Cameroun : Grève générale de masse contre la hausse des prix

Interview d’un socialiste camerounais

Une grève de masse conte la hausse des prix de l’essence, de la nourriture et d’autres produits de base a paralysé la plupart du Cameroun depuis le lundi 25 février. Quelques concessions mineures ont été accordées mardi soir par le gouvernement (telles que de baisser le prix de l’essence de 600 a 594 francs camerounais) dans une tentative de mettre un terme a la grève, mais sans succès. Du gaz lacrymogène a été lancé sur les manifestants à Douala et à Yaoundé, la capitale, et on dit qu’au moins six personnes ont été tuées.

Naomi Byron

Courrier de lecteur

Ne pas confondre émeutes et grève générale

Le titre du dernier article sur la grève au cameroun ne reflète pas correctement la réalité.

En fait, il n’y a pas eu de grève générale au Cameroun, mais une grève des transporteurs (chauffeurs de taxi pour la plupart), remarquablement suivie. Au moins là-bas, la question du "droit au travail" lors d’une grève ne se pose pas, ou alors à coup de barres de fer dans le pare-brise…

Il a bien été question d’une extension du mouvement vers le 27/2, mais le syndicat des transporteurs a vite baissé son pantalon quand il a vu que le mouvement lui échappait, et contre une réduction symbolique du pris du carburant (6 FCFA). A propos, le Franc camerounais n’existe pas, il s’agit du franc CFA, monnaie commune à plusieurs pays de la région. 1000 FCFA = 1,5 €.

Toujours est-il que la grève a empêché beaucoup de travailleurs de rejoindre leur poste…

Certains ont sans doute refusé de faire 10 km (ou plus) à pied par solidarité, mais on ne peut pas parler de grève générale décidée et organisée consciemment par la classe ouvrière camerounaise dans son ensemble.

Par contre, l’article passe sous silence certains aspects moins réjouissants de ce mouvement, tels que:

– Emeutes et pillages dans les quartiers populaires de Douala (capitale économique) et dans d’autres villes

– Violences et vandalisme dans ces même quartiers.

– Répression policière dont le bilan, difficile à évaluer, tourne autour d’une vingtaine de morts.

En conclusion, d’après les nombreux témoignages que j’ai pu récolter, il n’y a pas eu de grève générale, mais une grève sectorielle très bien suivie, sur laquelle s’est greffée un large mouvement de révolte spontanée et anarchique, alimenté par l’inflation galopante et les provocations du pouvoir (projet de modification de la constitution, fermeture d’une chaîne de télé indépendante…).

Je ne critique pas ici ce mouvement spontané ni même ses manifestations les moins reluisantes, je dis simplement qu’il faut qualifier correctement ces développements.

Car c’est justement, comme l’explique le camarade camerounais, l’absence d’alternative politique réelle et cohérente, qui donne lieu à ce type de mouvement sans direction ni but précis.

La conséquence est très claire : aucune avancée pour les revendications de la population, et une répression féroce en prime. Seul point positif, il n’y a pas eu de dérapage ethnique au Cameroun.

Dans un pays ou la corruption règne en maître, la construction d’un parti ouvrier intègre et indépendant du pouvoir est plus difficile mais d’autant plus indispensable si l’on veut qu’un jour les travailleurs puissent venir à bout des parasites qui les dirigent et des autres serviteurs zélés de l’impérialisme européen.

J.L.

Ce mouvement montre le pouvoir immense que possèdent les masses laborieuses et les pauvres lorsqu’ils entrent en action. Cela fait trop longtemps que le gouvernement de Paul Biya, qui dirige le pays depuis 1982, est resté impuni tandis qu’il ignore la pauvreté et les luttes de la population, qui s’est trouvée de plus en plus désespérée, tandis que l’élite corrompue se remplissait les poches. La situation est aggravée par la faillite des partis d’opposition à réellement représenter les intérêts des travailleurs et des pauvres. Ce mouvement de grève est une réelle opportunité, non seulement pour forcer le gouvernement à baisser les prix, mais aussi pour le début de la fondation au Cameroun d’un parti de masse des travailleurs et des pauvres, basé sur la lutte.

