Comment répondre à la radicalisation religieuse ?

Après l'attaque terroriste commise contre Charlie Hebdo en janvier dernier, beaucoup d'attention a été accordée à la manière de lutter contre la radicalisation religieuse des jeunes musulmans. Des centaines de jeunes sont également partis de Belgique en Syrie pour y combattre. Il ne s'agissait pas d'un grand groupe, et leur soutien en Belgique est très limité, mais des jeunes sont effectivement attirés par le terrorisme. Comment y faire face ? Dans le cadre de ce débat, voici ci-dessous un article publié dans l'édition d'avril 2015 de notre mensuel, Lutte Socialiste.


 

Contre la politique de diviser pour régner : l’unité des travailleurs migrants et d’origine belge

radical-300x169Depuis l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo, les journaux sont bourrés d’articles consacrés à la radicalisation religieuse croissante de jeunes musulmans et au danger que cela représente pour la société. Le niveau d’alerte 3 a été atteint en Belgique face à la menace terroriste, l’armée a été déployée et les moyens de la police ont été renforcés. D’autre part, les divers gouvernements se sont engagés dans l’élaboration de programmes de déradicalisation pour aider les écoles, familles, mosquées,… à faire face au phénomène.

Par Els Deschoemacker.

Plus de répression ne signifie pas plus de sécurité

L’accent est désormais systématiquement mis sur la lutte contre la radicalisation religieuse. Mais les services de sécurité avertissent que les autres formes de radicalisation ne doivent pas être oubliées. Tout comme après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 et après les attaques terroristes de Madrid (2004) ou de Londres (2005), nous pouvons nous attendre à ce que la peur du terrorisme soit instrumentalisée pour accroitre les moyens pour la sécurité et le contrôle d’Etat. Au sein du gouvernement, la N-VA ne se fera pas prier pour jouer sur ce terrain et pour assurer que les moyens de répression et de surveillance accrus soient également utilisés contre la résistance sociale. Sous le couvert de la sécurité, n’importe quel type de résistance sera bâillonné ou verra sa liberté de mouvement restreinte. Lors du prochain contrôle budgétaire, la N-VA propose déjà de nouvelles réductions de budgets pour la sécurité sociale afin de déployer plus de ressources pour les “services de sécurité” des ministères de l’Intérieur et de la Défense.

Il est illusoire de penser que cela procurera plus de sécurité. Nous devons naturellement prendre au sérieux le développement du fanatisme religieux auprès des jeunes musulmans : des mouvements tels que l’Etat Islamique et Al-Qaïda représentent une sérieuse menace, y compris pour le mouvement social. Ils exploitent la colère qui vit parmi la jeunesse pour la détourner vers le terrorisme aveugle, qui frappe en premier lieu les travailleurs et leurs familles et monte les communautés les unes contre les autres. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord tout comme ici, ces méthodes divisent la classe des travailleurs en renforçant l’islamophobie, ce qui profite aussi à l’extrême droite.

Les projets des autorités visant à combattre l’influence de groupes comme l’Etat Islamique et Al-Qaïda et à isoler cette forme de radicalisation sont voués à l’échec. Un ordre social qui perd sa crédibilité et son autorité sur des couches grandissantes de la population faute de pouvoir garantir un avenir décent à la population est incapable de s’en prendre à cette problématique. Les autorités peuvent bien tenter de combattre les symptômes, elles ne pourront pas aller jusqu’à la racine.

Des solutions individuelles pour les problèmes sociaux

Toutes les pistes de ‘‘déradicalisation’’ partent du principe que ces jeunes ont besoin d’être rééduqués. Les écoles devraient ‘‘signaler’’ les cas problématique plus vite afin ‘‘d’intervenir’’ à temps. Il faudrait alors discuter avec ces jeunes, quand bien même les moyens pour ce type d’encadrement sont systématiquement rabotés au fil des ans, tout comme pour la sensibilisation. Il est aussi question de mener la bataille sur internet également, en contrepoids de la propagande radicale de l’Etat Islamique. Le mystère reste entier concernant ce que les autorités veulent faire sur ce point. Comment vont-ils faire la promotion des prétendues ‘‘valeurs démocratiques occidentales’’ alors qu’elles ont dégouté tant de jeunes ?

C’est sous le couvert des ‘‘valeurs démocratiques’’ que l’impérialisme américain & Co sont intervenus en Irak et en Afghanistan. En Irak, le nouveau régime a favorisé la population chiite contre les sunnites. Cette discrimination a permis à l’Etat Islamique de trouver une base parmi les sunnites. Même ici, les valeurs occidentales prétendument démocratiques ne livrent pas de sérieux réconfort. Les migrants sont de plus en plus victimes de discrimination, ils vivent bien souvent dans des quartiers pauvres, reçoivent leur enseignement dans des écoles sous-financées qui reproduisent les disparités sociales tandis qu’il leur est plus difficile de trouver un bon emploi et un bon logement. Même le secteur des titres-services connait une discrimination massive.

