« Cette action montre qui sont nos amis et alliés, et qui soutient l’industrie polluante », déclare Philip, l’un des 4000 participants à la troisième occupation réussie organisée par Code Rouge le 17 décembre. La troisième tentative de blocage massif d’un secteur polluant ne s’est pas déroulée sans heurts. La protestation pacifique a été confrontée à une violence policière brutale, à la fois à Anvers et à Liège. Pourtant, les activistes climatiques restent déterminés : « La simple manifestation ne suffit pas. »
Par Constantin et Arne, deux participants aux actions Code Rouge
Pour sa troisième édition, le mouvement de désobéissance civile Code Rouge s’est concentré sur le secteur de l’aviation. Des actions ont eu lieu dans les aéroports de Liège et d’Anvers. Code Rouge plaide en faveur d’une reconversion des secteurs polluants et utilise des blocages pacifiques pour accroître la pression. Il est soutenu par de nombreuses organisations, de Greenpeace à des groupes politiques tels que le PSL et les Etudiant.e.s de Gauche en Action (EGA).
L’industrie de l’aviation est l’un des secteurs les plus polluants qui soient. L’impact d’un vol sur le climat est jusqu’à 80 fois plus important que celui d’un voyage en train sur la même distance. Les émissions du secteur de l’aviation augmentent plus rapidement que celles de tous les autres secteurs de transport. Si nous laissons décider ceux qui sont aujourd’hui à la manœuvre dans le secteur, les émissions y tripleront au moins.
Abolition des jets privés !
Constantin, de EGA-Liège, explique : « 1 % des passagers sont responsables de 50 % des émissions du secteur. Ce ne sont pas les travailleurs qui volent deux fois par an en Espagne, mais surtout les utilisateurs de jets privés. Pour donner une idée, un voyage en jet privé émet jusqu’à dix fois plus de gaz à effet de serre qu’un vol en avion de passagers ! De plus, 80 % de la population mondiale n’a jamais pris l’avion. À l’aéroport d’Anvers, les jets privés représentent 76 % des vols. »
Alors qu’en Flandre, 3.200 arrêts de bus ont été supprimés, il y a de l’argent pour financer les jets privés. Pour chaque euro de bénéfice généré par l’aéroport d’Anvers, trois euros de subventions sont accordés. Sans l’argent du gouvernement, l’aéroport ne fonctionnerait pas. Pour financer le mode de vie écocide des milliardaires, le gouvernement prend directement l’argent dans les poches de la classe travailleuse.
Justice sociale, justice climatique : même combat !
Frederik, un syndicaliste membre du PSL qui a participé à Code Rouge, voit une autre raison pour laquelle le secteur pose problème. « Toute l’industrie de l’aviation est célèbre pour son mépris des travailleurs et travailleuses : conditions de travail déplorables, salaires bas et heures supplémentaires constituent la base des profits du secteur. Ces derniers mois, il y a eu plusieurs actions syndicales. Par exemple, des pilotes de l’aéroport de Charleroi ont fait grève contre Ryanair, qui voulait imposer unilatéralement des heures de travail plus longues en violation de la législation belge. »
Il y a donc de nombreuses raisons de protester contre le secteur de l’aviation. Et nous n’avons pas encore parlé du rôle que le secteur joue dans le transport d’armes pour faciliter la guerre et le génocide. L’action directe massive est plus que justifiée. C’est ce que Code Rouge a tenté de faire avec une occupation de 24 heures de deux sites : l’aéroport de jets privés d’Anvers et l’entreprise Alibaba qui opère depuis l’aéroport de Bierset (Liège).
Il est temps de choisir son camp
À Liège, les activistes ont réussi assez facilement dans leur entreprise, mais à Anvers, le mot d’ordre du bourgmestre Bart De Wever (N-VA) était clair : réprimer violemment l’action. La violence policière excessive a ensuite été applaudie par De Wever et le Vlaams Belang. Ceux qui voudront voter en 2024 pour les défenseurs des jets privés savent vers qui ils peuvent se tourner. Ceux qui ne veulent pas voir le monde sombrer dans la décadence d’une petite élite ultrariche feraient mieux de voter pour le PTB, qui a pris parti pour les activistes et a dénoncé la violence policière lors du conseil communal le lendemain.
