Népal : La roue de l’Histoire tourne à l’envers

Les événements actuels au Népal nous livrent d’importantes leçons en ce qui concerne la tâche cruciale de trouver la voie pour libérer les travailleurs et les pauvres des chaînes de l’exploitation. Ces expériences ont particulièrement illustré la faiblesse des idées maoïstes face aux développements révolutionnaires, ce qui est pertinent pour les militants du monde entier, mais tout spécialement pour ceux de pays tels que l’Inde, où ces idées sont encore soutenues sous une forme ou l’autre.

Par Senan, Comité pour une Internationale Ouvrière

En 2006, les maoïstes bénéficiaient d’un large soutien populaire au Népal, conséquence non seulement de la haine généralisée contre le roi, mais aussi des horribles conditions dans lesquelles vivaient les masses. Si les maoïstes avaient appelé à mettre en place des comités ou des structures dans lesquelles les masses auraient pu démocratiquement exercer leur pouvoir, celles-ci auraient pu prendre le pouvoir. Mais ils ne l’ont pas fait.

Dans le vide créé par l’absence de telles structures démocratiques, le mouvement de masse a été détourné vers le terrain parlementaire. Le mouvement a maintenant reculé. L’incapacité théorique des dirigeants maoïstes à rompre avec les propriétaires terriens et avec le capitalisme a été la principale raison de ce recul.

Le parti communiste du Népal (maoïste, plus tard connu sous le nom de Parti Communiste Unifié du Népal (Maoïste) PCUN (M)) a obtenu plus de voix que tout autre parti lors des élections pour la première assemblée constituante en 2008. Cependant, ayant échoué de peu à obtenir la majorité, ce parti est entré dans une coalition avec les partis pro-capitalistes pour former un gouvernement intérimaire. Les deux autres partis de la coalition – le parti Congrès Népalais (NC) et le Parti Communiste du Népal (Marxiste-Léniniste Unifié, PCN (MLU)), qui se dit de gauche mais représente en réalité les propriétaires terriens et les capitalistes, – ont agi contre les maoïstes.

La première assemblée constituante a subi des prolongations, des reports d’échéances, des démissions et des désaccords pour finir par échouer à établir tout assentiment à former une constitution. Les négociations sans fin avec le NC et le PCN (ULM) de centre-gauche n’ont abouti à aucun acquis pour les travailleurs et les pauvres. Dans les règlements de compte qui ont suivi, les maoïstes se sont montrés prisonniers de leurs limites politiques. La première assemblée constituante a été dissoute en mai 2012 et les élections de la seconde assemblée constituante ont été reportées plusieurs fois jusque novembre 2013.

La lutte politique acharnée est devenue une caractéristique commune au Népal – aucune force actuelle n’est capable de montrer la voie à suivre de façon décisive. Aucune décision ne peut être prise sans bagarre entre les partis politiques. La première réunion de la deuxième assemblée constituante nouvellement élue a été tenue le 22 janvier 2014 après avoir été reportée à cause d’une nouvelle dispute pour savoir qui pouvait convoquer la réunion. Le Congrès Népalais (NC) avait obtenu la majorité aux élections constituantes de novembre 2013- ce qui indique un net virage à droite, dû surtout aux opportunités manquées par le passé. Venant juste après les 29,8% du NC (105 sièges), le PCN (ULM) a obtenu 27,5% et 91 sièges. Le PCUN (M) a été repoussé à la troisième place, avec seulement 17,8% des voix (26 sièges), une forte chute par rapport à son précédent score de 30,5%.

Cette situation représente un revers important pour les travailleurs et les pauvres au Népal. Il n’est pas surprenant que le premier à avoir célébré les résultats ait été Binod Chaudhary, le premier milliardaire népalais enregistré par Forbes. C’est aussi un ancien parlementaire du PCN (MLU). Ce « roi de la nouille », qui a fait fortune dans les nouilles instantanées, était membre de la première assemblée constituante et défendait les privatisations et d’autres politiques capitalistes. L’élite riche et pro-capitaliste avait beaucoup de raisons de célébrer la victoire du NC/MLU – ils prédisaient que la constitution dirigée par le Congrès serait indubitablement en leur faveur.

En effet, le parti pro-business Congrès Népalais, qui a la majorité dans l’assemblée constituante, va probablement appliquer un programme de droite. Comme la plupart des partis politiques du Népal, le NC se dit pour le ‘‘socialisme démocratique’’. Mais il ne fait pas aucun secret de son engagement en faveur « de l’investissement privé et de la libéralisation économique ». La position de droite bornée du NC a été un facteur-clé dans le chaos continu de la première assemblée constituante et a joué le rôle principal dans son échec. Il travaille en étroite collaboration avec le gouvernement indien et partage les politiques néolibérales de son homologue indien, le Congrès National Indien (INC). Les énormes scandales de corruption de l’INC et de ses alliés (et la mise en œuvre de politiques néolibérales) font de l’INC un parti haï par les travailleurs en Inde. Cela a donné la possibilité au parti encore plus brutal BJP et à son leader Narenda Modi, qui sont accusés de massacre, de gagner les élections.

Le NC népalais n’est pas très différent de l’INC et la constitution du NC va sans aucun doute viser à enterrer toutes les revendications du mouvement révolutionnaire. Les masses ont montré un désir sans équivoque de mettre fin à la pauvreté et aux inégalités – ce qu’elles ont déjà démontré en deux occasions en 2006 et 2010. Cependant, tout cela restera un rêve sous la constitution capitaliste du NC.

Limites de la théorie des deux stades

Lorsque le mouvement de masse s’est développé en 2006, la majorité des masses ne soutenait pas le NC. Promettant un changement révolutionnaire, c’est le Parti Communiste du Népal (Maoïste) qui a émergé en tant que force significative. Cependant, ce parti a échoué à délivrer ce que les masses revendiquaient, surtout à cause de sa théorie erronée des « deux stades ». Cette théorie défend que le « premier stade » de développement industriel, de réforme agraire, de mise en œuvre d’autres droits démocratiques et de lutte anti-impérialiste, doit être rempli avant que le « second stade » de changement socialiste soit envisagé. Cette approche force ce parti à s’associer avec les forces réactionnaires bourgeoises et les empêche de faire avancer la révolution.

La théorie des deux stades avait d’abord été avancée par les Mencheviques, qui constituaient l’aile réformiste minoritaire du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie jusque 1912, quand les Mencheviques et les Bolcheviques sont devenus des partis distincts. Les Mencheviques se sont opposés à la Révolution d’Octobre 1917. Ils ont défendu que les capitalistes devaient mener à bien les tâches de la révolution démocratique – telles que la réforme agraire, la résolution de la question nationale, etc,- pour construire seulement par après un État ouvrier.

Cette théorie découpe le processus historique de la révolution ouvrière en étapes. Quand les masses se montrent prêtes à pousser l’Histoire en avant et montrent leur volonté de décider de leur propre destin, les partisans de « l’étapisme » les retiennent en arrière, donnant le temps aux forces bourgeoises de se remettre en ordre de marche pour faire tourner la roue de l’Histoire dans le mauvais sens. Cela résulte souvent en la destruction du mouvement de masse et des organisations ouvrières dans leur ensemble. Partout où cette théorie a été essayée, elle a complètement échoué et le mouvement ouvrier a été noyé dans le sang.

A l’époque moderne, les bourgeoisies des pays néocoloniaux ont été incapables de mener leurs propres révolutions. A l’âge des multinationales et de l’impérialisme, le capitalisme est une barrière réactionnaire au développement de la société. Un bloc avec la bourgeoisie soi-disant « progressiste » est donc une formule totalement en faillite.

Alors que le PCUN (M) du Népal avait le pouvoir dans la pratique, il a constitué un bloc avec l’ombre de la bourgeoisie, croyant que ce « stade » particulier était nécessaire. Sa participation au gouvernement intérimaire signifiait que les maoïstes tentaient de s’accommoder avec la vieille « machine d’État réactionnaire », comme ils l’appellent eux-mêmes. Les maoïstes coincés sur cette voie, les forces contre-révolutionnaires ont saisi l’opportunité de se regrouper et visent maintenant à couper court au processus révolutionnaire. Cela a aussi causé une cassure parmi les maoïstes qui a encore contribué à leur défaite électorale, puisque le groupe ayant scissionné a appelé au boycott des élections.

La position du PCUN(M) sur la question des terres, en particulier le retour des terres réquisitionnées au roi et aux grands propriétaires, a provoqué la colère de beaucoup de sections du parti. La Fédération des Fermiers Révolutionnaires de Tout le Népal, une ancienne composante du PCUN (M), fait maintenant partie d’une nouvelle scission du parti et a commencé à réoccuper les terres.
Les dirigeants maoïstes comme Baburam Bhattarai et Pushpa Kamal Dahal (Prachanda) sont de plus en plus discrédités parmi les membres du parti car ils se sont montrés incapables de porter la révolution en avant. Sous la direction de Mohan Vaidya, connu sous le nom de Kiran, beaucoup se sont séparés du parti en juin 2012 et ont formé un nouveau parti, le Parti Communiste du Népal (Maoïstes). Ce PCN (M) est un nouveau parti et ne doit pas être confondu avec son prédécesseur le PCUN (M) du même nom.

Cependant, tout en critiquant le PCUN (M), les dirigeants du PCN (M) ne mettent rien de plus en avant qu’un retour au « maoïsme réel ». Nos vieux dirigeants sont devenus « réformistes », résume leur analyse. Ils accusent Prachanda d’avoir cessé de parler de « république démocratique du Népal », parlant maintenant plutôt de « République fédérale du peuple ». De leur point de vue, le programme « réformiste » du PCUN (M) est le principal obstacle à la révolution.

Pour le parti de Kiran, un retour au « maoïsme réel » signifie un retour à « la guerre populaire prolongée ». Il s’agit d’une longue guerre de guérilla contre l’État qui se base surtout sur les paysans et les pauvres ruraux et sera, selon eux, menée en trois stades (défense, équilibre et offensive). Leur perspective pour la révolution peut être brièvement résumée ainsi : il y a deux façons de mener une révolution : le modèle russe et le modèle chinois. « Le premier est la prise du pouvoir central par une insurrection armée et l’extension de la révolution dans les pays capitalistes. Le deuxième consiste à encercler les villes pour prendre le pouvoir central par un processus prolongé de guerre populaire en construisant graduellement une armée de libération du peuple et en établissant des bases dans la campagne ». Et le second modèle est « le modèle de la nouvelle révolution démocratique dans les pays féodaux et semi-néocoloniaux ».

Une fois qu’ils auront « encerclé les villes », ils défendent qu’une « révolution démocratique » pourra être effectué en menant des « insurrections » dans les villes. Selon le parti de Kiran, son prédécesseur le PCUN (M) s’est rendu devant « l’expansionnisme indien », et ils veulent reconstruire les 3 aspects du maoïsme pour mettre en œuvre les tâches de la révolution telles qu’ils les conçoivent : une armée de libération populaire, un front uni avec les forces capitalistes et un parti communiste.

Cela n’a rien de nouveau. Et cela reste encore la position des dirigeants du PCUN (M), car cet argument forme le cœur des partis maoïstes. Leurs différences théoriques ne portent pas sur la question de comment mener une révolution ; leur controverse est limitée à ce qu’ils appellent le « premier stade » de la révolution.

Prachanda a déclaré dans une interview que « les tâches restantes de la nouvelle démocratie (dont une partie a déjà été accomplie) et la stratégie de révolution socialiste ont convergé en une seule. Les tâches restantes de la nouvelle démocratie et la tâche d’accomplir la révolution socialiste au moyen d’une insurrection populaire et d’une insurrection armée ont convergé en une seule stratégie qui remplace la première étape d’accomplissement d’une nouvelle révolution démocratique et la deuxième étape de la révolution socialiste ».

Le PCN (M) de Kiran veut établir un « nouvel État » pour mener « une révolution démocratique » car il rejette l’argument que la révolution démocratique n’est pas terminée – même en partie. Ils ne s’opposent au gouvernement d’intérim que de ce point de vue. Mais le parti de Prachanda continue sa coalition avec l’aile droite de l’élite dans le gouvernement d’intérim, défendant que l’aboutissement de la révolution socialiste a maintenant fusionné avec les tâches restantes de la révolution démocratique. Ils espèrent y parvenir par le gouvernement d’intérim et rejettent donc l’insurrection populaire.

Mais fondamentalement, les deux camps sont enchaînés à l’approche en deux stades. Étant donné l’expérience de l’impasse de la première assemblée constituante, il est clair qu’il n’y a pas d’issue sans transfert du pouvoir aux travailleurs. Et cela ne peut se faire dans une coalition avec les partis pro-business. Au lieu de cela, les deux partis devraient se positionner pour un gouvernement des travailleurs et des paysans – un gouvernement socialiste – dans la perspective d’établir une économie planifiée, comprenant la nationalisation des industries, une réforme agraire, etc. Aucun autre bloc n’est capable de mettre en place ces changements.

Les limites de la « voie de Prachanda » ne sont pas nouvelles. L’opportunité de réussir un transfert du pouvoir aux travailleurs, aux paysans pauvres et aux autres exploités par le capitalisme a été manquée en 2006 et 2010. Cela a également été expliqué dans un article publié par les membres du Comité pour une Internationale Ouvrière. Mais à cette époque, ces arguments ont été rejetés et ignorés par les maoïstes au Népal. Les organisations maoïstes en Inde et au Sri Lanka, ainsi que leurs quelques sympathisants dans le reste du monde, défendaient alors loyalement la voie de Prachanda. Ils refont maintenant la même erreur.

Les processus révolutionnaires ne peuvent être restreints à de simples formules mécaniques ou à des modèles standards. Il y a cependant un certain nombre de leçons à tirer des révolutions russe et chinoise. Le « modèle » russe a été rejeté car il ne serait pas applicable aux pays néocoloniaux – apparemment, ce serait un modèle uniquement pour les pays capitalistes ! Pourtant, les conditions qui existaient en Russie à l’époque de la révolution de 1917 étaient sous beaucoup d’aspects comparables aux conditions qui existent de nos jours au Népal.

La Révolution russe a été menée à bien en 1917 grâce au rejet de l’idée des deux stades. La révolution a alors établi un authentique système de gouvernement des travailleurs et des pauvres. Ce gouvernement a plus tard dégénéré, en raison surtout de son isolement, de l’échec des révolutions qui ont eu lieu dans la foulée d’Octobre 1917, en particulier en Allemagne, et de l’émergence dans ces conditions d’un régime bureaucratique sous la direction de Staline. Ce régime répressif a joué un rôle dans l’échec de la révolution de 1925-1927 en Chine. Suite à cette défaite, le Parti Communiste Chinois a pris le chemin de la guerre civile.

Plus tard, en 1949, la Révolution chinoise a été menée à bien, mais sur base d’une guerre paysanne. Suite à la défaite de 1925-1927, le Parti Communiste Chinois s’est effondré et a été repoussé dans les campagnes. Les politiques formelles de Mao Zedong étaient dans l’esprit des Mencheviques – il concevait la révolution en deux stades. Plus tard cependant, quand il est entré dans les villes, il a été dépassé par la dynamique de la révolution. Mais initialement, il craignait les travailleurs, leur interdisant de faire grève en les exhortant à « continuer à travailler ». Les effectifs d’ouvriers du parti ont considérablement décliné.

Quand il est entré dans les villes, Mao s’est heurté au vide – les forces de la bourgeoisie avaient fui la ville ou étaient en train de fuir. Les bourgeois ont échoué à former un front populaire. Pendant leur absence, un gouvernement national a été formé pour une courte période. Cependant, Mao a alors fait ce que les Maoïstes n’ont jamais plus réussi à faire depuis : il a pris le pouvoir et a été poussé à exproprier les propriétaires terriens et les capitalistes.

Si Mao avait persisté avec l’idée que les capitalistes devaient être autorisés à jouer le premier rôle pendant que la classe ouvrière exercerait un soutien critique, cela aurait énormément affaibli les travailleurs et les paysans et aurait mené à l’échec. Cependant, l’économie d’Etat est devenue l’affaire d’un parti unique, ayant pris le contrôle et soutenu par l’Etat russe stalinien. Suite à cette révolution, Mao Zedong a importé le « modèle » de la machine d’état stalinienne. Toutefois, un élément de démocratie ouvrière existait bel et bien dans le gouvernement nouvellement formé : une économie d’État planifiée avait été établie. Cet élément était fortement progressiste en comparaison avec le système pourri qu’il remplaçait, basé sur le capitalisme et le règne des propriétaires terriens, mais c’était loin d’être suffisant. De plus, des mesures antidémocratiques et répressives ont été mises en place. Ainsi, si le développement des forces productives a rendu la révolution politique indispensable, celui-ci est entré en collision avec la suppression brutale de la démocratie en Chine. Cela a donné naissance à la bureaucratie qui a été modelée sur le régime bureaucratique stalinien.

Le rôle de la classe ouvrière

Malgré ces faits historiques, différents groupes maoïstes sont aujourd’hui unis dans leur fétichisme de « l’étapisme ». Paradoxalement, cela les a rendus incapables de parvenir à faire ce que Mao a fait – ils n’ont même pas pu établir un régime stalinien au Népal. Au lieu de cela, quand ils ont pu détenir des villes, ils ont cherché à trouver la « bourgeoisie nationaliste » et ont conclu un accord avec son fantôme.

Les leçons importantes à tirer pour les révolutionnaires du monde entier portent sur le rôle de la classe ouvrière, sur les limites de l’approche des deux étapes et sur l’importance d’établir un authentique système des travailleurs et des paysans. Léon Trotsky était un des dirigeants de la Révolution russe de 1905 et l’un des dirigeants de la révolution de 1917 qui a vu les travailleurs parvenir à prendre le pouvoir dans leurs propres mains. Il soutenait que le changement social ne pouvait être divisé artificiellement en étapes séparées. Trotsky posait la question importante : quelle est la classe dirigeante ? Sous la direction de la classe ouvrière, un bloc peut être constitué avec les paysans pauvres et les autres couches exploitées et opprimées de la société, c’est le seul bloc qui est capable de changer la société. Trotsky expliquait, par des exemples historiques, l’importance de la classe ouvrière et comment la paysannerie ne pouvait jouer un rôle indépendant en raison de son hétérogénéité et de son manque de cohésion. Il affirmait que la prise du pouvoir par la classe ouvrière était la seule façon efficace de commencer le processus de mise en œuvre des tâches démocratiques bourgeoises et que ce processus pourrait alors, mené par une direction correcte, aboutir au changement socialiste, ce processus ne pouvant être artificiellement séparé dans le temps.
Au contraire, la perspective maoïste exposée précédemment tourne le dos à la classe ouvrière urbaine. Nous avons vu une augmentation significative de la classe ouvrière au Népal. Il y a eu un énorme renforcement de la population urbaine dans le monde entier. Dans ses documents récents, le CIO montrait qu’en 2013, « des occupations massives de places ont eu lieu en Turquie, suivie de l’action de la classe ouvrière en elle-même. Avec le Brésil, l’Égypte et sans oublier l’Afrique du Sud, cela représente probablement les plus grand mouvements de masses de l’Histoire, et certainement les plus grands mouvements de la classe ouvrière ! » Nous remarquions également que « plus de 70% de la population mondiale est maintenant concentrée dans les zone urbaines, ce qui donne à la classe ouvrière un potentiel plus grand et une densité plus forte que jamais pour changer les choses ». Ce facteur ne doit pas être ignoré. (Another year of mass struggles beckons, Peter Taaffe http://www.socialistworld.net/doc/6604 / The world situation and tasks for the CWI’, http://www.socialistworld.net/doc/6586 )

Parvenir au contrôle des ressources du pays par les travailleurs devrait être au centre des perspectives tracées par les révolutionnaires. Pour construire une société socialiste, il est vital d’aider au développement de la conscience collective de la classe ouvrière dans les lieux de travail et les usines. Cela ne peut être possible en encerclant simplement les villes avec une armée paysanne. Le soutien des paysans et des pauvres des campagnes, dans des pays comme le Népal où ils constituent la majorité de la population, peut apporter une force importante. Mais comme les événements l’ont montré en 2006 et 2010, ce sont les actions des travailleurs, telles que la grève générale, qui ont joué le rôle décisif dans la contestation du pouvoir d’État.

En mai 2010, le pays était paralysé. Des dizaines de milliers de personnes ont encerclé la capitale. La grève générale qui a suivi a donné au PCUN (M), qui dirigeait le mouvement, le pouvoir de sortir de l’impasse et d’aller au-delà de l’assemblée constituante. La question de qui contrôle réellement les affaires du pays se posait. Les gouvernements d’Inde, de Chine et l’Occident se sont rangés derrière les éléments contre-révolutionnaires du pays, alors que les masses se rassemblaient derrière le PCUN (M). Dans cette épreuve de force, le PCUN (M) s’est volontairement rendu devant la droite.
Quand ils ont appelé à la fin de la grève générale, les maoïstes avaient brandi la menace d’une autre grève générale à l’avenir. Mais la promesse d’une menace puissante dans le futur est incomparable à une menace existante envers le pouvoir. Le PCUN (M) a fait une grave erreur en échouant à voir que le mouvement des masses ne peut pas être utilisé comme un robinet que l’on peut ouvrir ou fermer à sa guise. Cette défaite a ébranlé la confiance des travailleurs et a augmenté le mécontentement des masses. Cela a aussi sensiblement contribué à la démoralisation au sein du PCUN (M).

Pour mener la révolution, il est vital de gagner le soutien des travailleurs urbains. Mais le PCUN (M) semble perdre son soutien parmi cette couche de la population. Dans les dernières élections, le PCUN (M) a perdu les 4 sièges qu’il avait dans la ville. Tous les principaux dirigeants maoïstes, y compris Prachanda, ont subi une défaite embarrassante. Le NC comme le PCN (MLU) ont remporté plus de sièges que Prachanda là où il s’est présenté. Cet élément est maintenant utilisé contre les maoïstes en étant présenté comme un rejet de la constitution fédérale par le peuple. De plus, le tournant du parti de Kiran vers les zones rurales va encore plus aliéner les travailleurs urbains.

Difficultés

Tout en montrant les erreurs des maoïstes, il est important de reconnaître les tâches colossales et complexes auxquelles ils ont fait face. D’un côté, les intérêts concurrents indien et chinois tendent à paralyser tout développement du processus révolutionnaire, mais des problèmes difficiles sont aussi apparus au niveau interne. Ces conditions exigeaient des perspectives clairvoyantes. En plus de cela, bien que le Népal soit un pays de petite taille, il présente de grandes complexités culturelles. Plus de 100 langues sont parlées au Népal. La société est divisée en plus de 100 castes différentes et est aussi séparée en différents groupes religieux. Une caste ou un groupe ethnique particulier vivant dans une région particulière peut demander des privilèges qui menacent parfois les intérêts des minorités de cette région.

Par exemple, les Madeshis vivent dans la région de Terraï (Sud) à la frontière indienne. Dans une émeute en janvier 2007, ils revendiquaient la reconnaissance de leur identité indépendante. Selon des statistiques de 2011, 50,2% des 26,6 millions de Népalais vivent dans les terres du Terraï. Mais ces plaines sont aussi séparées en différentes castes et groupes ethniques. Plus d’un demi-million de Daliths vivent dans les pires conditions dans le Terraï – pires encore que les conditions des Daliths vivant dans les montagnes. Ils ressentiront de l’hostilité et de la peur face à la caste opprimante qui porte la revendication d’auto-détermination. Ils risquent une répression continuelle si des droits et des opportunités spéciales ne leur sont pas donnés. De même, les Newars, qui vivent dans et autour de la capitale Katmandou, sont divisés en différentes castes.

Comment une constitution peut-elle être créée en répondant à toutes les complexités et en satisfaisant les diverses revendications d’une société aussi divisée ? Les marxistes défendent les droits démocratiques et culturels de tous les groupes et minorités. De son côté, face à ces questions difficiles, le PCUN (M) est entré dans des négociations avec les partis pro-capitalises dans l’espoir de trouver une solution dans « une constitution capitaliste ». Il est pourtant absurde de croire que les partis de droite vont parvenir à un accord pour répondre à ces problèmes.

Alors que tous les partis sont d’accord sur le besoin d’un arrangement « fédéral » pour le Terraï, cette affirmation reste purement rhétorique pour le NC et le PCN (MLU). Le NC en particulier a une longue histoire d’opposition à cette solution. Le PCUN (M) a proposé une « constitution fédérale » et tenté de résoudre les problèmes des autres minorités en leur donnant l’autonomie dans une région fédérale. Cependant, les Maoïstes restent vagues sur la façon dont « le partage du pouvoir » va réellement se faire au sein de la région fédérale et sur le type de pouvoir que vont avoir les « autonomes ». Ils ne sont d’accord qu’en théorie avec le droit à l’auto-détermination.

Avant 1997, les maoïstes affirmaient que les nationalités au Népal n’étaient pas « développées » et ils ne soutenaient donc pas la revendication du droit à l’auto-détermination. Maintenant, ils l’acceptent « en théorie ». Selon eux, « l’expansionnisme indien » va utiliser cette opportunité de diviser le Népal et la revendication du droit à l’auto-détermination va aider ce processus. Ils ont peur que les Madeshis vivant à la frontière indienne en particulier soient utilisés par l’Inde. Cet argument est similaire à celui du Parti Communiste (CPI (M)) d’Inde qui affirme que les revendications des Kashmirs pour le droit à l’auto-détermination vont aider l’État pakistanais à transgresser la souveraineté indienne. De même, la proposition des maoïstes d’une « autonomie sur base de caste » ne va pas répondre à l’hostilité de la majorité de la caste opprimante qui représente environ 81% de la population. Cela va au contraire créer des opportunités pour les forces réactionnaires, telles que les forces pro-monarchie et pro-Hindous. D’ailleurs, le Parti Rastriya Prajatantra du Népal (RPP-N), monarchiste, a fait son grand retour aux dernières élections, arrivant quatrième et remportant 24 sièges, contre 4 sièges aux élections précédentes ! La croissance graduelle des forces monarchistes doit être considérée dans le contexte de l’insécurité générale de la majorité de la population.

Selon les maoïstes, les sentiments ethniques vont se dissoudre dans « une identité nationale plus élevée ». Sur cette base, ils proposent un gouvernement national plus centralisé qui détermine notamment tous les principaux aspects de l’économie, et une organisation fédérale avec des pouvoirs limités. Les forces de droite s’opposent avec véhémence à cela.

Les marxistes s’opposent à toutes les formes de discriminations. Nous ne pouvons pas défendre un droit en théorie pour ensuite le renier dans la pratique. Les gouvernements indien et chinois vont sans conteste essayer d’exploiter les divisions au sein du Népal pour leurs propres intérêts. Mais renier les droits du peuple sur base de la peur de la division elle-même va jouer en faveur des forces qui essaient d’exploiter celle-ci. Il faut répondre de façon adéquate aux aspirations nationales des habitants du Terraï et ne pas les entraver par peur de « l’expansionnisme indien ». La limitation de leurs droits ne fait le jeu que de l’État capitaliste indien.

La nouvelle Constitution n’est pas une solution en soi

Un arrangement constitutionnel dans les limites du capitalisme et du féodalisme ne va pas résoudre à lui seul les problèmes réels des différents groupes sociaux népalais.

La majorité de ces discriminations proviennent des conditions économiques – en particulier du lien à la terre. Les habitants des zones montagneuses possèdent des surfaces de terres importantes dans le Terraï, par exemple, et faire du Terraï une région fédérale ne va pas résoudre le problème de la propriété de la terre dans cette région. Parmi les 80% de la population qui vit dans les zones rurales, plus de 70% possèdent moins d’un acre de terre (soit moins de 40 ares). 6 millions de personnes ne possèdent aucune terre. Les Daliths représentent la majorité des sans-terres. Le roi Gayanda est toujours l’un des plus grands propriétaires terriens au monde. Il possède un patrimoine colossal de 57 000 miles au carré (soit 14 763 000 hectares de terres) qui comprend même une partie du Mont Everest. Ayant permis au roi de rester propriétaire d’une partie importante des terres du Népal, les maoïstes commencent à rendre toutes les terres qu’ils ont réquisitionnées pendant la période de « Guerre du Peuple » à d’autres propriétaires.

La liberté ne peut être obtenue sans libérer les masses des liens de la terre. Même en se basant sur une estimation conservatrice, il existe aujourd’hui plus de 300 000 esclaves liés à la terre au Népal. Ils doivent être libérés. Les terres doivent être reprises au roi et aux grands propriétaires terriens et distribuées aux petits paysans et aux sans-terres. Mais la seule distribution des terres n’est pas suffisante. De grands investissements sont nécessaires pour aider les petits paysans à cultiver les terres, comme par exemple des investissements dans les technologies modernes. Bien sûr, ce type de grands investissements ne peut être possible qu’avec un développement rapide de l’industrie. Et cela est étroitement lié à la mise en œuvre de l’économie démocratiquement planifiée. Or, sans aller vers un gouvernement des travailleurs et des paysans, comment mettre en place une économie démocratiquement planifiée? Ce n’est pas possible sur base capitaliste.

Pour les maoïstes, l’établissement d’une économie planifiée est hors de portée car ils affirment qu’ils ont d’abord besoin de passer par une « étape » d’établissement de la « démocratie bourgeoise ». Pourtant, ni le NC ni le PCN (MLU) ne sont capables de remplir les tâches démocratiques requises de la bourgeoisie (comme la réforme agraire). En laissant cette tâche aux partis capitalistes (ou en s’attendant à ce qu’ils les remplissent), le PCUN (M) se limite lui-même. Le changement social dont les masses ont besoin ne peut être effectué par étapes. Au contraire, il est lié au développement des forces productives. Paradoxalement, les maoïstes n’affirment pas que le NC, le PCN (MLU) et leurs alliés capitalistes vont développer les forces productives du Népal. Les énormes richesses du Népal peuvent être planifiées pour permettre un développement rapide de l’industrie et de l’agriculture. Cependant, cela ne veut pas dire que la planification socialiste peut être accomplie et se maintenir en restant cantonnée au Népal.

Il est évident que les relations internationales et en particulier les développements révolutionnaires dans les pays frontaliers et dans toute la région sont vitaux pour continuer tout développement de la sorte au Népal. C’est pourquoi il est crucial de construire le soutien et la solidarité parmi les travailleurs du monde entier. Les développements révolutionnaires vont être sous une très forte pression dans de petits pays comme le Népal. Pour que la révolution soit victorieuse au Népal, il est vital d’en appeler à la classe ouvrière, aux paysans et aux pauvres d’Inde, de Chine et des autres pays de la région et du monde entier, dans l’objectif de propager la révolution.

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