[DOSSIER] La contre-révolution gagne du terrain au Venezuela

Renforcement de la bureaucratie Chaviste, développement de la Boli-bourgeoisie et retour de la droite sur la scène politique

La période actuelle est une période de grands changements. Il y a une dizaine d’années, le rythme de la lutte des classes était très faible dans la majeure partie du monde. La classe ouvrière européenne paraissait comme endormie et peu d’entre nous auraient espéré des mouvements de lutte massifs en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Un continent faisait pourtant déjà rêver beaucoup de travailleurs et de jeunes : l’Amérique latine et, notamment, le Venezuela.

Par Ben (Hainaut), de retour de 6 mois au Venezuela

Ce pays fut en effet un symbole du renouveau des luttes contre le néolibéralisme avec l’arrivée de Chavez au pouvoir en 1998 mais aussi le premier pays ou on a remis l’idée de socialisme à l’ordre du jour. Alors qu’aujourd’hui, le rythme de la lutte des classes s’est considérablement accéléré de ce côté-ci de l’Atlantique, le Venezuela fait face à des processus contre-révolutionnaire de plus en plus puissant.

L’arrivée de Chavez au pouvoir fut un tournant dans la situation mondiale, mais ce fut également un développement positif important pour les masses vénézuéliennes. Les réformes mises en place par le nouveau régime, dont les fameuses missions, ont permis énormément d’avancées. Entre 1998 et 2009, la pauvreté est tombée de 43%, le taux de mortalité infantile est tombé de 35% et l’espérance de vie moyenne a augmenté de presque deux ans. La consommation d’aliments par personne a augmenté de 25%. Des efforts considérables ont été accomplis pour augmenter le nombre de personnes ayant accès à l’eau ou à l’énergie. Le chômage a diminué : de 11% en 1998, il passa à 16,8% en 2003 à cause du lock-out patronal, mais diminua jusqu’à 7,5% en 2009 en grande partie grâce à la création d’emploi dans le secteur public. Un million de personnes ont pu sortir de l’analphabétisme et des millions ont pu voir un docteur pour la première fois de leur vie. Et l’on pourrait encore citer d’autres types d’indicateurs.

Dès les premières années de réformes, l’ancienne classe dominante et l’impérialisme américain ont considéré le changement comme une déclaration de guerre à laquelle il fallait répondre au plus vite. Tous les coups étaient permis pour renverser ce Chavez, qui voulait créer un ‘‘capitalisme à visage humain’’ au Venezuela. La tentative de coup d’Etat de 2002 et le ‘‘lock-out’’ patronal de 2002-2003 ont été les événements les plus spectaculaire, mais il y a également eu l’utilisation des médias pour faire de la propagande mensongère, les actes de sabotage économique pour créer des pénuries de biens de consommation ou encore les défis électoraux.

Les réactions spontanées des masses populaires sont parvenues à vaincre toutes ces tentatives de contre-révolution, ce qui a donné un nouveau souffle au processus révolutionnaire. Les masses ont été confiantes en leur capacité collective à changer la société et ont même poussé Chavez à entreprendre des réformes plus importantes. Chavez, poussé par les masses, a peu à peu compris qu’il est impossible de faire un ‘‘capitalisme à visage humain’’ et a commencé à ouvertement parler de la nécessité de construire le ‘‘socialisme du 21ème siècle’’ (pour la première fois début 2005). Il a par la suite également lancé le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (créé en 2006).

La droite à nouveau à l’offensive

La force des masses vénézuélienne et la grande augmentation du niveau de conscience de classe dans la société a tellement mis à mal le patronat vénézuélien et ses laquais politiques que beaucoup ont cru (et certains le croient encore) qu’ils avaient disparu à jamais, qu’ils ne pourraient plus revenir. La droite n’était d’ailleurs presque plus représentée à l’assemblée nationale depuis 2005 et leurs militants ne pouvait pas faire de propagande dans les quartiers de manière trop visible sans se faire jeter dehors par les habitants, tant le soutien au processus révolutionnaire était important.

Ce n’était cependant qu’une illusion temporaire, le capitalisme n’ayant pas été vaincu, la menace de la contre révolution étant toujours bel et bien présente. C’est d’autant plus clair aujourd’hui, avec la nouvelle assemblée nationale élue en septembre 2010. On a aujourd’hui 65 députés de l’alliance de l’opposition de droite rejointe par les deux députés du PPT contre 98 députés chavistes. Mais le pire est qu’en terme de vote, c’est la droite qui était majoritaire (voir notes), c’est uniquement grâce à la récente modification du système électoral que les chavistes gardent la majorité au Parlement. C’était une claque prévisible rien qu’en observant les scores électoraux de la droite ces dernières années, qui n’ont fait qu’augmenter. Mais le mouvement chaviste continue pourtant d’ignorer la menace.

La droite parvient de plus en plus à se faire passer pour l’amie des travailleurs et des jeunes. Un observateur étranger va d’ailleurs avoir d’énormes difficultés à comprendre les débats qui ont lieu à l’Assemblée Nationale. Ce sont les députés de droite qui parlent de la nécessité d’une sécurité sociale pour les travailleurs, qui parlent de la nécessité de conventions collectives de travail, d’une loi de premier emploi pour les jeunes, des libertés syndicale, etc. C’est-à-dire toute sorte de revendications concrètes qui vivent parmi la base de la société vénézuélienne.

La politique économique du Chavisme

Si la droite revient sur l’échiquier politique et gagne la sympathie des travailleurs dans les quartiers et les entreprises, c’est clairement à cause des faiblesses et des erreurs de la ‘‘gauche’’ chaviste. Après 12 ans de révolution, de possibilités de transformations sociales importante et de nombreux discours très forts, nombreux aujourd’hui sont ceux qui se demandent où est le socialisme dont parle la propagande officielle.

La faute la plus grave que commet le chavisme, c’est certainement l’insistance à vouloir à tout prix faire des compromis et des alliances avec la bourgeoisie. Celle-ci garde en effet les rênes du pouvoir économique et c’est par là qu’elle peut revenir dans les débats politiques.

En fait, la politique économique du gouvernement de Chavez est une politique d’accroissement de l’intervention étatique en faisant en sorte de laisser en place une économie capitaliste mixte tout en l’appelant ‘socialisme’. En gros, on a assisté à des créations massives d’emplois dans le secteur public ainsi qu’à l’instauration de réformes sociales véritables, mais cela s’apparente plus à du populisme de gauche (en profitant d’une période où les prix du pétrole étaient élevés) qu’à un véritable plan de transformation socialiste de la société. Pour le dire autrement ; malgré le fait que Chavez aime dire qu’il mène une politique socialiste révolutionnaire, il est clair que celle-ci est purement réformiste.

En tant que marxiste, nous soutenons bien évidement toutes les réformes qui améliorent les conditions de vie des travailleurs et des pauvres. Toutefois, nous somme conscients que sous le capitalisme, chaque réforme ou acquis sera constamment menacé et voué a disparaitre. L’histoire nous montre que le capitalisme ne peut être domestiqué à coups de réformes, on constate au contraire que les réformes sociales ont souvent la fâcheuse tendance d’énerver les capitalistes et autres classes réactionnaires, les poussant à redoubler d’effort pour préserver ou reconquérir leurs privilèges. Le capitalisme doit donc être renversé et remplacé par un système entièrement tourné vers la satisfaction des intérêts des travailleurs, c’est-à-dire une économie démocratiquement planifiée.

