De Rostock à Aube Dorée

La violence raciste est de retour, sans avoir jamais véritablement disparu

Vingt ans après les émeutes racistes de Rostock, en Allemagne, les images d’attaques physiques contre les immigrés et ceux qui n’ont pas la ‘‘bonne couleur’’ sont de retour. Le championnat d’Europe de foot ne restera pas dans les mémoires que pour le sport, mais également pour ces images de hooligans néonazis. En Grèce, le parti néonazi Aube Dorée a obtenu 6,9% des voix, ce qui a renforcé la confiance de ses militants, avec à la clé une augmentation de leurs faits de violence.

Article par Geert Cool

Rostock. Violence d’extrême droite et protestations de masse

En août, nous commémorerons le triste 20e anniversaire des émeutes racistes de Rostock, en ex-RDA. Du 22 au 26 août 1992, plusieurs centaines de militants d’extrême-droite avaient attaqué la ‘‘résidence des tournesols’’ où habitaient des demandeurs d’asile à coup de pierres et de cocktails Molotov. Tout ce temps durant, le voisinage et la police n’avaient pas réagi, ou à peine.

Début des années ’90, les néonazis ont pu compter sur un soutien croissant parmi la jeunesse qui, suite aux diverses mesures néolibérales, voyaient leur avenir s’assombrir terriblement. En ex-Allemagne de l’Est, la restauration du capitalisme signifiait qu’une infime élite s’enrichissait à grande vitesse tandis qu’une portion grandissante de la population était confrontée au chômage et à la misère. C’était un terrain fertile pour le développement du racisme et des partis d’extrême droite, qui ont pu électoralement croître et être plus actifs dans la rue.

Les évènements de Rostock ont choqué. Il s’agissait de la pire agression raciste connue en Allemagne depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Auparavant, c’est à peine s’il y avait des réactions suite aux actes de violence racistes, mais l’horreur de Rostock a tout changé. Des milliers de jeunes et de travailleurs sont descendus dans les rues pour participer à des mobilisations antiracistes. Dans toute l’Europe, les sections du Comité pour une Internationale Ouvrière ont réagi par une large campagne antiraciste qui s’est notamment exprimée par une manifestation internationale, à l’initiative de notre campagne antifasciste flamande Blokbuster, en octobre 1992. Environ 40.000 personnes ont participé à cette manifestation des ‘‘Jeunes contre le racisme en Europe’’ dans les rues de Bruxelles.

Dans le cadre de ces protestations antiracistes, nous avons constamment souligné la nécessité de se baser sur une mobilisation active contre l’extrême droite, sur le terrain, afin de ne pas lui laisser d’espace d’activité, tout en défendant un programme social capable de s’en prendre au terreau sur lequel ces idées nauséabondes se développent. Cette approche est résumée dans le slogan ‘‘des emplois, pas de racisme’’. Ces 20 dernières années, chaque grand rassemblement néonazi en Allemagne a eu à faire face à une riposte antifasciste active. D’autre part, le développement du parti de gauche ‘‘Die Linke’’ a rendu plus difficile aux partis d’extrême-droite de se construire en détournant la colère de la population contre la politique antisociale des partis traditionnels.

Le duo de la mobilisation et de l’alternative politique

Les dramatiques évènements de Rostock se sont déroulés au moment où l’ancien Vlaams Belang, le Vlaams Blok, connaissait sa percée électorale en Flandre. D’importants enseignements peuvent être tirés des débats et actions de cette époque.

Sur base de mobilisations de masse, il a été possible de stopper les pires excès de la violence raciste de l’extrême droite. En Belgique aussi il était nécessaire de se battre sur ce terrain. Ainsi, dans les années 1996-97, à Bruges, les antifascistes et d’autres ont dû faire face aux agressions physiques de l’extrême-droite. Les mobilisations de masse ont brisé leur confiance, car ils n’ont même pas pu trouver de soutien parmi les électeurs d’extrême-droite pour leur ligne politique violente.

La progression électorale de l’extrême-droite est instable. En Allemagne, plusieurs partis de la droite radicale ont en grande partie disparu de la scène politique en raison de l’existence de ‘‘Die Linke’’, vers où s’exprime l’opposition à la politique de l’establishment. Mais si la gauche échoue à livrer une opposition cohérente tout en défendant une alternative crédible face à la faillite du capitalisme, l’extrême-droite restera une menace.

Europe de l’Est : La violence n’a pas disparu

En Allemagne de l’Est, le nombre d’agression a diminué. Les statistiques officielles parlent de 750 cas de violence fasciste en Allemagne en 2010, soit 15% de moins qu’en 2009. C’est tout de même encore deux incidents par jour! Le terreau sur lequel la violence et le racisme peuvent se développer existe encore, tout comme c’est le cas en dans le reste de l’Europe de l’Est.

