“Une attaque contre un délégué, c’est une attaque contre nous tous”

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Entretien croisé avec Jordan Croeisdaerdt et Wouter, un collègue d’Anvers

Pour le gouvernement Michel le démantèlement des chemins de fer est un dossier phare. Le Plan Galant doit préparer la poursuite de la libéralisation et de la privatisation progressive du rail. A cette fin , il est crucial de s’attaquer à la résistance syndicale. Depuis les grèves d’octobre, la direction a systématiquement eu recours à la police, aux huissiers de justice et à la menace d’astreintes. Dix jours après la grève de 48 heures des 6 et 7 janvier 2016, Jordan Croeisaerdt – accompagnateur de train, délégué syndical et vice-président de la CGSP cheminot Bruxelles – a reçu une astreinte de 1700€ chez lui à domicile. A cette occasion Lutte Socialiste discuté avec lui et Wouter, un collègue accompagnateur de train de la CGSP – Anvers.

Par Eric Byl



Le lundi 4 avril aura lieu le procès contre INFRABEL !

Rendez-vous ce lundi à 9h au Palais de justice de Bruxelles, Place Poelaer. Ce procès a pour but de trancher en justice concernant la requête unilatérale que le gestionnaire de l’infrastructure à introduit afin de brider le mouvement social que les cheminots ont entamés contre le plan de démantèlement du chemin de fer programmé par la ministre Galant ces 6-7 janvier derniers.
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“La direction veut s’en prendre à un délégué qui défend les droits de ses collègues”

Jordan: ‘‘Je suis victime d’une attaque sur deux fronts. On veut m’imposer une astreinte mais une enquête interne a parallèlement été lancée à mon encontre. La direction veut s’en prendre à un délégué syndical qui défend les droits de ses collègues, qui contrôle systématiquement la direction concernant les congés et les dysfonctionnements et qui signale les trains qui ne sont pas en ordre. C’est évidemment inquiétant. Parfois, la sécurité est mise sous pression pour respecter les normes de productivité. Parfois, ils prennent des mesures telles que le nouveau plan de transport, qui peut bien passer pour une réduction globale des frais mais qui finalement va coûter plus cher.

‘‘On me reproche à tort d’interpréter strictement les règles. Comme tous les accompagnateurs de train, je tente de faire mon boulot correctement. J’ai 12 ans de service impeccable derrière moi. La hiérarchie le reconnaissait jusqu’il y a peu, mais elle tente maintenant de monter un dossier contre moi.

‘‘Ils ne peuvent rien me reprocher. J’ai le soutien total de mon syndicat qui considère mon audition avec la direction comme du harcèlement moral dans l’intention de me briser mentalement. Ils ont même été jusqu’à ouvrir mon casier personnel. C’est illégal et en violation de la Constitution et des conventions européennes qui régissent le droit au respect de la vie privée et familiale sur le lieu de travail. Peut-être espéraient-ils, en vain, y trouver des torches rouges pour ensuite m’accuser de les avoir volées. En tant que délégué, je garde aussi des dossiers personnels que des collègues m’ont confiés. Ce n’est pas pour rien que la régionale de la CGSP-Cheminot à Bruxelles est scandalisée à ce propos. Soit dit en passant, c’est arrivé alors que j’étais malade! Si nous laissons passer ça, demain tous les délégués passeront à la trappe.

‘‘Il faut aussi garder en tête que l’astreinte ne m’a pas été signifiée personnellement sur le piquet de grève lui-même, mais dix jours plus tard, chez moi. Cela ne s’est jamais vu auparavant. Cela signifie que quelqu’un a donné mon nom. L’astreinte concerne également un lieu qui n’a même pas été mentionné dans l’ordonnance. Tous les témoins ont déclaré que la version d’Infrabel des événements survenus au piquet n’est pas correcte. Le 1er avril, la question de l’astreinte sera traitée en justice, et trois jours plus tard viendra l’appel contre la requête unilatérale qui a conduit à l’astreinte. Jusqu’à cette décision, la CGSP-cheminot nationale prend à sa charge les frais de justice ainsi que, si nécessaire, le paiement de l’astreinte.”

Une politique thatchérienne pour briser les syndicats

Wouter: ‘‘Une attaque contre un délégué syndical est une attaque contre nous tous. Cela fait partie de la politique thatchérienne pour briser les syndicats. Nous devons mener la bataille juridiquement, mais nous aurons également besoin de construire un rapport de force en notre faveur. Le gouvernement et la direction vont exploiter toutes les faiblesses possibles chez nous. Le fait que les grèves régionales d’octobre n’aient pas été menées en front commun syndical a été saisi comme occasion par les directions pour envoyer la police et les huissiers.

‘‘Pour leur résister, nous aurons à lutter tous ensemble. En janvier, nous avons tenu un piquet de grève symbolique à Anvers pour clarifier que des cheminots en Flandre voulaient eux aussi faire grève. A notre dépôt, finalement plus de 40% des travailleurs ont fait grève en dépit de la confusion concernant la participation des syndicats à la grève en Flandre.

‘‘C’est parce que les enjeux sont énormes. Prenez la décision d’aller vers 20% des trains sans accompagnateur. Au Royaume-Uni, plus de 30% des trains roulent actuellement sans accompagnateur et il est question d’aller jusqu’à 50%. 70% des incidents se produisent dans des trains sans accompagnateurs.’’

