Amendes-SAC : Les politiciens font face à la faillite de leur politique… avec la répression !

INTERVIEW Mathias Vander Hoogstraete, de la campagne ‘‘TegenGAS’’

Fin janvier dernier, une nouvelle campagne a été lancée en Flandre, en opposition aux Sanctions Administratives Communales (SAC, Gemeentelijke Administratieve Sancties, GAS en néerlandais). Huit mois plus tard suivait son homologue francophone StopSAC. Après une première manifestation nationale réussie fin juin, une nouvelle date nationale est fixée au 26 octobre. Nous en avons discuté avec Mathias Vander Hoogstraete, organisateur du travail jeune du PSL et l’un des initiateurs de la campagne TegenGAS en Flandre.

Interview tirée de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste

Les Sanctions Administratives Communales existent depuis plusieurs années déjà, comment se fait-il qu’il ait fallu attendre cette année pour qu’une opposition soit organisée ?

‘‘Il est vrai que cette législation existe depuis la fin des années ‘90. Mais au cours des années qui ont suivi, la législation a systématiquement été durcie, pour finalement permettre de toucher jusqu’à des adolescents de 14 ans. Cette réduction de l’âge, très controversée, a été introduite en mai dernier. L’aspect arbitraire et répressif a été développé goutte-à-goutte. Le vase a cependant fini par déborder.

‘‘Dans un certain nombre de communes et de villes, le nombre d’amendes SAC a augmenté de 30 à 50%. Ces amendes sont utilisées pour remplir les caisses en temps de crise. Parallèlement, la politique d’austérité assure que tout un tas ‘‘d’incivilités’’ se développent. Avec un tel manque de moyens pour de nombreux besoins sociaux, vous avez deux options : soit marcher dans les pas de l’establishment, soit devenir vous-même une ‘‘nuisance’’.

Les SAC cadrent-elles dans une politique plus large ?

“Les SAC sont une manière de répondre à la faillite de la politique des partis de l’establishment. Ces dernières années, nous avons assisté à une énorme augmentation du chômage des jeunes, à la croissance des emplois précaires et à des coupes budgétaires dans les services publics. Dans une ville comme Anvers, où 29% des jeunes sont sans emploi, on économise sévèrement sur les budgets alloués aux services sociaux et à l’aide à la jeunesse. Ce scénario, nous l’avons vu appliqué à Londres, Paris et même en Suède. Cela a conduit à des explosions de colère et de frustration, avec des émeutes. Les politiques antisociales sont toujours accompagnées de croissance des incivilités et de la répression.

‘‘Tous les jeunes ne sont pas touchés par la folie des SAC. Ces amendes sont souvent justifiées par le fait qu’elles serviraient à combattre le bruit, les décharges illégales, etc. Mais toutes ces incivilités ne peuvent pas être séparées du contexte social plus large. Dans de nombreuses villes, le prix de la collecte des déchets a considérablement augmenté et cette mesure a été accompagnée d’une diminution du nombre de poubelles publiques. Comment dès lors s’étonner du fait que les décharges illégales constituent un problème plus important ? Pour les 15% de la population qui vivent sous le seuil de pauvreté, les sacs poubelles payant sont quasiment un produit de luxe.

‘‘Tom Meeuws était jusqu’il y a peu l’un des responsables des SAC à Anvers. Il était bras droit du précédent bourgmestre Patrick Janssens et membre du parti ‘‘écologiste’’ Groen. En 2005, il a commenté la logique des SAC de la façon suivante : ‘‘La tension entre les riches et les pauvres, entre les nécessiteux et les nantis, ne fera qu’augmenter de même que les demandes pour freiner l’application de la loi. Notre conviction est que ce grand écart exige des autorités souples, prêtes à s’en prendre sans ménagement aux incivilités.’’ Au lieu de tout faire pour combler ce fossé entre riches et pauvres, on propose donc un système de répression. Avec une telle ‘‘gauche’’, ce n’est guère surprenant si une autre droite a pu parvenir au pouvoir à Anvers et a pu baser sa politique ‘‘de changement’’ sur la poursuite de la politique précédente. L’utilisation du terme de ‘‘gouvernement souple’’ est frappante, cela sert à travestir le fait que les droits démocratiques et juridiques peuvent être mis de côté par le conseil communal.’’

Lors des actions de protestation, on parle de criminalisation des jeunes et des travailleurs. Qu’est-ce que cela veut dire ?

