La relocalisation de l’économie : une voie sans issue

Pour répondre à la crise de l’économie, une partie des écologistes radicaux, proposent de relocaliser l’économie. Dans le secteur de la production alimentaire, cela se traduit par le « consommer local » : tenter de réduire la chaine de production qui éloigne le producteur du consommateur… Ce genre d’idées, aussi bucoliques soient elles, ne tient pas compte des lois propres au système capitaliste et de l’une d’entre elles en particulier : la soif de profits.

Par Alain (Namur)

Il y a déjà plusieurs décennies, Rosa Luxembourg faisait remarquer à propos du système capitaliste: «le capitalisme ne peut pas s’accommoder de minuscules Etats, de la dissémination économique et politique ; il a besoin, pour son épanouissement, d’un territoire, grand au possible, homogène à l’intérieur et d’une civilisation spirituelle sans quoi les besoins de la société ne peuvent être élevés au niveau correspondant à la production capitaliste de marchandises, et faute de quoi de la domination de classe de la bourgeoisie est incapable de fonctionne…». (La crise de la social-démocratie, Rosa Luxembourg).

Cela nous éclaire sur les lois internes du système, qui n’ont pas changé depuis. Les conditions objectives dans lesquelles nous vivons actuellement sont le résultat des lois internes de la superstructure, et dans celle-ci, la configuration actuelle est aussi le résultat de la lutte des classes. En clair, la manière dont sont produites les marchandises destinées à la consommation humaine ou animale (secteur agricole), sont le fait de la production capitaliste. Ce système, de manière intrinsèque, est amené à des contradictions insolvables en interne. Ce qui explique les crises de surproductions et la détresse des petits paysans. (Voir notre article sur la crise de surproduction dans l’agriculture).

La solution serait-elle alors de retourner à l’état antérieur de la production capitaliste, où il y avait un grand nombre de producteurs qui portaient leurs marchandises sur un marché national largement protégé par des barrières douanières ? On peut même pousser le trait plus loin – certains écologistes radicaux n’hésitent pas à le faire – on peut encore retourner plus loin en arrière et retourner au temps béni où chaque personne avait son verger, sa vache, ses terres et vivait en autonomie. Il faut retrouver dans l’histoire où se trouvent ces périodes bénies car, jusqu’à il y à peu, les guerres, les famines et les disettes n’étaient pas rares en Europe occidentale ! L’époque où les suzerains prélevaient la tonlieue et le clergé la dime n’est pas à regretter…

Il est illusoire de penser pouvoir faire machine arrière par rapport au développement capitaliste. Dans le Manifeste du parti communiste, une partie est consacrée à ce genre de prise de position politique. Marx et Engels appellent ça le socialisme petit-bourgeois. Dans la configuration politique actuelle, on peut classer dans cette branche différentes tendances : anarchistes, écologistes radicaux, décroissants. Cette tendance trouve sa base matérielle dans le fait qu’au gré du développement de l’industrie s’est formée une couche sociale qui flotte entre la classe des travailleurs et la bourgeoisie. Au gré des crises, de plus en plus de petits-bourgeois se prolétarisent et deviennent mécontents du système.

Les marxistes reconnaissent que certains de ces mouvements ont analysé avec pertinence les contradictions inhérentes aux rapports de productions modernes. Dans le manifeste, il est même dit : « il, (le socialisme petit-bourgeois, NDLA), a démontré de manière irréfutable les effets destructeurs du machinisme et de la division du travail…. Les disparités criantes dans la répartition de la richesse, la guerre d’extermination industrielle des nations entres elles, la dissolution des mœurs anciennes, des rapports familiaux anciens, des nationalités anciennes ». Marx et Engels ajoutent de manière très juste et lapidaire : «d’après son contenu positif toutefois, ce socialisme veut ou bien restaurer les moyens de production et de communication du passé et avec eux les anciens rapports de propriété et l’ancienne société, ou bien enfermer à nouveau de force les moyens de communication moderne dans le cadre des anciens rapports de propriétés qu’ils ont fait éclater… dans les deux cas il est à la fois réactionnaire et utopique. »

De manière plus concrète à présent, que veut dire le slogan « consommer local » : préférer acheter le lait à la ferme voisine, aller chercher ses fruits chez le producteur d’à côté, ses légumes chez le maraîcher du coin, préférer les marchandises produites sur le sol national. Bien que ça sente à plein nez le patriotisme et la fierté nationale, cela pourrait encore fonctionner pour des produits peu manufacturés : lait, pomme de terre, fruit, légumes…

Cependant, lorsque l’on pense à des produits de consommation courante comme le riz, les tomates, les bananes, l’exemple du consommer local perd un peu de sa force car je n’ai pas vu beaucoup de rizières en Belgique et peu de plantations de café. Face à cela deux solutions : on ne consomme plus que des produits locaux ou on fait produire par nos locaux ces produits quel qu’en soit le coût écologique.

De plus, même si les transformations que doivent subir ce type de produits sont réduites, on doit intégrer le fait qu’il faudra en cas de consommation locale intégrer dans le coût de production de l’agriculteur : le conditionnement, la publicité, les frais de contrôle qualité, les salaires des travailleurs préposés à la vente… Ceci alors qu’un des problèmes actuels que rencontrent les exploitants, c’est l’augmentation des coûts de productions. Les prix d’achat des moyens de production dans l’agriculture ont augmenté, par rapport à 2005, de 13,24% en 2006, et de 39,99% en 2008 ! Peu d’agriculteurs seraient capables de réaliser les investissements nécessaires au vu du niveau d’endettement de la profession.

Un autre aspect de cette question peut se traduire ainsi : si vous voulez donnez du goût à votre thé, vous ne mettez pas de la betterave dans votre tasse, mais bien du sucre qui est produit à partir de cette dernière. Pour les produits qui demandent une transformation (sucre, viande, pain, fromage…), une industrie de transformation est nécessaire. On peut partir de la même idée et se dire que les industries de transformation ne vont plus accepter que les produits locaux et vendre sur le marché national. Au revoir les Kraft Food, les Nestlé et compagnie. Un bémol cependant, il faudrait tout d’abord s’assurer que la consommation nationale correspond au niveau de la production nationale actuelle. On peut déjà constater en regard de la situation actuelle que c’est une idée qui détruirait encore plus le secteur. Avec les taux d’auto-approvisionnement que nous connaissons, ne rester que sur le marché local, c’est se tirer une balle dans le pied.

Pour les pommes de terre, on est à 250,67% d’auto-approvisionnement ; pour le lait on est à 149,93% ; pour les œufs on est à 107% d’auto-approvisionnement. Cela veut dire que consommer local, c’est se fermer les portes de l’exportation et renforcer la crise de surproduction sur le terrain national. Les produits que l’on ne produit pas nous-mêmes (par exemple : la vanille) sont importés de manière peu transformée pour être incorporés dans un produit destiné à l’exportation (par exemple : la glace). La transformation génère une plus-value qui au final est intéressante en terme de balance commerciale.

On objectera qu’on peut ajuster la production, mais cela veut dire réduire encore le nombre de producteurs. On peut aussi ajuster la consommation à la capacité de production nationale si le problème de sous-capacité productive se pose, mais cela veut dire alors de devoir forcer les gens à modérer les achats ; la seule manière de faire, c’est de laisser le marché national jouer et donc les prix des marchandises qui sont en « manque » seraient plus chers. En gros, le retour des disettes sous une autre forme.

Une autre question qui n’est pas résolue par le slogan « consommation locale », c’est le fait que la production locale n’est pas nécessairement verte. En fait, la part de la production verte se résume à une portion congrue : le nombre d’exploitations bio est en augmentation constante depuis une dizaine d’années, pour arriver à 803 exploitations en 2008. Mais cela reste marginal par rapport aux nombres d’exploitations qui restent en agriculture classique malgré leur diminution en termes de nombre total : -48.013 en 2007. Cela veut dire que consommer chez le sympathique producteur local, ce n’est pas encore la solution pour sauver la planète. À moins de ne consommer que les produits issus de l’agriculture bio, ce qui entrainera un afflux de capitaux dans ce secteur et il se produira alors le même phénomène que dans les autres secteurs de l’agriculture.

On voit que d’une part, ces solutions, pour être à peu près viables, appellent au protectionnisme, mais aussi à une certaine forme de contrainte morale par rapport au produit qu’il est bon de consommer. Les décroissants raillent les marxistes dans le sens qu’ils réduisent les hommes à leurs simple situation de travailleurs, mais eux-mêmes réduisent l’homme à un consommateur individuel qui n’a que sa consommation pour influer sur les mécanismes économiques. En plus d’être réducteur, c’est ignorer tout les moyens dont le capitalisme dispose pour se maintenir et faire face à des individus pris isolément.

On le voit, sur base capitaliste, il est impossible de trouver une solution aux problèmes rencontrés dans le secteur agro-industriel. Les illusions dans la relocalisation de l’économie à partir de « nano » expériences (qui ne sont absolument pas généralisables dans le contexte actuel), montrent la faiblesse théorique des socialistes petit-bourgeois de nos jours. Dans leur vocabulaire actuel, on sent le défaitisme et le manque de confiance dans l’instinct révolutionnaire de la classe ouvrière. En réalité, ils veulent changer la société actuelle pour maintenir leur propre position de petit-bourgeois. Cela se traduit par le fait qu’ils parlent rarement d’attaquer frontalement la société de classe actuelle et les rapports de production existants.

Il faut se débarrasser du système capitaliste et instaurer une société socialiste qui puisse répondre aux besoins de la population par une économie démocratiquement planifiée.

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