En décembre 2018, un processus révolutionnaire avait éclaté au Soudan et, pour tenter de sauvegarder le régime militaire, l’armée avait décidé de lâcher le dictateur Omar El Béchir au pouvoir depuis 30 ans. Aujourd’hui, depuis la mi-avril, l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), menés par le général Mohamed Hamdane Daglo, s’affrontent pour le pouvoir.
Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de juin de Lutte Socialiste
Après près d’un mois, les combats ont fait plus de 750 morts, 5.000 blessés et plus de 900.000 déplacés et réfugiés. Selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies, 19 millions de personnes, soit 41 % de la population, pourraient bientôt être menacées par la faim sous l’effet conjugué de la guerre civile, de la hausse des prix et de l’impact des inondations qui ont touché le pays l’an dernier.
L’impasse de la conciliation avec les militaires
À l’époque, le limogeage d’El Béchir n’avait pas calmé les masses en révolte et, en juin 2019, les généraux avaient tenté de tuer la révolution dans l’œuf avec un carnage contre un sit-in face au commandement de l’armée dans la capitale. Une grève générale de trois jours a suivi en exigeant la chute du Conseil militaire, suivie par une « Marche des millions » à la fin du même mois.
La détermination et la volonté de sacrifice n’a pas manqué parmi les travailleurs et les opprimés du pays. Mais comme l’a dit un jour l’une des principales figures de la révolution russe de 1917, Léon Trotsky, la victoire dans la révolution exige « la volonté de porter le coup décisif ». Les dirigeants civils du mouvement (y compris le Parti communiste soudanais) ont hélas manœuvré pour chercher la conciliation avec les forces armées, ce qui a court-circuité l’énergie révolutionnaire des masses.
Un compromis pourri reposant sur un accord de partage du pouvoir a laissé les généraux meurtriers aux commandes avec tout le temps de se réorganiser. En octobre 2021, Burhane et Daglo se sont alliés pour mener un putsch et évincer les civils du pouvoir. Mais dès les premières heures du coup d’État, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues et ont érigé une multitude de barricades et de points de contrôle révolutionnaires à travers les villes et villages tandis qu’une grande vague de grèves ouvrières a balayé un secteur après l’autre. Toutefois, là encore, il a manqué une direction révolutionnaire capable de porter la colère jusqu’au renversement de la junte et l’expropriation des possessions économiques des seigneurs de guerre (un vaste réseau d’entreprises, de propriétés et de terres agricoles).
L’union sacrée entre ces deux généraux a explosé et les horreurs de la guerre dominent actuellement, mais aucun des deux camps n’a de solution pour s’en prendre aux bases matérielles de la colère populaire. La seule issue pour les masses est de reprendre le chemin de la lutte sans plus jamais s’arrêter à mi-chemin. On ne transige pas avec ceux dont les mains sont maculées du sang de générations.