Sur la plan international on parle beaucoup des ‘‘nationalisations’’ que le gouvernement a opérée. En fait, celle-ci s’apparentent plutôt à des partenariats public-privé. Et c’est la même chose pour les fameuses ‘‘expropriations’’, qui ne sont que des rachats d’entreprises par l’Etat (à un prix souvent supérieur à la valeur réelle de l’entreprise), la majorité d’entres elles étant en faillite, peu productives voire même à l’abandon depuis des années. Il n’est donc pas étonnant de ne pas voir de changement réellement significatif entre le poids du secteur public et privé, ce dernier représentant toujours 58,3% du PIB en 2010 (2), on est donc loin d’une économie planifiée, et même loin des économies européennes où l’Etat est fortement présent.

Alors que Chavez parle beaucoup de la nécessité d’accroitre la souveraineté économique du pays, on constate qu’il n’y a pas de véritable plan de production visant à l’autosuffisance. A la moindre occasion, le régime utilise l’argent du pétrole pour importer des tonnes de bœuf, de poulet ou encore du lait pour ce qui est des produits de base. Mais le pire est peut être l’exemple des cuisines ‘‘socialistes’’ directement importées de Chine pour être offertes à bas prix aux ménages vénézuéliens, en décembre dernier. Car, en dehors du bonheur de pouvoir s’acheter rapidement une cuisine bon marché, c’est en fait l’exemple même de la continuation des rapports de dépendances économiques. On importe des produits manufacturés à fort taux de plus-value (et donc de profit) en échange de matières premières faibles en plus-value. On perd donc énormément d’argent et on se maintient dans un système d’échange inégal qui accroit la désindustrialisation au Venezuela.

Boli-bourgeoisie et bureaucratie

Le renforcement de la bureaucratie et celui de la Boli-bourgeoisie font partie des graves problèmes internes du mouvement chaviste. La Boli-bourgeoisie est composée d’une partie de l’ancienne élite qui a compris les possibilités de profit en se ralliant au chavisme, et également d’une couche de ‘‘nouveaux riches’’ qui s’est construite directement sur le processus. Cette couche est loin de vouloir construire le socialisme, elle n’aspire qu’à se transformer en nouvelle classe capitaliste.

La bureaucratie, quant à elle, a également des intérêts étrangers à ceux des travailleurs. La bureaucratie a pour objectif propre le maintien et le développement de ses privilèges. Ce n’est possible qu’à travers d’un jeu d’équilibriste. D’un côté, il faut empêcher la droite de revenir (la bureaucratie vivant sur le dos du mouvement chaviste) mais de l’autre côté, il faut empêcher toute forme de démocratie ouvrière, car celle-ci pourrait mettre à mal sa position parasitaire.

L’absence d’une organisation indépendante et consciente de la classe ouvrière constitue donc une grave faiblesse dans la situation au Venezuela. Une telle organisation pourrait faire émerger des organes de démocratie ouvrière et se mettre à la tête du processus révolutionnaire afin de le tirer à sa conclusion victorieuse, la révolution socialiste. Au lieu de cela, on a un mouvement chaviste dirigé du haut vers le bas, sans moyen de contrôle réel de la part de la classe ouvrière et les méthodes bureaucratiques, autoritaires et de plus en plus répressives peuvent se développer.

Le ministère du travail est un exemple clair du phénomène bureaucratique. C’est une institution de l’Etat qui est censée être un outil aidant les travailleurs dans leurs conflits avec les patrons. Il vérifie par exemple la légalité des licenciements ou sert de médiateur dans les conflits au sein d’une entreprise. Cette institution justifie son existence par la défense des travailleurs, elle doit donc faire un minimum dans ce sens. Cependant, le fonctionnement bureaucratique et l’absence de contrôle démocratique des travailleurs sur l’institution permettent à la corruption la plus abjecte de se développer. Les négociations sont trainées en longueur, les médiateurs recherchent systématiquement le compromis en faveur du patron, embrouillent les travailleurs dans un jeu de procédures administratives qui ont pour but de les démotiver ou font directement de la délation auprès des patrons.

