Ce texte a été initialement publié dans le magazine ‘‘Socialism Today’’ en février 2008 et est publié ici pour la première fois en français. Par Peter Taaffe
Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, les plus brillants cerveaux de la classe ouvrière allemande ainsi que ses figures les plus héroïques, furent brutalement assassinés par les militaires allemands vaincus, assoiffés de sang, soutenus jusqu’au bout par les lâches dirigeants sociaux-démocrates du SPD.
Les meurtres de Luxemburg et Liebknecht ont joué un rôle décisif dans la défaite de la révolution allemande. Ils sont également à mettre en lien avec la victoire d’Adolf Hitler et des nazis en 1933. Wilhelm Canaris, l’officier de marine qui participa à l’évasion de l’un des assassins de Rosa Luxemburg, devait par la suite commander l’Abwehr, le service de renseignement de l’état-major allemand, à partir de 1935. D’autres futures sommités du régime nazi furent pareillement couvertes de sang à cette époque. Wilhelm von Faupel, l’officier qui dupa les délégués aux conseils d’ouvriers et de soldats alors récemment formés, devint l’ambassadeur d’Hitler dans l’Espagne franquiste 20 ans plus tard. Le pouvoir politique derrière le trône était alors détenu par le major Kurt von Schleicher, qui sera chancelier allemand en 1932 et qui a ouvert la voie aux nazis. Selon toute probabilité, si la révolution allemande avait triomphé, l’histoire n’aurait ni connu ces protagonistes, ni les horreurs du fascisme. La dirigeante et théoricienne marxiste Rosa Luxemburg aurait pu jouer un rôle crucial, voire décisif, dans les événements révolutionnaires jusqu’en 1923 si elle n’avait pas été cruellement éliminée.
Karl Liebknecht est associé à Luxemburg en tant que figure héroïque aux yeux des masses. Il s’est opposé à la machine de guerre allemande et symbolisait pour les troupes massées dans les tranchées maculées de sang – non seulement celles des Allemands, mais aussi celles des Français et d’autres – un adversaire infatigable, ouvrier et internationaliste de la première guerre mondiale. Son célèbre appel – ‘‘L’ennemi principal est dans notre pays !’’ – a su saisir les imaginations, en particulier au fur et à mesure que la montagne de cadavres grandissait.
Mais Rosa Luxemburg mérite une attention particulière en raison de la contribution colossale qu’elle apporta à la compréhension des idées marxistes et à leur application aux mouvements de la classe ouvrière. Nombreux sont ceux qui ont attaqué Rosa Luxemburg pour ses ‘‘mauvaises méthodes’’, en particulier sa prétendue incompréhension de la nécessité d’un parti et d’une organisation révolutionnaire. On trouvait parmi eux Joseph Staline et les staliniens d’antan. D’autres se la sont appropriée en raison de l’accent qu’elle a mis sur le rôle spontané de la classe ouvrière. Cela semble correspondre à une attitude antiparti qui trouve un écho tout particulier parmi la jeune génération en raison de la répugnance qu’inspirent l’héritage bureaucratique du stalinisme et les anciens partis sociaux-démocrates. Mais une analyse globale des idées de Rosa Luxemburg, en tenant compte de la situation historique dans laquelle elles se sont développées, démontre que les affirmations de ces deux camps sont erronées.
Bien sûr, elle a commis des erreurs : ‘‘Montrez-moi quelqu’un qui ne fait jamais une erreur et je vous montrerais un imbécile’’. Et pourtant, un grand nombre de ses œuvres restent actuelles et pertinentes, en particulier si on les compare aux idées obsolètes des dirigeants du mouvement ouvrier d’aujourd’hui. Par exemple, son pamphlet Réforme sociale ou Révolution (1899) ne se limite pas à exposer les idées générales du marxisme en opposition au changement réformiste et graduel visant à provoquer un tournant socialiste. Il fut en fait rédigé en opposition au théoricien principal du ‘‘révisionnisme’’, Eduard Bernstein. À l’instar des dirigeants ouvriers et syndicaux d’aujourd’hui – bien qu’il fut à l’origine marxiste, ainsi qu’ami du cofondateur du socialisme scientifique, Friedrich Engels – Bernstein, sous la pression du développement économique de la fin des années 1890 et du début du XXe siècle, tenta de reconsidérer les idées du marxisme. En effet, cette évolution économique aurait eu, selon lui, pour effet de rendre ces idées caduques. Son célèbre aphorisme, ‘‘Le but final, quel qu’il soit, n’est rien, le mouvement est tout’’, représentait une tentative de réconcilier le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD) avec ce qui était alors un capitalisme en expansion.
