La construction de nouveaux partis des travailleurs et les tâches des marxistes

Lors de l’école d’été européenne du CIO qui s’est déroulée en Belgique à la mi-juillet, une attention particulière a été accordée à la question de la construction de nouveaux partis des travailleurs de masse. Depuis maintenant près de 20 ans, l’appel à la formation de nouveaux partis des travailleurs est une partie cruciale du programme politique de bien des sections du Comité pour une Internationale Ouvrière. Cette école d’été était un moment idéal pour partager les expériences variées de nos sections concernant cette question, pour discuter des perspectives de développement des nouveaux partis et pour tirer les leçons principales au sujet de notre double tâche : construire les forces marxistes révolutionnaires tout en participant au développement de nouveaux partis des travailleurs de masse.

Rapport de l’école d’été du CIO par Paul Murphy, Socialist Party (CIO-Irlande)

En introduction à la discussion, Tony Saunois (Secrétariat International du CIO) a fait le tour des principaux développements qui se sont déroulés ces dernières années. Il a expliqué que le processus de bourgeoisification des anciens partis sociaux-démocrates et ‘communistes’ a constitué un élément clé qui nous a poussés à appeler à des nouveaux partis des travailleurs de masse. C’est ce processus qui a conduit à ce que des partis tels que le Labour Party en Grande-Bretagne ou encore le SPD en Allemagne, qui avaient une base ouvrière active et une direction pro-capitaliste, deviennent de plus en plus des partis capitalistes qui avaient perdus leurs racines.

Dans sa réponse à la discussion, Andros (de Grèce) a mis en avant que cet appel pour de nouveaux partis des travailleurs est de bien des façons la continuation de l’orientation traditionnelle du CIO vers les formations de masse de la classe ouvrière. Dans les années ’60, ’70 et ’80, cette tactique a été facilement appliquée en s’orientant vers les partis traditionnels sociaux-démocrates, y compris en y participant, et parfois vers d’autres partis. Maintenant, nous avons à appliquer cette tactique de manière différente, en particulier avec cet appel à construire de nouveaux partis des travailleurs de masse.

Depuis la droitisation décisive des partis sociaux-démocrates, de nouvelles formations de gauche ont été créées. Cependant, à l’exception de Rifondazione Communista en Italie, aucune d’entre elles n’a été rejointe par un large nombre de travailleurs et n’est devenue un véritable parti de masse. Deux questions cruciales sont à mettre en avant pour expliquer cela : l’absence d’un programme de gauche clair, anticapitaliste et socialiste capable d’attirer les travailleurs et les jeunes dans le contexte de la crise capitaliste et la faiblesse persistante concernant l’orientation vers les luttes et les actions des travailleurs, ce qui signifie que ces partis n’ont pas été revitalisés par les luttes qui ont émergé en Europe. En raison de cela, le processus de développement de ces partis ainsi que le travail en leur sein a été compliqué. Tony a expliqué que la question des nouveaux parties des travailleurs est enracinée dans la situation objective, tout comme il n’est pas possible pour la classe ouvrière de donner naissance à des formations révolutionnaires de masse d’un coup. Généralement, au vu du niveau actuel de conscience de classe, le développement de partis des travailleurs de masse est une étape nécessaire sur la route du développement de la conscience et de partis révolutionnaires de masse.

Pourquoi participons nous aux nouveaux partis des travailleurs ?

Les complications rencontrées dans les nouvelles formations ont été abordées par de nombreux camarades. La réalité est que la plupart des directions de ces formations ne considèrent pas devoir présenter une opposition claire contre les partis de l’establishment. Un des camarades allemands du CIO a par exemple expliqué qu’aucun dirigeant de Die Linke ne voit le socialisme comme une alternative réelle au capitalisme. Cela peut conduire à un travail très frustrant à l’intérieur de ces partis, avec nos initiatives constamment bloquées par la bureaucratie du parti.

Sascha, d’Allemagne, a toutefois insisté sur l’importance pour le CIO de faire partie de ces partis en raison des perspectives de ces partis. Avec sa politique actuelle, il est improbable que Die Linke se développe pour devenir un véritable parti ouvrier de masse en Allemagne. Il est toutefois possible que ces formations jouent un rôle dans la formation de nouveaux partis de masse de la classe ouvrière.

