Gaza : « Plus ils nous tuent, plus la colère augmente »

Entretien avec un militant de Gaza

Ces dernière semaines, la bande de Gaza a connu une des vagues de contestation les plus importantes jamais vue de la part de Palestiniens contre le siège brutal qui leur est imposé par le régime israélien en collaboration avec l’Égypte, et qui force la population à vivre dans des conditions épouvantables.

Entretien accordé au journal « The Socialist », journal du Socialist party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles)

Ces actions, qui ont rassemblé des milliers de gens semaine après semaine, ont subi une répression extrêmement sanglante de la part du gouvernement israélien. Au moment où nous écrivons cet article, plus de 100 manifestants ont été tués et plus de 10.000 ont été gravement blessés par le gouvernement capitaliste israélien, prêt à tout pour empêcher l’émergence d’un mouvement de masse.

Le Mouvement de lutte socialiste (section du CIO en ISraël-Palestine) est en entière solidarité avec ce mouvement. Nos camarades ont parlé avec un jeune militant palestinien, Ahmed a-Na’ouq, 24 ans, originaire de Deir el-Balah dans la bande de Gaza. Il nous a raconté l’impact de la répression ultraviolente, des conditions de vie atroces et du mouvement de contestation.

Ahmed nous a décrit la scène de l’une des premières actions : « C’était horrible. J’ai vu des manifestants se faire tuer pendant qu’on les amenait aux ambulances. Les Israéliens étaient fortifiés derrière une colline de sable. Grâce à un générateur, nous avions du courant ce soir-là. La plupart du temps, il n’y a aucun approvisionnement en électricité. Plus ils nous tuent, plus la colère augmente. Imaginons, par exemple, que l’armée israélienne ait tué mon frère, je n’aurai plus peur. Je ne pourrai plus rester à la maison. Et… l’armée israélienne a tué mon frère dans la dernière guerre. »

Plus de 2000 habitants de Gaza sont morts dans la guerre de 2014, dont le grand frère d’Ahmed et plusieurs de ses amis. Lui-même n’a jamais quitté Gaza de sa vie. « Mon plus grand rêve est de voyager. Je ne suis jamais sorti de Gaza de ma vie. Ça me détruit vraiment. »

Les actions des habitants de ces dernières semaines sont les plus importantes jamais organisées contre le siège. Près de 40.000 personnes étaient là le premier jour. Malgré la lourde répression, le mouvement s’est poursuivi. 50.000 personnes étaient encore mobilisées le 14 mai.

Ce mouvement, appelé la « Grande Marche du retour », était censé culminer le 15 mai, qui est le 70e anniversaire de la « Nakba » palestinienne, le jour où 800.000 habitants ont été déguerpis de leurs maisons et de leurs terres pour faire de la place à Israël nouvellement créé. Depuis ce jour, ils ne sont plus rentrés chez eux. 70 % de la population de Gaza sont des familles de réfugiés de 1948. La grand-mère d’Ahmed est une réfugiée de Beer-Sheva.

Ahmed nous explique : « Nous ne protestons pas dans l’idée que cette seule action nous permettra de récupérer nos terres. L’objectif est de rappeler au reste du monde que c’est notre droit de rentrer chez nous. Cette action est exclusive aux gens de la bande de Gaza. Personne ne manifeste en ce moment en Cisjordanie ou au Liban. Mais à notre niveau, les conditions ne font qu’empirer. Il n’y a plus d’eau du tout. Même la mer, qui est la seule source de rafraichissement en été, est entièrement polluée, parce que nous n’avons plus d’électricité pour faire fonctionner les stations de traitement des eaux usées. »

De nombreux bâtiments sont toujours en ruine depuis la guerre de 2014. Le taux de chômage à Gaza est un des plus élevés du monde, officiellement de 40 %, voire 60 % chez les jeunes de moins de 30 ans. Les médias font état d’une hausse du nombre de suicides ces deux dernières années. Le salaire moyen est d’à peine 13 € par jour.