Par exemple, pour créer un syndicat, les travailleurs d’une entreprise doivent donner la liste des membres de la section syndicale au ministère du travail, cela leur permet d’être reconnus comme interlocuteur sérieux lors des médiations. Il est donc très tentant pour le travailleur du ministère du travail qui reçoit la liste de téléphoner au patron pour monnayer les noms de ces travailleurs, ceux-ci se faisant immédiatement licencier par après.

Le même constat peut être fait dans l’Institut national de prévention, de santé et de sécurité au travail. Cet institut est responsable de l’inspection des entreprises pour y constater les problèmes en termes de santé et de sécurité au travail. Il donne des formations aux travailleurs qui le souhaitent sur ces questions et ceux-ci peuvent se faire élire délégués de prévention sur leur lieu de travail. L’existence d’une telle institution est une avancée incroyable. Malheureusement, le phénomène bureaucratique freine considérablement les possibilités de l’institution. Certains travailleurs demandent parfois depuis plusieurs années une inspection de leur lieu de travail sans l’obtenir, alors qu’une simple visite permettrait de comprendre les manquements les plus élémentaires à la santé et à la sécurité.

Et on pourrait donner ainsi beaucoup d’autres exemples des problèmes qu’implique la bureaucratisation du processus comme les problèmes de gestion et de planification, menant à des pénuries de biens et des files d’attentes interminables devant les magasins de l’Etat, ou également à des coupures d’électricité et à des coupures d’eau.

L’anti-impérialisme

Une des stratégies de Chavez est de construire un bloc anti-impérialiste qui regrouperait tous les pays en conflit avec l’impérialisme américain. Il est possible que dans son isolement, en attendant que la révolution s’étende à d’autres pays, même un gouvernement véritablement socialiste révolutionnaire soit contraint de conclure des accords imposés par le contexte, utilisant les failles et les divisions entre les différentes puissances impérialistes. Les bolcheviques avaient eux-mêmes dus conclure de tels accords à cause de l’isolement de la jeune Russie soviétique.

Chavez ne conclu pourtant pas de simples accords de circonstance, mais noue de véritables amitiés avec des régimes qui répriment pourtant leur population en lutte. Il y a ainsi les liens très forts entretenus avec le régime chinois, considéré comme un modèle. On se souvient également des louanges de Chavez vis-à-vis ‘‘du grand révolutionnaire’’ Ahmadinejad en Iran. Les mouvements de masse contre le régime iranien de 2009 ont été interprétés par Chavez comme un complot de l’impérialisme américain…

Et c’est de nouveau la même analyse que Chavez fait de ce qui se passe en Libye. Il refuse de considérer le régime libyen comme une dictature, refuse d’abandonner son ‘‘ami’’ Kadhafi. La répression meurtrière du peuple libyen ne serait qu’une campagne mensongère des États-Unis afin d’envahir le pays et s’approprier son pétrole. Il est évident que les États-Unis convoitent le pétrole libyen et qu’il est nécessaire de s’opposer à toute intervention impérialiste dans la région, mais s’opposer à l’impérialisme américain n’implique pas de soutenir le gouvernement de Kadhafi. Se dire socialiste et soutenir de tels régimes ne peut que miner le soutien au socialisme parmi la classe des travailleurs et des jeunes à l’intérieur de ces pays et internationalement.

Les alliances qu’entretient Chavez ont également leurs conséquences à l’intérieur même du Venezuela, certaines entreprises chinoises, argentines, brésiliennes, etc., ne peuvent pas être inspectées par l’Inpsasel. Pourtant, les conditions de travail dans ces entreprises sont souvent encore pires que dans des entreprises aux mains du patronat vénézuélien !