Rosa Luxemburg – à l’instar de Vladimir Lénine et de Léon Trotsky – réfuta ses idées en enrichissant notre compréhension du capitalisme d’alors (et, dans une certaine mesure, l’actuel également) en analysant la relation entre réforme et révolution (qui ne devrait pas être opposées l’une à l’autre, d’un point de vue marxiste) ainsi que beaucoup d’autres questions. Elle écrivit : ‘‘Ce qui prouve le mieux la fausseté de la théorie de Bernstein est sans doute que ce sont les pays ayant le développement le plus avancé des fameux ‘moyens d’adaptation’ – crédit, communications perfectionnées et trusts – que la dernière crise [1907-08] fut la plus violente’’. Ne s’agit-il pas de reflets de la crise économique mondiale actuelle qui frappe les économies les plus touchées par l’endettement comme les États-Unis et la Grande-Bretagne ?
La social-démocratie soutient la guerre
Rosa Luxemburg fut l’une des rares à reconnaitre l’atrophie idéologique de la social-démocratie allemande avant la première guerre mondiale. Ce processus atteignit son point culminant lorsque les députés du SPD votèrent en faveur des crédits de guerre destinés à l’impérialisme allemand au Reichstag (parlement), à l’exception de Karl Liebknecht, rejoint plus tard par Otto Rühle. Le SPD et les dirigeants syndicaux avaient pris l’habitude des négociations et des concessions dans le contexte d’une croissance du capitalisme. Dans leur esprit, la perspective du socialisme, tout particulièrement celle de la révolution socialiste, fut reléguée aux calendes grecques.
Cette tendance fut renforcée par le poids social grandissant du SPD. Le parti en était quasiment arrivé à être un État au sein de l’État. Il comptait plus d’un million de membres en 1914, publiait 90 journaux quotidiens, disposait de 267 journalistes à temps plein et de 3.000 permanents. Il comptait plus de 110 députés au Reichstag, avait 220 députés dans les Landtags (les parlements des États régionaux) et près de 3.000 conseillers municipaux.
Le SPD paraissait progresser sans répit au niveau électoral. C’était, selon les mots de Ruth Fischer, qui deviendra plus tard une dirigeante du Parti communiste allemand (KPD), un ‘‘mode de vie […] L’ouvrier en tant qu’individu vivait dans son parti, le parti pénétrait les habitudes quotidiennes de l’ouvrier. Ses idées, ses réactions, ses attitudes résultaient de l’intégration de sa personne dans cette collectivité’’. Ce qui représentait une force et une faiblesse. Le pouvoir croissant de la classe ouvrière se reflétait aussi bien dans le SPD que dans les syndicats. Mais ce phénomène se conjugua avec l’étouffement et la sous-estimation de ce pouvoir par les dirigeants du SPD, et même avec une hostilité croissante vis-à-vis des possibilités révolutionnaires qui se manifesteraient inévitablement dans un avenir proche.
Rosa Luxemburg se heurta de plus en plus à la machine du SPD, dont elle distingua l’effet abrutissant face aux explosions sociales de la première révolution russe de 1905-07. Luxemburg était une véritable internationaliste qui participait aux mouvements révolutionnaires de trois pays. D’origine polonaise, elle fut l’une des fondatrices de la Social-démocratie du royaume de Pologne (SDKP), une membre du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) et une Allemande naturalisée et membre éminente du SPD. Elle compara le style et l’énergie de la base militante en Russie, dont elle fut personnellement témoin, à la machine de plus en plus bureaucratique du parti et des syndicats en Allemagne. Elle expliqua que cette situation pourrait devenir un obstacle colossal à la prise du pouvoir par la classe ouvrière si une éruption révolutionnaire se produisait.
En ce sens, elle s’est montrée plus clairvoyante que Lénine lui-même, qui était passionnément absorbé par les affaires russes et considérait le SPD comme un exemple pour les partis de la Deuxième Internationale – et ses dirigeants, notamment Karl Kautsky, comme des enseignants. Trotsky écrivit : ‘‘Lénine considérait Kautsky comme son professeur et le répétait partout où il le pouvait. Dans l’œuvre de Lénine de cette période et pour un certain nombre des années qui suivirent, on ne trouve aucune trace de critique de principe dirigée contre la tendance Bebel-Kautsky’’.
En effet, Lénine estimait que les critiques croissantes de Luxemburg à l’égard de Kautsky et de la direction du SPD étaient excessives. En fait, dans Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique (1905), Lénine déclara : ‘‘Quand et où ai-je qualifié le révolutionnisme de Bebel et de Kautsky ‘d’opportunisme’ ? […] Quand et où a-t-on fait apparaître des différences entre moi, d’une part, et Bebel et Kautsky, d’autre part ? L’unanimité totale de la social-démocratie révolutionnaire internationale sur toutes les questions majeures de programme et de tactique est un fait des plus incontestables.’’