Jordan: ‘‘On parle souvent des agressions et de la sécurité à ce sujet, mais il s’agit de beaucoup plus. Il s’agit aussi de l’assistance aux personnes handicapées, de réagir aux arrêts cardiaques, d’annoncer les correspondances,… L’accompagnateur de train, c’est une personne de référence.’’
Wouter: ‘‘Chaque année, je dois faire appel au centre d’appel des opérations de sécurité pour les services d’urgence au moins une fois. A un moment parce que le conducteur avait perdu connaissance, à un autre parce qu’une passagère a subi une crise cardiaque. Dans les deux cas, les services d’urgence ont heureusement été prévenus à temps.’’

Jordan: ‘‘La direction essaie à tout prix de brouiller le message, en accordant les congés syndicaux petit à petit ou en criminalisant les syndicalistes, en les faisant passer pour des terroristes. C’est normal qu’il y ait discussion, nous devons y consacrer le temps nécessaire, sur les lieux de travail et avec les collègues des autres secteurs qui sont souvent confrontés à des problèmes similaires.’’

Wouter: ‘‘Parfois, nous supposons trop vite que les collègues sont prêts à partir en action. Nous avons besoin de davantage de réunions du personnel afin de prendre le temps de convaincre. Parfois, des collègues posent des questions légitimes, expriment leurs doutes, mais nous avons à peine le temps pour répondre en profondeur. Nous devons y consacrer plus d’attention à l’avenir avec les syndicats car nous aurons besoin de tout le monde. La direction n’a pas encore concédé le moindre millimètre dans les négociations. Le nouveau protocole d’accord social prévoit la suppression de 2.300 emplois d’ici fin 2018, mais tant Infrabel que la SNCB lient cette réduction du nombre d’emplois à des conditions impossibles, qui se contredisent les unes les autres. Infrabel veut faire payer plus à la SNCB, tandis que la SNCB veut exiger un gel des prix d’Infrabel pour respecter le nombre d’emplois promis.’’

Jordan: ‘‘Ce qui se passe sur le rail n’est pas si différent de ce qui se produit dans d’autres secteurs. Le Gentlemen Agreement 2.0 qui a heureusement été rejeté par les syndicats prévoyait, par exemple, d’interdire le blocage des zonings industriels. Bientôt, nous devront faire des grèves de gentlemen où nous ne pourrons qu’être présents à l’entrée des entreprises en accueillant amicalement tous ceux qui veulent travailler. Le droit de grève est ainsi réduit à une matière individuelle, où la pression de la direction sur chaque employé pris individuellement peut être utilisée pour briser une action collective.’’

“Les cheminots ne pourront pas stopper ce gouvernement à eux seuls”

Eric : ‘‘La CGSP administrations locales et régionales de Bruxelles ou encore la CGSP-Enseignement, mais aussi des organisations politiques, des individus et un comité de soutien à Bruxelles sont montés aux remparts pour s’opposer à l’astreinte imposée à Jordan. Il serait bon que les syndicats rassemblent toute cette énergie disponible puisque ce dossier dépasse la question de Jordan, celle du rail et même tout le mouvement ouvrier dans sa totalité. Qu’en pensez-vous ?’’

Jordan : ‘‘Quand on parle de communication, nous pensons presque exclusivement à la presse. Cela fait partie de la communication, mais nous avons aussi et surtout besoin de communiquer avec nos collègues des autres secteurs et de l’autre côté de la frontière linguistique. La maison syndicale doit être ouverte, à mon avis. Les cheminots ne pourront pas stopper ce gouvernement à eux seuls, et encore moins le faire tomber. Je pense que c’est très bien qu’il y ait un comité de soutien, en tant qu’expression de la coopération et de la mise en commun des mouvements de lutte. C’est d’une grande aide que chacun connaisse la réalité de terrain des autres. Nous avons besoin de ces réseaux. Nous souffrons encore tous trop du syndrome de Stockholm. Ce ne sont pas les grévistes qui prennent les passagers en otage mais la direction et le gouvernement, quotidiennement : avec les embouteillages, la dégradation du service, etc. Avec les syndicats, nous nous sommes trop laissé être des otages. En négociant afin d’éviter le pire, nous avons trop accepté un agenda d’austérité. Je crains que ce gouvernement n’exige une stratégie syndicale différente. L’idée que nous pouvons éviter le pire avec la négociation est peut-être de l’ordre du passé. La négociation n’est pas dans l’ADN de ce gouvernement.’’

Wouter: ‘‘Nous devons également avoir une approche différente de nos grèves. Pour occuper une tour de contrôle ou les voies, il faudra plus de grévistes. Nous devrons mieux nous préparer, engager le débat de façon plus intensive et utiliser les réunions du personnel non seulement pour discuter des mesures contre lesquelles nous devons résister mais aussi pour démocratiquement décider de la tenue de nos actions et pour les évaluer par la suite. Nous avons également besoin de sortir d’une stratégie défensive. Selon la FEB (Fédération des entreprises de Belgique), une journée de grève des chemins de fer coûte 40 millions d’euros. Pris dans l’autre sens, ce chiffre signifie que le rail contribue chaque année pour 10 milliards d’euros à l’économie, ce qui n’est tout de même pas mal pour une dotation gouvernementale de 3 milliards d’euros. Ce gouvernement de droite a décidé d’octroyer un milliard d’euros de plus de subventions aux voitures de société. Au lieu de se rendre à la table de négociation de manière défensive, et de faire grève une fois de temps en temps pour faire valoir notre point, nous devrions constituer une plateforme de revendications à partir des lieux de travail jusqu’au plus haut niveau et la jeter ensuite sur la table avec un plan d’action conséquent pour assurer que nos revendications deviennent réalité. Je serais curieux de voir si les voyageurs n’y seraient pas non plus favorables.’’

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