La crise économique mondiale et les perspectives politiques pour l’Europe

Commentaires et analyses du CIO

Le texte ci-dessous est une proposition de thèse qui a été présentée à la réunion du Bureau Européen du CIO (Committee for a Workers’ International – Comité pour une Internationale ouvrière, l’internationale dont fait partie le PSL) qui s’est tenu dans la semaine du 27 mars.

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Cela fait trente ans, mais bien plus encore depuis la chute du stalinisme en 1989, que le capitalisme néolibéral – dont le crédo a été résumé dans le «Consensus de Washignton» – s’est imposé comme idéologie pour l’ensemble du capitalisme mondial. De fait, les capitalistes et leurs idéologues, de même que la majorité des dirigeants syndicaux et «socialistes», se sont rangés à l’idée que le capitalisme débirdé était le meilleur système, le plus efficace possible pour la distribution des biens et des services à tous les peuples du monde. Toutefois, la dévastation causée par la crise économique en cours a complètement mis en pièces cet édifice idéologique qui paraissait pourtant si puissant. Les économistes et politiciens capitalistes se disputent pour savoir si leur système est soit déjà, soit au bord d’une «dépression» ou, à tout le moins, d’une «grande récession» (selon Dominique Strauss-Kahn, dirigeant du Fonds Monétaire International).

Vitesse et ampleur de la crise

Cette crise n’a pas encore révélé toute son ampleur, mais a déjà amené une destruction sans précédent de richesses et de ressources partout dans le monde.Selon le commentateur capitaliste britannique Hamish McRae, qui est l’éditorialiste économique du journal «The Independent» de Londres, le montant de tout ce qui a été détruit depuis le début de cette crise équivaut à un tiers du Produit Intérieur Brut (PIB) mondial. Il prévoit aussi qu’il faudra dix ans pour rebâtir tout ce qui a déjà été ainsi démoli.

La Banque pour le Développement Asiatique (BDA) a été encore plus loin, faisant remarquer que «L’effondrement de la valeur des actifs mondiaux peut avoir atteint 50.000 milliards de dollars, ce qui équivaut à la valeur d’un an de production mondiale». Ceci est encore probablement une sous-estimation des dégâts infligés par la crise, puisqu’il semble que l’on n’y a pas pris en compte les dégâts infligés à l’économie «réelle». La Banque Mondiale a aussi déclaré que «avec le tarissement des sources de capitaux, les pays en développement sont confrontés à un trou financier de 270 à 700 milliards de dollars par an. Seul un quart des pays vulnérables ont été capables d’amortir l’impact de la récession mondiale.»

La BDA estime les pertes totales en capital pour l’Asie, hors Japon, à 9625 milliards de dollars, soit 109% du PIB de la zone, alors que sur le plan mondial la moyenne de ces pertes équivaut à 80-85% du PIB. Pour l’Amérique Latine, l’estimation des pertes pour 2008 est de 2.119 milliards de dollars, soit 57% du PIB du continent. Le célèbre gourou capitaliste Schumpeter a un jour caractérisé le capitalisme selon les termes de «destruction créative». Il y a effectivement eu beaucoup de «destruction», comme le montrent les chiffres précédents, mais jusqu’ici très peu de «créativité» à l’horizon en ce qui concerne les masses des travailleurs et des pauvres à travers toute la planète. Et en plus de tout ça, l’Organisation Internationale du Travail a estimé à entre 30 et 50 millions pour l’année qui vient le nombre de travailleurs qui vont perdre leur emploi ou être plongés dans le tourbillon morose du «sous-emploi». De plus, le chiffre avancé en ce qui concerne l’augmentation du nombre de pauvres due à la crise est de 90 millions. Il ne faut donc guère s’étonner lorsque Martin Wolf du Financial Times écrit que le coût de la crise jusqu’à aujourd’hui est équivalent à celui d’une «guerre».

Ces chiffres illustrent le caractère épique de la crise, qui a poussé la bourgeoisie et ses porte-paroles dans la panique la plus complète. Leur humeur est presque à la semi-démoralisation. C’est ce qu’on a vu dans une série d’articles du Financial Times, qui a de plus en plus pris sur lui un caractère de «bulletin international» pour le capitalisme mondial, plutôt que britannique.

