2010 – Qui va payer pour le crash systémique? – Perspectives pour le capitalisme et les tâches du mouvement ouvrier en Belgique (1)

1. Ce texte est une résolution d’actualité en préparation des Congrès de districts du Parti Socialiste de Lutte qui ont eu lieu fin février 2010. Pour la partie internationale, nous préférons renvoyer à la résolution discutée, amendée et approuvée par le CEI de décembre 2009. En automne, nous organisons notre Congrès national bisannuel. Pour cela, un texte de perspectives à part entière sera préparé. Ce texte-ci ne vise pas à être aussi complet, mais veut indiquer quelques tendances principales afin de mieux préparer le parti à relever les défis des mois à venir.

Texte de perspective belge pour les Congrès de District du PSL

2. Tout comme les années précédentes, l’actualité politique en 2009 a été dominée par la politique socio-économique et les antagonismes nationaux. La bourgeoisie est toujours à la recherche d’un moyen pour augmenter le taux de profit et continue à rechercher le type de mesures que nous avons expliqué amplement dans le texte de perspectives de 2008. Ces mesures comprennent l’élimination du “handicap salarial”, encore plus de flexibilité, la réduction des salaires en augmentant l’offre sur le marché du travail sous peine d’exclusion, l’allongement de la durée de travail et des carrières, et la réduction du nombre de fonctionnaires. En outre, la bourgeoisie souhaite ouvrir de nouveaux domaines au marché “libre” par des partenariats public-privé, la filialisation d’entreprises publiques et la marchandisation des soins de santé et de l’éducation.

3. A quelques nuances près, tout l’establishment est d’accord sur l’objectif souhaité. La sensibilisation accrue à propos de l’écart croissant entre riches et pauvres depuis l’émergence du mouvement antimondialisation au début de ce millénaire n’y a rien changé. Les désaccords au sein de l’establishment ne portent que sur la méthode pour y arriver. Peu à peu, par voie de consultation, ou “plus vite”, en confrontation directe avec les travailleurs ? Au sein des structures de l’Etat en place ou faut-il d’abord les réformer? Il n’y a pas si longtemps, il semblait que “les mesures nécessaires et urgentes” finiraient en salle d’attente, en attendant un accord sur la conscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde et sur la réforme de l’État. Les chamailleries de ceux qui estimaient que cela n’avançait pas suffisamment dans le cadre des structures de l’Etat en place en étaient responsables. Depuis le début de la crise, en septembre 2008, les priorités ont toutefois été réajustées, s’éloignant d’une réforme de l’Etat précipitée, et d’autres aventures, pour aller vers “la solidité tranquille”, tellement caractéristique de la bourgeoisie belge.

La haute finance sur un terrain glissant

4. En septembre 2008 s’est brisée l’illusion d’une croissance sans fin basée sur le crédit, où des mastodontes financiers – “plusieurs fois plus puissants que les gouvernements nationaux” – offraient même aux petits épargnants un rendement décent. Tout le monde savait que, de temps en temps, les banques belges se risquaient dans des paris avec des banques d’investissement aux États-Unis. Mais, généralement, on pensait que cela ne se faisait que dans la marge, sans mettre en péril le marché intérieur stable de l’épargnant belge. Pour autant que l’on ait cru à la possibilité d’une Grande Dépression, on s’y attendait essentiellement à Wall Street. Nous serions affectés par des dommages collatéraux mais, ici, à Bruxelles, ce serait limité. Au moins jusqu’à ce qu’il devienne clair sur quelle fine couche de glace la haute finance belge marchait.