Lénine reconnut qu’il y aurait des tendances opportunistes au sein des partis de masse de la classe ouvrière, mais il compara les menchéviques en Russie au révisionnisme de droite de Bernstein, et non au kautskysme. Cette situation perdurera jusqu’au vote du SPD en faveur des crédits de guerre le 4 août 1914. Lorsque Lénine aperçut un numéro du journal du SPD, Vorwärts, justifiant les crédits de guerre, il considéra tout d’abord que ce journal était un faux réalisée par l’état-major général allemand. Rosa Luxemburg ne s’était finalement pas si mal préparée à cette trahison puisqu’elle avait mené une longue lutte avec non seulement les dirigeants de la droite du SPD, mais aussi avec des éléments ‘‘de gauche’’ ainsi que des ‘‘centristes’’ du style de Kautsky.
Trotsky, dans Bilan et perspectives (1906), document dans lequel la théorie de la révolution permanente fut esquissée pour la première fois, avait également une idée de ce qui pourrait survenir : ‘‘Les partis socialistes européens, en particulier le plus grand d’entre eux, le Parti social-démocrate allemand, ont renforcé leur conservatisme à mesure que les grandes masses embrassaient le socialisme et que ces masses s’organisaient et se disciplinaient […] La social-démocratie comme organisation incarnant l’expérience politique du prolétariat est susceptible, à tout moment, de constituer un obstacle direct au conflit ouvert entre les travailleurs et la réaction bourgeoise.’’ Dans son autobiographie, Ma Vie (1930), il écrivit : ‘‘Je ne m’attendais pas à trouver, en cas de guerre, les leaders officiels de l’Internationale capables de prendre une sérieuse initiative révolutionnaire. Mais je n’aurais pas cru que la social-démocratie pût tout simplement ramper à plat ventre devant le militarisme national.’’
Action de masse spontanée
Ce fut l’immense pouvoir du SPD et l’inertie de sa lourde bureaucratie face aux changements radicaux qui s’annonçaient en Allemagne et en Europe qui conduisit à l’une des œuvres les plus connues de Luxemburg, Grève de masse, parti et syndicat (1906). Ce document résume la première révolution russe, dont Luxemburg tira des conclusions politiques et organisationnelles. Il s’agit d’une analyse profondément intéressante du rôle des masses en tant que force motrice ainsi que de leur caractère spontané dans le processus de révolution. En mettant l’accent sur le mouvement indépendant et la volonté de la classe ouvrière en opposition à ‘‘la ligne et la marche de la bureaucratie’’, son analyse s’avéra correcte sur un plan historique au sens large.
De nombreuses révolutions se sont déroulées malgré l’opposition voire le sabotage des dirigeants des organisations ouvrières. Lors des événements révolutionnaires de 1936 en Espagne, alors que les ouvriers de Madrid manifestaient d’abord pour des armes, que leurs dirigeants socialistes refusaient de fournir, les ouvriers de Barcelone se soulevèrent spontanément et écrasèrent les forces franquistes en 48 heures. Ce qui déclencha une révolution sociale qui balaya la Catalogne et l’Aragon jusqu’aux portes de Madrid, les quatre cinquièmes de l’Espagne se trouvant temporairement entre les mains de la classe ouvrière. Par contre, au Chili en 1973, les ouvriers ont écouté leurs dirigeants et sont restés dans leurs usines pendant qu’Augusto Pinochet accomplissait son coup d’Etat. Ils ont été massacrés.
Nous avons également assisté à une explosion révolutionnaire spontanée en France en 1968, lorsque dix millions de travailleurs ont occupé leurs usines pendant un mois. Les dirigeants du Parti communiste et de la Fédération ‘‘socialiste’’, plutôt que de chercher la victoire par le biais d’un programme révolutionnaire de conseils ouvriers et d’un gouvernement ouvrier et paysan, ont consacré tous leurs efforts à faire dérailler ce magnifique mouvement. Au Portugal, en 1974, la révolution balaya la dictature de Marcelo Caetano et, dans un premier temps, donna la majorité absolue des voix à ceux qui se présentaient sous une bannière socialiste ou communiste. En 1975, il en résulta l’expropriation de la majorité de l’industrie. Le Times déclara : ‘‘Le capitalisme est mort au Portugal’’. Ce qui ne fut pas le cas dans la mesure où les initiatives de la base de la classe ouvrière ainsi que les opportunités qu’elles générèrent furent gaspillées. Ce qui explique cela, c’est l’absence d’un parti et d’une direction de masse cohérente et suffisamment influente, capable de fédérer tous les thèmes et d’établir un Etat ouvrier démocratique. Ces exemples démontrent que le mouvement spontané de la classe ouvrière, seul, est insuffisant pour assurer la victoire dans une lutte brutale contre le capitalisme.
Le caractère spontané de la révolution allemande était évident en novembre 1918. Cette éruption de masse a fait fi de tout ce que les dirigeants du SPD souhaitaient. Même la création du Parti social-démocrate indépendant (USPD) – issu d’une scission du SPD en 1917 – ne résulta pas d’une politique consciente de ses dirigeants, y compris de Kautsky, Rudolf Hilferding et du révisionniste Bernstein. Ce parti se développa en raison de la révolte de la classe ouvrière face à l’étranglement de toute opposition à la politique de la direction du SPD concernant la guerre. Cette scission n’a été ni préparée ni souhaitée par ces ‘‘oppositionnels’’. Néanmoins, ils ont emporté avec eux 120.000 membres et un certain nombre de journaux.
