires pourraient être mis en place pour les diriger et transformer le soutien passif en soutien actif, en mobilisant les parents et les étudiants pour des visites de solidarité sur les piquets de grève par exemple. Le soutien massif apporté au syndicat des travailleurs du rail et de la marine (RMT), constaté lors de nombreuses manifestations radicales autour de la Pride à l’été dernier, démontre qu’il est également possible de lancer des initiatives de solidarité LGBTQ+ avec les travailleurs en grève.

La campagne «Enough is Enough» (EIE), lancée en août 2022, pourrait encore jouer un rôle crucial pour rassembler tout cela. Hormis quelques manifestations locales dynamiques (dont beaucoup ont bénéficié de l’implication active de Socialist Alternative), EIE a été globalement sous-utilisée. Toutefois, le fait que la pétition en ligne récemment lancée pour défendre le droit de grève ait recueilli jusqu’à présent plus de 164.000 signatures montre que de nombreux travailleurs ont toujours les yeux tournés vers cette campagne. C’est pourquoi les membres de Socialist Alternative ont contribué au lancement d’une pétition nationale appelant EIE à jouer un rôle dans la mobilisation de ses centaines de milliers de partisans dans l’action à l’approche du 1er février.

Une grève massive le 15 mars pourrait marquer le début d’une démonstration encore plus grande de l’immense force que les travailleurs, lorsqu’ils sont organisés, peuvent exercer pour changer la société. Pour Socialist Alternative, ce véritable changement ne peut avoir lieu qu’en rompant avec le système parasitaire et à but lucratif du capitalisme. Nous nous battons pour la nationalisation du rail, du courrier, de l’énergie et des entreprises géantes qui dominent notre économie, sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière. Si c’est l’avenir pour lequel vous voulez vous battre, contactez-nous et impliquez-vous dès aujourd’hui !

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai