En pleine exaltation suite à la prise de Bagdad par les troupes américaines le 10 avril 2004, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, a proclamé que ‘‘Saddam Hussein rejoint désormais Hitler, Staline, Lénine, Ceausescu dans le panthéon des dictateurs brutaux qui ont été mit en échec’’. Près d’un siècle après la mort de Lénine, les classes dirigeantes le lient toujours aux dictateurs les plus horribles du 20e sicèle. Per-Åke Westerlund (section suédoise du Comité pour une Internationale Ouvrière) examine les raisons qui se cachent derrière ces décennies de calomnie.
Vladimir Lénine, le principal dirigeant de la révolution russe, a judicieusement observé à la mi-1917 : «Du vivant des grands révolutionnaires, les classes d’oppresseurs les récompensent par d’incessantes persécutions ; elles accueillent leur doctrine par la fureur la plus sauvage, par la haine la plus farouche, par les campagnes les plus forcenées de mensonges et de calomnies. Après leur mort, on essaie d’en faire des icônes inoffensives, de les canoniser pour ainsi dire, d’entourer leur nom d’une certaine auréole afin de « consoler » les classes opprimées et de les mystifier ; ce faisant, on vide leur doctrine révolutionnaire de son contenu, on l’avilit et on en émousse le tranchant révolutionnaire». (L’Etat et la révolution)
Lénine est décédé le 21 janvier 1924, étant alors gravement malade et s’étant éloigné du travail politique depuis la fin de 1922. Cependant, depuis sa mort, les classes dirigeantes n’ont jamais essayé de le canoniser. Leur crainte de la révolution russe, «dix jours qui ébranlèrent le monde», les a amené à continuer avec «la plus sauvage malice, la haine la plus furieuse et les campagnes de mensonges et de calomnies les plus scrupuleuses». Jamais avant ou après, les capitalistes n’étaient plus près de perdre leurs profits et leur pouvoir à l’échelle mondiale que pendant la période 1917-20.
Les campagnes anti-léninistes sont utilisées pour effrayer les travailleurs et les jeunes des idées et des luttes révolutionnaires. Pour les socialistes d’aujourd’hui, il faut répondre aux mensonges et aux calomnies dirigées contre Lénine et la révolution russe.
L’image d’une ligne ininterrompue passant par Lénine, Staline, et continuant vers Leonid Brezhnev et Mikhaïl Gorbatchev, est peut-être la plus grande falsification de l’Histoire. Des publications comme ‘Le livre noir du communisme: Crimes, terreur, répression – par Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panne, Andrzej Paczkowski, Karel Bartosek, Jean-Louis Margolin (Robert Laffont, 1997) – ne dit rien sur la politique des bolcheviks dirigés par Lénine ou des décisions prises immédiatement après la révolution d’octobre 1917. Ils cachent les énormes luttes des années 1920, initiées par Lénine lui-même, pour empêcher la montée du stalinisme. Ils ne peuvent pas expliquer la guerre civile unilatérale de Staline menée dans les années 1930 contre quiconque était lié à Lénine.
A l’opposé, l’historien EH Carr fait la distinction entre Lénine et Staline. Il décrit comment le régime de Lénine encourageait la classe ouvrière à participer activement aux affaires du parti et de la nation. Cette position sur la démocratie et les droits des travailleurs était complètement opposée à la dictature établie par Staline. Ce sont les conseils ouvriers, les soviets, qui ont pris le pouvoir en octobre 1917, et ce sont leurs délégués élus et révocables qui formèrent le gouvernement. Les droits des travailleurs, y compris le droit de grève, ont été consacrés. La mise en place de comités d’usine et de négociation collective a été encouragée. Les bolcheviks n’étaient pas favorables à l’interdiction des autres partis, pas même des partis bourgeois, tant que ceux-ci ne rentraient pas en lutte armée. Au début, la seule organisation interdite était les Cent-Noirs, parti proto-fasciste spécialisé dans les attaques physiques contre les révolutionnaires et dans les pogroms contre les juifs.