5. Un regard sur la riche histoire économique et financière de la Belgique aurait pourtant pu tempérer cette illusion. Un groupe de chercheurs du Centre d’études pour les Entreprises et la Bourse (SCOB) de l’Université d’Anvers a composé un baromètre de 175 ans de la bourse à Bruxelles. Cela se lit comme un catalogue de crashs boursiers, de récessions et de dépressions. Pourtant, la panique a éclaté lorsque l’action de bon père de famille de Fortis a littéralement dérapé. Au sujet de l’essentiel, tout le monde était d’accord. Il fallait sauver les institutions financières à tout prix. Fortis, Dexia, KBC ont été reconnus comme “banques systémiques” qui, dans leur chute, entraîneraient l’économie belge tout entière. Tout comme la bourgeoisie internationale voulait éviter une répétition de la Grande Dépression par le biais d’opérations de sauvetage sans précédent, les autorités belges voulaient également mettre un plancher sous les institutions financières en effondrement. Ce fut l’avis du gouvernement, de l’opposition, des médias et même des dirigeants syndicaux. La question était : comment?

6. Selon le Parti Socialiste de Lutte, les “banques systémiques” ne devraient pas faire partie du marché libre. Le secteur financier dans son ensemble devrait être soumis au contrôle de la communauté, par la nationalisation avec indemnisation pour les petits actionnaires exclusivement sur base des besoins avérés. Sur papier, toute la gauche radicale est d’accord. Mais juste au moment où cette exigence pouvait quitter le cadre de la propagande et aurait dû faire partie de l’agitation à l’occasion de la crise bancaire, tous nos collègues s’en sont tenus à “une banque publique”, donc à côté des banques privées. “Rendez nous notre CGER” tentaient certains. Cela donne non seulement une impression enjolivée de ce que la CGER était vraiment, mais cela n’explique pas non plus pourquoi elle a finalement été absorbée par Fortis. C’était pourtant une parfaite illustration qu’une telle banque publique est tenue d’appliquer la même politique que ses concurrents du secteur privé pour survivre dans un monde financier fondé sur la maximisation du profit. Les plus proches de notre position étaient encore certains académiciens, dont le professeur De Grauwe, avec leur appel à la nationalisation temporaire, ce que l’on appelle désormais “conservatorship” ou “la prise en main temporaire par les autorités”. Le Royaume-Uni l’a fait avec Northern Rock, le gouvernement néerlandais avec Fortis, Le Danemark avec Roskilde et les gouvernements suédois, finlandais et norvégien l’ont a fait dans les années 90.

7. Le gouvernement Leterme s’y est pris autrement. Il essaya encore de mettre sur pied une construction internationale avec les gouvernements néerlandais et luxembourgeois mais, lorsque celle-ci a été coulée habilement par le ministre des Finances néerlandais, la vente à prix bradé de Fortis à BNP-Paribas a été décidée. Ainsi, le gouvernement a agi de fidèlement à la politique traditionnelle de la grande bourgeoisie belge. Dans notre texte de perspectives d’octobre 2008, nous écrivions qu’à chaque fois que sa position était menacée, celle-ci se jette dans les bras de ses homologues des pays voisins. Selon nous, la vente de Fortis à BNP Paribas ne niait pas l’existence de la bourgeoisie belge, mais confirmait sa principale caractéristique. Cela ne signifie pas que la bourgeoisie a pu imposer sa politique sans devoir se battre.

Le fantôme communautaire est de retour

8. Le Parti Socialiste de Lutte n’a jamais accepté l’affirmation selon laquelle la bourgeoisie belge avait (presque) cessé d’exister et se serait pour ainsi dire dissout dans un ensemble européen plus large. Ce n’était pas la signification des ventes de fleurons industriels et financiers tels que la Société Générale, La Banque Bruxelles Lambert, Electrabel, Tractebel, et maintenant Fortis. Ces fleurons peuvent bien être absorbés par des groupes plus grands, majoritairement étrangers, via des fusions et des acquisitions, cela ne signifie pas pour autant la faillite de la bourgeoisie belge. Au contraire, elle est devenue actionnaire d’un ensemble plus vaste et plus compétitif. Ceci n’est pas nouveau, c’est aussi vieux que la Belgique elle-même. Longtemps après la révolution belge de 1830, Guillaume d’Orange était encore l’actionnaire de référence de la première institution financière du pays, la Generale Maatschappij, fondée en 1822. La Banque de Belgique créée en 1835 par des révolutionnaires bourgeois belges, dont Ch. De Brouckère, conçue comme un contrepoids à la banque ”Hollandaise”, a pu compter sur le capital français.

