Solidarité avec Afrin ! Résistance populaire contre l’occupation turque !

Action de solidarité à Bruxelles ce 3 mars. Photo : Mario

La fin de l’Etat islamique ne signifie pas celle de l’instabilité – la seule issue est l’action indépendante des masses

Des centaines de milliers de personnes (combattants ou civils) ont perdu la vie au cours de la guerre contre le ‘‘califat’’ de l’Etat islamique (Daesh) en Irak et en Syrie. Sans compter toutes les victimes d’attentats au Yémen et ailleurs dans le Moyen-Orient et dans le monde. Sans compter les milliers de femmes yazidies enlevées et forcées à devenir des esclaves sexuelles. Sans compter les centaines de milliers de personnes dont la vie a été plongée dans l’horreur et le chaos. Ce chaos, hélas, ne disparaitra pas avec le prétendu ‘‘califat’’.

Par Nicolas Croes

S’il y a bien un terme adéquat pour correspondre à l’état actuel du monde capitaliste, c’est celui ‘‘d’explosif’’. Depuis l’éclatement de la crise économique, l’instabilité politique et sociale a gagné en intensité, de même que la concurrence – voire les conflits – entre les diverses grandes puissances et leurs alliés. A l’aube du 21e siècle, les Etats-Unis régnaient en véritables ‘‘gendarmes du monde’’ à l’autorité incontestée. Il n’a pas fallu 20 ans pour que cette situation vole en éclats.

Casse-tête et migraines dans les Etats-majors

Ce 20 mars, cela fera 15 ans que l’Irak a été envahie par la coalition dirigée par les Etats Unis. A l’époque nous avions activement participé au mouvement anti-guerre – sans pour autant accorder le moindre soutien à la dicta ture de Saddam Hussein – en expliquant notamment que l’occupation ouvrait la voie à ‘‘plusieurs Saddam’’. Les évènements qui suivirent nous ont tragiquement donné raison.

Aujourd’hui se profilent les premières élections législatives post-Daesh, le 12 mai, dans un pays dévasté. Au Nord du pays, dans le Kurdistan irakien, les aéroports sont fermés et les fonctionnaires kurdes ne reçoivent plus de salaire de la part des autorités irakiennes en punition du référendum d’indépendance de septembre 2017 (92,7% des Kurdes irakiens ont voté en faveur de l’indépendance avec une participation de plus de 72%).

Ailleurs dans le pays, ‘‘Si le processus de stabilisation ne commence pas vite, les germes sont là pour que ressurgissent d’autres formes de terrorisme’’, a déclaré le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français, venu à Bagdad soutenir le Premier ministre irakien Haïder Al-Abadi. La reconduction de ce dernier pour un second mandat est loin d’être acquise après le 12 mai. Pour lui, la reconstruction du pays nécessite 88 milliards de dollars (71 milliards d’euros). Les alliés de l’Irak ont, le 14 février, promis de mobiliser 30 milliards de dollars seulement. Que restera-t-il de ces maigres promesses ? Mystère. Ce qui est certain, c’est que les nouveaux marchés qui s’ouvrent aux entreprises font l’objet d’une attention bien plus soutenue de la part de la France, des Etats-Unis, de la Turquie, de l’Arabie saoudite, du Qatar, du Koweït…

Après des décennies de chaos activement provoqué et entretenu par les puissances occidentales, toutes les forces en présence recherchent une certaine stabilité. Mais leurs intérêts divergent profondément. En mai 2017 a pris place le sommet de Riyad durant lequel Trump, le souverain saoudien Salmane, le président égyptien al-Sissi et d’autres dirigeants arabes se sont engagés à ‘‘combattre le terrorisme’’ de concert. Le 23 novembre, un sommet tripartite a réuni les présidents russe, iranien et turc. L’Iran et la Turquie se sont rapprochés, notamment du fait de leur opposition commune au référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien.

La France, tout d’abord, puis les Etats-Unis ont fait une volte-face concernant le régime de Bachar al-Assad, considéré comme faisant partie de la solution post-Daesh tandis que ce dernier et ses alliés, la Russie, le Hezbollah, les milices chiites irakiennes pro-iraniennes et l’Iran ont tenté d’occuper le plus de terrain possible pour l’après-Daesh, y compris à la frontière irakienne, pour pouvoir exiger une certaine légitimité sur tout le pays. Les Etats-Unis ont tenté d’amener le Premier ministre irakien à se rapprocher des Saoudiens mais, lors de la réunion de la Ligue arabe de la mi-novembre, le gouvernement irakien a refusé de condamner le Hezbollah et l’Iran. Une des clés de compréhension de cette attitude réside dans l’incorporation de milices chiites soutenues par l’Iran dans les forces de sécurité irakienne.

La lutte indirecte entre l’Iran et l’Arabie saoudite qui prend actuellement place au Yémen pourrait s’étendre en Irak. Les régimes sunnites sont de plus divisés quant à l’impatience inconsidérée de Trump. Les Etats du golfe, surtout l’Arabie saoudite et l’Egypte, reprochent au Qatar son soutien aux Frères Musulmans, à Al Jazeera et à l’Iran.

L’épine kurde dans le pied des différentes puissances

L’équilibre des forces est précaire dans toute la région. Pacifier les parties en lutte et instaurer un partage du pouvoir stable en Syrie, en Irak et, par extension, dans tout le Moyen Orient, est aujourd’hui plus éloigné que jamais.

Jadis, l’Occident espérait que le régime d’Erdogan pourrait servir d’exemple d’une démocratie musulmane moderne et modérée qui réussirait également à repousser l’influence du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et deviendrait un modèle pour toute la région. Ces illusions ont été balayées par les victoires militaires des Kurdes syriens, la victoire électorale du parti HDP (Parti démocratique des peuples, pro-kurde) en 2015, l’arrêt de la croissance économique, puis le coup d’Etat manqué de juillet 2016 suivi d’une énorme répression et de l’installation d’un état d’urgence permanent et enfin d’un référendum sur une dictature présidentielle dans l’Etat turc.

Depuis le 20 janvier, l’Etat turc a lancé une offensive sanglante contre les Kurdes à Afrin, dans le nord de la Syrie, dans le prolongement de l’offensive dévastatrice menée en 2016 contre les régions kurdes de Turquie. Ce n’est qu’en 2016 que des avions turcs ont bombardé pour la première fois les bases de Daesh en Syrie. Mais le prétexte de la prétendue ‘‘guerre contre le terrorisme’’ des forces occidentales a été saisi par le régime d’Erdogan pour couvrir le bombardement des forces kurdes qui combattaient Daesh sur le terrain ! Plutôt qu’une victoire kurde, l’Etat turc préférait très clairement que Daesh l’emporte.

Les Kurdes composent une nation sans Etat, divisée entre l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie depuis l’accord conclu après la Première guerre mondiale entre puissances impérialistes pour découper la région. Dans l’instabilité créée par la guerre en Irak de 2003, ils ont développé des zones autonomes en Irak et en Syrie. Le régime turc craint ce que cela pourrait signifier pour la Turquie elle-même.

Les combattants kurdes ont fait preuve d’héroïsme dans leur lutte contre Daesh. Mais bon nombre de leurs gains ont été réalisés aux côtés d’attaques aériennes des forces russes et américaines. Le Parti Socialiste de Lutte (PSL) et le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) ont à plusieurs reprises averti que les États-Unis et la Russie n’étaient pas des amis du peuple kurde. Ils utilisent les combattants kurdes quand cela leur convient pour les abandonner ensuite tout aussi facilement. C’est ce que nous avons brutalement vu se produire en 1991, lorsque George H. W. Bush a encouragé un soulèvement contre Saddam Hussein pour ensuite laisser les Kurdes être massacrés. La même chose menace maintenant de se produire à Afrin: une fois Daesh vaincu, les Etats-Unis et la Russie ont permis à la Turquie de faire déferler sa machine de guerre.

Pour une résistance de masse !

Les Kurdes ont bien entendu le droit de se défendre. Le plus efficace serait au moyen de comités de défense démocratiques, non sectaires et multiethniques, capables de donner un rôle actif à la population. Les territoires actuellement sous contrôle kurde sont peuplés d’Arabes, de Turkmènes et de Kurdes. Il est vital de faire appel à ces masses pour qu’elles s’organisent ensemble. En défendant le droit à l’autodétermination des peuples, il serait possible de construire un mouvement qui résisterait aux attaques turques et s’adresserait aux travailleurs et aux pauvres de toute la région.

Il est également important de lancer un appel à la classe ouvrière en Turquie. Dans une situation aussi terrible, cela peut sembler éloigné. Un tel appel doit reposer sur un programme de défense des droits démocratiques, pour de bons emplois et des logements décents mais aussi pour que les vastes ressources de la région soient détenues et contrôlées démocratiquement par la collectivité, au bénéfice de tous. Les travailleurs et les pauvres en Turquie n’ont rien à gagner de l’oppression des Kurdes, qui ne fait que renforcer le gouvernement et les patrons qui les exploitent et les oppriment également.

La plus grande crainte des riches, des grands patrons et des propriétaires terriens ainsi que de leurs représentants politiques serait le rassemblement des travailleurs kurdes, irakiens, turcs, syriens et iraniens dans un mouvement qui pourrait défier les gouvernements locaux, les impérialistes et le capitalisme lui-même.

Nous soutenons le droit démocratique du peuple kurde à l’autodétermination, y compris, s’il le souhaite, jusqu’à la pleine autonomie et à l’établissement d’États indépendants ou d’un État commun à tous les Kurdes. Une confédération socialiste sur base volontaire au Moyen-Orient permettrait à tous les peuples de décider librement et démocratiquement de leur destin.

Sur Twitter, un jeune syrien réagissait ainsi aux bombardements du régime syrien sur la Ghouta (à l’est de Damas) : ‘‘Qu’est-ce que cette humanité qui envoie des navettes sur Mars et qui ne peut rien faire pour sauver des vies qu’on assassine ?’’ C’est sur ce type de contradictions que repose le système capitaliste. Il sera plus facile de renverser ce système que d’obtenir la paix et le respect des peuples en restant dans ses étroites limites.

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