Berlusconi humilié

Le gouvernement Letta fait face à une crise économique et sociale prolongée

“Berlusconi est mort”, a déclaré l’un des plus proches collaborateurs du Cavaliere à la fin de la pire semaine de sa carrière politique. Après avoir dominé la scène politique italienne pendant près de 20 ans, Berlusconi a été contraint à un humiliant virage à 180° suite au vote de confiance, a été témoin de l’implosion de son parti, et, pour couronner le tout, a été privé de son titre de sénateur. S’il n’est pas encore complètement sorti de la scène politique, ce n’est plus qu’une question de temps.

Christine Thomas, Controcorrente (CIO-Italie)

Les décisions politiques en Italie ont pendant des années été influencées et motivées par les affaires et les intérêts privés de Berlusconi. Cela a de nouveau été le cas il y a quelques semaines, ce qui a créé une crise politique et a soulevé la question de la chute du gouvernement de la coalition Letta.

En août, Berlusconi a été jugé coupable de fraude fiscale liée à son groupe Mediaset, et a été condamné à 4 ans de prison. A cause de son âge (77 ans), il n’ira pas en prison mais pourra choisir entre une résidence surveillée ou 1 an de travaux d’intérêt général. Il semble s’être décidé pour la seconde option, la moins lourde. Ses 4 ans d’emprisonnement le privent de la fonction de sénateur. Lorsque les deux chambres du parlement auront accepté la décision du sénat, il devra tirer sa révérence. Dans le courant du mois, un tribunal décidera combien de temps il restera privé de ses fonctions, probablement entre 1 et 3 ans plutôt que le maximum de 5 ans. Il perdra par conséquent son immunité diplomatique, ce qui, avec les affaires en cours (rapports sexuels avec une prostituée mineure et corruption d’un sénateur pour qu’il trahisse son parti), pourrait éventuellement lui valoir d’être arrêté et emprisonné.

En réaction, Berlusconi est monté à l’offensive contre les décisions politiques et judiciaires ‘‘aux motifs politiques’’ destinées à ‘‘le sortir du gouvernement’’. Des semaines durant, il a tenté de tenir le gouvernement en otage en créant encore une autre crise politique et potentiellement économique. Il a forcé ses 5 ministres du PDL dans la coalition à démissionner. Ensuite, avec juste une poignée de ses associés les plus proches, il a décidé que le PDL ne soutiendrait pas un vote de confiance du gouvernement Letta. Le parti, qu’il fondé en 1994 et qu’il a depuis manipulé comme une marionnette, a explosé en une rébellion sans précédent entre les ‘‘colombes’’ menées par Alfano, le secrétaire général du parti (secrétaire d’Etat à l’Intérieur, et aussi premier ministre député) qui a refusé de se conformer à la décision de Berlusconi, et les ‘‘faucons’’ qui ont traité Alfano en Judas. Son parti en plein schisme et les actions de ses compagnies en baisse, Berlusconi a été forcé à se retirer et le PDL a voté en faveur du vote de confiance.

Un gouvernement fragile

‘‘Crise repoussée, le gouvernement Letta renforcé’’. Voilà la une des médias actuellement mais, en réalité, les évènements de ces dernières semaines ont clairement démontré la fragilité et la précarité de ce gouvernement qui n’est que la réflexion d’une crise économique, sociale et politique sévère du capitalisme italien. Des économies du G7, celle de l’Italie est la seule à toujours être en récession, son PIB ayant baissé de 8% depuis le début de la crise économique. La production industrielle a baissé de 25% et le taux de chômage des 16-25 ans a atteint 40%. Des prévisions de ‘‘croissance’’ de 0,4% l’année prochaine ne changeront rien à l’hémorragie en cours.

Pour la classe des travailleurs et la jeunesse qui luttent pour nouer les deux bouts à la fin du mois, la crise politique de ces dernières semaines n’est qu’un cirque, à des années-lumière de la réalité quotidienne.