9. Nous sommes également en désaccord avec la thèse selon laquelle le poids économique se trouve maintenant dans les régions ou encore que la politique est devenue “autonome” des intérêts objectifs de la bourgeoisie. Mais nous ne nions pas que la bourgeoisie belge néglige depuis des décennies l’administration de l’Etat et les institutions politiques. Elle a toujours excellé en manque d’initiative et de sens de l’innovation. Economiquement, elle s’est limitée à la gestion financière et laissait le renouvellement industriel et l’innovation principalement aux multinationales. Sur le plan politique, depuis des années, la bourgeoisie n’a plus de représentants directs au sein du gouvernement fédéral et des gouvernements régionaux. Elle fermait les yeux sur le fait que la bourgeoisie flamande plus dynamique donnait dorénavant le ton. Cette “bourgeoisie” flamande, qui est plutôt une petite bourgeoisie, est composée principalement de gestionnaires locaux des multinationales qui se sont installés ici ou de fournisseurs de ces mêmes multinationales. Elle intervient bien directement dans la vie politique. Mieke Officiers (Vlaams Economisch Verbond), Kris Peeters (Unizo), Philippe Muyters (VOKA) et Indgrid Lieten (nommée par Trends “femme d’affaires la plus puissante de Flandre”) ont tous été nommés ministres avant d’avoir été candidats à des élections.

10. Contrairement à la grande bourgeoisie dont la position matérielle permet “la solidité tranquille”, cette petite bourgeoisie se caractérise principalement par le dynamisme qui bascule vite en impatience, en mécontentement et en apitoiement sur soi, ce que l’on appelle, grâce à Leterme, une nature Calimero en politique. C’est cette petite bourgeoisie flamande qui, dans son zèle à vouloir démanteler l’Etat-providence en “responsabilisant” les régions a si fortement poussé la voie communautaire. Elle s’est trouvée une oreille complaisante dans le CD&V qui traversait sa plus longue période d’après-guerre dans l’opposition, et où une génération “d’hommes d’Etat” qui avaient encore enterré de leurs propres mains le fantôme communautaire des années ‘80, venait de se faire relayer par une nouvelle génération. En cartel depuis février 2004 avec la N-VA, alors presque morte, il a replacé le communautaire à l’ordre du jour. Depuis des années, on nous effraye avec l’incapacité de garantir le financement des retraites, des soins de santé, et de la sécurité sociale en général. Les statistiques nuancent cela. En ’99 les dépenses sociales du gouvernement fédéral étaient de 50,06% du total des dépenses hors charge d’intérêts. Pour 2008, la Banque nationale les estime à 50,5%. Les dépenses de retraite s’élevaient à 19,6% en 1999 contre 19,4% en 2008. Mais tous les politiciens prétendent la même chose. Les syndicats semblent peu convaincus de les contredire. Dans ces circonstances, le raisonnement selon lequel seule une scission communautaire peut garantir la capacité de paiement des soins de santé et des pensions peut faire son chemin.

Le morcellement politique

11. La petite bourgeoisie, et par extension les couches moyennes dans la société, est typiquement incapable d’arriver à une politique indépendante. Au contraire, elle est déchirée par des contradictions internes qui s’expriment au travers du morcellement politique. À défaut de réponses basées sur l’opposition dominante dans la société, entre travail et capital, donc en l’absence de véritables réponses, l’électeur oscille entre les innombrables semi-vérités et les mensonges les plus complets. La bourgeoisie elle-même n’est pas en mesure de répondre aux aspirations de l’immense majorité de la population, car elle doit rester compétitive vis-à-vis de ses concurrents. Les dirigeants officiels du mouvement ouvrier n’y sont pas préparés. On peut temporairement cacher cette contradiction dans les apparences, via les Télétubbies (le nom donné aux quatre dirigeants principaux du SP.a, qui reflétait l’idée que l’important était surtout l’emballage, et moins le contenu) où la culture de débat ouvert (ce que Verhofstadt avait mis en avant comme étant la forme d’appliquer la politique, contrairement à Dehaene qui disait toujours “pas de commentaire” aux journalistes), mais tôt ou tard, la réalité rattrape la fiction. Dans une proportion importante de la population cela a provoqué une aversion pour tout ce qui résonne comme faisant partie de l’Establishment. “Ils sont tous les mêmes”, dit-on.

12. La bourgeoisie et la petite bourgeoisie ont accès à des ressources suffisantes pour populariser leurs idées de par leur position dans la société. Pour le mouvement ouvrier cela exige le rassemblement des forces et une stricte organisation. Si cela est en plus instrumentalisé pour enfoncer la politique de l’establishment dans la gorge des travailleurs, les courants de droite petite-bourgeoise ont la voie libre. Le Vlaams Belang a navigué de victoire en victoire jusqu’en 2004. La Liste De Decker est apparue aux élections de 2007 et, depuis la scission du cartel en septembre 2008, la N-VA a également ramassé le pactole. Selon un sondage réalisé par TNS/Dimarso après les élections régionales de 2009 mais publié récemment, la N-VA aurait eut un potentiel de 31% des voix. Ce n’était pas dû au sentiment flamingant. Au contraire, après 5 années de surenchère communautaire, moins de la moitié des flamands sont pour “un véritable Etat fédéral avec plus de compétences octroyé aux communautés et aux régions”. Seulement 21% sont pour l’indépendance, ce qui est une augmentation. Même parmi les électeurs de la N-VA, seuls 35% veulent l’indépendance de la Flandre et, parmi les 20 sujets proposés comme raison décisive pour le vote des flamands, “les questions communautaires” n’arrivent qu’en 14e position.

13. TNS/Dimarso estime que le succès de De Wever a des racines plus profondes, c’est-à-dire que la Flandre serait devenue de centre-droit. Il parait que, sur le flan droit, un groupe hésite fortement entre la N-VA, le VB et la LDD. Les “sujets les plus décisifs pour le vote” dans les élections étaient néanmoins la sécurité sociale et les soins de santé mais, au lieu d’aller à l’offensive, les deux partis socialistes consentent que ceux-là coûtent trop cher et qu’il faut assainir. Le flamand n’est pas de centre-droit, il se détourne de l’establishment et, puisqu’aucun parti anti-establishment n’existe à gauche en Flandre, il vote une fois pour l’une ou l’autre illusion petite-bourgeoise.

14. Dans la partie francophone du pays également, une petite bourgeoisie tente de combler le vide qui est créé par la discrétion de la bourgeoisie et la capitulation des représentants traditionnels du mouvement ouvrier. Elle se concentre à Bruxelles, au Brabant Wallon et favorise l’axe Namur-Luxembourg contre l’axe traditionnel Charleroi-Liège. Elle recherche la même politique de confrontation que son homologue flamand, mais elle espère la réaliser dans le cadre de la Belgique unitaire. Le PS dans l’opposition serait une réforme de l’Etat en soi, selon elle, mais cela suppose d’abord que le PS soit rejeté dans l’opposition et ce ne serait qu’un début, parce que comment, sans le PS, refréner les syndicats à Bruxelles et surtout en Wallonie ?

Le dirigeant de la nation

15. Les libéraux francophones ont toujours obtenu de bons résultats aux élections à Bruxelles mais, en 2007, ils ont aussi rattrapé le PS en Wallonie. Tout comme ce fut le cas en 1999 lorsque le CVP a reçu une claque électorale historique en pleine crise de la dioxine, de nombreux analystes perdent les pédales en ce moment. En 1999, beaucoup pensaient que le VLD reprendrait le rôle du CVP comme instrument politique principal de la bourgeoisie. En 2007, ils pensaient que le PS était fini et que, dorénavant, le MR reprendrait le rôle dirigeant dans la partie francophone du pays. Dans les deux cas, le PSL était en désaccord avec cette analyse. Le poids électoral joue bien entendu un rôle important pour déterminer quelle formation politique peut s’élever au rang de dirigeant de la nation. Mais l’implantation locale, les liens avec la société civile composée des syndicats, des mutualités, des associations de femmes, des mouvements de jeunesse, des organisations patronales,… jouent aussi un rôle. Et on doit par ailleurs prendre en compte la capacité à créer un climat stable dans lequel la bourgeoisie peut tranquillement poursuivre son activité principale, à savoir faire du profit. Sur ces plans là, tant le VLD après la crise de la dioxine que le MR après 2007 ont fait fortement défaut. Pour les entreprises, c’était la fête fiscale avec Reynders aux finances mais, pour le reste, le MR n’a pas pu aller de l’avant.

16. Le cartel flamand a gagné les élections en 2004, en 2006 et de nouveau en 2007. Ce n’est qu’alors que les problèmes ont commencé, car bien que la bourgeoisie se positionne très discrètement jusqu’aux limites de la négligence, elle a équipé le système belge d’innombrables clignotants et sonnettes d’alarme. Celui qui veut bricoler avec la structure complexe de l’Etat, doit s’attendre à une course d’obstacles aves des majorités spéciales, des conflits d’intérêt et des procédures de sonnette d’alarme et devrait déterminer l’ordre du jour suffisamment à l’avance. En bref: la grande bourgeoisie n’a pas quitté le navire non surveillé tel que certains voulaient le croire. Leterme a été élu pour opérer la “bonne gouvernance” au niveau fédéral “sur le modèle flamand”. Pour cela, il voulait cinq minutes de courage politique pour scissionner l’arrondissement électoral de Brussel-Halle-Vilvoorde et négocier une réforme de l’Etat, comme conditions nécessaires pour responsabiliser les régions – c’est-à-dire la Wallonie et Bruxelles. Reynders a été élu pour opérer cette responsabilisation des régions dans le cadre de la structure belge. Ces deux positions étaient irréconciliables.

La bourgeoisie remet de l’ordre

17. Aussi bien Leterme que Reynders veulent mettre la Wallonie et Bruxelles au rationnement. Leterme via une réforme de l’Etat pour laquelle l’implication du PS est nécessaire. Reynders sans réforme de l’Etat, mais cela ne peut se faire que sans le PS. Après 200 jours de négociation et trois mois de gouvernement intérimaire Verhofstadt III, Leterme I a quitté mollement les starting-blocks dans la composition que nous avions attendue immédiatement après les élections de juin 2007 : l’orange-bleue complétée par le PS. Ce gouvernement n’a avancé ni sur BHV, ni sur la réforme de l’Etat, ni sur le dossier des demandeurs d’asile et, en fait, pas non plus sur le budget. En outre, il a été confronté à une semaine d’action pour le pouvoir d’achat lors de laquelle 80.000 à 100.000 syndicalistes sont descendus dans les rues. A l’approche des élections, le CD&V s’était mis dans une position impossible mais, en même temps, il n’y avait pas d’alternative sous la main. Cela doit avoir été un soulagement lorsque la N-VA a décidé elle-même en septembre 2008 de quitter le cartel. Tant que les équilibres sociaux et économiques fondamentaux, les conditions pour pouvoir encaisser les bénéfices, ne sont pas mis en péril, la bourgeoisie belge est prête à laisser passer plein de choses. Cela a changé brutalement fin septembre 2008 lorsque la crise économique a frappé notre pays.

