Perspectives pour la lutte des classes en République « Populaire » de Chine

Lors de notre dernière école d’été s’est tenue une large discussion sur la Chine. Dans quelle direction s’engage ce colosse d’Asie ? La Chine a-t-elle les moyens de sortir l’économie mondiale de ses crises ? Quelle sont les conditions de vie dans ce pays qui soi-disant construit le « socialisme » ? C’est à ces questions – et à bien d’autres, comme celle de la pollution – que nous nous sommes intéressés. Voici un résumé des différentes contributions.

Nicolas Croes

Enlèvement et trafic d’enfants esclaves : un élément révélateur de la situation en Chine

Tout récemment, l’implication du Parti « Communiste » Chinois dans le trafic d’esclaves en Chine a pu être prouvée. La nouvelle de cette exploitation immonde ainsi que le soutien avéré du gouvernement à ces pratiques a été un choc pour la population : des enfants enlevés travaillaient 18 heures par jour et depuis des années (l’un d’entre eux a été exploité ainsi durant 7 ans avant de réussir à s’échapper). A côté des enlèvements, on trouve aussi des enfants vendus par des parents désespérés par leur situation économique. Comment cela a-t-il pu être possible – et surtout pendant aussi longtemps ? Dans une des briqueteries liée à ce scandale, un enfant a expliqué que le propriétaire possédait en réalité toute la ville. Quand la police passait, ils ne faisaient que discuter avant de s’en aller. En fait, cette affaire révèle l’ampleur de la corruption qui sévit en Chine ainsi que la manière dont le régime choisit ses priorités.

Un des responsables du gouvernement a ainsi déclaré : « Il s’agit d’un conflit entre le travail et le capital, nous ne pouvons pas intervenir ». Un autre responsable du PCC a lui déclaré : « Ce n’est pas notre faute si vos enfants sont kidnappés, vous n’avez qu’à mieux vous en occuper ». Le gouvernement a toutefois été contraint d’autoriser la divulgation de ces informations, qui ont défilé sans arrêt durant une semaine sur la chaîne officielle.

Alors que l’on parle sans cesse du boom économique chinois, cette situation est une réalité pour des centaines de milliers de Chinois, particulièrement dans les régions rurales beaucoup plus pauvres.

Des conditions de travail qu’apprécient les multinationales…

Pour régler cette situation catastrophique, la bourgeoisie a ses solutions. Le ministre du commerce de Suède a par exemple déclaré « Au plus nous commercerons avec la Chine, au plus celle-ci évoluera vers la démocratie ». Cette déclaration est révélatrice de la manière dont les profits des entreprises passent avant toute autre chose dans le système capitaliste. Car les moindres coûts de la Chine sont le résultat d’une exploitation sans précédent : salaires de misère, horaires insoutenables, punitions corporelles, retenues sur salaires,… Mais, à cela, les entreprises étrangères ont leurs réponses. Ainsi, quand H&M est critiquée pour l’exploitation d’enfants en Chine, l’entreprise rétorque : « Ce n’est pas nous, ce sont les sous-traitants ».

De fait, la Chine développe un labyrinthe de sous-traitants derrière lesquels se cachent les multinationales (comme cela se fait aussi ailleurs, au Bangladesh notamment). Ainsi, alors que les multinationales ont – sous la pression des consommateurs – adopté des clauses éthiques, il ne s’agit en réalité que d’une gigantesque escroquerie destinée à gagner la confiance du marché. Les multinationales disent aussi envoyer régulièrement des inspecteurs vérifier s’il n’y a pas d’enfants au travail ou d’autres abus. Mais tout comme cela se faisait au 19e siècle, les entreprises sont prévenues à l’avance de leur arrivée. L’utilisation de différentes cartes de pointages a aussi été instauré : l’une n’excède pas les huit heures tandis que l’autre compte encore quatre ou cinq heures de plus. Il y a même un système de salaires officiels et officieux, les travailleurs rendant le « surplus » à la sortie. On estime en fait que 60% des entreprises en Chine ne respectent pas la législation.