Le ‘‘socialisme’’

La propagande officielle nous explique que l’on est déjà sous le socialisme, alors même qu’au moindre problème l’on vous répondra que s’il y a encore des inégalités frappantes, c’est que l’Etat est resté bourgeois. On serait donc face à un système socialiste en création dans le cadre d’un Etat bourgeois… On peut légitimement se poser la question du statut ‘‘socialiste’’ des entreprises d’Etat, mais peut-être que l’on réfléchi déjà de trop.

Si, dans certain discours de Chavez, la rhétorique socialiste peut sembler très convaincante, la réalité l’est beaucoup moins. C’est en effet une chose de parler du socialisme, mais force est de constater que c’en est une autre de comprendre ce qu’est le socialisme et sur base de quel programme et de quelles méthode on peut y parvenir.

C’est pourquoi les marxistes ont la responsabilité de tirer les leçons des expériences du mouvement des travailleurs sur le plan international et historique. Ils doivent échanger ces expériences pour faire avancer la lutte pour le socialisme et permettre ainsi à chaque militant de comprendre les difficultés et les nécessités pour y parvenir.

Au Venezuela, l’idée la plus répandue est que ce qui est socialiste, c’est ce qui n’est pas cher. On a donc le café, le beurre, l’huile, la farine de maïs socialiste, etc., car les prix de ces marchandises sont régulés voire subventionnés pour les maintenir bas. Le métro est vu comme socialiste également, tellement les prix des tickets sont peu élevés. Dans le même ordre d’idée, on peu malheureusement affirmer qu’il existe également des salaires ‘‘socialistes’’ dans les entreprises ‘‘socialistes’’ de l’Etat, ceux-ci sont en effet parfois presque deux à trois fois moins élevés que dans les grosses entreprises privées. Cela explique d’ailleurs l’origine des prix ‘‘socialistes’’, mais également le fait que beaucoup d’ouvriers s’opposent au ‘‘socialisme’’ et aux nationalisations par peur de voir baisser leur salaire. Les travailleurs qui luttent pour des augmentations de salaire sont traités de contre-révolutionnaire par le régime sur base de l’immonde argument que vouloir plus de salaire, c’est vouloir consommer plus et donc que c’est soutenir le capitalisme.

Au nom du socialisme, on a annoncé la création des conseils de travailleurs, ce nom résonne aux oreilles des révolutionnaires du monde entier comme un rappel des soviets dans la Russie révolutionnaire à ses débuts et fait battre leurs cœurs de l’espoir de voir un pouvoir ouvrier démocratique naître enfin. Mais lorsque l’on s’attarde de plus près à la situation, on constate que la bureaucratie chaviste utilise cet argumentaire pour dissoudre les syndicats, alors même que l’on n’a pas encore construit concrètement les fameux conseils de travailleurs ! Les travailleurs se retrouvent donc sans représentation, sans outils pour se défendre face à l’exploitation, dans l’attente hypothétique de la création de conseil qui se font attendre depuis parfois des années. Et à ceux qui se plaignent, on leur répondra qu’il n’y a pas de patron dans les entreprises socialistes et donc pas besoin de lutter. On leur répondra également que de toute façon, les syndicats sont de droite, car historiquement liés à des partis qui sont aujourd’hui effectivement bien à droite. (3)

Che Guevara avait laissé entendre que si on voulait construire le socialisme, il fallait y mettre du sien, voire faire du travail bénévole. Il est clair que les militant marxistes travaillent bénévolement, avec des revenus minimes ou pas plus important que le salaire moyen d’un travailleur. Il est clair également que lorsque les travailleurs possèdent collectivement le pouvoir ou qu’ils s’en rapprochent, ceux-ci sont prêts à faire tous les sacrifices pour abattre le capitalisme et l’exploitation.