La contre-révolution stalinienne
Le gouvernement bolchevik s’est avéré être le plus progressiste de l’histoire dès ses premières mesures. Il s’agissait de nouvelles lois sur les droits des femmes, le droit au divorce et à l’avortement. L’antisémitisme et le racisme étaient interdits par la loi. Les nations opprimées avaient le droit de décider de leur sort. C’était le premier état qui tentait de créer un nouvel ordre socialiste, en dépit de terribles conditions matérielles.
L ‘Union soviétique de Lénine et son programme politique ont été brisés par le stalinisme. L’arrivée au pouvoir de la bureaucratie stalinienne signifiait une contre-révolution dans tous les domaines, à l’exception de l’économie nationalisée. Les droits pour les travailleurs, les femmes et les nations opprimées étaient tous placés sous le talon de fer. Au lieu de «disparaître», ce qui était le point de vue de Lénine pour l’appareil de l’État ouvrier, il devînt une machine militaire et policière oppressante aux proportions gigantesques. Le stalinisme était une dictature nationaliste, un organisme parasite vivant sur le corps de l’économie planifiée.
Ce n’était pourtant pas un développement inévitable de la révolution ouvrière. Le stalinisme est né dans des circonstances concrètes: l’isolement de la révolution – en particulier la défaite de la révolution allemande de 1918 à 23 – et l’arriération économique de la Russie. Le stalinisme, cependant, ne pouvait pas prendre le pouvoir sans résistance, sans une contre-révolution politique sanglante. Les purges de Staline et les chasses aux sorcières en 1936-1938 n’étaient pas des actions aveugles, mais la réponse de la bureaucratie à une opposition croissante à son règne. Le principal accusé dans ces démonstrations de pouvoir était l’allié de Lénine à partir de 1917, Léon Trotsky et ses partisans, emprisonnés et exécutés par milliers. Trotsky – qui a défendu et développé le programme de Lénine et des bolcheviks – a été expulsé de l’Union soviétique en 1929 et assassiné sur ordre de Staline à Mexico en 1940. Trotsky est devenu l’ennemi principal du régime de Staline parce qu’il avait dirigé la révolution en 1917 aux côtés de Lénine (alors que Staline avait hésité et était resté en marge). Il a analysé et exposé en détail le régime de terreur de Staline et il avait un programme pour renverser le stalinisme et pour restaurer la démocratie ouvrière.
Les politiciens bourgeois et les sociaux-démocrates d’Europe de l’ouest ont également attaqué Trotsky en tant que leader marxiste révolutionnaire. Ils ont compris que ses idées n’étaient pas seulement une menace pour Staline, mais aussi pour le pouvoir des capitalistes. Pendant les Procès de Moscou en 1936, le gouvernement norvégien n’a pas permis à Trotsky, qui était alors en Norvège, de se défendre publiquement. Lorsque Staline, en 1943, a clôturé l’Internationale communiste (créée en 1918 pour relier des groupes révolutionnaires à travers le monde), afin de parvenir à une alliance avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, le New York Times a déclaré que Staline avait finalement renoncé à l’idée de Trotsky d’en arriver à une révolution mondiale.
L’ancien chef d’espionnage de Staline, Leopold Trepper, a écrit plus tard: « Mais qui a protesté à cette époque? Qui s’est levé pour exprimer son indignation? Les trotskistes peuvent revendiquer cet honneur. À l’instar de leur chef, qui a été récompensé pour son entêtement d’un coup de pic à glace, ils ont combattu le stalinisme jusqu’à la mort et ils ont été les seuls à faire … Aujourd’hui, les Trotskistes ont le droit d’accuser ceux qui hurlaient autrefois avec les loups « . (The Great Game, 1977) Nous pouvons comparer son commentaire avec celui de Winston Churchill, qui, dans les années 1950, a qualifié Staline de «grand homme d’Etat russe».