La grève générale
L’accent mis par Rosa Luxemburg sur la spontanéité était lié à la question de la grève générale. Se basant sur les grèves de masse de la révolution russe, elle a néanmoins adopté une certaine approche passive et fataliste. Dans une certaine mesure, les dirigeants du KPD en furent affectés après sa mort. Rosa Luxemburg soulignait à juste titre qu’une révolution ne pouvait se faire artificiellement, en dehors d’une maturation des circonstances objectives qui permettaient cette possibilité.
Cependant, le rôle de ce que les marxistes décrivent comme le ‘‘facteur subjectif’’, un parti de masse, une direction clairvoyante, etc., est crucial pour transformer une situation révolutionnaire en une révolution victorieuse. Il en va de même pour le timing, car l’opportunité d’un changement social couronné de succès est susceptible de ne durer que peu de temps. Si l’occasion est perdue, elle peut ne pas se reproduire avant longtemps, et la classe ouvrière peut souffrir d’une défaite. Par conséquent, à un moment crucial, avec un calendrier précis, une direction correcte peut aider la classe ouvrière à prendre le pouvoir. Tel était le rôle des bolchéviques dans la révolution russe de 1917.
C’est le contraire qui se produisit en 1923 en Allemagne. L’opportunité de suivre l’exemple des bolchéviques se présenta mais fut perdue à cause de l’hésitation des dirigeants du KPD soutenus, entre autres, par Staline. Cette situation était en partie conditionnée par l’expérience historique qui, jusque-là, avait comporté des grèves générales partielles au cours des luttes de la classe ouvrière avant la première guerre mondiale. Durant cette période, il y eut des cas où le gouvernement prit peur du déclenchement de la grève générale et fit des concessions pour éviter d’entrainer les masses dans un conflit de classe ouvert. Telle était la situation après la grève générale belge de 1893, déclenchée par le Parti Ouvrier Belge (POB), avec la participation de 300.000 travailleurs, y compris des groupes catholiques de gauche et, à une plus grande échelle, en octobre 1905 en Russie. En effet, sous la pression de la grève, le régime tsariste fit des ‘‘concessions’’ constitutionnelles en 1905.
La situation au lendemain de la première guerre mondiale, période de révolution et de contre-révolution, était tout à fait différente, la grève générale posant plus fermement la question du pouvoir. La question de la grève générale est d’une importance exceptionnelle pour les marxistes. Dans certains cas, il s’agit d’une arme inappropriée. Lors de la marche du général Kornilov contre Petrograd en août 1917, par exemple, ni les bolchéviques ni les Soviets (conseils ouvriers) ne songèrent à déclarer une grève générale. Au contraire, les cheminots continuèrent à travailler pour que les opposants de Kornilov puissent être transportés afin de faire dérailler ses troupes. Les ouvriers d’usines continuèrent également à travailler, à l’exception de ceux qui partirent affronter Kornilov. Lors de la révolution d’Octobre 1917, il ne fut pas non plus question d’une grève générale. Les bolchéviques jouissaient d’un soutien massif et, dans ces conditions, une grève générale les aurait affaiblis eux-mêmes, plutôt que l’ennemi capitaliste. Sur les chemins de fer, dans les usines et les bureaux, les ouvriers aidèrent le soulèvement pour renverser le capitalisme et établir un Etat ouvrier démocratique.
De nos jours, une grève générale est le plus souvent une question de choix entre deux forces antagonistes, où un gouvernement ouvrier alternatif fait implicitement partie de la proposition. Lors de la grève générale de 1926 en Grande-Bretagne, la question du pouvoir se posa et le double pouvoir subsista pendant neuf jours. En 1968, en France, la plus grande grève générale de l’histoire souleva la question du pouvoir, mais la classe ouvrière ne parvint pas à s’en emparer.
La révolution allemande de 1918-1924 fut également le théâtre de grèves générales et de tentatives partielles dans cette direction. Le putsch de Kapp en mars 1920 – lorsque le directeur de l’agriculture de Prusse, qui représentait les junkers et les fonctionnaires impériaux hautement placés, prit le pouvoir avec l’appui des généraux – fut confronté à l’une des grèves générales les plus abouties de l’histoire. Le gouvernement ‘‘n’a pas pu faire imprimer une seule affiche’’, car la classe ouvrière paralysait le gouvernement et l’État. Ce putsch n’a duré qu’un total de 100 heures ! Pourtant, malgré cette étonnante démonstration de force de la classe ouvrière, cela ne conduisit pas à un changement socialiste, précisément à cause de l’absence d’un parti de masse et d’une direction capable de mobiliser les masses et d’établir un Etat ouvrier démocratique alternatif. Les anciens partisans de Luxemburg dans le KPD nouvellement formé commirent des erreurs gauchistes en ne soutenant pas et ne renforçant pas l’action de masse contre Kapp.
