Numéros inami: étudiants en colère et soins de santé en péril

Apparus dans la presse depuis plusieurs jours, les chiffres rapportés par les Doyens des Facultés de Médecine francophones selon lesquels 50% des diplômés en médecine et 60% des diplômés en dentisterie ne pourraient pas exercer n’ont pas manqué de faire bondir les étudiants, qui ont été plus de 5300 à manifester mercredi à Bruxelles. Mais cette problématique dépasse la simple aberration administrative dont elle a l’air, et reflète en réalité un débat bien plus large sur les soins de santé dans leur ensemble.

Par Nicolas P. (Bruxelles)

Numéro INAMI, contingentement et besoins de la population

Le n° INAMI est octroyé par l’État au terme des études de médecine ou de dentisterie, et permet d’exercer la médecine. Sans lui, impossible de pratiquer, si ce n’est les spécialités dites « non-curatives » (médecine légale, journalisme médical, médecine d’assurance…). Instauré en 1997, celui-ci visait à empêcher une situation où il y aurait « trop » de médecins par rapport aux besoins de la population.

Depuis plusieurs années, il y a trop peu de numéros INAMI délivrés en fin d’année par rapport au nombre de diplômés. Le nombre de numéros INAMI étant fixe, les universités ont instauré différents mécanismes de limitation. Un examen d’entrée du côté flamand, et un numerus clausus en fin de première du côté francophone. Aucune de ces décisions n’avaient à l’époque fait l’unanimité, ni chez les experts, ni chez les praticiens, et encore moins chez les étudiants et la population en général.

La situation délirante où l’on pouvait (du côté francophone) réussir sa première année et malgré cela ne pas avoir accès à la deuxième, a donné naissance à un très fort mouvement de contestation, qui en 2008 a abouti à la suppression du numerus clausus.

Aggraver la pénurie

Les différentes préoccupations des gouvernements successifs à limiter le nombre de médecins dans notre pays contraste avec une réalité bien différente, tangible pour chacun et chacune d’entre nous. Des mois d’attente pour un rendez-vous, des services surchargés, des campagnes sans généralistes à des kilomètres à la ronde… Même dans les services qui ne recrutent pas, il est évident qu’engager plus de praticiens (et de personnel en général) permettrait un meilleur encadrement des patients et une pratique plus sûre et plus agréable pour les professionnels.

D’après Le Soir, 300 de nos 589 communes sont actuellement en manque de médecins généralistes. Les services d’urgences sont systématiquement débordés et manquent d’urgentistes par centaines. Des constats similaires sont faits dans beaucoup d’autres spécialités, comme la psychiatrie par exemple.

Quand on sait qu’un médecin sur cinq est à risque de faire un burn-out, quand on regarde les temps d’attente pour des rendez-vous et la surcharge de la plupart des services hospitaliers, parler de surplus de médecins et utiliser cela pour instaurer une limitation d’accès à la profession (à l’entrée ou à la sortie) est au mieux une ineptie, au pire un mensonge éhonté.

Qui a voulu en arriver là ?

Le premier élément, et qui semble le plus paradoxal et le plus décevant, est que certains spécialistes, minoritaires mais très influents, préfèrent limiter le nombre de praticiens, afin de maintenir certains privilèges et rester en position de force dans leurs hôpitaux et par rapport à leur patientèle en général.

Mais le plus gros problème est ailleurs. Même si des numéros INAMI étaient accordés sans limitation, la formation après les études de médecine (la spécialisation) requiert des moyens financiers considérables. Rémunérer l’assistant pendant 2 à 6 ans, payer et former un maître de stage etc. a un prix que nos politiciens ne sont pas prêts à payer, quand dans le même temps ils sont prêts à acquérir de nouveaux avions de guerre (les fameux F-35) pour six milliards d’euros ! Cet achat a été voté par tous les partis traditionnels, y compris ceux qui, actuellement dans l’opposition au fédéral, prétendent soutenir les étudiants. Il s’agit donc réellement d’un choix politique, d’un choix de société, dans lequel nos représentants habituels ont clairement choisi leur camp.

Investir massivement dans la santé ainsi que revaloriser la médecine générale devraient être des préoccupations de premier ordre pour notre gouvernement. Pourtant, il préfère chercher le meilleur moyen d’y faire des économies et de sélectionner les diplômés qui auront accès au métier de médecin.

Comment lutter ?

Le débat sur les numéros INAMI est souvent englué dans un débat communautaire. Effectivement, étant donnée la limitation à l’entrée instaurée du côté flamand, les diplômés ne pouvant exercer faute de numéro sont essentiellement francophones. Le combat ne serait donc pas étudiants contre gouvernement mais francophones contre néerlandophones.

Toutefois, se laisser enfermer dans cette logique, en plus d’être factuellement inexact, ne peut mener qu’à une défaite. La pénurie de médecins, le sous-financement de l’enseignement aussi bien que des soins de santé et le mécontentement général face aux incohérences du gouvernement ne s’arrêtent pas à la frontière linguistique.

Dans ce combat, nous, Étudiants de Gauche Actifs (Actief Linkse Studenten), présents dans tout le pays, pensons qu’il est essentiel de s’unir au maximum non seulement au Nord et au Sud du pays, mais également avec tous les travailleurs du secteur de la santé, les associations de patients etc. Les raccourcis erronés de certains journalistes et de beaucoup de politiciens une fois démontés, il est clair qu’il s’agit d’un débat bien plus large, sur tout l’avenir des soins de santé de notre pays.

La manifestation de mercredi, qui a rassemblé plus de 5000 étudiants de toutes les universités francophones, est un bon premier pas, et doit nous encourager à continuer la mobilisation. L’unité la plus grande, avec des groupes d’actions démocratiques et des mobilisations larges et répétées sont nos meilleurs armes aujourd’hui.

Le manque de personnel dans les soins de santé est général et touche les différentes catégories de travailleurs, avec des conséquences que l’on connait : dégradation des soins et des conditions de travail. Entre ces secteurs, l’unité doit être la plus forte possible, aussi bien entre étudiants et patients qu’entre médecins et infirmiers.

Néerlandophone ou francophone chaque étudiant a le même rêve, exercer la médecine ; chaque patient a le même souhait, être soigné au mieux ; et chaque citoyen a la même volonté : une société juste, où les soins de santé sont de qualité et accessibles à tous !

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