Il y a 30 ans… Le «Dimanche noir» déclenchait un mouvement de masse antiraciste

L’une des nombreuses actions de Blokbuster au début des années 1990. En l’occurrence, une manifestation à Tielt, en Flandre occidentale, le 24 novembre 1994.

La première grande percée électorale du Vlaams Belang (qui s’appelait alors le Vlaams Blok) s’est déroulée le 24 novembre 1991, une journée baptisée depuis le « Dimanche noir ». Des milliers de jeunes avaient alors envahi les rues. C’est à ce moment que notre campagne antifasciste Blokbuster a réuni 2.000 membres organisant des dizaines d’actions sous le slogan « Du travail, pas de racisme ! »

Du fumier sur un système pourri

La crise économique des années 1970 et l’essor du néolibéralisme dans les années 1980 ont mis fin à l’espoir de progrès social pour la classe ouvrière. Pour garantir les profits des grandes entreprises, de lourdes coupes budgétaires ont frappé les services publics. Les cadences de travail augmentaient et le chômage prenait son envol. En Europe, le chômage est resté stable autour de 2 % entre 1960 et 1975. Mais à partir de 1975, il a quadruplé pour atteindre 8 % au milieu des années 1980 et 10 % au milieu des années 1990. En Belgique, le taux de chômage a doublé au milieu des années 1970 et à nouveau au début des années 1980.

Il n’y avait plus d’espace pour des réformes en faveur du monde du travail. En France, François Mitterrand, élu sur base de promesses de réformes progressistes, a été mis sous pression par le capital et a dû revenir sur ses premières mesures. La chute du bloc de l’Est à la fin des années 1980 a renforcé l’offensive idéologique de ceux qui affirmaient qu’il n’y avait pas d’alternative. Cela a eu un profond impact sur les vieux partis ouvriers et la gauche en général.

En Belgique, le gouvernement de droite de Martens et Verhofstadt était tombé en 1986, à la suite de la mobilisation syndicale contre le Plan Val Duchesse. Les sociaux-démocrates sont revenus au gouvernement en 1987, sans que les promesses de changement de politique soient concrétisées… Les coupes budgétaires ont continué avec le PS et le SP au gouvernement.

C’est ce contexte qui permet de comprendre la percée du Vlaams Blok: d’abord aux élections communales à Anvers en 1988, puis avec plus de 10% en Flandre lors des élections législatives du 24 novembre 1991, sur base de slogans racistes tels que « Un demi-million de chômeurs, pourquoi avoir des travailleurs immigrés ? », ce qui est finalement devenu « Notre peuple d’abord », avec un gant de boxe symbolisant le rejet du monde politique traditionnel.

Une manifestation antifasciste de masse

Si le monde politique a été choqué par ces résultats, c’était essentiellement en raison des sièges perdus. Pour des dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs, les choses se présentaient de manière toute différente : ils étaient sincèrement choqués par la montée du racisme et de l’extrême droite et sont spontanément descendus dans la rue.

La campagne antifasciste Blokbuster a été lancée à l’été 1991 avec l’objectif de donner aux jeunes un outil pour s’organiser localement et débattre des revendications et de la tactique pour contrer l’extrême droite. Au plus fort du mouvement, il existait 50 comités d’action de ce type en Flandre et presque toutes les réunions du Vlaams Blok ont connu des rassemblements de protestation autour du slogan « Du travail, pas de racisme !».

Ce slogan entendait balayer le terreau sur lequel se développe l’extrême droite en capitalisant le mécontentement social. L’accès au travail était une question centrale à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Au lieu de la division comme réponse aux pénuries, nous voulions y répondre en défendant l’emploi et les services publics. Blokbuster agissait contre toutes les formes de racisme et de discrimination en faisant le lien avec un programme social : semaine des 32 heures sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, investissements dans les services publics, etc.

Outre des dizaines d’actions locales, Blokbuster a été à l’initiative de plusieurs grandes manifestations nationales, voire internationales. En 1992, une manifestation européenne contre le racisme a réuni 40.000 personnes à Bruxelles, dont d’importantes délégations d’Allemagne, où des néonazis avaient peu avant attaqué et incendié des centres d’asile à Rostock. Un an plus tard, une Marche des Jeunes pour l’Emploi et contre le Racisme a été organisée avec succès, avec le soutien des Jeunes FGTB et du Front antifasciste (AFF), et d’autres.

Une situation différente aujourd’hui

Après les nombreuses actions contre l’extrême droite dans la première moitié des années 1990, l’indignation est restée forte, mais les actions ont baissé d’intensité. Lorsque le Vlaams Belang a connu un déclin à partir de 2006-07, nous avons dit que ce n’était que temporaire. Un système reposant sur les carences sociales crée des tensions sociales et les éléments de division, comme le racisme. La N-VA a repris les électeurs du VB pendant un certain temps, mais a fini par rendre le racisme du VB plus « acceptable ».

Après la récession économique de 2008-09, la « reprise » n’a pas amélioré les conditions de vie de la majorité de la population. La crédibilité de toutes les institutions a encore chuté. C’est dans ce contexte que les populistes de droite du monde entier ont progressé aux élections, et sont même arrivés au pouvoir. Avec Trump, Modi et Bolsonaro, jusqu’à récemment, trois grands pays étaient gouvernés par des populistes de droite. Mais la politique de haine et de division n’apporte aucune solution aux problèmes sociaux : ces trois pays sont précisément ceux où le nombre de décès dus au coronavirus a été le plus élevé. La crise profonde du système laisse place à l’extrême droite et à l’essor de toutes sortes de préjugés, voire de théories du complot. Cet espace est plus grand en l’absence d’action collective de la part du mouvement ouvrier pour proposer l’alternative d’une autre société et ranger au placard les soi-disant « réponses » de la droite radicale.

Trente ans après le premier « Dimanche noir » et le mouvement antiraciste qui a suivi, il y a, à première vue, des raisons d’être pessimiste. Malgré toutes ces actions, l’extrême droite est plus forte qu’à l’époque, notamment au niveau électoral. Mais nous sommes optimistes. En 2020, le mouvement Black Lives Matter a créé le plus grand mouvement social des États-Unis depuis des décennies avec pour slogan populaire « C’est tout le système qui est coupable ! ». Parallèlement, on assiste à une résistance croissante au sexisme, à la LGBTQI+phobie et à tout ce qui nous divise.

Un système en crise tente de trouver des boucs émissaires : c’est toujours la faute de quelqu’un d’autre et de préférence les groupes les plus faibles dans la société : les réfugiés, les migrants, les chômeurs, les jeunes,… Les travailleurs et les jeunes ne doivent pas tomber dans le panneau. Sans quoi nous risquons d’être le prochain bouc émissaire. En revanche, nous avons besoin de lutter ensemble pour défendre nos conditions de vie et, en fin de compte, pour un changement radical de société. Pour imposer le changement indispensable, nous avons besoin de l’unité des travailleurs et de toutes les personnes opprimées. L’extrême droite et le racisme sont des obstacles dans ce combat.

Si les antiracistes d’aujourd’hui doivent retenir quelque chose du mouvement antiraciste des années 1990, c’est l’importance des comités d’action pour diriger la lutte et la nécessité d’un programme politique qui, avec des revendications sociales et des initiatives audacieuses, renforce l’unité nécessaire pour atteindre une société socialiste.

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