On peut cependant rester perplexe face à l’utilisation que la bureaucratie chaviste fait de cette idée. Il y a en effet des journées de travail bénévole organisées pour ‘‘construire le socialisme’’. On met donc les plus pauvres au travail bénévole pour nettoyer les rues ou faire toute sorte de travaux d’intérêts généraux. Et on propose dans certaines entreprises ‘‘socialistes’’ d’organiser des ‘‘journées pour la construction du socialisme’’ où les travailleurs font le même boulot que d’habitude, sans salaire ce jour-là. Si c’est ça le socialisme, il est fort probable que l’on va pouvoir convaincre le patronat belge de le construire ici aussi, en mettant les minimexés et les chômeurs au travail en échange d’un repas à midi et au soir…

En fait, tout cela n’a rien de socialiste, car il est clair que les entreprises ‘‘socialistes’’ fonctionnent exactement comme leurs consœurs capitalistes, c’est-à-dire sur base de l’exploitation de la classe des travailleurs. On peut, au mieux, visiter des coopératives où les travailleurs s’auto-exploitent, mais l’on doit malheureusement constater que l’écrasante majorité fonctionne sur base d’une exploitation directe, faite par le ‘‘patron Etat’’.

Perspectives

Sur ces deux dernières années, on a assisté à un changement visible du processus sous l’effet combiné de la crise économique (3% de récession en 2009 et presque pareil en 2010, en raison de la crise bancaire au Venezuela et du prix peu élevé du pétrole) et de la fatigue et de la démotivation de plus en plus grandes parmi les masses. Les missions rencontrent de plus en plus de difficultés, en terme financier et de capacité de développement. On assiste à une vague de licenciements dans les entreprises d’Etat, comme par exemple au ministère des finances où plus de 1.200 travailleurs ont appris leur licenciement au Noël dernier. Chavez a annoncé de nouvelles mesures économiques, notamment l’augmentation de la TVA. Une drôle d’idée pour un soi-disant socialiste ! L’augmentation des prix du pétrole suite aux révolutions en Afrique du nord et au Moyen-Orient vont peut-être permettre au chavisme de retarder ces mesures d’austérité, mais il est aujourd’hui clair que si des problèmes économiques subsistent au Venezuela, le chavisme ne va pas forcément faire payer le patronat, les travailleurs seront visés.

On assiste d’ailleurs à une utilisation de plus en plus importante de la répression contre toute forme de lutte ou de critique. Les cas de syndicalistes en prison sont nombreux, comme par exemple Ruben Gonzales, membre du PSUV, délégué syndical depuis des années dans l’entreprise FERROMINERA del Orinoco. Il a été privé de liberté depuis le 24 septembre 2009 parce qu’il a dirigé une grève de 16 jours pour obtenir des contrats collectifs dans une entreprise d’Etat. On a l’exemple des travailleurs d’IOSA, une entreprise pétrolière, ceux-ci sont entrés en lutte pour des augmentations de salaire et le patron a directement licencié les grévistes. Le mouvement a donc continué avec la revendication de la réintégration des licenciés et de la nationalisation de l’entreprise sans rachat ni indemnité. Les travailleurs demandaient l’intervention de Chavez en ce sens, ils n’ont pas reçu de réponse, ils ont seulement vu l’arrivée de leur patron, donnant des ordres à la garde nationale afin de briser le piquet de grève.

Le chavisme, en tant que courant bureaucratique réformiste, est dans l’incapacité de répondre aux demandes des travailleurs en lutte. Certaines des plus importantes promesses électorales qui datent de 1998 n’ont toujours pas été accomplies, comme celle de changer la loi du travail néolibérale qui a été appliquée dans les années ‘90. L’ouverture de discussions sur les conventions collectives de travail ou le droit à la sécurité sociale se font également attendre et on assiste à des luttes de plus en plus importantes autour de ces questions. Il est déjà difficile de maintenir le développement des missions, il est alors très clair que toute ces nouvelles avancée sociales voulues par les travailleurs sont impayables par le chavisme s’il persiste à ne pas rompre avec le capitalisme. On ne pourrait passer ces mesures qu’en s’attaquant frontalement au patronat et aux riches présents au Venezuela.