En réalité, il y a deux partis au sein de Die Linke – un parti ouvrier réformiste et un parti social-libéral pro-capitaliste. La possibilité est réelle qu’une scission arrive à un moment donné. Il est vital que les membres du SAV (CIO-Allemagne) soient présents dans de tels développements, afin de défendre des politiques claires, de gauche et socialistes ainsi que pour tenter d’organiser une gauche forte, apte à grandir pour devenir un parti de masse. L’autre possibilité à ne pas écarter, c’est que Die Linke soit poussé à gauche par la lutte de classe, ce qui déboucherait probablement sur le départ des éléments les plus à droite du parti.

Comme cela a été montré par l’instabilité des nouvelles formations de gauche, il n’est pas possible de créer des partis des travailleurs stables suivant les lignes des partis sociaux-démocrates ou ‘communistes’ de la période d’après guerre. Cela s’explique par la nature de la période actuelle et de la crise économique, qui ne permet pas les mêmes bases matérielles pour des réformes telles que celles que la période d’après-guerre a connue. La question des coalitions avec des parties pro-capitalistes et celle de rejoindre un gouvernement qui attaque la classe ouvrière est posée. C’est pourquoi ces nouvelles formations sont instables, avec des tensions internes et parfois des scissions.

La réaction de la gauche face à la crise économique

Les nouvelles formations de gauche, dans différents pays, ont des origines et des caractéristiques différentes. Le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) français, par exemple, a été lancé par une organisation se réclamant du trotskisme, la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), qui a évolué vers la droite et s’est dissoute dans une formation plus large. Le processus de construction de Die Linke en Allemagne a été initié par des syndicalistes et des responsables syndicaux de base qui ont rompu en 2004 avec le SPD (l’équivalent allemand du PS, ndt) pour former le WASG, qui s’est joint plus tard au successeur de l’ancien parti dirigeant est-allemand, le PDS, pour former Die Linke. Le Bloc de Gauche au Portugal a été initié par un rassemblement d’organisations de gauche existantes, en particulier des maoïstes, des trotskistes de la tradition du SUQI (Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, à laquelle était liée l’ancienne LCR française) et des eurocommunistes (des réformistes avec une rhétorique communiste). Syriza, en Grèce, est une alliance d’organisations de gauche, dont la plus grande est Synaspismos, qui a émergé en tant que scission eurocommuniste du Parti Communiste Grec (KKE).

Il existe toutefois des éléments communs à tous. Le plus marquant a été la tendance à virer non pas vers la gauche sur base de la crise économique, mais vers la droite. Marco, d’Italie, s’est référé à l’expérience de Rifondazione Communista (le PRC), qui exprime les dangers d’une telle approche et d’une participation aux gouvernements capitalistes. Le PRC, qui avait plus de 100.000 membres à son apogée, a été détruit par sa direction de droite, et les membres du CIO en Italie font campagne pour la construction d’une “gauche des travailleurs” incluant des anciens mais aussi des nouveaux militants.

Dimitrios, de Grèce, a expliqué que l’alliance Syriza avait à un certain moment quelques 17.5% dans les sondages d’opinion, mais a chuté à 4%, largement en raison de la politique de ses dirigeants, faite de zigzags. Même quand une position réellement socialiste est prise par ses organes dirigeants, aucun des porte-paroles ou des représentants publics de Syriza ne met publiquement en avant cette position. Dimitrios a aussi critique le nouveau programme de Syriza, propose par ses dirigeants, qui est un méli-mélo de revendications qui ne met pas en évidence une claire alternative de gauche pour les travailleurs et leurs familles dans ce contexte de crise profonde.

En conséquence, Syriza traverse maintenant une crise sérieuse. L’aile droite de Synaspismos (le plus grand groupe de Syrisa) a joué un rôle de frein pour chaque orientation à gauche. Il y a un mois, cette aile droite a scissionné et Xekinima (CIO-Grèce) a accueilli cette scission comme une opportunité pour Synaspismos et Syriza d’effectuer un virage décisif vers la gauche. Notre position a cependant été attaquée par d’autres et a généré beaucoup de débats, mais aussi d’attention pour nos arguments.