Même si une loi est récemment passée instaurant un nouveau salaire minimum, il est très difficile de vérifier l’étendue de son application. Comme la plupart des lois chinoises, celle-ci est plus une ligne de conduite à respecter (ou non) plutôt qu’une véritable loi contraignante. Le plus bas salaire minimum dans une province est de 25 euros par mois, tandis que le bas salaire le plus haut en Chine est de seulement 85 euros par mois. Quant à la couverture sociale, seul un dixième des travailleurs possède une couverture sociale.

Il y a actuellement quelques 600.000 entreprises étrangères en Chine. En fait, pour tenir le coup face aux concurrents, c’est devenu presque une obligation de s’implanter dans ce pays. L’économie chinoise est ainsi devenue celle qui se développe le plus au monde avec une croissance économique pour cette année de 12%, un record depuis 1995 (ce chiffre est à nuancer, la Chine a déjà connu des croissances beaucoup plus impressionnantes). Il semblerait même que la Chine ait dépassé l’Allemagne sur le plan économique, lui raflant la troisième place dans l’économie mondiale. On peut aujourd’hui comparer l’économie chinoise à une gigantesque locomotive lancée à toute allure et que personne ne sait comment arrêter. La Chine a par exemple construit plus de voitures que les USA l’an dernier alors que la production était quasiment inexistante il y a 10 ans. Selon le Financial Times, sur les 100 plus grandes entreprises au monde, 7 sont françaises, 3 italiennes, 6 japonaises, et 6 chinoises. De même, depuis la privatisation des 4 grandes banques chinoises, 3 d’entre elles sont déjà bien installées dans le top 10 des plus grandes banques du monde tandis que la dernière vient d’y faire sont apparition. Mais bien que le marché intérieur se développe un peu, la Chine est incapable de fournir un milliard de nouveaux consommateurs, contrairement aux désirs de l’Organisation Mondiale du Commerce dont la Chine est membre depuis maintenant 6 ans…

Une croissance économique au détriment des travailleurs et de leur environnement

La Chine est l’un des plus grands pollueurs mondiaux. En 2006, elle a émis 8% de gaz carbonique en plus que les USA. D’ici 2020, en terme de production de gaz toxiques (tous confondus), la Chine sera un 2e Etats-Unis. Le gouvernement chinois n’a en fait plus aucun contrôle sur son économie, qui est devenue un jouet aux mains du marché mondial. De plus, le pouvoir central a du mal à se faire respecter par les pouvoirs régionaux. Donc, et ce malgré les déclarations fracassantes du régime, l’évolution prend la forme d’un recul sur la question environnementale. C’est ainsi qu’au bas mot 750.000 personnes meurent chaque année en Chine à cause de la pollution, principalement celle de l’air. L’indice de pollution de l’air à Pékin est deux fois supérieur à celui relevé à Mexico ou à Los Angeles. Pour les enfants, on calculé que cela revenait à fumer 40 cigarettes par jour. Cette situation est similaire dans les deux-tiers des villes chinoises dont l’air est de très mauvaise qualité. Mais le gouvernement ne ménage bien entendu pas ses efforts pour ne pas ébruiter ces informations de crainte de susciter des troubles : il y a déjà eu des centaines de milliers d’actions de protestation concernant uniquement la thématique de l’environnement ces dernières années. Quelques- unes ont même réussi à obtenir des effets positifs. Les slogans utilisés lors de ces actions sont du genre : « Nous ne voulons pas de PIB, nous voulons une vie ».

Services publics et acquis en déclin

Il y a aujourd’hui plus de voitures à Pékin qu’à Londres et 1.000 voitures supplémentaires arrivent chaque jour. Le sous-investissement dans les transports en commun, lui, est tout aussi flagrant. A titre de comparaison, on trouve dans une ville comme Shanghai moins de la moitié des transports en commun qui existent dans une ville d’un pays capitaliste développé. Dans 1/3 de la Chine, il n’existe d’ailleurs aucun subside gouvernemental pour les transports en commun alors que, malgré les privatisations, de tels subsides existent encore dans les villes des pays capitalistes.

Le système de soins de santé a lui aussi beaucoup souffert alors qu’il était un modèle et un exemple dans le monde néo-colonial il y a trente ans. L’espérance de vie de la population était même passée de 39 ans en 1949 à 70 ans en 1969. Mais aujourd’hui, plus de 400 millions de Chinois n’ont pas les moyens de faire appel à un véritable médecin et plus de la moitié des malades n’ont accès à aucun traitement quel qu’il soit. Dans un pays ou plus de 70% de la population rurale n’a pas accès à des sanitaires… Et si les hôpitaux sont encore propriété d’Etat, ils ne reçoivent aucun subside et doivent fonctionner seuls et donc adopter une attitude commerciale pour s’en sortir. Tomber malade est devenu un véritable cauchemar.