Le rôle d’un parti révolutionnaire
La question de la direction et de la nécessité d’un parti est au centre de la vie et du travail de Rosa Luxemburg. Il serait tout à fait partial de l’accuser, comme l’ont tenté quelques-uns des détracteurs de Luxemburg et de Trotsky, de sous-estimer la nécessité d’un parti révolutionnaire. Toute sa vie au sein du SPD a été consacrée à sauver le noyau révolutionnaire de cette organisation du réformisme et du centrisme. De plus, elle avait construit une organisation très stricte et indépendante – un parti – avec son collègue Leo Jogiches en Pologne. Cependant, son dégoût pour le caractère ossifié du SPD et son centralisme explique qu’elle ait, parfois, tordu le bâton trop loin dans l’autre sens. Elle était critique à l’égard de la tentative de Lénine de créer un parti démocratique mais centralisé en Russie.
Lors de la scission entre les bolchéviques et les menchéviques, elle fit office de conciliatrice – tout comme Trotsky (comme en témoigne sa participation au Bloc d’août) – cherchant l’unité entre ces deux groupes en Russie. Mais, après que les bolchéviques eurent gagné à eux les quatre cinquièmes des travailleurs organisés en Russie en 1912, une scission formelle avec les menchéviques eut lieu. Lénine comprit avant les autres que les menchéviques n’étaient pas préparés à une lutte dépassant le cadre du droit foncier russe et du capitalisme. Son approche fut validée par la révolution russe, les menchéviques se retrouvant de l’autre côté des barricades. Après la révolution russe, Rosa Luxemburg se rapprocha du bolchévisme et s’inscrivit dans sa tendance internationale, tout comme Trotsky.
La principale accusation qui puisse être portée contre Luxemburg est que cette dernière ne s’est pas suffisamment chargée d’organiser une tendance clairement délimitée à l’encontre de la droite du SPD et des centristes autour de Kautsky. Il y eut quelques critiques à l’époque et plus tard, selon lesquelles Luxemburg et ses partisans spartakistes auraient dû se séparer immédiatement des dirigeants du SPD, en tout cas après leur trahison au début de la première guerre mondiale. En effet, Lénine, dès qu’il se sentit convaincu de la trahison de la social-démocratie, appela à une scission immédiate, accompagnée d’un appel en faveur d’une nouvelle Internationale, une Troisième Internationale. Une scission politique s’imposait, tant à droite qu’à gauche du SPD. Luxemburg le fit, caractérisant le SPD de ‘‘cadavre puant’’.
La conclusion organisationnelle découlant de cette analyse est cependant de nature tactique plutôt que fondée sur des principes. De plus, il est formidable de pouvoir prendre du recul lorsqu’il s’agit de problèmes historiques réels. Rosa Luxemburg fut confrontée à une situation objective différente de celle des bolchéviques en Russie. Passant la plus grande partie de leur histoire dans la clandestinité, avec une organisation de cadres relativement plus petite, les bolchéviques ont nécessairement acquis un haut degré de centralisation, sans pour autant abandonner leurs solides procédures démocratiques. Il y eut aussi l’histoire tumultueuse du mouvement marxiste et ouvrier en Russie, conditionnée par l’expérience de la lutte politique contre Narodya Volya (la Volonté du Peuple), les idées du terrorisme, les révolutions de 1905 et 1917, la scission entre bolchéviques et menchéviques, la première guerre mondiale, etc. Ces éléments préparèrent une couche de travailleurs avancés, trempée à l’acier, pour les temps de révolution. Rosa Luxemburg se trouva dans une situation tout à fait différente en tant que minorité et fut quelque peu isolée dans un parti légal de masse.
Bien que naturalisée allemande, elle était considérée comme une étrangère, en particulier lorsqu’elle entra en conflit avec la direction du SPD. Malgré cela, son courage transparaît lorsque l’on lit les discours et les critiques qu’elle adressa à la direction du parti au fil des ans. Elle critiqua les ‘‘nourrissons incorrigibles du crétinisme parlementaire’’, ce que nous pourrions qualifier aujourd’hui d’électoralisme. Elle lacéra même August Bebel, le dirigeant du parti qui de plus en plus ‘‘n’entendait que de son oreille droite’’. Accompagnée de Clara Zetkin, elle déclara, ironique, à Bebel : ‘‘Oui, vous auriez pu écrire notre épitaphe : ici reposent les deux derniers hommes de la social-démocratie allemande.’’ Les exploits de Rosa, en particulier dans le domaine des idées, celui de la théorie marxiste, furent remarquables en soi, mais aussi et surtout en tant que femme dans ce qui était encore une société fortement dominée par les hommes, ce qui se répercuta également sur le SPD. Elle blâma le SPD de ramper derrière les dirigeants de la classe moyenne dans un excellent aphorisme approprié à ceux qui soutiennent le coalitionnisme aujourd’hui. Elle écrit alors qu’il était bien plus nécessaire ‘‘d’agir sur les progressistes et peut-être même les libéraux que d’agir avec eux’’.