Avant la contre-révolution politique du stalinisme, la direction de Lénine et Trotsky ne s’orientait pas selon leurs propres intérêts personnels. Leurs principes guidaient leurs actions, surtout pour faire avancer la lutte des travailleurs à l’échelle mondiale. Ils admettaient quand ils avaient dû se retirer ou se compromettre.
Le stalinisme, d’autre part, a utilisé les conditions des années de guerre civile et de famine massive pour construire un système politique entièrement nouveau. La société stalinienne a été décrite comme un idéal parfait, un monde de rêve. La dictature a été introduite, non seulement en Union soviétique, mais dans tous les partis «communistes» à l’échelle internationale. Cela a continué même lorsque l’économie des pays staliniens étaient à son apogée dans les années 1950 et 1960. Les débats et les traditions vivantes du parti bolchevik ont été arrêtées dès les années 1920 et 1930.
C’est seulement dans les discours que le stalinisme était connecté à la révolution, à Marx et à Lénine. Il les a transformés en icônes religieuses parce que cela contribuait à renforcer le régime. La bureaucratie voulait prendre le crédit de la révolution. Le résultat final, cependant, était de discréditer les concepts mêmes du marxisme et du «léninisme» dans l’esprit des travailleurs et des opprimés à l’échelle mondiale. Le «léninisme» est devenu le slogan d’une dictature parasitaire.
Cette falsification stalinienne des idées de Lénine et du marxisme a été acceptée sans contestation par les sociaux-démocrates et les classes dirigeantes à l’international. Ils avaient tout intérêt à cacher les vraies idées de Lénine. Trotsky et ses partisans ont défendu l’héritage politique de Lénine et se sont opposés au culte de la personnalité que Staline a construit. Contrairement aux critiques superficielles des politiciens occidentaux, Trotsky avait un programme scientifique et de classe contre le stalinisme. Trotsky, par exemple, a mis en garde contre la collectivisation forcée de Staline en 1929-1933 (alors que certains propagandistes anti-léniniste affirment que c’était Lénine qui a forcé la collectivisation).
Dans le livre, La Révolution trahie, écrit en 1936, Trotsky explique en détail comment les politiques de Staline sont opposées à celles de Lénine: sur la culture, la famille, l’agriculture, l’industrie, les droits démocratiques et nationaux, etc. Sur tous les problèmes internationaux, le stalinisme a cassé avec le programme et les méthodes de Lénine, tout particulièrement sur la nécessité de l’indépendance de la classe ouvrière dans la révolution chinoise de 1925-27, la lutte contre le fascisme en Allemagne, la révolution espagnole dans les années 1930 et dans toutes les autres luttes décisives. Les commentateurs anti-léniniste d’aujourd’hui, en soulignant que la lutte révolutionnaire est « irréaliste », se retrouve dans le camp de Staline contre Lénine et Trotsky.
1917: Qu’en est-il sorti?
La révolution de février 1917 a renversé le régime dictatorial du tsar. Pourtant, le gouvernement provisoire qui a remplacé le tsar continua les politiques qui avaient conduit à la révolution. Les horreurs de la première guerre mondiale se sont poursuivies, la question foncière est restée sans solution, l’oppression nationale a été intensifiée, la faim dans les villes a empiré, il n’y avait pas d’élections et une répression massive était dirigée contre les travailleurs et les paysans pauvres. Ces développements, à peine mentionnés par les historiens bourgeois, ont jeté les bases du soutien de masse aux bolcheviks et à la révolution d’octobre.
La droite s’appuie sur de simples slogans et sur des livres comme Le livre noir du communisme dans une tentative de calomnier les bolchéviks. Nicolas Werth, auteur du chapitre sur les bolcheviks, esquive la question des politiques menées durant l’automne de 1917. Il passe brièvement les décrets sur la paix et les terres convenus lors du deuxième congrès soviétique, réunion qui a élu le nouveau gouvernement dirigé par Lénine .