Dans certaines villes, le personnel porte même un gilet pare-balles en prévention de la colère des familles ou des patients mécontents. Un hôpital a par exemple été rasé par 2.000 personnes en réaction à la mort d’un enfant pauvre qui n’avait reçu aucun soin à l’hôpital. Pourtant, un cinquième des réserves en liquidités de l’Etat suffiraient à résoudre le problème des soins de santé. Mais la Chine est obligée d’utiliser cet argent pour investir dans les obligations américaines pour éviter l’inflation. Voilà une absurdité des plus ridicules : l’argent existe, mais on ne peut pas l’utiliser.

Une situation pareille est d’autant plus infâme qu’elle côtoie des écoles d’élite à 300.000 euros par an où les cours de golf sont obligatoires, pour les enfants de la bureaucratie « communiste » et de la classe capitaliste naissante.

Un gouvernement à la fois impuissant et complice

Les luttes entre les régions et le centre sont millénaires en Chine, mais il faut aujourd’hui y ajouter les conflits avec – et entre – les mafias, les relations avec les entreprises et les Etats capitalistes, les querelles au sein de la bureaucratie,… En fait, restaurer l’autorité du gouvernement central de manière administrative est impossible. La seule solution serait de faire appel aux masses, un peu comme lors de la révolution culturelle, mais le régime a bien trop peur, à juste titre, de perdre le contrôle du mouvement.

La classe ouvrière représente aujourd’hui en Chine 256 millions de personnes. Mais à cause de la répression, elle ne peut développer son propre mouvement. Celle-ci existait déjà du temps de Mao, mais les acquis sociaux en limitaient relativement les effets. En fait, sous la pression de la base, Mao a été forcé d’aller plus loin que ce qu’il imaginait au départ. Malgré tout, une grève démarre toutes les cinq minutes en Chine. Malheureusement, la grande majorité de ces grèves sont spontanées et sans aucune coordination. Dans cette situation, la plupart ne durent au mieux que deux jours. Les syndicats autonomes sont bien sûr interdits en Chine, ce qui représente un avantage et un attrait énorme pour les entreprises étrangères. Ainsi, 480 des 500 plus grandes entreprises au monde possèdent des usines en Chine. L’exemple récent de la ville d’Erlangmaio nous donne une idée de l’autre facette de la médaille. Cette ville de la province centrale de Sichuan est isolée par la police et le gouvernement suite à une grève de deux semaines déclenchée par plus de 3.000 travailleurs du ciment. L’accès au téléphone, à internet et au GSM a même été coupé. Le pouvoir en place a eu la possibilité de faire disparaître une ville entière du système de communication !

La part de l’économie aux mains de l’Etat diminue sans cesse. Plus de la moitié des entreprises nationales ont disparu : on est passé de 100 millions à 48 millions. La privatisation s’effectue peu à peu, tranche par tranche. A l’origine, c’est sous le « règne » de Deng Xiaoping que se sont développées les enclaves capitalistes au sein de l’économie planifiée. Petit à petit, le reste du pays a suivi. C’est d’ailleurs sur base de ces enclaves qu’a été brisée la règle des huit heures, l’un des acquis de la révolution chinoise.

Entre 1997 et 1999 seulement, 30 millions de travailleurs ont été licenciés, suite aux privatisations et à la crise financière asiatique de 1997. Mais alors que la Chine connaît actuellement une croissance énorme, les problèmes demeurent et même empirent, et les réactions se développent. Il y a eu de véritables explosions de rage ces 15 dernières années, et le nombre d’« incidents de masse » (selon la terminologie gouvernementale) est passé de 9.300 en 1990 à 87.000 en 2005. Il semblerait que ce chiffre ait ensuite un peu baissé, mais il est terriblement difficile de savoir exactement ce qui se déroule là-bas, le gouvernement faisant tout son possible pour masquer l’ampleur de la contestation, agissant ainsi dans ce domaine de la même manière qu’avec les données sur l’environnement. Toutefois, l’ampleur de ces actions a elle aussi augmenté et il n’est pas rare qu’elles impliquent des dizaines de millier de personnes. Les protestations se basent principalement sur des revendications liées aux salaires et conditions de travail, à l’écologie et enfin aux expropriations. En fait, la moitié des conflits en zone rurales sont dus à des questions liées à la terre. L’abolition des taxes sur les produits agricoles fait partie des petites mesures destinées à calmer le jeu autrement qu’en utilisant uniquement la répression.