Les images parlent d’elles-mêmes : des activistes pacifiques ont été violemment arrêtés. Rebekka, membre du PSL, infirmière et membre de l’équipe médicale de Code Rouge, témoigne : « Plusieurs personnes ont subi des fractures et ont dû être hospitalisées. À Anvers, plus de 750 personnes ont été arrêtées, dont 50 de manière judiciaire. À Liège, 70 arrestations judiciaires ont eu lieu. Les conditions de détention étaient particulièrement scandaleuses. Les activistes n’ont pas reçu d’eau et même les installations sanitaires ont été refusées pendant longtemps, même pour les personnes menstruées, qui peuvent contracter des maladies infectieuses si les pratiques hygiéniques nécessaires ne sont pas suivies. Cela n’a rien à voir avec une prétendue sécurité, c’est de l’intimidation et une répression illégitime. »
La répression brutale et les arrestations massives montrent une fois de plus la vraie nature de l’État. Ce n’est pas une institution qui est au-dessus des contradictions de la société, mais un instrument de répression d’une classe sur une autre. Celui qui vole en jet privé est protégé. Celui qui voit sa station de bus supprimée est matraqué. Malgré la répression, l’action a été un succès : aucun jet privé n’a décollé à Anvers ou à Courtrai. À Liège, Alibaba a perdu 5 millions d’euros de chiffre d’affaires.
La répression n’est pas une surprise. L’année dernière, de Saint-Souline en France à Lutzerath en Allemagne, il y a eu de nombreux exemples de violence policière brutale contre des activistes climatiques. Le capitalisme montre qu’il n’a rien d’autre à offrir que l’exploitation, l’oppression et la destruction de l’environnement. Le soutien à ce système s’effrite. Des actions inspirantes comme celles de Code Rouge sont donc perçues comme une véritable menace. Ces actions peuvent en effet montrer l’importance de bloquer le processus de production comme moyen de forcer le changement.
La solidarité
Selon Clément, des Etudiant.e.s de Gauche en Action, « les actions de désobéissance civile massive sont une étape importante pour le mouvement. Pour nous organiser contre la répression croissante de l’État et surtout pour imposer des changements, nous devons renforcer les liens avec la classe ouvrière. » L’effet de la solidarité entre les travailleurs et les activistes climatiques peut parfois être très direct. Hugo, lui aussi d’EGA, souligne qu’alors que lui et quelques camarades étaient en train vers la manifestation, la police était également présente, ce dont les a avertis un accompagnateur. La présence de la police a ainsi pu être pris en compte plus rapidement.
Il aurait été possible d’aller plus loin dans cette direction. Pour emmener les activistes arrêtés, la police a dû réquisitionner des bus et des chauffeurs de sous-traitants de De Lijn (ce qui a entraîné à nouveau l’annulation de quelques trajets ordinaires). Une mobilisation du personnel des transports en commun aurait rendu plus difficile pour l’État de les mobiliser. Si le mouvement se concentre consciemment sur la classe travailleuse, des délégations syndicales peuvent organiser la solidarité en refusant de transporter des activistes arrêtés. Cela s’est produit lors des mobilisations du mouvement Black Lives Matter en 2020 aux États-Unis lorsque les conducteurs de bus à Minneapolis ont refusé de transporter les manifestants arrêtés.
Rebekka voit également un autre défi : « Il est également nécessaire d’élargir notre mouvement. Ce type d’actions suscite de l’enthousiasme, surtout parmi les jeunes, qui sont très préoccupés par le problème climatique. Mais nous devons être conscients que la répression n’était pas une arme unique. C’est pourquoi nous devons nous défendre contre elle. La meilleure façon de le faire est de descendre dans la rue avec encore plus de manifestants et de mobiliser le soutien dans la société afin que la violence ne puisse simplement plus être justifiée. »
Il serait bon que tous les participants à l’action de Code Rouge se réunissent pour discuter de la stratégie du mouvement. Comment pouvons-nous rendre la prochaine action encore plus importante ? Comment établir un lien entre Code Rouge et la classe travailleuse ?
Comment pouvons-nous, avec nos actions, nous joindre aux prochaines grèves, par exemple dans les transports en commun avec la grève des chemins de fer fin janvier ? Cela donnerait l’occasion de discuter de ce que nous revendiquons. Comment relier l’exploitation de l’industrie de l’aviation au fait que c’est un secteur géré selon des intérêts privés ? Comment exiger que l’ensemble du secteur des transports soit public afin que le respect de la planète et des usagers guide l’organisation de tous les transports ? Ce ne sont là que quelques-unes des idées que les militants du PSL présents ont discutées avec d’autres manifestants.
En ajoutant les discussions sur la stratégie et les revendications aux formations d’action de Code Rouge, nous renforcerions l’engagement démocratique et nous serions plus forts. Le week-end d’action a montré que notre force, c’est notre nombre, et pas nécessairement le caractère mystérieux de l’action dont ne sait pas à l’avance où elle aura. Dans tous les cas : nous continuerons. Le capitalisme et la crise climatique nous obligent à continuer à développer le mouvement pour une transition climatique juste. « Who shut shit down? We shut shit down! »