18. La nervosité de la bourgeoisie concernant la chamaillerie communautaire augmentait au fur et à mesure que la crise économique internationale s’approchait de notre pays. Il était de plus en plus clair qu’elle allait devoir intervenir. L’occasion immédiate pour cela était la quasi-faillite de Fortis. Que la petite bourgeoisie défie la domination politique de la bourgeoisie, passe encore. Mais qu’elle ose essayer d’avoir voix au chapitre concernant l’une des institutions financières les plus importantes, ça va trop loin. Des petits actionnaires, dont probablement aussi quelques vrais petits, à côté d’une couche moyenne mécontente de gens bien aisés et quelques familles fortunées plus ou moins affaiblies, essayaient, via la justice et des réunions d’actionnaires bruyantes, d’arrêter la vente à BNP-Paribas dans l’espoir d’obtenir un accord plus favorable. Jamais auparavant, l’establishment du pays ne s’est autant bagarré devant les caméras. Non seulement les actionnaires, mais aussi les juges et les politiciens s’entredéchiraient publiquement. Finalement, il a fallu faire pas mal de sacrifices expiatoires au sommet de Fortis, mais aussi de la Justice et du gouvernement.

19. Cela n’aura pas scandalisé beaucoup de syndicalistes. Que la soi-disant séparation des pouvoirs ne soit pas plus qu’une façade, tous ceux qui ont été confronté, lors d’actions de grève, à des requêtes unilatérales et des astreintes, le savait déjà. Cela ne nous étonnerait pas du tout s’il y a eu intervention politique dans l’arrêt Fortis. Dans la presse, on a même suggéré que l’on pouvait “passer commande de prononcés” auprès de Francine De Tandt, la présidente du Tribunal de Commerce de Bruxelles. La rumeur confirme ce que beaucoup de syndicalistes ont longtemps soupçonné dans de nombreux conflits de travail. Quoi qu’il en soit, la bourgeoisie a vu sa chance de mettre Leterme sous “conservatorship” et de le remplacer par une figure plus loyale envers la bourgeoisie belge, moins liée à la jeune génération CD&V très profilée sur le plan communautaire, qui est d’office déjà en fin de carrière et qui, en plus, aurait l’effet de modérer une partie de l’aile flamingante du CD&V puisqu’il est le frère d’Eric Van Rompuy. Interrogé sur ce qu’il a réalisé au cours de son mandat de Premier ministre qui n’a pas duré plus longtemps qu’un an, Van Rompuy a répondu lui-même, juste avant son départ en décembre dernier : “Je n’avais rien à faire. Aucun changement n’a été demandé, mais la stabilité”. Et puis : “Je correspondait par coïncidence à l’état d’esprit en Belgique à ce moment là. En 2009, le royaume de Belgique avait besoin de cela.”

Destruction économique

20. Pour la bourgeoisie, il était grand temps de reprendre les choses en mains. Selon De Tijd, l’année boursière 2008 a été la pire depuis 1832. La crise économique a fait rage comme une tempête sur l’économie belge. Celle-ci s’est rétrécie pendant 4 trimestres consécutifs à partir du troisième trimestre de 2008. En 2009, la consommation privée a chuté de -1,6%, les investissements de -4,1% (-7,3% en Flandre) et les exportations de -12,1%. On estime que le PIB aurait chuté de -3,1%, le plus mauvais chiffre depuis la Deuxième Guerre mondiale. En Septembre 2009, la production industrielle a baissé de -12,9% par rapport au même mois en 2008. L’industrie de la construction a accusé une baisse plus lente dans la même période, de -4%, en raison de la réduction temporaire du taux de TVA de 21 à 6%. En 2008, pour la première fois, plus de 8.500 faillites ont été enregistrées ; en 2009 leur nombre s’élevait à 9.515 et, pour 2010, on s’attend à 10.500 faillites. Surtout en Flandre, l’an dernier, leur nombre a augmenté de 17,5% soit 4.590 faillites ou 1 faillite sur 127 entreprises actives. En Wallonie, il y en avait 2.734, soit une augmentation de 13% ou 1 entreprise sur 100. A Bruxelles, c’était une légère diminution de -0,14%, mais cela représente quand même 1 entreprise sur 64 qui tombe en faillite. Le nombre de nouvelles entreprises créées a aussi fortement chuté.