En 2008, les Jeux Olympiques se dérouleront en Chine et on peut faire un parallèle avec la Corée du Sud où s’étaient tenus les jeux en 1998. Cet événement avait mené à l’époque à des protestations massives contre le régime militaire en place. Le même potentiel existe actuellement en Chine et pourrait devenir un point de cristallisation du mécontentement.

En fait, même parmi la classe moyenne – qui vit mieux qu’il y a 10 ans – le sentiment que la société ne va pas dans la bonne direction s’est répandu. L’ampleur du mécontentement ouvre la voie au développement de sectes religieuses diverses ainsi qu’au Kuomintang, l’ancien parti bourgeois nationaliste qui s’est réfugié avec ses dirigeants à Taiwan après la victoire de Mao en 1949. Ce parti réactionnaire a reconstruit des cellules clandestines en Chine. Peut être le PCC sera-t-il amené à créer lui-même sa propre opposition en se scindant pour servir de soupape de pression.

De fait l’orientation actuelle du Parti Communiste Chinois est étrange. On a ainsi pu lire récemment dans le China Daily, organe du PCC, un article fustigeant le processus qui se développe en ce moment en Amérique Latine : « Quand certains régimes en Amérique Latine imposent de force plus de justice sociale, cela augmente la dette et crée des désordres économiques ».

Où va la Chine ?

La Chine se dirige de plus en plus vers le capitalisme et un retour au stalinisme est devenu impossible, même s’il subsiste encore des ruines et des vestiges de cette tradition. Le processus de restauration du capitalisme est avancé et organisé par l’Etat. Cela peut paraître contradictoire au premier abord mais la bourgeoisie naissante n’a pas intérêt à essayer de modifier de suite ce processus, faute de disposer d‘un autre moyen de maintenir la cohésion du pays et de contenir l’agitation sociale. Il n’y a plus rien dans cet Etat corrompu qui puisse lutter contre la place grandissante laissée au capitalisme dans le pays. Comme Trotsky l’a expliqué : « Des restes d’anciens régimes ne sont pas des facteurs dominants en général, même si l’on doit les prendre en compte ». La Chine combine aujourd’hui le pire du stalinisme et du capitalisme sans élément positif ni de l’un, ni de l’autre. Et ce phénomène se répand, en Afrique notamment, à travers les entreprises chinoises.

Il est extrêmement difficile de pronostiquer ce qui peut arriver. Si la croissance économique continue au rythme actuel pendant quelques années encore (ce qui est le scénario le moins probable), la classe capitaliste naissante va entrer de plus en plus en conflit avec la bureaucratie. Mais si une crise économique se développe au niveau mondial (sur base des rapports entre la production chinoise et la consommation américaine), alors elle touchera également la Chine et renforcera l’élément bureaucratique au sein de la société. Ce ne serait finalement qu’une déformation de la tendance au protectionnisme que l’on trouverait alors ailleurs. Mais la bureaucratie sera incapable de contrôler éternellement le développement de la situation. Le processus actuel n’est pas un choix de sa part, elle est obligée de continuer sur cette voie qu’elle ne maîtrise que fort partiellement.

La question fondamentale n’est cependant pas de savoir si la Chine est déjà capitaliste ou pas et, si non, quand elle le sera. La question cruciale est de savoir comment les masses vont réagir face aux changements. Cependant, sans connaître exactement le niveau de conscience des masses, répondre à cette question est difficile. Dans un premier temps, c’est probablement un Etat démocratique bourgeois que réclameront les masses qui s’éveillent et la réaction de l’Etat et des différentes tendances et niveau de la bureaucratie à ce moment seront déterminants. Sans compter que le problème des nationalités gagne en importance et qu’il n’est pas impossible de voir des sécessions se produire.

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