La colère des ‘‘Gilets Jaunes’’ est légitime, il faut l’orienter contre le système!

Manifestation des Gilets Jaunes vendredi dernier à Bruxelles. Photo : socialisme.be

Depuis novembre, plusieurs centaines de milliers de personnes ont pris part à des manifestations et des actions de blocage : des travailleurs de secteurs à bas salaires, des retraités, des chômeurs, des artisans, des petits patrons,… Une protestation massive peu structurée, aux contours peu clairs et en manque de projet. Mais une mobilisation légitime, aussi en Belgique, contre la baisse du pouvoir d’achat, symbolisée par le ras-le-bol de l’envolée des prix d’une dépense régulière obligatoire pour des millions de gens : le carburant. En France, le prix de l’essence et du diesel à la pompe a augmenté de 15% et 27% en un an, principalement à cause de la hausse du prix du pétrole brut, mais aussi en raison des nombreuses taxes. Et à partir du 1er janvier 2019, une taxe de 6,5 centimes d’euro par litre de diesel et de 2,9 par litre d’essence sera ajoutée.

Par Stéphane Delcros // Version PDF

Manifestation des Gilets Jaunes vendredi dernier à Bruxelles. Photo : socialisme.be

En Belgique aussi, tout augmente, sauf nos salaires !

Le prix maximum du diesel dans notre pays est plus élevé que dans tous les pays voisins. Tout comme en France, environ 60% de ce que nous payons à la pompe va aux autorités. Un réservoir diesel de 40 litres coûte aujourd’hui environ 60 euros, dont 36 euros pour le pouvoir public. Au total, l’année dernière, les autorités ont généré 5,5 milliards d’euros de recettes provenant des taxes sur les carburants.

Bon pour l’environnement ? Tout comme Macron, le gouvernement belge utilise l’argument selon lequel de tels prix découragent l’utilisation individuelle de l’auto. Les taxes sur les autos diesel avaient déjà été augmentées. Mais aucun investissement dans des alternatives écologiques n’a été fait : les recettes de taxes et accises sur le carburant ne sont pas destinées à des transports publics plus denses, de meilleure qualité et respectueux de l’environnement. Alors que ces recettes augmentent, les contributions des autorités aux transports publics diminuent…

Les contributions de l’Etat à la SNCB, à la STIB, au TEC et à De Lijn sont inférieures aux 5,5 milliards d’euros de recettes provenant des taxes sur les carburants. La dotation publique de la SNCB va diminuer de 663 millions d’euros sur cinq ans ! Il n’y a pas non plus d’investissement dans la production d’énergie durable. Les investissements dans l’énergie sont laissés aux entreprises privées, avec pour résultat la menace d’une pénurie d’électricité. Carburant, énergie, eau,… Une grande partie de nos factures sont constituées de taxes. Tout devient plus cher, mais nos salaires ne suivent pas.

La politique d’austérité du gouvernement et le manque d’investissements publics mènent à une réduction des services publics. En dehors des grandes villes, une voiture n’est ainsi pas un luxe inutile. De nombreuses personnes ont besoin de leur auto parce qu’il n’y a pas d’autres moyens de transport pour se rendre au travail ou pour amener les enfants à l’école. Il y a de l’argent pour l’achat d’avions de chasse, mais pas pour des services publics locaux accessibles ?

Les élites économiques sont non seulement épargnées, mais en plus arrosées de cadeaux. Et c’est à nous de payer sous prétexte de défense de l’environnement… Les taxes supplémentaires sont utilisées pour remplir les caisses afin que le gouvernement puisse distribuer encore plus de cadeaux aux grandes entreprises !

Parmi les gagnants de cette politique figurent les grandes multinationales pétrolières comme Shell ou Total, qui ont réalisé l’an dernier respectivement 4 et 5 milliards d’euros de bénéfices, et ne paient quasi pas d’impôts. Nous, à chaque plein, nous croulons sous les taxes. La lutte doit être liée aux nécessités écologiques ; mais la facture ne peut être donnée aux travailleurs et à la classe moyenne : elle doit être assumée par les principaux responsables de la pollution !

Manifestation des Gilets Jaunes vendredi dernier à Bruxelles. Photo : socialisme.be

Organiser la colère et l’orienter contre le système

La colère en France et en Wallonie est justifiée. Le mouvement des Gilets Jaunes part d’un sentiment instinctif et n’est pas directement clair en termes d’exigences et d’alternative. Certains voient dans cette colère contre les impôts un mouvement de droite voire d’extrême droite. Aucun groupe existant n’a pourtant pris les devants des manifestations, qui sont nées d’en bas et organisées via les médias sociaux.

