Le NON irlandais et la propagande des médias

Rien que des mensonges

Dans la presse, depuis vendredi dernier, c’est à qui qualifiera le plus les Irlandais d’égoïstes pour avoir rejeté le Traité de Lisbonne. Dans ce cadre, l’éditorial de l’édition du Soir du week-end dernier (« Référendum irlandais et roulette russe », samedi 14 et dimanche 15 juin 2008) a réussi le tour de force d’être le pire que ce quotidien ait publié depuis l’époque du Pacte des Générations. Un grand bravo à son auteur, Maroun Labaki, à qui nous voulons expliquer l’une ou l’autre chose. Rions un peu…

Nicolas Croes

De la part du journaliste principalement chargé des affaires européennes au Soir, certains auraient peut-être attendu quelque chose de différent des habituelles diatribes contre les « Irlandais qui n’ont rien compris ». Et pourtant non. Mr Labaki enchaîne dans son billet des critiques qui ne font que confirmer son attachement aux valeurs chères à l’establishment: la mauvaise foi et l’arrogance.

Un traité pour faire quoi ?

« Depuis le début, l’Europe avance par à-coups. Avec le « non » irlandais, la prochaine embardée a été remise à plus tard. Mais face aux défis, pouvons nous encore attendre ? » Car, visiblement, c’est d’urgence qu’il s’agit ici. Mais urgence pour faire quoi ? Là est la vraie question à laquelle Mr Labaki, sans se distinguer de ses collègues, n’apporte aucune précision. Le fil conducteur entre tous les articles de la presse traditionnelle sur l’Europe est qu’il lui faut avancer. Dans quelle direction ? Et à quel prix en termes de lest jeté par-dessus bord ? L’Union Européenne apparaît sous la plume des journalistes comme un absolu abstrait contre lequel toute critique est mauvaise simplement du fait d’exister.

« Pour nos beaux yeux, Chinois et Indiens vont-ils appuyer sur leur touche « pause » ? Les glaciers vont-ils se remettre au garde-à-vous ? La flambée des prix de l’énergie va-t-elle tourner au feu de paille ? La vague islamiste va-t-elle retomber en d’aimables clapotis ? » Cela en surprendra plus d’un, mais le Traité de Lisbonne permettait de faire tout ça. S’il était sincère en écrivant ces lignes, Mr Labaki sera honteux d’apprendre que plutôt de sauver le monde d’une multitude de problèmes (bien mal posés de cette manière d’ailleurs), le Traité de Lisbonne avait pour vocation de participer activement à la détérioration des conditions de vie de la majorité de la population. Explications :

  • L’article 188c.4 du traité de Lisbonne supprime le droit de veto, excepté dans des « circonstances exceptionnelles », que peut exercer chaque pays membre contre le fait de pouvoir être forcé d’ouvrir la Santé, l’Education, et les services sociaux, de même que les services culturels et audiovisuels à l’intervention des multinationales, si une telle proposition émerge d’un accord de l’OMC. En clair, avec un vote à la majorité, cela signifie la possibilité pour le patronat de privatiser les parties les plus rentables de ces services. Avec les conséquences que l’on a déjà pu voir dans plusieurs domaines : nombreux sont ceux qui se rappellent que l’énergie devait être moins chère après la libéralisation du secteur…
  • Le protocole n°6 du Traité de Lisbonne déclare : « le marché intérieur comme établi dans l’article 1-3 doit assurer un système où la concurrence n’est pas faussée ». Et l’article 189 mandate l’UE pour assurer « l’abolition progressive des restrictions sur le commerce international et l’investissement direct étranger ». Cela veut dire que le droit pour les capitalistes du privé de commercer, faire du profit et exploiter devient un droit supérieur à tous les autres. Cool.
  • L’article 27.3 du Traité stipule que « chaque Etat membre doit s’efforcer de progressivement augmenter ses capacités militaires ». Il demande également plus de recherche et l’extension de l’industrie d’armement. Sans commentaires.

Vive la démocratie !

Mr Labaki, qui ne se rend pas bien compte de ce qu’il écrit ou n’a vraiment pas peur du ridicule, continue ensuite en déclarant : « «L’imagination au pouvoir»: plus que jamais, il faut espérer que nos dirigeants et nos experts en droit rivalisent de créativité. Pour que le Traité de Lisbonne, mort juridiquement ce vendredi 13, survive politiquement. » On se demande quelque peu à quoi cela sert de faire un référendum si c’est pour s’assoir dessus juste après. Mais bon, ce n’est pas la première fois que le respect de l’avis de la population est sacrifié par l’Union européenne. En 2001, le Traité de Nice avait été rejeté en Irlande, puis avait été soumis une nouvelle fois au référendum en 2002, sous prétexte que la participation n’avait pas été suffisante la fois précédente (35%). Manque de bol, vendredi 13 aidant peut-être, l’argument ne vaut plus cette fois-ci: le taux de participation a été de 53%.