La coalition Letta est née en avril dernier pour être un gouvernement de dernier recours après que les résultats des élections de février aient démontré un rejet absolu du l’austérité, du système politique dysfonctionnel et de ses deux représentants, le PDL de Berlusconi et le PD, que se soient par le taux d’abstention ou les votes (25%) pour le Mouvement 5 Etoiles populiste de Beppe Grillo.

Les gens ont voté pour le changement, mais ne l’ont pas trouvé. La coalition PDL/PD a gratté pour trouver un milliard par-ci, un milliard par-là, pour offrir l’équivalent de miettes de pain à des affamés, tout en échouant à appliquer les contre-réformes exigées par les grosses entreprises et l’UE. Le fait que la possibilité que ce gouvernement faible et paralysé s’effondre ait fait trembler la classe capitaliste italienne, l’UE et les marchés, démontre la profondeur de leur désespoir face à une crise profonde, sans représentants politiques stables.

88% des gens disent que la crise politique n’est pas terminée, et peu croient que le gouvernement tiendra jusqu’en 2015 (le but originel de Letta). Même si le PDL se scinde en une aile chrétienne-démocrate ‘‘modérée’’ et en une autre de droite assumée, et que l’influence de Berlusconi s’essouffle, il y aura toujours d’énormes pressions sur les partis de la coalition de la part de nombreux électeurs, et particulièrement sur le PD, pour appliquer des réformes visant à diminuer les pires effets de la crise.

Le PD lui-même est dans un état de conflit ouvert alors qu’il s’apprête à élire un nouveau chef. Mais la profondeur de la crise, et les intérêts inconciliables en jeu, signifient que le gouvernement ne peut tenir parole. S’en tenir aux 3% de déficit budgétaire maximum (que l’UE menace d’imposer cette année) conduira à de nouvelles coupes dans les services publics déjà affaiblis par les coupes précédentes. De nouveaux secteurs seront privatisés. Restaurer la productivité et la compétitivité, comme l’exigent les grandes entreprises, signifie plus de ‘‘réformes du travail’’, des réductions de salaires et des attaques contre les conditions de travail des travailleurs italiens pour leur faire atteindre les mêmes conditions qu’au Portugal et en Grèce, où la productivité progresse sur fond de dévastation sociale.

Un agonie prolongée

Les politiques du Mouvement 5 Étoiles n’offrent aucun répit à l’agonie prolongée des ouvriers et la classe moyenne italienne. Le mouvement a connu expulsions et abandons dans son groupe parlementaire, et son soutien a baissé dans les sondages. Cependant, il se maintient à 20% et restera probablement l’atout de l’opposition, bien qu’il soit incapable de mobiliser l’opposition quant aux attaques du gouvernement.

C’est la même chose pour les dirigeants des fédérations syndicales principales. Il n’y a de plus aucun parti de gauche conséquent ni aucun projet en cours. Il ne pourra y en avoir que sur la base des luttes futures sur les lieux de travail et dans les communautés, pas sur la base de tentatives visant à recoudre ensemble des bouts de groupes de gauche (comme Cremaschi, l’ancien dirigeant du syndicat radical des métallurgistes, la FIOM, tente de le faire avec l’initiative ROSSA), ni sur la base de formations qui s’attachent à la défense légale de la ‘‘démocratie’’ et de la Constitution (soutenues par le dirigeant actuel de la FIOM, Landini, et un groupe d’intellectuels).

ControCorrente (section du CIO en Italie) est ouvert à une collaboration avec d’autres forces de gauche, mais le but essentiel en cette période et de développer des luttes industrielles et sociales, comme celle contre la privatisation massive des services locaux à Gênes, par exemple. Là-bas, sous l’influence de membres de ControCorrente, une grève municipale des travailleurs du transport, des éboueurs, du personnel de maintenance et d’autres services menacés a conduit à une victoire temporaire : le conseil ayant postposé le débat sur les privatisations. La lutte continue, et ce seront des luttes similaires qui poseront les bases de la reconstruction d’une organisation de masse de la classe ouvrière et d’une représentation politique pour les travailleurs et la jeunesse en Italie.

Partager :
Imprimer :

Soutenez-nous : placez
votre message dans
notre édition de mai !

Première page de Lutte Socialiste

Votre message dans notre édition de mai