Chine. Aggravation de l’hostilité à l’égard de Xi Jinping autour de la mort de Li Keqiang

La mort de Li Keqiang d’une crise cardiaque à l’âge de 68 ans a déclenché une nouvelle lutte entre le vaste appareil de censure en ligne de la dictature et les masses dont le seul canal d’expression semi-légal est l’internet.

Par chinaworker.info

Li, premier ministre chinois de 2013 à mars de cette année, nominalement classé comme le deuxième responsable le plus puissant derrière Xi Jinping dans l’État du PCC, est décédé à Shanghai ce 27 octobre.

Ces deux derniers jours, au moins 10.000 personnes ont fait la queue pour rendre hommage à Li devant son ancienne résidence à Hefei, la capitale de la province d’Anhui. Un mur de fleurs s’est amoncelé devant l’entrée du bâtiment et la ville de 8 millions d’habitants s’est même retrouvée en rupture de stock. La phrase la plus souvent imprimée sur les cartes de condoléances accompagnant les fleurs est une citation de Li Keqiang lorsqu’il a quitté ses fonctions : « Le ciel regarde ce que font les humains. Le firmament a des yeux ». Cet ancien proverbe est une provocation pour Xi et le groupe dirigeant actuel. Il s’agit quasiment de l’équivalent d’une malédiction dont l’actuelle popularité illustre la façon dont les gens utilisent le deuil de Li Keqiang afin d’exprimer leurs critiques à l’égard de Xi.

L’appareil de censure du PCC est immédiatement passé à la vitesse supérieure en demandant à diverses structures de l’État et des médias de réprimer les « commentaires trop élogieux » à l’égard de Li. Les directives de censure secrètes, qui ont fait l’objet d’une fuite et ont été publiées en ligne, invitent tous les médias à faire preuve de vigilance à l’égard des commentaires qui « font des éloges exagérés en apparence alors qu’il s’agit en réalité d’un acte de critique ». Un article affirmant que Li avait été emmené dans le mauvais hôpital à Shanghai (un hôpital de médecine traditionnelle chinoise au lieu d’un hôpital spécialisé dans les soins cardiaques) a été supprimé par les censeurs.

La chanson de l’artiste malaisienne Fish Leong, « Malheureusement, ce n’est pas vous », a été partagée en ligne par de nombreuses personnes en guise de protestation. Cela s’est également produit l’année dernière lors du décès de l’ancien dirigeant Jiang Zemin, et du Japonais Shinzo Abe quelques mois auparavant. La chanson est donc régulièrement frappée d’interdiction en Chine. L’idée est assez évidente et met en lumière le puissant climat anti-Xi qui s’est installé en Chine.

Un hashtag, « celui qui devrait mourir ne l’a pas fait », a rapidement été interdit. Des vidéos ou citations de Li Keqiang sont également apparues avec également une pointe de critique implicite, à l’image des vidéos de Li Keqiang en visite à Wuhan aux débuts de l’épidémie de COVID-19, en janvier 2020, soit deux mois avant son patron. Un autre exemple est la conférence de presse de Li à l’Assemblée nationale populaire en 2020, au cours de laquelle il a révélé que la Chine comptait plus de 600 millions de personnes dont le revenu mensuel était d’à peine 1.000 yuans, ce qui n’est « même pas suffisant pour louer une chambre dans une ville chinoise de taille moyenne ». Ce discours s’inscrivait dans le cadre d’une lutte de pouvoir interne au PCC largement cachée dans laquelle la faction Tuanpai de Li voulait mettre à mal les déclarations vantardes de Xi sur « l’éradication de la pauvreté ». (La faction Tuanpai regroupe l’ancienne garde politique rapprochée du précédent n°1 chinois, Hu Jintao, opposée aux « fils de princes », enfants de dignitaires du régime dont Xi Jinping est le chef de file, NDLR).

Insécurité aiguë

La répression actuelle du deuil et des discussions sur la mort de Li reflète l’insécurité aiguë du régime de Xi, qui sent un considérable mécontentement gronder à travers la société. Le PCC est embourbé dans une crise économique historique après l’effondrement de la plus grande bulle immobilière du monde. Le niveau de vie est en baisse alors que l’économie est sous assistance respiratoire. Jusqu’à la moitié des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage, le régime de Xi réprimant la publication de données pertinentes à ce sujet. L’année dernière, selon Capital Economics, la richesse nette des ménages chinois s’est contractée de 4,3 %. Toutes les classes sociales se sont appauvries, la classe ouvrière étant toujours la plus grande perdante.

Les universités sont bien sûr au centre des préoccupations du gouvernement. Cela est d’autant plus vrai après les manifestations de l’année dernière, parfois appelées « mouvement du livre blanc », qui ont été déclenchées par un incendie mortel dans la capitale du Xinjiang, Urumqi, et par la colère accumulée contre les confinements paralysants liés à la pandémie. Aujourd’hui, on craint manifestement que la mort de Li ne serve de paratonnerre à divers griefs sociaux et économiques. Les manifestations de 2022, les plus importantes en Chine depuis 1989, ont commencé à soulever des revendications politiques, notamment la démission de Xi Jinping, avant d’être rapidement écrasées.

Selon le South China Morning Post de Hong Kong, l’université de Hainan a publié des instructions mettant en garde les étudiants contre la publication en ligne de commentaires sur la mort de Li. Un conseiller étudiant anonyme d’une grande université de Pékin a déclaré au journal : « Nous ne voulons pas que les étudiants organisent leurs propres événements de deuil. Ils pourraient devenir trop émotifs et causer des turbulences inutiles comme ce qui s’est passé il y a plus de 30 ans. »

Il existe en Chine une tradition bien établie qui consiste à « pleurer les morts pour critiquer les vivants ». C’est ainsi qu’est né le mouvement démocratique de masse en 1989, à la suite du décès soudain de l’ancien dirigeant du PCC, Hu Yaobang. En 1976, bien que le premier ministre Zhou Enlai soit décédé en janvier, c’est trois mois plus tard, les 4 et 5 avril, à l’occasion de la fête de Qingming (jour traditionnel de commémoration des morts), que d’immenses foules se sont rassemblées sur la place Tiananmen à Pékin. Il s’agissait d’un mouvement spontané contre l’enlèvement des couronnes, slogans et autres objets commémorant Zhou, qui reflétait la colère des masses contre le régime maoïste.

Une figure en retrait

Li et le cabinet qu’il dirigeait (le Conseil d’État) ont été mis à l’écart par Xi Jinping, qui a concentré de plus en plus de pouvoir entre ses mains. La dictature du parti unique s’est transformée en dictature d’un seul homme. Ce processus de renforcement du contrôle autoritaire, aujourd’hui exacerbé par la grave crise économique, explique pourquoi Li est perçu favorablement par des pans entiers de la population. Cette sympathie est due à ce qu’il n’était pas, plutôt qu’à ce qu’il était.

D’une certaine manière, Li en est venu à symboliser personnellement la brutalité du régime de Xi. Il a été réduit à un personnage secondaire, bien moins influent que ses prédécesseurs tels que Zhu Rongji et Wen Jiabao, qui ont occupé le poste de premier ministre avant lui. Même ses propres discours en tant que premier ministre ont parfois été censurés ou relégués en dernière page des journaux, tout comme la couverture des événements publics auxquels il participait. Si le numéro deux du PCC est lui aussi victime d’un contrôle autoritaire, de quelles libertés peuvent bien jouir les citoyens ordinaires ?

Li a parfois exprimé, bien que sous une forme très réservée et sibylline, le mécontentement croissant à l’égard du pouvoir de Xi dans la société en général et au sein des sections de l’élite dirigeante, y compris les quelque 200 familles capitalistes dominantes du PCC. Il n’a jamais été question d’une opposition sérieuse ou coordonnée à la position de Xi. La faction Tuanpai de Li a été largement mise en déroute par Xi dans la lutte interne pour le pouvoir, comme l’a démontré de manière flagrante le 20e congrès du PCC de l’année dernière. Aucun représentant des Tuanpai ne siège aujourd’hui dans les organes dirigeants (Politburo et Comité permanent) et le vétéran des Tuanpai, Hu Jintao, ancien secrétaire général du PCC et président de l’État, a été publiquement humilié et « aidé » à quitter la tribune du congrès.

Que représentait Li ?

Les intérêts que Li Keqiang représentait au sein du régime étaient les restes de l’aile économique libérale, les partisans de la doctrine de « réforme et d’ouverture » de Deng Xiaoping (grâce à laquelle la restauration capitaliste a été réalisée) et certaines sections de la classe capitaliste qui s’opposent aux politiques capitalistes nationalistes de Xi en matière de « découplage », « d’autosuffisance » et d’escalade de la confrontation avec l’impérialisme américain.

Le fait que ces forces se soient affaiblies au cours de la dernière décennie n’est pas dû aux compétences politiques de Xi ou aux déficiences personnelles de Li et d’autres dirigeants tuanpai, mais reflète les besoins sociaux et économiques objectifs du capitalisme chinois pour une dictature renforcée combinée à une orientation économique plus nationaliste. Dans les pays à développement tardif comme la Chine, le capitalisme a besoin d’un État fort en raison de ses propres faiblesses inhérentes lorsqu’il est en concurrence avec des économies capitalistes plus anciennes et plus développées.

Plutôt que la démocratie bourgeoise qui existe (et qui est de plus en plus chancelante) dans les États capitalistes plus anciens, les capitalistes chinois ont besoin de la protection d’une dictature face à leurs ennemis et face à eux-mêmes. La concentration du pouvoir personnel de Xi en tant que « nouvel empereur » est enracinée dans ces contradictions sociales.

Retour à l’ère Mao ?

Lors d’une visite dans la province de Guangdong en août 2022, Li Keqiang a déclaré que « le fleuve Jaune et le fleuve Yangtze ne couleront pas en arrière », dans une allusion sibylline à la poursuite de la réforme et de l’ouverture économiques (capitalistes) telles que définies par Deng Xiaoping dans les années 1980. Le Guangdong est considéré comme le berceau de la restauration du capitalisme il y a 40 ans. Cette citation a été largement diffusée depuis la mort de Li. Elle implique une critique du renforcement du contrôle de l’État (capitaliste) par Xi et de son éloignement des réformes de Deng. Elle montre également que de nombreuses idées différentes sont prises dans le tourbillon de la commémoration de Li. Alors que l’humeur anti-Xi est prédominante et devient de plus en plus explosive, il n’y a pas encore de réelle clarté sur ce que devrait être l’alternative.

Les politiques autoritaires et nationalistes de Xi Jinping sont décrites par certains critiques comme un retour à l’ère maoïste. Ce n’est pas le cas, car le régime de Mao reposait sur des bases économiques complètement différentes. La Chine de Xi est capitaliste. Jusqu’à la restauration du capitalisme dans les années 1980, l’État du PCC était une dictature stalinienne calquée sur le modèle de l’URSS et reposant sur une économie planifiée extrêmement bureaucratique, qui a toutefois été en mesure d’introduire d’importantes réformes sociales et de protection sociale – qui ont ensuite été anéanties par le capitalisme.

Aujourd’hui, le régime de Xi utilise certains symboles et allusions à la période précapitaliste pour justifier la dictature et la répression, mais il le fait dans l’intérêt d’une économie capitaliste. Cela ne signifie pas un retour aux soins de santé de base gratuits, aux logements subventionnés, et encore moins l’abolition du capitalisme. De nombreuses personnes en deuil aujourd’hui citent le discours de Li Keqiang sur la réforme et l’ouverture en partie parce que cette idée – le programme de restauration capitaliste de Deng – est largement et faussement confondue avec l’opposition au prétendu « maoïsme » de Xi, qui à son tour est considéré comme ramenant la Chine à la pauvreté et à l’arriération par d’importantes couches de la population.

Les marxistes accordent une grande attention à la lutte pour le pouvoir au sein de l’État-PCC, parce qu’il s’agit d’une mesure partielle – très déformée – des énormes pressions sociales qui s’accumulent dans la société chinoise. Aucune des factions ou des figures de proue du PCC ne représente une voie à suivre et aucune n’est du côté de la classe ouvrière. Leur lutte porte sur la manière de gérer la fortune du capitalisme chinois, y compris sur la meilleure façon de maintenir la dictature et de prévenir les défis révolutionnaires.

Avec les mesures qu’il a prises, le régime de Xi peut réussir à contenir les retombées politiques de la mort de Li Keqiang et empêcher cet événement de déclencher des incidents de masse. Mais l’accumulation d’un mécontentement social explosif est inévitable compte tenu de la trajectoire économique désastreuse de la Chine et des conditions de plus en plus brutales du régime dictatorial.

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