Mais un élément vital du marxisme dans le développement de l’influence politique à travers une organisation ou un parti solide ne fut pas suffisamment développé par Rosa Luxemburg ou ses partisans. Cela ne doit pas nécessairement prendre la forme d’un parti distinct dans tous les cas. Mais un noyau bien organisé est essentiel pour préparer l’avenir. Luxemburg n’y est pas parvenue, ce qui devait avoir de graves conséquences lors du déclenchement de la révolution allemande. Rosa Luxemburg et Jogiches se sont correctement opposés aux scissions prématurées. Elle écrivit : ‘‘Il a toujours été possible de quitter de petites sectes ou de petites maisons de campagne et, si l’on ne veut pas y rester, de se consacrer à la construction de nouvelles sectes et de nouvelles maisons de campagne. Mais ce n’est qu’une rêverie irresponsable que de vouloir libérer toute la masse de la classe ouvrière du joug très lourd et dangereux de la bourgeoisie par une simple sortie.’’
Travailler dans des organisations de masse
Cette approche se justifie lorsqu’une tactique consciente est poursuivie par les marxistes au sein des partis de masse. Telle était l’approche en Grande-Bretagne de Militant, organisation devenue depuis lors le Socialist Party (parti-frère du PSL et section du Comité pour une Internationale Ouvrière, NDT), lorsquelle travaillait au sein du Parti travailliste, dans lequel, dans les années 1980, nous disposions peut-être de la position la plus puissante du trotskysme en Europe occidentale – du moins, probablement depuis l’Opposition de gauche de Trotsky.
Mais une telle approche, légitimée par une période historique donnée, peut se révéler une erreur monumentale lorsque les conditions changent, en particulier lorsque des bouleversements révolutionnaires abrupts sont en vigueur. Rosa Luxemburg et Jogiches ne pourraient pas être blâmés d’avoir cherché à s’organiser au sein du SPD aussi longtemps que possible et, par la suite, au sein de l’USPD. En effet, Lénine, dans son empressement à créer des partis communistes de masse après la révolution russe, était parfois un peu impatient lorsqu’il suggérait de se séparer des organisations social-démocrates. Il proposa une scission rapide des communistes du Parti socialiste français en 1920, mais il changea d’avis après qu’Alfred Rosmer, qui se trouvait à Moscou à l’époque, suggéra que les marxistes avaient besoin de plus de temps pour amener la majorité à la position de la Troisième Internationale communiste.
Lénine, en outre, tout en proposant la création de la Troisième Internationale en tant que rupture avec la Deuxième Internationale, était disposé à corriger sa position si les événements ne se déroulaient pas comme il les avait envisagés. Il écrivit : ‘‘Le futur immédiat montrera si les conditions sont déjà mûres pour la formation d’une nouvelle Internationale marxiste (…) Si ce n’est pas le cas, cela montrera qu’une évolution plus ou moins longue est nécessaire en vue de cette purge. Dans ce cas, notre parti sera l’opposition extrême au sein de l’ancienne Internationale – jusqu’à ce qu’une base soit formée dans différents pays en faveur d’une association internationale de travailleurs qui s’appuie sur le marxisme révolutionnaire.’’ Lorsque les vannes de la révolution furent ouvertes en février 1917 en Russie, et que les masses inondèrent l’arène politique, même les bolchéviques – malgré leur histoire passée – obtinrent un soutien d’environ 1% dans les soviets, et de 4% en avril.
La véritable faiblesse de Luxemburg et de Jogiches ne tenait pas au fait qu’ils refusaient de scissionner mais que, dans la période historique précédente, ils ne furent pas organisés en une tendance clairement définie au sein de la social-démocratie en vue de se préparer aux explosions révolutionnaires qui ont sous-tendu le travail de Rosa Luxemburg pendant plus de dix ans. La même critique – mais avec plus de fondement encore – pourrait être adressée à certains de ces courants de gauche, et même marxistes, qui travaillent ou ont travaillé au sein de larges formations, parfois dans de nouveaux partis. Ceux-ci ont été politiquement indissociables des dirigeants réformistes ou centristes. Ce fut le cas en Italie, au sein du Parti de la refondation communiste (PRC), où les mandelistes du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, (SUQI, maintenant organisés à l’extérieur, au sein de Sinistra Critica) étaient partisans de la majorité de Fausto Bertinotti jusqu’à ce qu’ils quittent le parti.