C’est à cette occasion qu’ont été adoptées les politiques demandées par les pauvres depuis février et qu’ils ont déjà commencé à mettre en œuvre une redistribution drastique des terres. Ce sont les bolcheviks qui ont effectivement mis en œuvre le slogan des Socialistes Révolutionnaires dans l’intérêt des 100 millions de paysans et sans terre. Les SR avaient un large soutien parmi les paysans, mais se divisaient selon les lignes de classe en 1917. Son aile de gauche a rejoint le gouvernement soviétique – avant d’essayer de le renverser en 1918. Trente mille riches propriétaires, haïs par toutes les couches de la paysannerie, ont perdu leurs terres sans compensation.
Le décret du gouvernement bolchevik sur la paix était une décision historique, espérée par des millions de soldats et leurs familles depuis plus de trois ans. Cet effet de la révolution russe et de la révolution allemande un an plus tard, en mettant fin à la première guerre mondiale (en novembre 1918), est complètement enterrée par les campagnes de calomnies contre Lénine et la révolution.
Werth, dans Le livre noir, écrit que les bolcheviks « semblaient » appeler les peuples non russes à se libérer. En fait, le gouvernement a déclaré toutes les personnes égales et souveraines, a préconisé le droit à l’autodétermination pour tous les peuples, y compris le droit de former leurs propres États et l’abolition de tous les privilèges nationaux et religieux.
Les décisions d’abolir la peine de mort dans l’armée et d’interdire le racisme, qui montrent les intentions réelles du régime ouvrier, ne sont mentionnées nulle part dans Le livre noir. Il en va de même pour la Russie soviétique qui est le premier pays à légaliser le droit à l’avortement et au divorce. Entièrement nouveau, c’était le droit pour les organisations de travailleurs et les gens ordinaires d’utiliser des imprimeries, rendant à la liberté de la presse plus que des mots vides. Le fait que les critiques puissent être soulevées dans les rues est vérifié par de nombreux rapports de témoins. Les mencheviks réformistes et les anarchistes opéraient en toute liberté et pouvaient, par exemple, organiser des manifestations de masse aux funérailles de Georgi Plekhanov et du Prince Kropotkine (respectivement en 1918 et 1921).
Au troisième congrès soviétique, le premier après octobre 1917, la majorité bolchevik a augmenté. Le nouveau comité exécutif élu lors de ce congrès comprenait 160 bolcheviks et 125 sociaux révolutionnaires de gauche. Mais il y avait aussi des représentants de six autres partis, dont deux leaders mencheviks. La démocratie soviétique s’étendait dans toutes les régions et tous les villages, où les travailleurs et les paysans pauvres établissaient de nouveaux organes du pouvoir, des soviets locaux qui renversaient les anciens dirigeants. La loi soviétique signifiait que certains groupes privilégiés plus petits dans la société n’avaient pas le droit de vote : ceux qui embauchaient d’autres personnes à but lucratif ou vivaient sur le travail d’autres, des moines et des prêtres, et des criminels. Cela peut être comparé à la plupart des pays européens où, à cette époque, la majorité des travailleurs et des femmes manquaient de droits syndicaux, ainsi que du droit de vote.
Lénine a expliqué l’importance historique de la révolution : « Le premier au monde (rigoureusement parlant le deuxième, puisque la Commune de Paris avait commencé la même chose), le pouvoir des Soviets appelle au gouvernement les masses, notamment les masses exploitées. Mille barrières s’opposent à la participation des masses travailleuses au parlement bourgeois (lequel, dans une démocratie bourgeoise, ne résout jamais les questions majeures; celles- ci sont tranchées par la Bourse par les banques). Et les ouvriers savent et sentent, voient et saisissent à merveille que le parlement bourgeois est pour eux un organisme étranger, un instrument d’oppression des prolétaires par la bourgeoisie, l’organisme d’une classe hostile, d’une minorité d’exploiteurs ».