Les familles devraient aussi être utilisées contre la radicalisation. Après qu’un certain nombre de jeunes filles musulmanes britanniques se soient rendues en Syrie, on a encouragé les mères à parler à leurs filles. Comme si ces mères n’avaient pas déjà fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher la radicalisation de leurs enfants !

Et si tout ça échoue, il reste encore le langage populiste (à l’instar du ‘‘foutez le camp !’’ du maire de Rotterdam) et la répression. En Belgique, c’est un registre sur lequel le bourgmestre d’Anvers Bart De Wever ne rechigne pas à jouer. Tout le pays doit être au pas, l’armée dans la rue, les jeunes criminels ou radicalisés privés de nationalité ou enfermés dans des unités spéciales en prison.

Ce ton martial trouve un certain écho car la peur est là et personne ne veut que rien ne se fasse en l’attente d’un attentat terroriste qui touchera aveuglément n’importe qui et qui renforcera d’autres formes de radicalisation, notamment l’extrême droite. Mais cette rhétorique et cette approche politique ne font qu’accroitre la polarisation et la division dans la société. Le résultat sera tout le contraire qu’une atténuation de la radicalisation.

Un choc des cultures ou une société en déclin qui doit être renversée de toute urgence?

Tant que l’instabilité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord se poursuit en parallèle à la croissance du chômage et des discriminations en Europe et ailleurs, des millions de jeunes se retrouveront systématiquement en dehors de la vie sociale. La pauvreté et le manque de perspectives continueront à pousser des jeunes à la recherche d’un moyen de sortir de ce bourbier.

Mais là, ces jeunes se détournent d’une société oppressive pour trouver réconfort dans une autre société oppressive et particulièrement cruelle. Mais qui prétend défendre leurs droits. Il s’agit d’une forme extrême de politique identitaire où certaines couches de la population, faute d’alternative sociale générale, se replient sur elles-mêmes. On peut imaginer tous les projets de déradicalisation ou d’intégration qu’on veut, sans modèle de société capable d’insérer les migrants sans qu’ils ne soient victimes de discrimination, on peut difficilement être crédible !

Le contexte international joue un rôle radicalisant

Le contexte international, les souffrances infinies et la situation quasiment désespérée des masses au Moyen Orient et en Afrique du Nord jouent un rôle décisif très important dans la radicalisation de nombreux jeunes musulmans. Les masses de la région doivent survivre dans des Etats nationaux brisés, sous la coupe de régimes dictatoriaux souvent soutenus par les puissances occidentales et qui s’accrochent au pouvoir à l’aide du principe de diviser pour régner. C’est le terreau qui a conduit aux conflits sectaires actuels.

Il y a l’important conflit israélo / palestinien, insoluble sous le capitalisme, où les guerres successives ont créé des conditions invivables pour les Palestiniens. Et la récente victoire électorale de Netanyahou en Israël sur base de la poursuite d’une ligne dure d’Israël envers les Palestiniens n’augure rien de bon. Mais, surtout, l’échec des mouvements révolutionnaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord laisse un grand vide qui peut être occupé par divers groupes désireux d’imposer leur idéologie barbare. Le conflit syrien/irakien s’approfondit de plus en plus et s’est maintenant également étendu jusqu’en Libye. L’attaque terroriste en Tunisie démontre que l’Etat Islamique recrute également parmi les jeunes diplômés sans perspective d’emploi ou de vie décente.

Contre la terreur et la haine, la solidarité !

La (dé)radicalisation est un processus d’une grande complexité provenant à la fois de l’exploitation, de la politique de diviser pour régner de l’impérialisme et des régimes qu’il soutient ainsi que du manque de perspective politique, issu notamment des erreurs historiques des mouvements staliniens ou nationalistes.

La classe des travailleurs a besoin d’unité dans le cadre de son combat contre l’austérité et pour une société différente. Celle-ci va à l’encontre des intérêts des capitalistes et leur classe fera tout pour l’empêcher. Elle peut bien parler de tolérance, elle ne défend le droit à la migration que dans la mesure où cela peut lui assurer un approvisionnement de force de travail pour assurer ses profits. L’establishment mène une politique qui vise à diviser la population active.

Le groupe anti-islam Pegida lui aussi agit comme le gouvernement et concentre son approche sur les individus de la jeunesse musulmane et leur environnement immédiat (école, famille). Ce n’est pas la religion en soi qui est dangereuse, c’est le contexte qui permet son interprétation particulière qui peut en faire une force sociale dangereuse, que ce soit en Occident ou au Moyen-Orient.

Face à l’oppression et à la politique de diviser pour régner, nous devons défendre la solidarité et le socialisme autour d’un programme qui vise à unir tous les opprimés, sans distinction d’origine ou de religion, pour prendre en mains les énormes richesses et possibilités qui existent et les utiliser dans les intérêts de la majorité de la population, au lieu d’enrichir une infime élite ici ou ailleurs.

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