21. Le chômage a monté en flèche. La Banque nationale l’estime à 53.000 en 2009 et s’attend à 89.400 en plus pour l’année 2010. Le “taux de chômage harmonisé” était de 7% à la fin de l’année 2008, 7,9% fin 2009 et la Banque nationale s’attend à 9% en 2010. Selon l’Institut pour un Développement Durable (IDD), le taux de chômage atteindrait 14,6% en 2010 ; selon la presse, nous serions au même niveau que “le niveau record des années ‘70”. Il ne s’agit pas ici du “taux de chômage harmonisé” utilisé par Eurostat qui est une sous-estimation grossière, mais des données administratives compilées par le bureau du Plan, comprenant les chômeurs âgés qui sont dispensés de l’inscription en tant que demandeur d’emploi. Selon ces chiffres, la Belgique n’avait pas 560.000, mais plus de 650.000 chômeurs. L’affirmation selon laquelle le nombre de chômeurs dans les années ‘70 était aussi élevé qu’aujourd’hui est tout simplement fausse. Soit les journalistes n’ont pas lu le rapport, soit ils ont déformé la réalité. En 1970, il y avait moins de 100.000 chômeurs en Belgique. C’est seulement en 1980 que le cap des 300.000 chômeurs a été pour la première fois dépassé. Le rapport indique que le chômage est devenu structurel et tendanciellement croissant à partir de la fin des années ‘70 et que le nombre de chômeurs en 2010 dépassera le cap de 750.000, un record historique pour la période étudiée.

22. Les chiffres de l’IDD sont confirmés par le Groupe de travail sur le développement durable du Bureau fédéral du Plan. Ces rapports peuvent être trouvés ici et ici.

23. Pour faire face à cela, la bourgeoisie avait besoin de stabilité. Avec Van Rompuy et sa “solidité tranquille”, elle disposait de personnel politique appropriée. Au niveau national, cette politique de la bourgeoisie belge se traduit dans ce que l’on appelle le modèle belge, c’est-à-dire éviter les problèmes et trouver des moyens pour les contourner. Malgré la rhétorique de modération de ces dernières décennies, les longues listes d’attente pour, entre autres, les soins aux handicapés ou des logements sociaux, les autorités belges ont trouvé depuis fin septembre 2008 de nombreux moyens pour soutenir le secteur financier. Le total de l’intervention publique dans le secteur bancaire en Belgique s’élevait à 26,7% du PIB, contre une moyenne de 11,5% dans la zone euro. Pas moins de 21 milliards d’euros ont été dépensés en injections de capitaux, prêts et prêts relais. Ainsi la dette publique en 2008 est-elle passée de 84% à 89,7%, au lieu de diminuer à 83,4%. En garanties de dettes, principalement des garanties publiques pour les prêts interbancaires, le gouvernement a accordé 16,3% du PIB, comparé à une moyenne de 8,7% pour la zone euro. Comme il est supposé que le risque existe que cela mène à de vraies dépenses publiques, ce n’est pas incorporé dans le budget, ni dans la dette publique, jusqu’à ce que quelque chose se passe mal. Enfin, le gouvernement belge a repris pour 4,2% du PIB de crédits toxiques, comparé à une moyenne de 0,6% dans la zone euro.

