Pour la classe dirigeante, austérité et répression vont de pair

281 personnes ont été brutalement et arbitrairement arrêtées le 15 mai dernier à Bruxelles, en marge d’une manifestation contre le Traité Transatlantique. Photo : Collectif Krasnyi.

Par Nicolas Croes, dossier publié dans l’édition de juin de Lutte Socialiste

Le 15 mai dernier, à Bruxelles, plus d’un millier de personnes (jeunes, syndicalistes, militants associatifs,…) ont manifesté à Bruxelles à l’occasion de la tenue de l’European Business Summit, une rencontre entre autorités européennes et représentants de multinationales où il a notamment été question des négociations du Traité Transatlantique, un projet destiné à créer une gigantesque zone de libre-échange entre Etats-Unis et Union Européenne (1). Alors que les opposants au Traité protestaient tout à fait pacifiquement, pas moins de 281 d’entre eux ont été arbitrairement arrêtés et détenus plus de 7 heures, parfois même après avoir reçu des jets d’autopompes de la police alors qu’ils étaient encerclés et immobilisés. Dérapage policier ? Pas vraiment. Pour défendre nos conquêtes sociales, et en arracher d’autres, il nous faudra nous battre. Le camp d’en face en est bien conscient, et il s’y prépare.

Big Brother is watching us…

Ces arrestations massives ont – brièvement – fait la une de l’actualité, mais le phénomène n’a pourtant rien d’exceptionnel en Belgique. En décembre dernier encore, des dizaines de jeunes qui manifestaient contre un Sommet Européen avaient subi le même sort et, en octobre 2012, 148 militants ont été arrêtés alors qu’ils protestaient contre le ‘’Banquet des riches’’, un prestigieux dîner d’architectes de premier plan de l’austérité européenne. On se rappelle aussi, le 22 octobre dernier, de l’arrestation très violente des réfugiés afghans qui s’opposaient à leur expulsion vers l’Afghanistan. A côté de cela, les conditions se durcissent pour pouvoir organiser une action. Le Bourgmestre de Bruxelles Yvan Mayeur veut ainsi interdire les manifestations le samedi, comme le dénonce la campagne STOP-Répression (2) des Jeunes Organisés et Combatifs (JOC), et il a récemment empêché la tenue d’une action d’Amnesty International dans le cadre d’une visite du premier ministre chinois.

La fine fleur du PS bruxellois s’était donné rendez-vous le vendredi 23 mai au ‘‘grand barbecue’’ de la fédération bruxelloise du PS. Ce rassemblement électoral a été rejoint par plusieurs dizaines de militants venus, pacifiquement, protester contre les arrestations arbitraires massives et la brutalité policière dont ont été victimes les participants à la manifestation du 15 mai. Ils se sont mis à genoux bras derrière la tête pour interpeller le bourgmestre Yvan Mayeur (debout, à gauche), puisque c’est visiblement ainsi qu’il conçoit le débat démocratique. Après une vague tentative de justification, il s’en est bien vite allé… Photo: PPICS

L’arsenal répressif de l’Etat a été renforcé, ce dernier disposant désormais d’instruments comme les Sanctions Administratives Communales (SAC, dont les conditions d’application ont récemment été élargies). Initialement prévues pour lutter contre les ‘‘actes d’incivilité’’ ou la ‘‘petite délinquance’’ (une réponse répressive contre des problèmes sociaux qui pose déjà problème), ces amendes ont aussi été utilisées contre les manifestants arrêtés lors du ‘‘Banquet des riches’’ ou encore en mai 2013, à Anvers, contre 80 manifestants anti-Monsanto. Des syndicalistes présents à des piquets de grève ont aussi déjà été menacés de SAC, et la FGTB a lancé un appel pour rassembler tous les cas où le droit de grève a été ainsi attaqué.

La Belgique ne fait ici que suivre une tendance généralisée qui voit des élites dirigeantes sans solutions pour la crise totalement dépourvues face à la contestation sociale, elles réagissent donc par une répression accrue. En Espagne, la récente loi de Sécurité Citoyenne (Ley de Seguridad Ciudadana) restreint de façon drastique la liberté de manifester et d’expression (avec 55 articles allant de l’interdiction de filmer un policier en action jusqu’à l’interdiction de créer des groupes Facebook basés sur des opinions politiques, ainsi que des amendes tournant généralement autour des 30.000 euros). Contrairement à l’Espagne, il n’y a pas encore en Belgique 6000 manifestations sur une année, mais la répression du 15 mai dernier illustre que les forces répressives se préparent pour la période à venir : plusieurs années sans échéances électorales durant lesquelles une austérité plus sévère sera appliquée par tous les niveaux de pouvoir. Les protestations sociales risquent d’être bien plus énergiques que les habituelles promenades entre la Gare du Nord et la Gare du Midi à Bruxelles…

Aller chercher des croissants peut devenir dangereux…

Les milieux militants ne sont pas seuls à devoir y faire face. Même avant le début de la crise, le tissu social était en pleine déliquescence en Belgique : la pénurie de moyens frappait déjà tous les secteurs sociaux et la situation n’a fait que dramatiquement empirer.

L’acteur David Murgia, ici en représentation lors de la journée “Socialisme 2014. Photo: PPICS

Coupes budgétaires, attaques contre nos salaires et conditions de travail, licenciements, expulsions des allocations de chômage, classes surpeuplées et décrochage scolaire, etc. L’exclusion sociale progresse et avec elle la logique sécuritaire et la politique de contrôle et de répression. Comment une personne sans perspective et à la dérive peut-elle garder un lien social avec la collectivité ? L’insécurité sociale grandit donc et les conséquences qui en découlent servent à justifier plus de contrôle et de répression.

Nous avons déjà évoqué ici les SAC en réponse aux incivilités et à la petite délinquance, mais les voix se font plus nombreuses pour réclamer l’installation de caméras de sécurité, des partis comme le MR défendent l’introduction du Taser (pistolet à impulsion électrique) en Belgique tandis que le procureur-général d’Anvers, Yves Liégeois, préconise d’aller jusqu’à prélever des échantillons ADN de chaque nouveau-né afin de mieux lutter contre la criminalité ! La logique suivie est que les victimes du système doivent être considérées comme seules responsables de leur comportement, parfois même avant d’avoir commis quoi que ce soit ! Dans certaines entreprises, la surveillance des travailleurs est permanente et peut aller jusqu’à l’absurde. Ainsi, à Molenbeek, les travailleurs de la commune sont récemment partis en grève notamment contre l’instauration d’un nouveau système de pointage (de 40.000 euros…) avec empreinte digitale, sans la moindre garantie par rapport au traitement des données personnelles et sans que le Collège des Bourgmestre et Echevins ne soit en possession d’un avis de la Commission de la vie privée.

D’autre part, la violence policière en rue est une réalité indéniable mais tue, sauf quand un policier commet la gaffe de s’en prendre à une personnalité, comme ce fut récemment le cas avec l’acteur David Murgia (détenteur d’un Magritte du meilleur espoir masculin en 2013), qui a passé près de 9 heures en cellule après s’être rendu à la boulangerie (voir le témoignage ci-dessous). Les choses ne furent pas différentes le 15 mai dernier ; les médias se seraient probablement moins emparés de l’affaire si des parlementaires d’Ecolo n’avaient pas été également arrêtés… La plupart du temps, les policiers sont à l’abri de toute poursuite, et ainsi confortés dans l’idée que leur violence est légitime.

A mesure que s’accentuera la lutte contre l’austérité, la répression de l’establishment ne se fera que plus vive. La résistance et la lutte sont de mise contre ces maux et le système qui les engendre: le système capitaliste.


TEMOIGNAGES:

David Murgia : ‘‘La circulation était interrompue (…) Des gens traversaient à côté du passage pour piéton et j’étais une de ces personnes. Un policier m’a demandé de manière assez agressive de traverser sur le passage pour piéton si je ne voulais pas passer mon lundi de Pâques en cellule. J’ai obtempéré en disant qu’il y avait d’autres moyens de le demander. Le ton est monté et le policier m’a dit qu’il me laissait une dernière chance d’aller sur le passage pour piéton. Je suis passé par le passage pour piéton et je suis arrivé de l’autre côté en grommelant dans ma barbe. Le policier m’a interpellé : ‘‘qu’est-ce qu’il y a, y a un problème ?’’ J’ai alors répondu : ‘‘En effet, il y a un problème, je n’apprécie pas la manière avec laquelle vous m’adressez la parole’’ Et c’est là que ça a commencé. (…) La manière dont j’ai été enfermé dans les cachots, la manière dont ces policiers se foutent ouvertement de la gueule des gens qui sont là, c’est effrayant (…) Au moment où j’ai décidé de courber la tête et que je répondais par oui ou par non en écoutant les horreurs qu’il me disait sans réagir, c’est à moment-là qu’il m’a dit : ‘‘c’est comme ça que je veux vous voir sur la voie publique’’ et ça m’a vraiment effrayé en tant que jeune homme. J’avais vraiment l’impression qu’il voulait me donner une leçon.’’ (Vif l’Express, 23 avril 2014)

A propos des arrestations du 15 mai, Emilie Paumard, du CATDM, explique “Nous sommes descendus dans les rues parce que les leaders politiques ne nous écoutent pas. Ils ne semblent écouter que les responsables du Big Business qui co-organisaient l’European Business Summit. Nous avons été traités brutalement, comme si nous étions de violents criminels alors que nos actions étaient tout à fait pacifiques.’’ (www.d19-20.be/fr/)

Toujours à propos du 15 mai, Luc Hollands, producteur belge de lait et membre de la coopérative MIG ajoute : “La façon dont les manifestants pacifiques ont été traités est inacceptable, mais cela ne doit pas faire oublier la raison pour laquelle nous étions dans la rue. Les politiques d’austérité associées au Traité Transatlantique rendront les citoyens européens plus pauvres, plus précaires, nuiront à leur santé et nous mèneront droit dans le mur. Ce ne sont pas les attitudes politiques qui doivent changer, mais bien le système politique dans son ensemble. Malgré ce que la police nous a montré, les action d’aujourd’hui ont souligné la diversité et l’unité de notre alliance et n’ont fait que renforcer notre volonté de reconstruire la démocratie par la base.” (www.d19-20.be/fr)


 

(1) Nous vous invitons à vous rendre sur notre site pour consulter le dossier suivant consacré au Traité Transatlantique.

(2) www.stop-repression.be

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