Cédric, du CIO, a parlé des forces de gauche au Portugal. Malheureusement, le Bloc de Gauche possède beaucoup des faiblesses de ces nouvelles formations de gauche à travers l’Europe. Il n’a pas eu de réponse face à la crise et n’a lancé aucune proposition concrète capable de mobiliser les travailleurs et les jeunes. Son slogan principal se limite à dire “plus de justice dans l’économie”, ce qui ne signifie rien pour ceux qui veulent lutter. En fait, une bonne part de sa direction veut créer une prétendue “gauche moderne”, ce qui en réalité signifie une gauche qui voit la lutte de classe comme quelque chose de dépassé.

Lise, une membre de la Gauche Révolutionnaire (CIO-France), a décrit de quelle façon le NPA a été lent à réagir et à s’orienter vers les grandes luttes des travailleurs et des pensionnés. Par exemple, la figure la plus connue du NPA, le facteur Olivier Besancenot, n’a pas été utilisée durant la grève des postiers pour effectivement intervenir afin de correctement orienter la lutte. Cela reflète aussi le fait que, à l’instar de beaucoup de nouvelles formations de gauche à travers l’Europe, le NPA est principalement concentré sur les élections, bien plus que sur la lutte de classe dans les entreprises et dans la rue.

Le CIO et les nouvelles formations de gauche

Actuellement, une des tâches au sein de beaucoup de ces nouveaux partis est de construire des groupes d’opposition avec d’autres pour s’opposer au virage à droite des directions. En agissant de la sorte, au Brésil, la section du CIO (Liberdade Socialismo e Revolucao) a joué un rôle important pour qu’un nouveau candidat, Plinio, plus à gauche, soit sélectionné comme candidat pour les élections présidentielles du Parti du Socialisme et de la Liberté (PSOL).

Dans le NPA en France, les camarades du CIO ont joué un rôle vital dans le rassemblement d’un groupe d’opposition de gauche. Ils ont réussi à obtenir 30% des voix lors d’un vote de membres du parti pour leur position de gauche clairement socialiste. Au Québec, à l’intérieur de Québec Solidaire, un regroupement de gauche qui a maintenant 9% dans les sondages d’opinion, nos membres travaillent avec d’autres pour tenter de tirer le parti vers la gauche. En Grèce, nous avons également été impliqués dans de similaires initiatives et il est à espérer que nous puissions assister à un développement similaire dans Die Linke à un certain moment.

Dans les pays où il n’y a pas encore de nouveau parti de gauche, nos membres sont impliqués dans des campagnes pour la construction de telles formations et là où nous avons des forces substantielles, nous avons un rôle crucial à jouer. C’est le cas en Grande-Bretagne, où nous avons aide à lancer la Trade Unionist and Socialist Coalition (TUSC, coalition de syndicalistes et de socialistes), qui a participé aux dernières élections.

Dave, du Socialist Party en Angleterre et Pays de Galles, a abordé les difficultés des conditions objectives auxquelles ont fait face nos camarades du Socialist Party lors des dernières élections, caractérisées par une peur profonde du retour des Conservateurs, les Tories, ce qui a repoussé beaucoup de gens vers le Labour Party, avec en résultat de grandes pertes pour les petits partis. Il est important de maintenir la TUSC comme une arène de travail et comme étape vers la construction d’un nouveau parti des travailleurs.

Michael, d’Irlande, a fait état de notre travail concernant la construction d’un nouveau parti des travailleurs de masse. La nature de droite de presque toute la direction syndicale irlandaise entraîne qu’il est fortement improbable qu’une initiative soit prise par un “Bob Crow irlandais” (du nom du dirigeant du syndicat des cheminots et des conducteurs en Angleterre, qui fait campagne avec nous depuis plusieurs années pour la construction d’un nouveau parti des travailleurs). Toutefois, la position clé acquise par nos camarades irlandais du Socialist Party (CIO-Irlande) parmi la gauche signifie que nous avons un rôle tout particulier à jouer dans le développement d’une nouvelle formation et que nous pouvons avoir un rôle central en son sein. La forte probabilité pour que l’Irish Labour Party, le parti travailliste irlandais, entre dans un gouvernement après les prochaines élections peut créer les circonstances favorables au lancement d’un nouveau parti. Le Socialist Party est actuellement impliqué dans des négociations pour construire une alliance de gauche pour les prochaines élections.

