Isaac Babel : écrivain soviétique, victime du stalinisme

Ce 13 juillet 2014 marque le 120e anniversaire de la naissance de l’exceptionnel écrivain soviétique Isaac Babel. Son œuvre la plus connue, «Cavalerie rouge», décrit le temps qu’il a passé au sein d’une unité de l’Armée Rouge durant la guerre de 1920 avec la Pologne, mais il a également exploré dans ses écrits la situation des quartiers juifs d’Odessa, en Ukraine, tout en étant impliqué dans le journalisme, la critique littéraire et le théâtre.

Par Andy Ford, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

Babel est né dans une famille de commerçants juifs, pas tellement loin de la maison natale de Léon Trotsky. Tout comme lui, il fut balloté entre les cultures juive et russe et, à un âge précoce, fut exposé à la vie cosmopolite du fameux port de la Mer Noire Odessa.

Ses premiers écrits rappellent le style de l’écrivain français Guy de Maupassant et, en fait, ont été couchés sur papier dans un fin français littéraire. Mais, très rapidement, il a vu son éducation limitée du fait des quotas imposés instaurés par le régime tsariste pour l’éducation des juifs. Il fut témoin de pogroms organisés par le tsarisme, pour qui les Juifs étaient les boucs émissaires de toutes les défaillances de l’État russe, une expérience immortalisé plus tard dans le récit « Histoire de mon pigeonnier ».

Son avenir bouché à Odessa, il déménage alors à Saint-Pétersbourg en 1915, où il se lie d’amitié avec l’écrivain socialiste Maxime Gorki, qui publiait ses histoires dans le style de Maupassant et dont les écrits l’avaient conduit à être condamné pour « obscénité ».

La révolution d’Octobre 1917

« Cavalerie rouge »

Durant la révolution et par la suite, il a officié en tant que journaliste soviétique, jusqu’en 1920 lorsqu’il fut affecté à la 1ère Division de Cavalerie de l’Armée Rouge, une unité de « cosaques rouges » qui a combattu dans la guerre polono-soviétique de 1920. Cette expérience a constitué la base du grand classique qu’est «Cavalerie rouge», largement reconnu aujourd’hui comme l’une des créations littéraires soviétiques les plus étonnantes, mélange d’imagerie lyrique et de descriptions de scènes d’extrême violence ainsi que des horreurs de la guerre.

Il y a décrit sa lutte pour être accepté en tant que Juif, que bolchevique et que cavalier débutant par des Cosaques anarchiques, courageux et parfois brutaux alors qu’ils combattaient ensemble les forces encore plus brutales de l’Etat polonais soutenues par les grandes puissances capitalistes. Une description saisissante d’un coucher de soleil est directement suivie par le compte-rendu de ses tentatives visant à empêcher les Cosaques d’exécuter leurs prisonniers. A férocité de la bataille s’ensuit une scène poignante où Babel lit un texte de la Pravda consacré à Lénine face à un rassemblement des troupes cosaques analphabètes lors d’une halte. Il s’agit d’un récit vivant, choquant et véridique au sujet de la guerre civile.

Le stalinisme

Pareille approche déplaisait bien entendu profondément à la bureaucratie stalinienne naissante. Les bureaucrates staliniens n’appréciaient que très modérément de lire une description véridique de la guerre; ils ne voulaient que du «réalisme socialiste» ou, plus exactement, de la morne propagande sans vie. Après la chute du stalinisme, l’ouverture des archives de l’URSS a notamment révélé qu’un général avait demandé l’arrestation et même l’exécution de Babel. Sa sincérité l’a de plus en plus démarqué au sein du cauchemar de la dictature stalinienne.

Babel était devenu une grande figure de la littérature soviétique mais, comme le temps passait, il a trouvé des plus difficiles de tordre son talent pour qu’il cadre avec les désirs de Staline. Il s’est plus fortement orienté vers le journalisme et le théâtre, certaines réalisées avec Sergei Eisensein, mais a été critiqué pour son «formalisme» et des politiques inappropriées jusqu’à ce qu’il explique en 1934 qu’il travaillait dorénavant « dans le genre du silence ».

Il fut néanmoins arrêté en 1939 et détenu par le NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures). Après trois jours et trois nuits d’interrogatoire, il a «avoué» être un membre d’une «organisation trotskyste anti-soviétique» et a été jugé au cours d’un procès secret de 20 minutes le 26 janvier 1940. Il est revenu sur ses aveux durant ce procès, affirmant qu’ils avaient été extorqués par la force, mais il fut abattu peu de temps après. Ses cendres furent jetées avec celles de dizaines d’autres dans une fosse commune. Ses livres se virent frappés d’interdiction, ils furent détruits, ses notes et manuscrits saisis et son nom fut retiré des encyclopédies soviétiques.

Babel a toutefois été «réhabilité» par Khrouchtchev après la mort de Staline. Sa réputation, tant à l’est qu’à l’ouest, n’a cessé de croître depuis lors.

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