On constatera donc que ceux qui croyaient que le processus véritablement révolutionnaire qui était présent au Venezuela était un processus linéaire et irréversible vers le socialisme se sont trompés. Un processus a en effet une forme, un rythme, un timing, et si les conditions pour construire le socialisme au Venezuela sont mûres depuis 2002-2003, on peut dire qu’elles commencent sérieusement à pourrir depuis peut-être deux ans.

Il semble cependant que la droite ne soit pas encore suffisamment rétablie que pour gagner les prochaines élections présidentielles de 2012. Elle reste encore très divisée et ne dispose pas d’une figure qui pourrait tenir tête directement à Chavez. Cela permet donc d’éviter le pire pour un temps. Les prix du pétrole qui augmentent cette année suite aux révolutions en Afrique du nord et Moyen-Orient donnent également une marge financière au chavisme pour se maintenir encore quelque temps. Nous somme cependant dans une situation où une opposition de gauche au chavisme doit se constituer au plus vite afin de proposer des méthodes et un véritable programme socialiste. Ce n’est pas une tâche facile dans un pays où la polarisation politique extrême entre chavistes et non-chavistes ne permet pas de réel débat de fond. C’est également très difficile au vu de l’inconsistance politique de beaucoup de petites organisations à gauche du chavisme qui se contentent de critiques de façade tout en capitulant presque systématiquement devant le chavisme. La construction d’une opposition de gauche au chavisme, sérieuse et crédible, devient pourtant une nécessité au vu de l’incapacité de plus en plus manifeste de celui-ci à construire le socialisme.

Un bon début pour une telle opposition de gauche serait de proposer :

  • L’introduction d’un véritable système de contrôle ouvrier, via des comités de délégués élus et révocables, qui contrôleraient la marche quotidienne des entreprises. L’ouverture des livres de comptes de toutes les entreprises – y compris des entreprises nationalisées – afin d’être inspectées par des comités de travailleurs, pour mettre un terme à la corruption et de déraciner la bureaucratie.
  • Ces comités doivent être reliés au niveau de leur ville, de leur région et au niveau national. Les entreprises d’Etat doivent être gérées sur base d’un système de gestion démocratique ouvrière, les conseils d’administration de telles entreprises devant être composés de représentants élus des travailleurs de l’industrie, des couches plus larges de la classe ouvrière et des pauvres, et d’un gouvernement ouvrier et paysan.
  • Tous les cadres doivent être élus et révocables à tout moment, et ne doivent pas recevoir plus que le salaire moyen d’un ouvrier qualifié.
  • L’expropriation des banques, des multinationales et des 100 familles les plus riches qui contrôlent toujours l’économie vénézuélienne, et l’introduction d’un plan socialiste démocratique de production.
  • La formation d’une fédération syndicale indépendante et démocratique, avec une direction élue, redevable à et contrôlée par la base des membres. La lutte pur un tel programme est maintenant urgente afin d’insuffler un souffle nouveau dans la révolution vénézuélienne et d’empêcher sa stagnation et la menace de la contre-révolution.

NOTES

(1) Résultat des élections de 2010 :

  • Opposition de droite : 5 334 309
  • PPT (allié a la droite) : 354 677
  • PSUV (et alliés comme PCV) : 5 451 422

(2) Le secteur privé représente toujours 58,3% du PIB en 2010, pour 58,8% en 1997. Sur base des chiffres du PIB par secteur de la Banque Centrale du Venezuela (http://www.bcv.org.ve/c2/indicadores.asp)

(3) Si on en arrive la, c’est parce que la tentative du chavisme de créer bureaucratiquement son propre syndicat n’a pas fonctionné, celui-ci, l’UNT, est le syndicat minoritaire. Les travailleurs ayant préféré rester dans leurs organisations syndicales traditionnelles.

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