Si le 28 octobre le processus vers un nouveau parti de gauche est lancé avec notre participation active, allons-nous mettre en même temps la clé du local du MAS sous le paillasson et arrêter de construire notre organisation ? Ce numéro d’Alternative Socialiste sera-t-il le dernier? Notre réponse est claire et nette: pas du tout ! Mais pourquoi ? Et comment allons-nous mener deux projets de front ?
Cédric Gérôme
Comme le disait Marx, la classe ouvrière n’est vraiment consciente d’être une classe que lorsqu’elle combat sur le plan politique de façon indépendante. A l’heure actuelle, pour se défendre, les travailleurs ont besoin d’un instrument politique qui puisse leur servir de porte-voix en les unifiant au-delà de leurs origines, de leur âge, de leur sexe, de leur culture, de leur expérience et de leur conscience politique – ce que nous appelons un nouveau parti des travailleurs.
Cependant, les exemples du passé tout comme l’histoire récente nous démontrent que l’existence de tels partis ne nous protège pas pour autant des nombreux dangers qui se dressent sur le chemin de la lutte. C’est pourquoi, si nous comprenons la nécessité d’unir différents courants et individus contre la politique néo-libérale, nous ne sommes pas prêts à sacrifier notre parti révolutionnaire sur l’autel de l’unité au nom du vieil adage « oublions nos divergences, nous sommes quand même tous de gauche»…
Des expériences amères, mais riches en leçons
Entre 1871 et 1914, la classe ouvrière allemande avait construit un des partis les plus puissants du monde, le Parti Social-Démocrate (SPD). Celui-ci pouvait compter, en 1912, sur 4,3 millions d’électeurs et plus d’un million de membres ! Pourtant, lorsque la première guerre mondiale a éclaté, la grande majorité des dirigeants de la social-démocratie allemande se sont mis à ramper à plat ventre devant le militarisme national et ont cautionné, par le vote des crédits de guerre, l’envoi de centaines de milliers de travailleurs dans la boucherie des tranchées. Le vernis socialiste de la direction du SPD a craqué en quelques jours sous les coups de canons de la guerre impérialiste et a fait place à l’opportunisme dans sa plus cruelle expression.
Dans son livre ‘Classe, parti et direction’, Trotsky a expliqué : « Il faut un grand choc historique pour révéler de façon aiguë la contradiction qui existe entre la direction et la classe. Mais, quand bien même l’ancienne direction a révélé sa propre corruption interne, la classe ne peut pas improviser immédiatement une direction nouvelle, surtout si elle n’a pas hérité de la période précédente des cadres révolutionnaires solides capables de mettre à profit l’écroulement de l’ancien parti dirigeant (…) Dans les moments cruciaux de tournants historiques, la direction politique peut devenir un facteur aussi décisif que l’est celui du commandant en chef aux moments critiques de la guerre. »
Les nouvelles formations et le rôle des marxistes aujourd’hui
L’exemple ci-dessus peut sembler complètement dépassé. Pourtant, la tâche consistant à différencier, sur les plans tant politique et idéologique qu’organisationnel, les forces du marxisme révolutionnaire vis-à-vis des autres courants est une tâche tout aussi indispensable aujourd’hui qu’elle ne l’était au début du siècle dernier. L’absence – ou la faiblesse – d’une aile révolutionnaire structurée au sein des nouvelles formations de gauche qui ont vu le jour dans différents pays ces dernières années ont à chaque fois entraîné une orientation rapide vers les compromis douteux et la capitulation plus ou moins larvée devant la politique du patronat.
Des expériences telle celle de « Rifondazione Comunista » en Italie remettent cette leçon en lumière. La création de RC en 1991 avait suscité un enthousiasme certain, tant parmi les anciens membres du Parti Communiste Italien déçus par le tournant vers la droite initié par la direction de ce dernier, que parmi la jeunesse radicalisée et les nombreux militants de tous horizons. Six ans après sa création, ce parti était devenu un petit parti de masse, rassemblant dans ses rangs plus de 130.000 adhérents. Depuis lors, nombre de membres ont pourtant perdu leur enthousiasme initial, voire déchiré leur carte de membre, surtout à cause du ralliement des dirigeants de RC à la coalition « de gauche » autour de Romano Prodi, alors que celle-ci s’apprête ouvertement à mener une nouvelle vague de politique néo-libérale.
Soustraire les travailleurs à l’influence de telles dérives ne peut se faire que si le parti révolutionnaire participe aux côtés des travailleurs dans leur lutte quotidienne, drapeau déployé. De l’expérience de RC et de bien d’autres encore, nous tirons la conclusion que si la naissance d’un nouveau parti des travailleurs en Belgique peut être un grand pas en avant, celle-ci ne procure en soi aucune garantie sur son évolution future.
Le rôle des révolutionnaires marxistes ne doit donc pas se limiter à aider à construire ce parti et à se laisser « emporter par le courant », mais bien à construire, renforcer et défendre consciemment le programme révolutionnaire en son sein. Cela n’a pour nous rien à voir avec l’idée d’établir une « pureté doctrinale» au sein de cette formation ; c’est simplement se donner les moyens de résoudre au mieux des questions vitales pour son évolution future.
Combiner en un même processus l’action politique commune et la construction du parti révolutionnaire : telle est la double tâche à laquelle s’attellera le MAS dans la prochaine période.