24. L’OCDE a également cartographié l’étendue des mesures de redressement, ce que l’on appelle “fiscal packages”. Les États-Unis ont introduit le plan de relance de loin le plus large, à peu près 5,6% du PIB de 2008. En termes relatifs, seuls la Chine (6,2%) et le Brésil (5,6%) l’ont dépassé. Dans la zone euro, le Luxembourg et l’Espagne ont le plan de relance le plus important en termes relatifs à 3,9% du PIB en 2008. En Allemagne et en Finlande aussi, l’impact cumulé des plans de relance est estimé à plus de 3% du PIB de 2008. Le plan en Belgique est estimé à 1,4%. C’est devenu une série de mesures visant à limiter les dégâts. Les plans de redressement belges se lisent comme un catalogue de réductions des charges, entres autres sur le travail en équipes et le travail de nuit, l’exemption du précompte professionnel, des incitations fiscales, des accélérations d’investissements publics,… pour un total de 1,76 milliard d’euros. Et aussi un ensemble de “mesures pour le pouvoir d’achat” d’un montant de 1,9 milliard €, dont 1,15 milliards pour l’indexation des barèmes d’imposition, qui avait déjà été promise depuis longtemps, et une réduction sur les factures d’énergie, une augmentation des pensions les plus basses, et des “jobkorting”, ainsi que la liaison au bien-être des allocations sociales, qui avait aussi déjà été promise depuis longtemps. La seule mesure pour le pouvoir d’achat vraiment nouvelle était l’augmentation des allocations de chômage temporaire.

25. Pendant que les entreprises instrumentalisaient la crise pour pouvoir restructurer à leur gré, le gouvernement faisait chanter les dirigeants syndicaux sur les négociations interprofessionnelles (AIP) pour 2009-2010 sur les salaires, en les liant à l’accord sur la liaison des allocations sociales au bien-être, la simplification des plans d’emploi, l’augmentation de l’allocation des nombreux chômeurs techniques et la réduction fiscale sur les heures supplémentaires et les primes d’équipe. Les dirigeants syndicaux ont abandonné leur revendication d’augmentation du salaire brut et accepté une norme salariale limitée à l’indexation, pourvu qu’un bonus salarial de 125 € en 2009 et de 250 € en 2010 soit payé. De plus, un financement par enveloppe a été introduit, ce qui fait qu’un meilleur accord dans un secteur doit être compensé par un accord moins bon dans un autre. En contrepartie de cette “concession”, les patrons ont reçu une réduction de charge supplémentaire linéaire pour le travail en équipes et les heures supplémentaires. Au total, cette “proposition” rapporte plus d’1 milliard € de moyens publics aux patrons. Selon le rapport du Conseil central de l’Economie (CCE), le tout compris, ces diminutions des charges patronales et des subsides salariaux rapportent comparé en ’96 au patronat 8,4 milliards d’euros en 2009, alors qu’en 2008, c’était 7,8 milliards d’euros. Cette année-ci, cela devrait atteindre 8,9 milliards d’euros. Ainsi, les subventions salariales incluent également les chèques-services qui coûteraient à la communauté près d’1 milliard d’euros cette année-ci.

26. Ce qui a eu lieu l’année dernière était un transfert sans précédent de la richesse de la communauté vers les entreprises et les institutions financières intoxiquées par leur dépendance aux jeux d’argent. Pour l’instant, il semblerait qu’ainsi, la chute libre de l’économie se soit arrêtée. Les prochaines années, nous devrons payer la facture dans les entreprises et les services publics. Les salaires, les pensions, les indemnités de maladie, les allocations de chômage,… rien ne pourra échapper à la vague d’assainissements. Les spéculateurs sont déjà de retour au travail. 2009 a de nouveau été une année de taureaux à la bourse (un courant haussier en bourse est symbolisé par le taureau et un courant baissier par l’ours). Avec la spéculation, les prix des matières primaires montent de nouveau en flèche. Les restrictions sur les parachutes dorés et les bonus, dont on a beaucoup parlé, restent marginales. En même temps, le pouvoir d’achat continue à être miné par le chômage de masse et le tissu industriel est affecté de façon permanente. Autrement dit, l’injection massive dans le monde financier et entrepreneurial a été principalement puisée dans l’économie réelle et pompée dans le virtuel, où les bulles gonflent à nouveau. Combien de telles opérations de sauvetage l’économie réelle peut-elle se permettre ? “Toutes les flèches ont été en effet tirées, toute la poudre est épuisée”, expliquait dans De Tijd Peter Vanden Houtte d’ING.

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