Lénine. 100 ans après sa mort, un héritage toujours vivant

Lénine est mort le 21 janvier 1924. S’il reste une figure extrêmement contestée, on ne peut mettre en doute sa place de premier plan parmi les plus grands personnages du siècle dernier. Le fait qu’il ait été transformé en mythe et en icône par le régime stalinien, qui était précisément l’antithèse des idées de Lénine à tous égards, a fait et fait toujours l’affaire des puisssances pro capitalistes et des idéologues bourgeois. Dans les articles marquant le centenaire de sa mort, des termes tels que “impitoyable” et “autoritaire” ne manqueront certes pas. Sans viser l’exhaustivité, nous tentons ici de rétablir qui était véritablement Lénine.

Par Anja Deschoemacker, article tiré de l’édition de décembre-janvier de Lutte Socialiste

Le fondateur du seul parti ouvrier qui ait réussi à mener la classe ouvrière au pouvoir

La plus grande contribution de Lénine au marxisme et à la lutte de la classe ouvrière internationale concerne sans aucun doute le développement du parti révolutionnaire, c’est-à-dire le passage de la théorie révolutionnaire élaborée par Marx et Engels à la pratique révolutionnaire.

Dans un article publié à l’occasion du 50e anniversaire de Lénine, Léon Trotsky comparait ce dernier à Karl Marx : “Le Marx complet est contenu dans le “Manifeste du parti communiste”, dans la préface de sa “Critique” et dans le “Capital”. Même s’il n’avait pas été le fondateur de la Première Internationale, il resterait toujours ce qu’il est. Lénine, en revanche, passe immédiatement à l’action révolutionnaire. Son travail intellectuel n’est qu’une préparation à l’action. S’il n’avait jamais publié un seul livre dans le passé, il entrerait quand même dans l’histoire comme le dirigeant de la révolution prolétarienne, le fondateur de la Troisième Internationale.”

Bien sûr, Lénine a apporté des éclairages théoriques importants et indispensables à l’action avec, entre autres, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916) et L’État et la révolution (1917). Mais le génie de Lénine et ce qui l’a distingué des autres dirigeants marxistes de son époque sont mieux saisis dans des ouvrages tels que Que faire? (1902) et ses Thèses d’avril (avril 1917) – des idées précises et intuitives sur ce qui était, en pratique, nécessaire pour que la classe ouvrière progresse dans son combat contre le capitalisme.

Le partisan de la démocratie la plus profonde possible

Dans le sillage de Marx et Engels, Lénine s’est dès le début opposé à une vision étriquée et limitée au cadre national de la politique ouvrière. A l’opposé des “économistes” qui considéraient que la lutte des classes se limite à la lutte économique de la classe ouvrière contre les patrons et qui, de ce point de vue, présupposent une affiliation très souple à un parti, Lénine défendait que les marxistes doivent élever la politique de la classe ouvrière au point d’être capable d’emmener toutes les couches opprimées dans une lutte commune pour le changement social.

Au lieu de se limiter à des luttes économiques directes, il défendait que les marxistes soient des “tribuns du peuple” et luttent pour une démocratie cohérente dans tous les domaines, sans attendre la bourgeoisie libérale à l’ère de l’émergence de son opposé et adversaire que constitue la classe ouvrière.

Son approche du parti révolutionnaire en est également imprégnée: un parti qui parvient à l’unité d’action grâce à la discussion démocratique. Pour examiner honnêtement les idées et les actes, il faut évidemment les replacer dans leur époque et leur réalité concrètes. La démocratie au sein d’un parti était très compliquée dans une situation où ce parti devait oeuvrer clandestinement sous la menace constante de la répression d’État.

Réduire Lénine au “communisme de guerre”, un régime imposé au jeune État ouvrier par des années d’attaques militaires de la classe dirigeante russe avec l’aide de troupes étrangères, relève de la malhonnêteté intellectuelle. Bien sûr, des erreurs ont été commises, mais l’approche des bolcheviques reposait sur une évaluation réaliste de ce qui était nécessaire pour défendre la révolution. Il n’existe aucun texte de Lénine défendant l’État à parti unique ou un parti monolithique, des caractéristiques qui appartiennent au stalinisme, qui a perpétué des mesures temporaires imposées par des circonstances concrètes et en a fait des dogmes prétendument “léninistes”.