« Toutes les sources de revenus sont en train d’être coupées. L’Autorité palestinienne nous enfonce encore plus d’ailleurs, en coupant les salaires de ses employés à Gaza – un revenu dont beaucoup de gens dépendent. Même les employés du Hamas ne reçoivent pas de salaire complet. Aussi, depuis que Trump a annoncé le retrait des États-Unis de leur financement, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens et les autres ONG sont en crise. Cela a provoqué la disparition de nombreux services de base à la population. L’État israélien a lui aussi cessé les transferts budgétaires. Les quelques employés d’ONG qui ont la chance d’être encore payés ne touchent plus que la moitié ou le tiers de leur salaire ».

Une réalité catastrophique

La crise que connaissent les ONG à Gaza a été décrite dans un article publié le mois passé par Ahmed, qui lui-même est coordinateur du projet « Nous ne sommes pas des numéros », qui publie le récit de la vie des jeunes Palestiniens dans cette zone fermée. La moitié de la population a moins de 18 ans – soit un million de gens.

Toute une génération est née et a grandi dans cette réalité catastrophique. Ce sont ces jeunes gens qui sont à l’avant-plan du mouvement de contestation.

« La première manifestation à laquelle je suis parti était celle du deuxième jour, le 31 mars. Des milliers de gens y étaient. Ce qui m’a tout d’abord impressionné était l’atmosphère positive, les gens qui agitaient des drapeaux et qui criaient des slogans pour la liberté. Ils étaient loin de la clôture, peut-être à 800 mètres, vers la première rangée de maisons. Mais ceux qui s’étaient rapprochés de la clôture, étaient les plus en colère ; ce sont eux que les soldats israéliens ont abattu ».

La propagande du gouvernement israélien cherche évidemment à décrire ces manifestants comme les véritables auteurs des violences. « Mais qui est réellement victime de la violence dans ce combat inégal ? La presse officielle israélienne n’est qu’un outil au service du régime pour créer une hystérie sécuritaire. Elle met en avant les dégâts infligés aux cultures par les « cerfs-volants Molotov », tout en fermant les yeux sur la violence extrême exercée 24 h sur 24 sur les habitants de Gaza. Le comité d’organisation des manifestations a bien insisté sur le fait qu’il ne recherche pas de confrontation directe avec l’armée ».

Ahmed remarque que, face au mouvement qui regroupe de nombreux « jeunes en colère, dépourvu de toute possibilité de mener une vie normale », l’armée israélienne utilise des armes mortelles, y compris, selon les équipes médicales, des balles explosives aux effets particulièrement sanglants (peut-être même des balles dum-dum).

Nous avons demandé à Ahmed dans quelle mesure il pense que cette répression décourage les manifestants. « La plupart des gens sont favorables, mais d’autres disent que ça ne sert à rien, que ça ne permettra pas de faire cesser le siège ni les crimes contre nous. Et certaines personnes ont vraiment peur de cette situation. Mais la majorité soutiennent et pensent que c’est une excellente initiative qui permet d’attirer l’attention du reste du monde sur notre situation ».

Il s’agit selon lui d’un mouvement populaire, non contrôlé par le moindre parti politique. Même le comité d’organisation, qui inclut des représentants des différentes factions du mouvement national palestinien, ne contrôle pas chaque action sur le terrain. Il pense que les actions vont se poursuivre après le 15 mai.

Et il a un autre message : « Il y a des victimes dans les deux camps. Notre situation à Gaza est tout simplement catastrophique. Les Palestiniens souffrent énormément. Et les Israéliens aussi souffrent de l’insécurité. Il nous faut trouver une solution qui convienne aux deux camps. Les Israéliens de mon âge doivent ouvrir les yeux. Ce que le gouvernement israélien fait est très mauvais. Ils doivent s’y opposer. S’ils demandent à leur gouvernement de changer de politique, je pense que nous avons une chance pour l’avenir. Nous devons tous nous dresser contre l’oppression et l’injustice pour exiger une vie normale, une vie qui garantisse l’égalité de tout le monde ».

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