Le nouveau visage de l’Europe – L’art de l’hypocrisie

Pour repeindre en rose une situation difficile, la bourgeoisie est capable de beaucoup d’imagination. L’Obamania autour du premier président américain de couleur n’est pas encore retombée que notre pays donne naissance à son propre super-héros. Relooké en «Herman aux haïkus», la «souris grise» Van Rompuy a été élu par les dirigeants européens au poste prestigieux et lucratif de président européen. «Un grand honneur pour le pays, pour le parti et pour Herman lui-même», selon Marianne Thyssen, la présidente du CD&V. Le fait qu’il ait pu piloter notre pays à travers l’orage communautaire a sans aucun doute joué en sa faveur.

Par Eric Byl

Son concurrent Tony Blair n’avait aucune chance. La Grande-Bretagne ne fait pas partie de la zone Euro et la fraction social-démocrate au Parlement Européen est plus petite que celle du Parti Populaire Européen. Sarkozy et Merkel préfèrent attirer l’attention sur eux que de la partager avec un autre «grand format». Mais, surtout, le positionnement de Blair en faveur de la guerre en Irak aurait affaibli l’image de l’Europe, très certainement au Moyen-Orient, et encore plus à côté d’un Obama. Il est cependant possible que la candidature de Blair avait pour but de positionner Catherine Ashton au poste de Ministre de l’Extérieur. Face à tous les autres candidats, «l’habitude de faire des compromis» a été décisive.

Van Rompuy est un rusé renard. Yves Leterme – «l’homme aux 800.000 voix» – et Didier Reynders – l’homme en vue de la plus grande famille politique du pays – devraient tirer des leçons de son manque d’ambition étalé. «Ils ne sont pas à la hauteur» : voilà le jugement destructeur que la génération de politiciens plus âgés (les Martens, Dehaene et Van Rompuy) portait il y a un an sur ses héritiers politiques. La souris grise, dont la carrière paraissait s’être terminée 10 ans plus tôt, a du prendre le relais de Leterme en catastrophe. Le «Flamand travailleur» avec son arrogance, ses gaffes à répétition et son air de Calimero a fait place à la poésie et à une pondération feinte. Van Rompuy était un choix sûr pour la bourgeoisie car il avait démontré sa loyauté envers sa classe en tant que Ministre du Budget après la crise économique de ‘93.

En tant que Premier Ministre, Van Rompuy a apporté la stabilité. Son accord sur le budget a été applaudi par les dirigeants syndicaux et par le PS, malgré les lourds assainissements aux dépens des travailleurs. La durée de vie des centrales nucléaires a été prolongée, avec pour seule opposition quelques protestations verbales d’Ecolo, de Groen et du SP.a. Van Rompuy a aussi débloqué le dossier sur l’asile. Il n’a pas encore conclu un accord sur BHV ou sur la réforme de l’Etat mais, en véritable homme d’Etat, il a recréé un climat propice à la discussion, en mettant fin aux ultimatums et en restaurant le CD&V en tant que parti. Un petit coup de pouce de la part de l’Europe est donc plus que le bienvenu.

Les réactions des partis gouvernementaux sont généralement alignées sur celle de Verhofstadt : «C’est bien pour la Belgique que ce soit un compatriote qui remplisse une fonction-clé dans le processus décisionnel européen». Avec «Herman aux haïkus», la Belgique devrait obtenir plus d’influence en Europe. Ca se pourrait, mais nous pensons que c’est l’Europe qui, via Herman, obtiendra encore plus d’emprise sur Bruxelles et sur le CD&V. Si Leterme revient en tant que Premier Ministre, il va devoir tenir compte de cela. On s’attendra à plus de loyauté de la part de Leterme vis-à-vis de la Belgique et de l’Europe et certainement pas à la répétition des précédents épisodes d’aventurisme flamand.

Bart De Wever, en tant que dirigeant de la N-VA, a décrit comme une véritable gloire le fait que Van Rompuy ait été appelé par l’Europe en tant que «Flamand». «Il est juste dommage que le Flamand à la tête de l’Union Européenne soit un si «bon Belge»», grogne le Vlaams Belang. Selon le PS, les dirigeants européens ont reconnu «en Herman Van Rompuy un homme de grande sagesse (…) une garantie de sérieux pour l’avenir de l’Europe». Groen «se réjouit pour la Belgique», maintenant que Van Rompuy déménage vers l’Europe.

Nous ne savons pas si les politiciens vont parvenir à un accord sur BHV et sur la réforme de l’Etat, mais avec un Leterme affaibli, une telle chose n’est pas entièrement exclue. Le mouvement ouvrier et les syndicats ne doivent toutefois pas se leurrer: l’objectif de cette Europe, comme de Leterme, de Reynders et de Van Rompuy, est et reste de faire payer la crise aux travailleurs, que ce soit dans le cadre de l’Europe, de la Belgique ou celui des régions.


PS : En tant que Premier Ministre, Van Rompuy a gagné 216 000 € par an. En tant que Président européen, il passe à 360.000 € par an, imposés à seulement 25% par l’UE.

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