Les développements dans les partis ‘communistes’

Un des fils de la discussion était l’attention à porter vers les développement à l’œuvre dans les partis communistes, qui peuvent aussi être affectés par la crise. L’exemple d’Izquierda Unida (Gauche Unie, en Espagne, une coalition politique dont la composante la plus forte est le parti communiste) a été utilisé pour illustrer ce processus. Son nouveau dirigeant parle de guerre de classe et vire à gauche, ce qui devient plus attractif pour de nombreux jeunes et travailleurs en Espagne.

Le Parti Communiste Portugais garde une forte base dans la classe ouvrière, possède 57.000 membres et attire toujours à lui des couches de jeunes. Il détient des positions syndicales clés, dont la direction du syndicat CGTP (le plus grand syndicat du pays, qui compte 750.000 membres). Malheureusement, son approche est très sectaire, en refusant de travailler avec d’autres et en n’ayant aucune compréhension d’une méthode transitoire, il ne fait aucun pont entre la résistance contre les coupes budgétaires actuelles et le socialisme, qu’il dit défendre. Cependant, au sein de ces parties, de grandes discussions se développent à ces sujets.

Même le KKE (la Parti Communiste Grec), qui est formellement un parti stalinien et est extrêmement sectaire, est affecté par la crise. Nos camarades grecs ont expliqué comment cela s’est produit. Après chaque lutte de classe sérieuse, des travailleurs honnêtes de la base du parti quittent le KKE à cause de son approche extrêmement sectaire. Par exemple, le KKE organise toujours ses propres manifestations, séparées des autres, et il en va de même pour son front syndical, PAME, à la place de s’engager dans la lutte avec les travailleurs des plus grands syndicats, mais si leur direction est acquise au PASOK (les sociaux-démocrates grecs, actuellement au pouvoir).

Notre réponse est d’appeler à un front unique d’action entre les vieux partis communistes avec de sérieuses racines dans la classe ouvrière et les nouvelles formations, ainsi qu’au développement de discussions entre ces partis. L’approche de Syriza, en Grèce, est largement correcte à cet égard, elle fait des appels répétés au KKE pour faire des actions en commun et pour avoir des discussions ensemble, même si le programme politique de Syriza est limité. Si cette alliance s’était maintenue à 17.5% des sondages tout en continuant avec cette approche, cela aurait eu un réel impact sur le KKE.

De petits groupes vers des parties de masse

Dans sa conclusion, Andros a expliqué que l’organisation de parties politiques de masse ne va pas nécessairement se produire d’un coup. La création du Parti Travailliste britannique a constitué un processus s’étant étalé sur plusieurs décennies. Cependant, une fois qu’un sérieux parti large basé sur la lutte de classe sera construit, il sera bien plus facile et plus rapide d’en reproduire la formation ailleurs. Les exemples de l’Europe du sud dans les années ’60 et ’70 illustrent à quelle rapidité ce processus peut également aller dans un contexte de crise tel que celui que nous connaissons. Dans plusieurs pays, de très petits groupes ont pu devenir des partis de masse dans un très court laps de temps, comme le Parti Socialiste au Portugal au cours de la Révolution des Œillets en 1974.

La crise économique est maintenant un facteur crucial dans le développement de nouveaux partis des travailleurs, décisif pour en déterminé la nature et la rapidité. Il est encore tout à fait possible que Syriza et d’autres formations puissent prendre un grand virage à gauche sous l’impact de la crise économique. Cependant, il est également possible que le scenario du PRC italien touche ces partis à cause de la tendance à droite de leurs directions.

Même s’il ne s’agit pas de développements linéaires, il est clair que, dans beaucoup de pays, des développements se dirigeant vers de nouveaux partis des travailleurs de masse sont en train de prendre place. Il ressort très clairement de l’expérience du CIO jusqu’à présent qu’il sera capable, avec ses sections, de jouer un rôle important dans ces développements, tout en construisant ses propres forces pour lutter en faveur d’un programme réellement socialiste.

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