INTERVIEW: Retour sur le mouvement des enseignants

“Faire crever les profs parce qu’on a sauvé les banquiers, c’est NON!”

Cette rentrée a été marquée par un mouvement des enseignants contre les mesures d’austérité de la ministre Simonet (CDH). Au cours de ces mobilisations, l’Athénée Royal Da Vinci, à Bruxelles, s’est distingué par sa combativité. A l’occasion de l’édition de novembre de l’Alternative Socialiste, nous avons interrogé Patrick Zéoli, un de nos camarades qui y est enseignant.

Alternative Socialiste : La ministre a reculé sur les mesures qu’elle prévoyait. Victoire?

Patrick Zéoli: "C’est une victoire par rapport à ce qu’elle voulait faire passer au début. Mais toute la question est de savoir si elle n’a justement pas lancé des pistes, en sachant qu’elles ne passeraient pas, juste pour voir comment les enseignants allaient réagir. En fin de compte, si les profs ne sont plus visés de manière directe pour l’instant, les subventions vont être gelées. Imaginons que l’on ait un hiver rigoureux comme l’an dernier, il faudra alors économiser sur le chauffage. De plus, le salaire du personnel ouvrier dépend des dotations des écoles. A cela s’ajoute qu’il sera impossible de faire les travaux nécessaires pour améliorer l’environnement scolaire. Je pense par exemple aux châssis en mauvais état, aux chaudières trop vétustes, etc."

"Mais finalement, si on n’avait pas bougé, elle aurait probablement tout fait passer. Et ça, c’est bon pour le moral des profs. Cela efface un peu la déception de ‘96.» (Une grève longue et mouvementée contre les mesures de la ministre Onkelinx (PS), malgré laquelle des milliers d’enseignants avaient perdu leur emploi, NDLR)"

AS: Déjà en 95-96, l’Athénée Da Vinci était partie en grève en premier, et l’avait cessée en dernier. Cette année, il était encore en pointe. A quoi attribues-tu cette combativité?

PZ: "Notre école est une des premières à avoir osé dire qu’on avait des problèmes à gérer la violence scolaire. A cela s’est ajouté un gros incident, en ‘98, quand un professeur s’est fait agressé avec un tournevis. L’équipe pédagogique et le personnel ouvrier sont vraiment tous unis. Par exemple, à l’époque, quand on a reçu Laurette Onkelinx et son directeur de cabinet parce que nous n’avions pas assez d’outils pour répondre à la violence, on les a reçus tous ensemble dans une grande salle, en bloc, et nous avons obtenus plus de moyens."

"En ‘96 déjà, on était très soudés et des collectes d’argent avaient été organisées pour les profs qui faisaient grève tous les jours (une tournante était organisée pour les autres). L’unité est une tradition dans l’école, quel que soit le statut, et la direction est issue des profs de l’école et ne vient pas de l’extérieur."

AS: Cette année, la réaction des profs a été rapide. Quel bilan tires-tu de cette lutte?

PZ: "Ce qui nous a frappé, c’est qu’on avait l’impression que les syndicats ne voulaient pas bouger. Il y a pourtant eu une rapide levée de boucliers, dans notre école comme dans d’autres. Mais le retour des directions syndicales était de ne pas bouger et de faire de petites actions. Par la suite, les mots d’ordre n’étaient pas clairs (qui était couvert, qui ne l’était pas, etc.). Dans notre école, nous avons de suite débrayé, la tradition de lutte était là. Mais ailleurs, là où les délégués syndicaux transmettaient ce manque de clarté, les profs ne savaient pas quoi faire. Mais il est intéressant de remarquer que sans vraie mobilisation, le 5 octobre, on était un peu plus de 1.000, avec une grande détermination. Le PSL était là d’ailleurs."

"Quand le gouvernement doit faire des économies, il vise d’abord le secteur public. Avec la crise, les attaques vont être de plus en plus fortes, et on doit réagir. Même des profs qui n’étaient pas vraiment parmi les plus chauds mettaient en avant la solidarité avec les facteurs, mais aussi avec les agriculteurs. Le sentiment que j’ai ressenti autour de moi, c’est qu’on est prêts à bouger tous ensemble. Et si la mobilisation dans notre école a été exceptionnelle, les idées qui circulent dans la tête des profs sont communes, nous ne sommes pas une île coupée du reste du monde."

AS: Selon toi, comment peut-on résoudre les nombreux problèmes de l’enseignement?

PZ: "La réponse est simple: donner davantage de moyens pour l’enseignement et le réformer fondamentalement par la base. Les réformes de l’enseignement viennent toujours d’en haut et elles n’ont aucun sens. Des décrets nous tombent dessus sans que l’on sache d’où ça vient."

"Un refinancement massif serait plus que nécessaire. A long terme, des écoles plus efficaces, cela rapporterait. Mais on a des gouvernements qui voient des budgets à court terme, en refilant à chaque fois la patate chaude aux suivants. Ils n’osent pas prendre leurs responsabilités par rapport aux entreprises privées qui, elles, sont largement subventionnées par l’Etat: intérêts notionnels et autres cadeaux fiscaux, injection de milliards pour les banques,…"

"Ce que je voudrais dire aussi, c’est que je suis intervenu dans la lutte en tant que membre du PSL. Dans mon entourage, j’ai senti une grande volonté d’en savoir plus, de comprendre ce qui se passait. J’ai ainsi pu vendre beaucoup d’exemplaire de l’Alternative Socialiste à mes collègues, et des discussions approfondies se poursuivent encore. C’est vraiment intéressant, j’ai l’impression que, politiquement, un pas qualitatif a été franchi. Même si je ne veux pas généraliser l’expérience de mon école, j’encourage vraiment tous nos camarades à discuter autour d’eux. Nos idées passent mieux, la crise rend nos solutions beaucoup plus concrètes. On nous prend moins pour des utopistes."

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