Politiquement, Luxemburg ne se comporta pas ainsi. Toutefois, elle ne parvint pas non plus à tirer toutes les conclusions organisationnelles nécessaires à la préparation d’un cadre solide pour une future organisation de masse, en prévision des événements tumultueux en Allemagne. C’est cet aspect que Lénine critiqua dans ses commentaires sur la ‘‘Brochure de Junius’’ de Rosa Luxemburg (1915). Lénine admit qu’il s’agissait d’une ‘‘splendide œuvre marxiste’’, quoiqu’il jugea confuse l’opposition qu’elle y fit entre la première guerre mondiale, qui était une guerre impérialiste, et les guerres légitimes de libération nationale. Mais Lénine commenta aussi que, dans cette brochure, ‘‘on sent le solitaire [il ne savait pas que Rosa Luxemburg, ayant signé Junius, en était l’auteure], qui n’agit pas au coude à coude avec des camarades au sein d’une organisation illégale habituée à penser les mots d’ordre révolutionnaires jusqu’au bout et à éduquer méthodiquement la masse dans leur esprit’’.
Lénine a systématiquement formé et organisé les meilleurs travailleurs de Russie dans le but de s’opposer implacablement au capitalisme et à ses ombres au sein du mouvement ouvrier. Cela supposait nécessairement d’organiser clairement un groupe, une faction organisée sur la base de principes politiques fermes, capable de faire face aux affrontements de demain, en ce compris la révolution.
Rosa Luxemburg fut une figure importante dans tous les congrès de la Deuxième Internationale et remporta généralement les votes du parti social-démocrate polonais en exil. Elle fut également membre du Bureau Socialiste International. Cependant, comme le souligne Pierre Broué : ‘‘Elle n’a jamais été en mesure d’établir une plateforme permanente au sein du SPD, fondée sur le soutien d’un périodique ou d’un journal ou d’un public stable plus large qu’une poignée d’amis et de sympathisants autour d’elle.’’
L’opposition croissante à la guerre a cependant élargi le cercle de soutien et de contacts de Luxemburg et du groupe spartakiste. Trotsky résume ainsi son dilemme : ‘‘Le mieux que l’on puisse dire est que dans son évaluation historico-philosophique du mouvement ouvrier, la sélection préparatoire de l’avant-garde, en comparaison aux actions de masse qui étaient prévisibles, a fait défaut à Rosa ; tandis que Lénine – sans se réconforter dans de potentiels miracles pour les actions à venir – a réuni les travailleurs avancés et les a constamment et sans relâche soudés ensemble en noyaux solides, illégalement ou légalement, au sein d’organisations de masse ou souterraines, à travers un programme bien défini.’’ Après la révolution de novembre 1918, cependant, Rosa commença son ‘‘travail acharné’’ pour réunir un tel cadre.
Un programme pour une démocratie ouvrière
Plus encore, Rosa exposait très clairement les tâches idéologiques : ‘‘Le choix ne consiste pas aujourd’hui à choisir entre la démocratie et la dictature. La question mise à l’ordre du jour par l’histoire est la suivante : démocratie bourgeoise ou démocratie socialiste, dans la mesure où la dictature du prolétariat est la démocratie au sens socialiste du terme. La dictature du prolétariat ne signifie pas bombes, putschs, émeutes ou ‘anarchie’ comme le prétendent les agents du capitalisme’’. Ce qui permet de répondre à ceux qui cherchent à détourner l’idée de Karl Marx quand celui-ci parlait de la ‘‘dictature du prolétariat’’. Aujourd’hui, comme l’a souligné Luxemburg, cette expression est synonyme de démocratie ouvrière. Les marxistes doivent essayer d’atteindre les meilleurs travailleurs, et doivent éviter tout langage qui pourrait donner une image erronée de ce que nous avons l’intention de construire pour l’avenir. En raison de ses connivences avec le stalinisme, nous n’utilisons donc plus le terme ‘‘dictature du prolétariat’’. Nous exprimons toutefois la même idée dans notre appel en faveur d’une économie socialiste planifiée, organisée sur le fondement de la démocratie ouvrière.
La révolution allemande a non seulement renversé l’empereur, mais elle a aussi fait germer ce programme à travers le réseau des conseils ouvriers et militaires inspiré de la révolution russe. Une période de double pouvoir fut initiée et les capitalistes furent contraints de faire d’importantes concessions aux masses, comme par exemple la journée de huit heures. Mais les dirigeants du SPD, à l’instar de Gustav Noske et Philipp Scheidemann, conspirèrent avec les capitalistes et la vermine réactionnaire du Freikorps, prédécesseurs des fascistes, pour se venger. Le général Wilhelm Groener, qui dirigeait l’armée allemande, le reconnut plus tard : ‘‘Le corps des officiers ne pouvait coopérer qu’avec un gouvernement qui entreprenait la lutte contre le bolchévisme […] Ebert [le dirigeant du SPD] avait pris sa décision en la matière […] Nous avons fait une alliance contre le bolchévisme […] Il n’existait aucun autre parti qui avait assez d’influence sur les masses pour permettre le rétablissement d’un pouvoir gouvernemental avec l’aide de l’armée’’. Peu à peu, les concessions aux travailleurs furent sapées et une campagne virulente contre la ‘‘terreur bolchévique’’, le chaos, les Juifs, et en particulier la ‘‘Rosa la sanglante’’, fut déclenchée. La Ligue Anti-Bolchévique organisa son propre service de renseignement et créa, selon les termes de son fondateur, une ‘‘organisation anticommuniste active de contre-espionnage’’.