L’adaptation constante des structures du parti et de l’équilibre entre démocratie et centralisme à la réalité du terrain constitue un fil rouge dans l’œuvre de Lénine (on en trouvera un bon aperçu dans l’ouvrage de Marcel Liebman “Le Léninisme sous Lénine”). Lorsque les masses entrent en action, il s’y réfère encore et encore. À plusieurs reprises, il s’adresse directement aux travailleurs de la base du parti pour imposer à une direction conservatrice inadaptée aux nouvelles réalités une politique correcte. Il se révèle être un éminent dirigeant tactique, dont la tactique repose entièrement sur l’évaluation de la situation, les perspectives de lutte et les objectifs à court et à long terme.

Sa dernière bataille

À la fin de sa vie, alors qu’il est cloué au lit par la maladie, Lénine concentre son attention et ses écrits sur les questions démocratiques, en particulier la question nationale, ainsi que sur la lutte contre la bureaucratie croissante qui étouffe la démocratie dans le parti et dans le pays. Cette période est relatée dans le livre de Moshe Lewin “Le dernier combat de Lénine”.

Le 31 décembre 1922, il écrit : “Il faut nécessairement faire une distinction entre le nationalisme d’une nation oppressive et celui d’une nation opprimée, entre le nationalisme d’une grande nation et celui d’une petite nation. Face au second type de nationalisme, nous, nationaux d’une grande nation, avons, dans la pratique historique, presque toujours été coupables d’un nombre infini d’actes de violence ; de plus, nous commettons un nombre infini d’actes de violence et d’insultes sans nous en apercevoir. (…) Par conséquent, à cause des nations oppressives ou “grandes”, comme on les appelle (bien qu’elles ne soient grandes que par leur violence, qu’elles ne soient grandes que comme brutes), l’internationalisme doit consister non seulement dans l’observation de l’égalité formelle des nations, mais même dans une inégalité, par laquelle la nation oppressive, la grande nation, compense l’inégalité qui existe dans la vie réelle. (…)”

“Pour le prolétariat, il n’est pas seulement important, mais absolument essentiel d’être assuré que les non-Russes ont la plus grande confiance dans la lutte de classe prolétarienne. Que faut-il pour cela ? Pas seulement une égalité formelle. D’une manière ou d’une autre, par l’attitude adoptée ou par des concessions, il est nécessaire de compenser les non-Russes pour le manque de confiance, pour la méfiance et les insultes que le gouvernement de la nation “dominante” leur a fait subir dans le passé.” Par ce texte, il s’en prend à Staline et à sa clique, qui refusaient l’égalité et le droit à l’autodétermination à la république soviétique de Géorgie. Il qualifie alors Staline de “brutal argousin grand-russe”.

La principale contribution de Lénine à la compréhension de l’oppression en tant que facteur spécifique dialectiquement lié à la société de classe et à la lutte des classes est centrée sur la question nationale. Sans le principe démocratique selon lequel les nations opprimées devraient être en charge de leur propre destin et de leur propre vie, la révolution russe n’aurait pas pu être couronnée de succès.

Il a beaucoup moins écrit sur l’oppression des femmes – et, à ma connaissance, rien sur les personnes au genre non conforme – mais la première législation de l’État soviétique a garanti l’égalité juridique totale pour les femmes – le premier État au monde depuis l’émergence des sociétés de classes – et l’homosexualité a été enlevée du droit pénal. Avec les ressources limitées d’une société économiquement et culturellement arriérée, tout a été fait pour mettre en place des services permettant aux femmes ayant des enfants de jouer un rôle dans la gestion de la société en dehors du foyer, des ressources ont été libérées pour la recherche sur la transsexualité et il était possible d’officiellement changer de sexe.

Son dernier combat montre la profondeur et l’ampleur de ses idées socialistes, qui ne recherchaient pas une démocratie bourgeoise et formelle, mais une démocratie réelle et vivante construite à partir de la base dans tous les domaines et contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation. Il s’agissait d’une nécessité brûlante et d’une rupture profonde avec les dirigeants réformistes de son époque, et c’est encore le cas aujourd’hui.

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