A l’occasion du championnat d’Europe de foot, les groupes de hooligans néonazis polonais et ukrainiens ont fait parler d’eux. Les joueurs de couleur ont été hués, ce qui n’est pas une surprise au vu d’images de précédents évènements durant lesquels ces hooligans effectuaient le salut nazi ou agressaient des immigrés. La violence néonazie frappe d’ailleurs également la communauté LGBT (Lesbiennes, Gays, Bisexuels et Transgenres). Dans cette région, il est quasiment impossible d’organiser une Gay Pride. En Russie, ‘‘promouvoir’’ l’homosexualité, c’est même s’exposer à des sanctions.

En raison de la mauvaise réputation des supporters polonais et ukrainien, certains ont défendu que le Championnat se déroule ailleurs. Faire l’Autruche ne fait pourtant jamais disparaître un problème. Ce championnat aurait pu être l’occasion d’un débat sur le racisme parmi les supporters. Dans ce débat, les arguments moralisateurs ne sont d’aucun secours : on ne combat pas le symptôme d’un système pourri en condamnant la pourriture avec de belles paroles. Une campagne antiraciste basée sur l’explication que le racisme sert avant tout l’élite pour diviser la population qu’elle exploite aurait trouvé un bon écho.

Avertissements de Grèce

La profonde crise qui a happé la Grèce a ouvert des possibilités au parti ‘‘Aube Dorée’’ qui, le 17 juin, a réalisé un score de 6,9% et obtenu 18 parlementaires (une perte de trois sièges comparativement aux élections de mai). Ce parti a vu son soutien quelque peu faiblir après le mois de mai en raison de déclarations abominables et suite à diverses agressions physiques. Le dirigeant du parti, Mihaloliakos Nikos, a nié l’existence de l’Holocauste face aux caméras tandis que son collègue le parlementaire Iliad Kasidiaris a frappé ses contradicteurs de gauche lors d’un débat télévisé. Au port de Patras, un groupe d’immigrés a été attaqué à coups de cocktails Molotov par Aube Dorée.

Malgré ces incidents, le soutient électoral d’Aube Dorée est resté relativement stable. Son noyau actif est en plein essors et dispose d’un grand soutien parmi la police malgré les menaces ouvertes à l’encontre des immigrés, des homosexuels et des militants de gauche. Juste avant les élections, le porte-parole d’Aube Dorée a déclaré : ‘‘Si Aube Dorée est au Parlement, nous allons nous en prendre aux hôpitaux et aux crèches pour foutre dehors les immigrés et leurs enfants afin de libérer la place pour les Grecs.’’ Ils ne remettent donc pas réellement en cause la logique d’austérité et préfèrent affronter les déficits budgétaires en privant les immigrés de leurs droits.

Ce danger doit être pris au sérieux. La large participation aux campagnes de Syriza ainsi que l’opposition active à la politique d’austérité doit être couplée à l’organisation de la défense du mouvement contre la violence d’extrême-droite. La gauche et les syndicalistes doivent constituer des comités antifascistes dans les quartiers et sur les lieux de travail afin de riposter contre la violence fasciste tout en participant à l’organisation de la lutte contre l’austérité.

Et chez nous, quel est le danger ?

L’extrême-droite est actuellement dans une position plus défensive en Belgique, très certainement dans le cas du Vlaams Belang, mais le rapide retour du Front National sur le devant de la scène en France illustre que cela peut n’être que temporaire. Et tout progrès de l’extrême-droite aux élections renforce inévitablement, dans le pays-même et ailleurs, la confiance des néo-fascistes qui veulent aller plus loin pour imposer leur vision par la violence. Le groupuscule néonazi francophone Nation ne l’a pas caché dans son article consacré au succès d’Aube Dorée et intitulé ‘‘La radicalité, ça paie !’’

Si la colère contre les politiciens et leur politique antisociale ne s’exprime pas par une résistance active avec manifestations, campagnes de terrain, grèves,… ainsi qu’avec le développement d’un prolongement politique large et démocratique, alors la frustration peut être instrumentalisée par l’extrême-droite. L’austérité, c’est encore moins d’emplois, de logements sociaux, de services publics,… Répondre à cette situation signifie de lutter ensemble, que l’on soit ou non d’origine immigrée, pour arracher les moyens nécessaires des mains de l’establishment capitaliste.

C’est pourquoi nos campagnes antiracistes ne se limitent pas au rejet du racisme. L’infime minorité capitaliste à la tête de la société a besoin de diviser la majorité qu’elle exploite sur base de racisme, de sexisme, d’homophobie,… au besoin par la violence. Il nous faut une alternative au capitalisme, ce qui selon nous ne peut être que le socialisme démocratique, une économie où la satisfaction des besoins de tous seront centraux et non la soif de profits d’une élite de parasites.

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