La droite et l’extrême droite s’invitent à certains rassemblements

Quelques actes racistes ou homophobes ont pu être observés, heureusement fort isolés à quelques individus, et souvent combattus par les autres, appelant à l’unité. Là où le mouvement ouvrier organisé est absent, l’espace est laissé à la droite pour tenter d’organiser le mouvement ; à certains endroits, ils peuvent même y parvenir.

Mais la droite et l’extrême droite n’ont pas d’alternative à la politique actuelle. Elles ne veulent pas des transports publics denses, de qualité et gratuits ; des services publics forts et accessibles à tous ; des investissements publics dans les énergies renouvelables ; … Et elles sont pour la suppression des impôts sur les riches et le report de l’âge de départ à la retraite.

Construire l’unité face au camp d’en face

En novembre, plusieurs sondages ont montré que 70 à 80% des Français soutiennent ces actions ; le mouvement repose sur une large base de soutien passif. La popularité du mouvement fait notamment écho à celle des luttes contre les Lois-Travail menées principalement par le mouvement syndical. Beaucoup de gens présents sur les blocages étaient très certainement aussi présents aux manifestations syndicales et piquets de grève. Beaucoup d’autres ont vécu ici leurs premières manifestations ; cela doit nous encourager à construire l’unité de tous ceux qui souffrent et vont souffrir des politiques d’austérité. Fin novembre, les Gilets Jaunes de la Réunion ont obtenu le gel pour 3 ans de la taxe sur les carburants : une indication que la lutte peut payer !

Le mouvement ouvrier doit s’engager dans la lutte

Tout cela n’enlève en rien le fait que le mouvement ouvrier, de par sa place dans la production économique, et par ses méthodes, et notamment l’arme de la grève, est primordial dans la lutte pour une autre société. Malheureusement, plusieurs directions syndicales – en France comme en Belgique – ont refusé de soutenir le mouvement. Après plusieurs jours de luttes, le mouvement a tout de même commencé à recevoir le soutien de syndicats d’entreprises et de secteurs : CGT-Chimie, FO-transport, CGT-Le Havre,… et les Gilets Jaunes ont reçu à certains endroits des visites syndicales de solidarité. C’est l’ensemble du mouvement des travailleurs qui doit rejoindre cette protestation et l’orienter vers les revendications qui élargissent la lutte.

Structurer celle-ci et l’orienter contre le système permettraient de s’opposer plus efficacement aux tentatives de division et de criminalisation de la protestation. Cela permettrait d’affaiblir la violence venant de la répression ou de la frustration de gens bloqués, et cela offrirait une perspective permettant d’atténuer les quelques éléments de violence contre-productive existants au sein du mouvement.

Tout comme le gouvernement thatchérien Michel/De Wever, le président français est arrivé au pouvoir avec l’intention de dévaster le mouvement ouvrier et d’imposer une politique ultra-austéritaire. Jusqu’à présent, malgré de bonnes tentatives – notamment initiées par la France Insoumise – la lutte n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Les mobilisations des Gilets Jaunes se sont créées dans ce contexte de faiblesse de la réaction syndicale. Cela exprime le fait que le ras-le-bol est bien présent et qu’une réelle volonté de lutter existe. Ne la gâchons pas ; organisons-là !

Gauche Révolutionnaire, notre organisation-sœur en France, intervient dans le mouvement en soulignant les nécessités de développer les assemblées de discussion et d’organisation de la lutte ; et d’une grande journée de lutte, d’action, et de blocages avec une grande grève unissant travailleurs du public et du privé avec les jeunes et les retraités contre la politique de Macron. Elle avance les revendications suivantes:

– La baisse immédiate et le blocage des prix de l’essence et de l’énergie ;
– L’augmentation des salaires et des retraites et leur indexation sur les prix, y compris du carburant ;
– La réquisition des bénéfices des multinationales pour financer les besoins : transports publics gratuits et non polluants, services publics (notamment de proximité : crèches, écoles, maternités, bureau de poste…), logement ;
– La remise en place de l’impôt sur la fortune, la lutte contre l’évasion fiscale par les ultra-riches et les multinationales, la fin des taxes indirectes (TVA, etc.) remplacées par une imposition forte des riches et des grandes entreprises ;
– Un grand service public environnemental financé en taxant les multinationales, pour créer des centaines de milliers d’emplois nécessaires à la transition énergétique et écologique (agriculture écologique, alimentation en circuits courts, énergies renouvelables etc.)

Un tel programme nécessite des mesures socialistes telles que la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, afin que les grandes entreprises ne puissent continuer à saboter la transition écologique et que la planification démocratique et écologique devienne possible. Une telle planification serait basée sur les besoins, y compris les besoins écologiques.

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