Le spectre du vieillissement

Gilbert De Swert, l’ancien chef du service d’étude de la CSC, vient de sortir un livre intitulé “Le spectre des pensions”. Nous ne sommes pas toujours d’accord avec l’auteur, qui défend par exemple le sinistre Pacte des générations qui avait attaqué les fins de carrières en 2005 ou encore, qui plaide pour une période d’activité de 40 ans pour obtenir une pension complète (ce qui revient dans les faits à abandonner l’idée de la pension à 65 ans). Mais de nombreuses données sont intéressantes.

Geert Cool

De Swert avait déjà publié un ouvrage dans lequel il taillait en pièces l’hypothèse d’une catastrophe liée au vieillissement de la population. Ce livre va plus profondément encore dans ce thème, avec une belle plume et un certain humour dans l’invention de nouveaux termes. C’est bien dommage que le livre n’existe qu’en néerlandais… Hélas, la forme menace parfois le contenu.

Directement, l’auteur critique les prévisions s’étalant sur une durée de 25, voire 50 ans. Qui aurait pu prédire, il y a 25 ans, l’arrivée d’internet et sa place dans la société ? Comment imaginer la situation économique 50 ans plus tôt alors que l’on peine à prévoir ce qu’elle sera dans 5 ans ?

Même la Commission sur le vieillissement relativise le “problème du vieillissement”. Selon ces données, il y a aujourd’hui 100 actifs pour 139 non-actifs ; ce nombre devrait augmenter à 144 non-actifs en 2030 et à 152 en 2060. La hausse est d’à peine 8%. La sécurité sociale devrait ainsi trouver 12,9 milliards d’euros de plus d’ici 2030, soit 3,8% du PIB actuel. D’ici 2060, ce serait 19,1 milliards d’euros de plus, soit 5,6% du PIB actuel. Cela signifie que, chaque année, 380 millions d’euros sont nécessaires en plus, soit seulement 0,11% du PIB.

Les partisans de l’augmentation de l’âge de la pension et de la baisse du montant des allocations “oublient” sys-tématiquement de parler de la productivité, qui s’est énormément accrue ces dernières années. Nous vivons peut-être plus longtemps, mais tout en produisant beaucoup plus (plus de 150% de plus qu’il y a 20 ans).

Par rapport au premier pilier de pension (la pension légale), le second (la pension complémentaire financée en entreprise) et le troisième (l’assurance individuelle) sont encore particulièrement limités, mais le danger se rapproche. Ces dernières années, il y a eu très peu de hausses salariales et on s’est de plus en plus rattrapé sur les fonds de pension, les écochèques, les chèques-repas,… considérés comme salaire mais qui ne contribuent pas à la sécurité sociale. Il y aurait au moins 32 sys-tèmes de ce type !

Les pensions complémentaires via un fond de pension sont encore limitées. Cette pratique comporte de réels risques en cas de turbulences financières comme lors de la crise financière de 2008, où les pertes de fonds de pension ont été immenses. Ces investissements ont perdu en moyenne 21,1% de leur valeur dans les pays de l’OCDE (pays dits ‘‘développés’’ pour la plupart). L’Irlande a battu les records avec 37,5% de pertes. En Belgique, les pensions complémentaires ne représentent encore que 14% des pensions mais les avantages fiscaux qui y sont liées coutent à la communauté de 1 à 3% du PIB.

Pour De Swert, la question des moyens pour les pensions concerne le rapport entre Travail et Capital. En se référant aux statistiques françaises, il montre qu’en 1980, les dividendes valaient 4,2% de la masse salariale, contre 12,9% en 2008. ‘‘Autrement dit: les travailleurs français travaillaient 72 heures par an pour les actionnaires, contre 189 heures aujourd’hui’’. Ces dernières années, il y a de moins en moins de contributions à la sécurité sociale : en 1980, 20,7% du PIB était consacré à la sécu, mais il ne s’agissait plus que de 18-19% en 1990.

De Swert défend la nécessité d’utiliser la hausse de la productivité afin de consacrer plus de moyens à la sécurité sociale, et de diminuer le temps de travail (avec une semaine de 4 jours), de façon à parvenir au plein emploi. En revanche, il semble minimiser la pauvreté parmi les pensionnés et dénonce l’exagération de certaines données comme celles d’un professeur de l’Université de Louvain qui a estimé la pension moyenne pour un travailleur à 1030 euros par mois en 2007 et que près de 21,6% des plus de 65 ans sont sous le seuil de pauvreté. Selon De Swert, cette moyenne ne veut rien dire et les derniers gouvernements auraient suffisamment augmenté les pensions les plus basses, en plus de l’indexation. Il se positionne ainsi en porte-à-faux par rapport à ses amis du mouvement des pensionnés de la CSC qui ont encore manifesté en septembre contre les pensions trop basses et contre la pauvreté parmi les pensionnés.

Ensuite, De Swert plaide en faveur de l’abandon de l’âge de la pension à 65 ans, qu’il veut remplacer par un temps de carrière obligatoire de 40 ans. Pourquoi un syndicaliste fait-il de telles propositions destinées à limiter nos droits ? De plus, il ne tient aucunement compte de la possibilité d’une prolongation durable de la récession. Qu’est-ce que cela signifierait ? Les statistiques ne peuvent répondre à cette question, seul le rapport de force des travailleurs le déterminera. Pour ce combat, ce livre offre toutefois une bonne série d’arguments intéressants.

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