Dans le même temps, Lénine avait toujours une perspective internationaliste. Il a même mis en garde contre l’utilisation de l’expérience russe comme modèle à suivre partout : « La démocratie prolétarienne, dont le gouvernement soviétique est l’une de ses formes, a apporté un développement et une expansion de la démocratie sans précédent dans le monde, pour la grande majorité de la population, pour les personnes exploitées et travailleuses ». « Que les exploiteurs soient privés du droit de vote, c’est, notons-le, une question essentiellement russe, et non celle de la dictature du prolétariat en général » (La révolution prolétarienne et le Renégat Kautsky, 1918).
Lénine a noté qu’une victoire pour la classe ouvrière « dans au moins un des pays avancés » changerait le rôle de la révolution russe : « La Russie cessera d’être le modèle et deviendra une fois de plus un pays arriéré » (Le gauchisme : la maladie infantile du communisme, 1920).
Une « Croisade » anti-soviet
À Pétrograd, les représentants des travailleurs ont pris le pouvoir en octobre, presque sans effusion de sang. En tout cas, les bolcheviks étaient trop indulgents avec leurs ennemis. A Moscou, les généraux qui ont tenté d’arrêter les travailleurs armés n’étaient pas emprisonnés s’ils promettaient de ne pas récidiver !
D’autre part, les ennemis de la révolution russe agissaient selon la devise : contre les bolcheviks toutes les méthodes sont permises, a noté Victor Serge dans son livre, L’An 1 de la Révolution Russe (1930). D’abord, ils espéraient que l’armée écraserait le nouveau gouvernement directement après octobre. Lorsque cela a échoué, ils ont provoqué des soulèvements et des sabotages, tout en réarmant une armée «blanche» contre-révolutionnaire.
Les nationalités opprimées- les pays baltes, la Finlande, l’Ukraine, etc. – avaient été dominées par le gouvernement provisoire mis en place en février 1917. Compte tenu de la possibilité d’une autodétermination nationale après octobre, la bourgeoisie nationale s’est distinguée et non par le souhait pour l’indépendance, mais en invitant les troupes impérialistes à attaquer le gouvernement révolutionnaire. En Ukraine, l’armée allemande a exprimé sa gratitude en interdisant la « rada » (parlement) qui l’avait invitée. Les droits nationaux n’étaient pas garantis en Ukraine jusqu’à ce que le pouvoir soviétique sous les bolcheviks ait prévalu.
L’auteur suédois anti-Léniniste, Staffan Skott, prouve sans conteste l’effet libérateur de la révolution, et comment cela a été écrasé plus tard par Staline: « Sous le tsar, les langues ukrainienne et biélorusse n’étaient pas autorisées. Après la révolution, la culture indépendante dans les deux pays s’est développée rapidement, avec la littérature, le théâtre, les journaux et l’art. Staline, cependant, ne voulait pas que l’indépendance n’aille trop loin et devienne une véritable indépendance. Après les années 1930, il n’y avait pas beaucoup de littérature ukrainienne et biélorusse – presque tous les auteurs avaient été abattus ou envoyés dans des camps de prisonniers pour mourir ».
Après octobre, « les gens de l’aile gauche des socialistes révolutionnaires » ont été les seuls à coopérer avec les bolcheviks, écrit Werth dans le Livre noir du communisme, pour créer une impression d’isolement bolchevik. Mais il doit admettre qu’à la fin de 1917, il n’y avait pas d’opposition sérieuse capable de contester le gouvernement. La faiblesse de la violence contre-révolutionnaire, à ce stade, donne également une image fidèle des intentions des bolcheviks. Si l’objectif de Lénine était de commencer une guerre civile – ce que le Livre noir et d’autres prétendent – pourquoi la guerre civile n’a-t-elle pas commencée avant la seconde moitié de 1918 ?
Au premier semestre de 1918, un total de 22 individus ont été exécutés par les « Rouges » – moins que dans le Texas sous le gouverneur George W. Bush. La politique pacifique dominait encore. Il y avait des débats animés dans les soviets entre les bolcheviks et les autres courants politiques.