« Les Irlandais avaient évidemment le droit de dire «non». » Précision utile, parce que cela ne ressortait pas limpidement des quelques dernières lignes… « C’est démocratique. » C’est bien vrai. « La démocratie est cependant relative quand moins d’un million de citoyens imposent leur véto à un demi-milliard d’autres. » Patatras! Chassez le naturel et il revient au galop! Il faudrait quand même expliquer une bonne fois pour toute aux zélés (et fêlés) défenseurs du traité – dont une des caractéristiques principales est une mauvaise foi digne du Guinness Book – que les Irlandais n’ont pris en otage personne. Ils ont juste été les SEULS à qui on a demandé leur avis (et encore, sous obligation constitutionnelle et pas de gaité de cœur). Donc, pour être vraiment clair, sur la totalité des personnes qui ont été impliquée dans la décision, une majorité c’est prononcée contre. Point. Une majorité. Dans les autres pays, ce sont les parlementaires qui ont imposé leur vue à la population, en se gardant bien de susciter un véritable débat public. L’argument de la « minorité d’Irlandais contre le reste de l’Europe » n’a de valeur que comme exemple révélateur de la malhonnêteté intellectuelle de ceux qui y ont recours. Mais la vérité est, comme la démocratie, toute relative…

« Au demeurant, c’est surtout la manière qui heurte. Bien sûr, l’Europe a ses défauts et le traité de Lisbonne est un chef d’œuvre de complexité. Tous, nous le voudrions plus glamour. » En termes de complexité, les 3 points repris ci-dessus expliquent très facilement la nature du Traité. La complexité n’apparaît que quand on veut faire avaler le texte en masquant sa finalité. Mais alors, le truc du « glamour », ça, c’est pas mal. Une expression pareille, ça veut dire quoi ? « Qui possède un charme sensuel. » Que Mr Labiki ne s’en fasse cependant pas, pour le patronat, ce texte avait du charme à revendre. L’image des euros tombant par centaines de milliers, par millions, sur leurs comptes en banque est tout à fait sensuelle aux yeux des capitalistes. Mais rien ne sait être charmant à la fois aux yeux des travailleurs et à ceux des patrons qui les exploitent. Il faut choisir. Mr Labaki, lui, a choisi.

« Mais à quoi les Irlandais ont-ils vraiment dit «non»? Nous devons à l’évidence chercher la réponse dans l’hétérogénéité du «non». Comme s’il s’agissait d’un grand défoulement collectif, ils ont dit «non» : à la mondialisation, à l’Europe bruxelloise, aux étrangers, aux pouvoirs, à la vie chère, à la vie moderne, à tout. » On pourrait rajouter « non » aux médias, qui tous étaient derrière le « oui » et qui, comme ici, ne servent que de collection de courroies de transmissions à la classe dirigeante. Certes, le camp du « non » n’était pas homogène. Mais, comme en France et aux Pays-Bas en 2005, c’est des quartiers ouvriers et des populations les plus pauvres que le « non » a surgit, de ces fondements de la société qui créent les richesses sans pouvoir en profiter. C’est ce genre de vol légal, basé sur la propriété privée des usines, entreprises, etc. qui a été rejeté. Se masquer derrière les gugusses nationalistes que les médias ont instrumentalisés pour cacher l’expression de classe du « non », c’est tomber dans une facilité qui semble plaire particulièrement à Mr Labaki, tout au long de son article en tout cas.

« Il y a un vrai problème avec ces référendums occasionnels, qui permettent les plus extravagants parasitages du débat public. » Eh oui, grande découverte : lorsqu’on demande son avis à la population, elle le donne, et pas nécessairement dans le sens qu’aimerait le pouvoir en place. « On se souvient que, en 2005, les Français et les Néerlandais avaient envoyé le projet de Constitution Européenne par le fond. A l’époque, on avait déjà dit qu’ils avaient voté sur le contexte davantage que sur le texte. » C’est que ce genre de texte détermine le contexte ; le contexte de privatisation, de néolibéralisme, de pauvreté croissante et de richesse accaparée par une minorité arrogante dont Le Soir, entre autres, s’érige en défenseur.

On en arrive enfin à la conclusion, qui vaut de l’or et qui serait en droit de rejoindre la mauvaise foi susmentionnée au livre des records, dans la section consacrée au grotesque. « La politique et l’Europe sont choses sérieuses. Sauf le respect dû aux Irlandais, cessons de jouer à la roulette russe des référendums – dès lors qu’ils n’appartiennent pas réellement à nos traditions démocratiques. Et laissons nos parlementaires faire ce pour quoi nous les avons élus. » Merveilleux. Voilà une belle vision de la démocratie, voilà le portrait d’un défenseur du traité de Lisbonne. Cela est en soi un argument supplémentaire pour le « non ».

Note : Aussi incroyable que cela puisse paraître, rien n’a été changé dans le texte de Mr Labaki, repris dans cet article intégralement et dans l’ordre.


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