Naomi Byron (Parti Socialiste d’Angleterre et du Pays de Galle) a pu interviewer Charles Pa Douala:

« Depuis ce matin (le 26 février), plus aucune voiture ne bouge, et toute activité a stoppé, parce que les gens ne peuvent pas aller au travail. Les routes sont barricadées par la population avec des morceaux de bois et toutes sortes de matériaux, à l’exception de quelques-unes ou les véhicules de la police et de l’armée peuvent passer. Les routes ont été transformées en terrain de football par les enfants. »

« Il n’y a aucune activité; toutes les boutiques sont fermées. Aujourd’hui seulement, il y a une certaine tolérance – les gens qui vendent de la nourriture ont eu l’autorisation d’ouvrir, mais hier, ils ne pouvaient pas parce que même les magasins d’alimentation étaient bloqués. »

« Au début, c’est le syndicat des chauffeurs de transport qui a organise la grève a cause de la hausse du prix de l’essence, mais maintenant tout le monde est impliqué. Maintenant que la population a repris la grève, nous demandons la fin de la hausse du coût de la vie. Les prix doivent être abaissés, ceux du pétrole comme ceux des denrées de base comme le savon, l’huile et la farine. »

« Le prix de l’essence monte tous les mois. Ce qui a vraiment énervé les gens, c’est que le jour de notre victoire contre la Tunisie (pendant la Coupe de football des nations africaines), tandis que nous faisions la fête, le prix du pétrole a encore été augmenté. Certains d’entre nous veulent que le Cameroun soit éliminé de la Coupe des nations, parce que lorsque notre équipe nationale est en train de jouer, tout le monde est content de regarder le match et personne ne s’implique dans les luttes politiques. »

« En ce moment, le pain coute toujours 150 FC, mais le prix a en fait augmenté parce que les boulangers ont diminué la taille du pain, même si le gouvernement prétend que le volume est resté identique. Le prix de l’huile de palme, dont nous nous servons pour cuisiner, est passé récemment de 500 à 750 FC, alors que nous avons les palmiers qui la produisent ici, au Cameroun. »

« Le savon, jusqu’il y a peu, coutait encore 250 FC, mais il est maintenant à 350 FC alors que la plupart des Camerounais vivent avec moins d’un dollar par jour. Avec ces hausses de prix, nous ne pouvons plus rien acheter, même pas du savon. C’est pour ça que le gens sont si motivés par cette grève. »

« Hier, il y avait étonnamment très peu de violence de la part de la police. La police a laissé les manifestants tranquilles, se contentant d’accompagner les cortèges et de modérer les actions. Hier après-midi, dans un quartier de Douala, la foule est parvenue à capturer 21 policiers et les a gardés plusieurs heures avant de les laisser partir. Mais aujourd’hui (mardi 26 février), ils sont venus avec des véhicules armés et des lacrymos pour disperser la foule. Dès qu’ils voient une manifestation, ils tentent de la disperser. La police et l’armée n’ont pas besoin d’utiliser la force, ils ont besoin d’utiliser le dialogue. Mais parce que les décisions ne viennent pas d’eux-mêmes, ils sont obligés de suivre les ordres d’en haut. Cependant, on nous a dit : si vous voyez un officier qui utilise la violence, ne résistez pas ; trouvez simplement son nom et son adresse, et on s’en occupera. Les flics le savent, ils ont tous très peur. »

« Juste maintenant, à la prison New Bell a Douala, il y avait une grande foule de gens qui se dirigeaient vers la prison, disant qu’ils allaient défoncer les murs et libérer les prisonniers, mais ils ont été interceptés, avec des tirs de semonce pour les dissuader d’avancer. Ils voulaient rentrer dans la prison parce qu’il y a beaucoup de dirigeants du gouvernement qui ont été emprisonnés parce qu’ils ont volé de l’argent de la collectivité; la foule disait que ça ne valait pas la peine de les laisser en prison, mais qu’il valait mieux aller les rechercher et les forcer à rendre l’argent qu’ils ont volé au pays. »

« Le gouvernement doit tenter de baisser les prix. Ils disent qu’ils n’ont pas un contrôle total sur l’essence, qu’ils ne peuvent pas simplement diminuer les prix comme ça et qu’on doit leur laisser le temps. Mais on leur a donné une liste des prix auxquels les marchandises devraient être vendues pour satisfaire les gens. C’est la solution que nous recherchons. Tant que rien n’est fait, la grève continuera aussi longtemps qu’il le faut. Jusqu’à demain, s’il n’y a aucun développement favorable, les marchés resteront fermés, mais mardi, on les laissera s’ouvrir pour que les gens puissent acheter à manger; le reste de la journée, nous continuerons la grève. C’est un mouvement très populaire, d’un genre qu’ont n’a jamais vu auparavant au Cameroun. C’est une grande première ! »

« Aujourd’hui, les gens n’ont que très peu de confiance dans les figures de l’opposition, parce qu’ils ont leurs propres problèmes. Ils se concentrent sur la campagne contre la nouvelle constitution proposée par le gouvernement (qui permettrait au président Biya de rester au pouvoir après son mandat actuel qui doit expirer en 2011) mais nous, le peuple, disons que le coût de la vie est trop cher. C’est pourquoi les chefs de l’opposition refusent de diriger ce mouvement, parce qu’ils ont leurs propres intérêts à défendre, tandis que les masses continuent à construire le mouvement tandis que nous discutons. C’est plus puissant que ce que quiconque aurait cru. »

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