Cependant, la caste d’officier et la bourgeoisie en Russie et internationalement étaient déterminées à agir militairement. La guerre civile en Finlande au printemps 1918, où les blancs ont gagné au prix de 30 000 travailleurs et de paysans pauvres tués, était une répétition générale de ce qui se passerait en Russie. Dans le but d’envahir et de vaincre la révolution russe, une nouvelle alliance a rapidement été formée par les deux blocs impérialistes qui étaient en guerre les uns avec les autres pendant trois ans (15 millions sont morts dans la première guerre mondiale). La propagande de guerre britannique contre l’Allemagne a totalement ignoré l’invasion allemande de la Russie au printemps de 1918.
C’est Churchill qui, en 1919, a inventé l’expression « la croisade antisoviétique des 14 nations ». À cette époque, le gouvernement soviétique était entouré par les généraux blancs, Pyotr Krasnov et Anton Dénikine, au Sud, l’armée allemande à l’Ouest et les forces tchèques à l’Est.
La majeure partie de l’invasion a eu lieu en 1918. Des troupes britanniques sont arrivées au port de Murmansk, au nord-ouest de la Russie, en juin. Deux mois plus tard, les forces britanniques et françaises ont pris le contrôle d’Arkhangelsk, les États-Unis s’y sont joins plus tard. Les États-Unis, avec 8 000 soldats et le Japon avec 72 000, ont envahi Vladivostok dans l’Extrême-Orient en août. Les forces allemandes et turques ont occupé la Géorgie, plus tard sous contrôle britannique. La Géorgie est devenue la base de l’armée du général Denikin. Entre autres, la Roumanie était une légion d’anciens prisonniers de la République tchèque, de Pologne, de Hongrie, de Bulgarie et des pays baltes.
Le 30 août 1918, le chef bolchevik, Moisei Uritsky, a été assassiné, et Lénine a été gravement blessé lors d’un attentat. Deux mois plus tôt, l’aile droite des socialistes révolutionnaires avait tué un autre bolchevik, V. Volodarsky, commissaire de presse pour le soviet de Pétrograd. La souplesse croissante des partis d’opposition fut de nouveau prouvée à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan. Les bolcheviks ont perdu leur majorité dans le soviet de Bakou, où les mencheviks et les socialistes révolutionnaires ont accueilli les troupes britanniques pour « établir la démocratie ». Contrairement à la mythologie, les dirigeants bolcheviks ont démissionné pacifiquement, mais ont ensuite été arrêtés et exécutés sur l’ordre du général britannique W Thompson. Les réalités de la guerre civile ont triomphé de la préparation des bolcheviks pour offrir aux autres partis la possibilité de gagner une majorité dans la classe ouvrière.
La « terreur rouge » proclamée par les bolcheviks en septembre 1918 n’avait rien de commun avec ce que l’on appelle aujourd’hui le terrorisme. La « terreur rouge » était publique, convenue par le pouvoir soviétique et dirigée contre ceux qui avaient déclaré la guerre contre le gouvernement et les soviets. C’était en défense de la révolution et de la libération des opprimés, contre l’exploitation impérialiste des colonies et des esclaves.
Les exemples de la Finlande et de Bakou ont montré jusqu’à quel point la « terreur blanche », les généraux contre-révolutionnaires, étaient prêts à aller. Même Werth dans Le Livre Noir est obligé de se référer à l’ambiance dans le camp blanc : « En bas avec les Juifs et les commissaires », était l’un des slogans utilisés contre Lénine et Grigori Zinoviev, un bolchevik proéminent (finalement inculpé dans l’un des procès spectacle de Staline et exécuté en 1936). La brutalité de la guerre civile en Ukraine ne peut s’expliquer que par l’antisémitisme de la contre-révolution. Les soldats blancs se battaient sous des slogans tels que « l’Ukraine aux Ukrainiens, sans bolcheviks ou juifs », « Mort à l’écume juive ».
L’Armée rouge a écrasé les soulèvements cosaques qui étaient liés aux forces de l’amiral Alexandre Kolchak. Le livre noir prétend que les cosaques étaient particulièrement persécutés, mais leurs intentions étaient claires et sans compromis : « Nous les cosaques … sommes contre les communistes, les communes (l’agriculture collective) et les juifs ». Werth estime que 150.000 personnes ont été tuées dans les pogroms antisémites conduits par les troupes de Dénikine en 1919.
Une autre alternative?
En Russie en 1917 et les années suivantes, il n’y avait aucune possibilité d’une « troisième voie » entre le pouvoir soviétique et une dictature réactionnaire de la police militaire. Les menchéviks et les socialistes révolutionnaires, en particulier, ont quand même essayé de le tester. Déjà pendant la première guerre mondiale, les principales parties de la direction menchevique avaient capitulé et ont rejoint le camp chauviniste ou patriotique, soutenant la Russie tsariste dans la guerre impérialiste. Lorsque les soviets ont dissous l’Assemblée constituante en janvier 1918, les deux parties ont entamé des négociations avec des représentants français et britanniques. En coopération avec le Parti des Cadets bourgeois (Démocrates constitutionnels), ils ont créé une nouvelle assemblée constituante à Samara, en Russie du Sud-Ouest, en juin 1918, sous la protection de la République tchèque. Cette assemblée a dissous les soviets dans la région. Des massacres ont été menés contre les bolcheviks. Même les journaux de l’assemblée elle-même se référaient à « une épidémie de lynchages ».
L’argument final de la campagne anti-Léniniste et antirévolutionnaire est que le « communisme » a tué plus de 85 millions de personnes – l’anticommuniste, RJ Rummel, dit 110 millions. Mais même un examen des chiffres donnés dans Le Livre Noir contrecarre la revendication que le stalinisme et le régime de Lénine étaient une seule et même chose. Stéphane Courtois affirme que 20 millions de victimes du communisme ont été tuées en Union soviétique. Pour la période 1918-23, cependant, le nombre de victimes serait « des centaines de milliers ». Ce chiffre de la guerre civile peut être comparé, par exemple, aux 600 000 morts par les bombardements américains du Cambodge dans les années 1970, ou les deux millions de tués à la suite du coup d’Etat militaire en Indonésie dans les années 1960. Le Livre noir place la responsabilité de toutes les victimes de la guerre civile en Russie, y compris les 150 000 assassinés dans les pogroms organisés par l’armée blanche, sur Lénine et les bolcheviks. Selon Serge, 6 000 ont été exécutés par les autorités soviétiques dans la deuxième moitié de 1918, alors que la guerre civile faisait rage, moins que le nombre de morts en une seule journée à la bataille de Verdun lors de la première guerre mondiale.
Dans leur « comptage des morts », les universitaires anti-léninistes finissent par enregistrer que la plupart des décès « causés par le communisme » énumérés dans Le Livre Noir ont pris place sous Staline ou des régimes staliniens subséquents. Cela, cependant, ne change pas la position de Courtois ou d’autres anti-communistes. Ils ne mettent pas en garde contre le stalinisme, mais contre « le désir de changer le monde au nom d’un idéal ».
L’Armée rouge l’a emporté durant la guerre civile en raison du soutien massif de la révolution socialiste, tant en Russie qu’à l’étranger. C’était la menace de la révolution à la maison qui obligeait les puissances impérialistes à se retirer de la Russie. Dans les six mois suivant le lancement de l’Internationale communiste en 1918, un million de membres s’y sont joints. La moitié d’entre eux vivaient dans des pays et des régions précédemment régis par le tsar russe. Les nouveaux partis communistes à l’échelle internationale n’ont cependant pas l’expérience des bolcheviks, qui ont construit le parti au cours de deux décennies de luttes, la révolution en 1905, le soutien massif des bolcheviks en 1913-14, etc. Les défaites des révolutions dans le reste de l’Europe – surtout en Allemagne – ont jeté les bases du stalinisme. Il est maintenant temps pour une nouvelle génération de socialistes d’apprendre les vraies leçons de Lénine et des Bolcheviks, en prévision des événements imminents.