En opposition au slogan ‘‘Tout pouvoir aux soviets’’ (de la révolution russe), la réaction menée par le SPD de Noske s’est mobilisée derrière le concept de ‘‘Tout pouvoir au peuple’’. Ce fut leur façon de saper les ‘‘soviets’’ allemands. Une assemblée constituante fut présentée comme une alternative à l’idée de Luxemburg et Liebknecht de créer un conseil national des conseils pour initier un gouvernement ouvrier et paysan. Malheureusement, la gauche centriste, désordonnée, dont le parti USPD grandissait considérablement à mesure que les dirigeants du SPD perdaient leur soutien, laissa échapper l’occasion de créer un mouvement des conseils pour toute l’Allemagne.
Le mécontentement des masses se refléta dans le soulèvement de janvier 1919. De telles étapes sont atteintes dans toutes les révolutions lorsque la classe ouvrière constate que ses gains sont repris par les capitalistes et descendent dans la rue : les ouvriers russes en juillet 1917, les journées de mai en Catalogne en 1937 pendant la révolution espagnole.
Les jours de juillet arrivèrent quatre mois après la révolution de Février 1917. En Allemagne, le soulèvement eut lieu deux mois seulement après le tournant révolutionnaire de novembre 1918. Cette information est révélatrice de la vitesse des événements. Étant donné l’isolement de Berlin par rapport au reste du pays, à ce stade, un échec ou une défaite était inévitable. Ce qui devint d’autant plus grave pour la classe ouvrière avec les meurtres de Liebknecht et de Luxemburg. Un peu comme si Lénine et Trotsky avaient été assassinés en juillet 1917, supprimant les deux dirigeants dont les idées et les orientations politiques menèrent au succès de la révolution d’Octobre. Lénine – extrêmement modeste sur le plan personnel – était conscient de son propre rôle politique vital et prit des mesures, en se cachant en Finlande, afin d’éviter de tomber entre les mains de la contre-révolution.
Malgré l’incitation de Paul Levi à quitter Berlin, Luxemburg et Liebknecht restèrent dans la ville, entraînant les conséquences terribles qui suivirent. Il ne fait aucun doute que l’expérience politique de Luxemburg aurait été un puissant facteur pour prévenir certaines des erreurs – en particulier celles de l’ultra-gauche – qui furent commises par la suite lors de la révolution allemande. Dans les événements bouillonnants de 1923, Rosa Luxemburg, avec son instinct vif quant au mouvement de masse et sa capacité à évoluer avec les circonstances, n’aurait probablement pas fait l’erreur commise par Heinrich Brandler et la direction du KPD tandis que ceux-ci laissèrent filer une des occasions les plus propices de l’histoire pour réaliser une révolution ouvrière et changer le cours de l’histoire du monde.
Luxemburg et Liebknecht figurent au panthéon des grands marxistes. Ne serait-ce que pour sa contribution théorique, Rosa Luxemburg mérite d’être aux côtés de Marx, Engels, Lénine et Trotsky. Ceux qui prétendent qu’elle est une critique des bolchéviques et de la révolution russe se trompent complètement. Elle critiqua d’abord les politiques des bolchéviques en 1918, isolée dans sa cellule de prison, mais se laissa persuader de ne pas publier ses commentaires par ses plus proches partisans de l’époque. Pourtant, même dans ses travaux les plus erronés, elle écrivit à propos de la révolution russe et des bolchéviques la chose suivante : ‘‘Tout ce qu’un parti peut offrir de courage, de clairvoyance révolutionnaire et de cohérence en une heure historique, Lénine, Trotsky et les autres camarades en ont donné une bonne mesure […] Leur soulèvement d’Octobre fut non seulement le salut véritable de la révolution russe ; ce fut aussi le salut de l’honneur du socialisme international’’. Seuls les adversaires pernicieux des traditions héroïques du parti bolchévique utilisèrent ce matériau après sa mort pour tenter de séparer Luxemburg de Lénine, Trotsky, des bolchéviques et de la révolution russe.
Elle commit des erreurs sur la question de l’indépendance de la Pologne. Elle se méprit sur les différences entre les bolchéviques et les menchéviques, même en juillet 1914 en soutenant les opportunistes qui défendaient ‘‘l’unité’’ entre ces deux groupes. Comme Lénine le souligna, elle se fourvoyait également sur la théorie économique de l’accumulation de capital. Mais, comme le dit aussi Lénine, ‘‘malgré ses erreurs, elle était – et reste pour nous – un aigle’’. Il en va de même pour les travailleurs et les jeunes les plus avancés d’aujourd’hui qui ont l’occasion d’étudier ses œuvres en vue de préparer la lutte pour le socialisme.