‘‘Les amendes SAC représentent un outil bien pratique pour les politiques néolibérales, y compris sur le plan idéologique, afin de dévier l’attention des véritables problèmes sociaux. A la place d’y faire face, on criminalise les victimes de ces problèmes. Thatcher avait dit un jour : ‘‘La société ça n’existe pas, il n’y a que des individus.’’ C’est le fondement idéologique derrière les SAC. Le chômage, le sexisme, la délinquance, la propreté,… ça n’aurait rien de social, ce serait uniquement le fait de comportement individuels. On crée alors l’illusion que ces problèmes peuvent être abordés et résolus par des sanctions individuelles. La responsabilité de l’échec des politiques dominantes est ainsi répercutée sur leurs victimes.

‘‘Mais rien n’est fait contre les causes de ces problèmes. On peut comparer cela au médecin qui prescrit une aspirine à un cancéreux. Et si l’aspirine ne fonctionne pas, et bien c’est que c’est la faute du patient.’’

Les mesures sociales peuvent-elles seules parvenir à faire changer le comportement des jeunes et des autres ? Une forme de répression ne serait-elle tout de même pas nécessaire ?

‘‘La répression arrive toujours trop retard. Y recourir, ce n’est qu’une expression de n’avoir pas pu empêcher ce comportement, y compris au niveau criminel, par d’autres moyens. Les recherches qui ont étudié les émeutes de Londres, il y a deux ans, ont démontré que le chômage, la fracture sociale et la répression policière étaient les principales causes de ces émeutes. Une politique sociale permettrait d’éliminer les causes de nombreuses formes de nuisances et d’incivilités.

‘‘Cela ne signifie pas que le crime ne devrait pas être réprimé. Mais il faut tout de même remarquer que de plus en plus de mesures sont prises pour atténuer les peines de grands criminels. Les grands fraudeurs fiscaux et le crime organisé peuvent même échapper à des peines de prison en payant de grande sommes, ce qui est impossible pour des travailleurs et des jeunes. Nous sommes pour un système juridique juste et équitable, ce qui signifie également qu’il faut plus investir en matière de justice au lieu de supprimer des moyens, année après année.

Comment voyez-vous une approche préventive ?

‘‘Seule une politique sociale qui s’attaque aux causes des nuisances et des incivilités peut obtenir des résultats. Il faut investir pour offrir des emplois décents et bien payés à la jeunesse plutôt que de pousser nos aînés à travailler plus longtemps ou encore offrir une collecte des déchets efficace et gratuite à la place des logiques de privatisation qui nous font payer plus cher un service de moindre qualité. Aujourd’hui, dans les villes, les investissements publics se limitent à des projets de prestige et de marketing. Cet argent devrait aller dans les maisons de jeunes, dans les structures de loisir, dans l’entretien et le développement de l’espace public,…’’

N’est-ce pas irréaliste en temps de crise et d’austérité ? Ne devrions-nous pas tous déjà être satisfaits qu’un certain nombre de communes font marche arrière et n’appliqueront pas la nouvelle législation ?

‘‘Les ‘‘solutions’’ des politiciens établis manquent de réalisme. Ils reconnaissent d’ailleurs dans la confection de leurs budgets que les SAC servent avant tout à augmenter les recettes communales, pas à changer les comportements.

‘‘Il faut aussi noter que cet argument de la crise perd visiblement de sa pertinence dès lors qu’il s’agit des banques ou des fraudeurs fiscaux qui peuvent partir libres après avoir fraudé pour des sommes qui se comptent en milliards. La société diamantaire Omega Diamonds a ainsi été condamnée pour une fraude de deux milliards d’euros. Elle s’en est tirée avec un accord conclu avec les autorités fiscales pour payer… 160 millions d’euros ! La collectivité est passée à côté de pas mal de moyens. On ne manque par contre pas d’imagination pour aller combler le manque de moyens en s’en prenant aux pauvres, comme avec les SAC.

‘‘Nous n’avons aucune confiance sur le fait que les politiciens établis freinent l’utilisation des SAC. Des partis prétendument ‘‘progressistes’’ comme Groen ont aidé à développer le système des SAC et ont loyalement appliqué le principe à l’échelon local. Ils essayent aujourd’hui de se présenter comme les adversaires de leur propre politique. Les bourgmestres qui aujourd’hui ne veulent pas appliquer la nouvelle législation n’ont eu aucun problème à ce que leurs partis la votent au parlement.

‘‘Si certaines communes veulent revenir sur certaines amendes-SAC totalement ridicules, c’est suite aux protestations qui ont eu lieu contre ce système et qui ont illustré le large rejet à l’égard de cette politique. Le soutien public pour les SAC est très limité. Nous ne voulons pas nous limiter à une révision ou à une réforme des SAC, le système entier doit dégager. Parallèlement, nous devons mettre fin à la logique d’austérité responsable de l’arrivée de toute une génération perdue qui doit payer pour une crise provoquée par les spéculateurs et la soif de profit des grandes entreprises. La lutte contre les SAC fait partie intégrante de la lutte contre un système malade, en phase terminale.’’

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai