Egypte : Quelle issue pour les Frères Musulmans ?

Pour des millions d’égyptiens pour qui la chute de Moubarak par les mouvements de masse fut une première expérience, la révolution était une voie à sens unique. Un peu plus d’une année plus tard, le processus de révolutions et contre-révolutions apparaît comme plus compliqué que prévu. S’il est clair que la classe dirigeante n’est pas en mesure de restaurer son programme comme jadis, de son côté la classe ouvrière n’a pas encore pu s’armer d’un programme pour aboutir à un gouvernement de la classe ouvrière et des pauvres.

Rapport d’une discussion tenue à l’école d’été du CIO, par Baptiste L.

Les Frères Musulmans contre le CSFA : deux représentants pour les classes dirigeantes

De nombreux changements brusques ont pris place dans la dernière période. Parallèlement à l’élection de Morsi (Frères Musulmans, de droite, se réclamant de l’islam politique) le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a dissout le parlement et s’est de fait octroyé le pouvoir législatif, provoquant le rassemblement d’un million de personnes place Tahrir à l’appel des Frères Musulmans. C’est une situation très complexe qui s’est développée avec la lutte entre les Frères Musulmans et le CSFA pour le pouvoir. Fondamentalement, ces deux forces représentent les classes dirigeantes, les travailleurs et les pauvres se retrouvent quant à eux spectateurs de cette lutte.

Depuis la chute de Moubarak, le mouvement a clairement été dévié vers les élections, avec pas moins de 6 échéances en 7 mois. L’évolution des résultats électoraux est riche en enseignements. Les Frères Musulmans sont ainsi passés de 45 % à 22 %, tandis que les Nasseristes sont passés de 4 % à 22 %, auxquels résultats il faut encore ajouter la percée des salafistes à 18%. Ces scores expriment la volatilité omniprésente dans la situation, avec d’une part la déjà perte de crédit des Frères Musulmans suite à leur inaction, et d’autres part le potentiel et la marge de progression que possèdent les Nasseristes, qui apparaissent comme les seuls représentants à ce niveau des intérêts des travailleurs et pauvres. S’il est clair que leur programme comporte son lot de confusions, il est clairement ancré à gauche. Pour Morsi, il est désormais clair que sa victoire ne signifie pas une adhésion mais avant tout le rejet de l’ancien régime.

Aucune illusion à avoir dans l’islam politique de Morsi

Pendant 30 ans, Moubarak a pu s’octroyer l’appui des impérialistes sur base de la rhétorique « moi ou l’aventure islamiste ». Ce soutien considérable se chiffrait par exemple à hauteur d’1 milliard $ chaque année de la part des USA, uniquement pour ce qui est du soutien militaire. Les islamistes représentaient une « menace » surtout dans le sens où l’équilibre régional, essentiellement la relation avec Israël, aurait pu voler en éclat. Ce qui est compromettant pour les nombreux enjeux stratégiques pour les impériales dans le Moyen-Orient.

Pourtant, l’élection de Morsi a été largement saluée aussi bien par Hillary Clinton que par les marchés financiers à Londres. Tout simplement parce qu’une victoire de Morsi était préférable par rapport une victoire d’un ancien de la clique de Moubarak qui aurait à coup sûr jeté de l’huile sur le feu de la révolte. Dans ce sens, Morsi incarne un candidat idéal pour les capitalistes car lui et les Frères Musulmans peuvent jouir d’une certaine tolérance (dans un premier temps en tout cas) vis-à-vis du mouvement de masse qui secoue le pays depuis des mois. En outre, Morsi n’a d’ailleurs en rien changé la relation avec Israël, et sa recherche de l’appui des impérialistes ne devrait pas le faire dévier de cette attitude.

Cette lune de miel vis-à-vis des masses ne devrait pas durer étant donné le caractère néolibéral de la politique de Morsi. Un de ses axes n’est autre que de s’attaquer à la législation du travail. Récemment, le FMI a exigé de son côté du gouvernement de Morsi des coupes dans les aides alimentaires, ce qui pourrait raviver encore un peu plus la colère de la population. Il y a quelques années, les émeutes de la faim ont démontré à quel point ce sujet pouvait être brûlant.

Le processus de révolution et contre-révolution est à l’œuvre

Au même titre qu’en Tunisie, le processus révolutionnaire est loin d’être terminé. Néanmoins, quel chemin prendra-t-il ? Ce 7 juillet, la coalition des jeunes révolutionnaires a annoncé sa dissolution. Leur argument était que la lutte était finie maintenant que des élections avaient pu prendre place après Moubarak. Cet exemple illustre les clarifications nécessaires. Parallèlement, des pas en avant ont été faits à travers cette école qu’est la lutte de masse. Les syndicats libres se sont considérablement développés : on y comptabilise aujourd’hui 2,5 millions de syndiqués, contre 50 000 avant la chute de Moubarak ! Cela illustre le pôle d’attraction que représente le mouvement ouvrier organisé dans une telle période, mais aussi la force potentielle entre les mains de ces organisations.

Malgré la chute de Moubarak et la concession des élections, le cœur du régime est toujours là, et le coup d’Etat latent du CSFA durant le déroulement des élections en est une preuve. L’omniprésence de l’armée restreindra systématiquement la marge de manœuvre politique de Morsi, et cette situation pourrait se cristallisé en une forme d’Etat comme au Pakistan, où c’est en dernière instance l’armée qui tire les ficelles.

C’est une forme de contre-révolution qui a pu s’exprimer par l’absence de l’intervention décisive d’une classe ouvrière armée de son programme. Comme dans tout processus, cette situation n’est pas une situation finale mais temporaire, qui sera soumise aux prochains développements. Le tournant vers la droite qu’imprime cette avancée de la contre-révolution impulsera inévitablement des explosions avec ses éléments de renforcement de la révolution.

La classe ouvrière doit s’organiser de manière indépendante autour de son programme

Face à l’armée, aux salafistes et à l’ancien régime, il serait erroné de croire que les Frères Musulmans soient un rempart plus progressiste pour les travailleurs, les jeunes et les pauvres. La gauche ne doit pas tomber dans ce piège et prendre à bras le corps la tâche cruciale qui est d’organiser le mouvement ouvrier autour de son programme. C’est la seule manière de continuer la lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail.

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