Ces articles définissaient des perspectives, aussi loin qu’ils en étaient capables, pour la bourgeoisie mondiale dans la période à venir. Leurs conclusions ? «Non seulement le système financier est infesté par des pertes d’une ampleur que nul n’avait prévu, mais les piliers de la foi sur lesquels reposait le nouveau capitalisme financier se sont maintenant quasi effondrés. A cause de cela, tout le monde, des Ministres des Finances aux responsable des Banques Centrales aux petits investisseurs ou pensionnés se retrouve sans aucun repère intellectuel, abasourdis et confus.»

Le dirigeant de Meryll Lynch à Moscou a été encore plus loin : «Notre monde est brisé – et honnêtement, je ne sais pas ce qui va le remplacer. La boussole qui nous montrait la voie en tant qu’Américains a disparu… La dernière fois que j’ai vu quoi que ce soit qui ressemble à la situation actuelle, en terme de désorientation et de perte de repères, c’était parmi mes amis en Russie lorsque l’Union Soviétique s’est effondrée.» L’effondrement de la Russie, la contre-révolution sociale qui a suivi 1989, fut la plus grande contradiction des forces productives en un pays de toute l’Histoire, surpassant même la crise de 1929 à 1933 aux Etats-Unis.

Les stratèges du capital sont si désorientés qu’ils ont même été cherché un peu de consolation dans les oeuvres de Marx, et même parmi les écrits de «Lénine le maudit». La phrase de ce dernier, comme quoi le capitalisme pouvait toujours trouver une issue, fut citée d’un ton approbateur dans le Financial Times par un idéologue du capitalisme! Ce commentateur avait oublié d’ajouter que Lénine avait précisé que cette renaissance du capitalisme ne pouvait s’effectuer qu’au prix d’une souffrance immense pour la classe ouvrière, ne pouvait s’édifier que «sur les cadavres» de la classe ouvrière et de ses organisations, comme l’écrivit Trotsky.

Il ne fait aucun doute que si la classe ouvrière ne cherche pas une porte de sortie vers la révolution socialiste, le capitalisme pourra toujours se réétablir, bien que sur base d’un équilibre instable. Mais comme Trotsky l’a fait remarquer au début des années 30, la situation objective – en termes d’ampleur et de vitesse de la crise – à travers le monde entier peut déjà être qualifiée, «avec un certain degré de justification», de prérévolutionnaire. Ceci est correct à condition de la définir comme étant une période recouvrant plusieurs années de «flux et reflux partiels» qui peuvent se dérouler entre une situation prérévolutionnaire et une situation directement révolutionnaire.

En d’autres termes, comme le CIO l’a toujours défendu, cette crise va avoir un caractère étendu ; ce n’est pas juste une crise, mais une série de crises. Elle a déjà introduit une instabilité extrême des devises, un empilement massif de dettes d’Etat – un «vol générationnel», comme l’a décrit le candidat présidentiel républicain McCain – et d’énormes problèmes pour le capitalisme, qui ne pourront en dernier recours se résoudre que par une attaque directe sur le niveau de vie de la classe ouvrière.

Toutefois, la période précédente du capitalisme néolibéral, qui s’est développée pendant trois décennies, détermine encore en premier lieu les processus à l’oeuvre non seulement sur les plans économiques et politiques, mais également dans la conscience de la classe ouvrière. Tout ce qui garantissait le succès du capitalisme se transforme maintenant en son contraire. La mondialisation a inauguré une période de «démondialisation».

L’expansion massive du commerce mondial, avec la baisse des barrières douanières, et un certain degré de dépassement de l’Etat-nation lui-même a alimenté la croissance. Mais maintenant, avec une nouvelle donne économique, ceci s’est transformé en protectionnisme et en un effondrement incroyable du commerce mondial, sur base de la contraction de l’économie mondiale, estimée ou sous-estimé par le FMI à entre -0,5 er -2% cette année. Cet élément signifie à lui seul que cette crise est pire que tout ce que l’on a connu depuis les années 30. Ce n’est qu’après le contrecoup de la crise de 1973-75 que l’on a été capable de percevoir que cette crise-ci ne provenait pas d’une réelle chute de la production mondiale, mais d’un fort ralentissement du taux de croissance.

Malgré toutes les plaidoieries du FMI et les engagements qui ont été pris lors du dernier sommet du G20 ou qui le seront pieusement lors du sommet d’avril de cette année, le protectionnisme est inévitable. Les dirigeants capitalistes « parlent global, mais pensent national », selon le commentaire d’un « expert » économique à propos du sommet du G20 à venir. Cette montée du protectionnisme pourrait ne pas être de la même impotance que le Décret Smooth-Hawley qui augmenta les tarifs douaniers aux Etats-Unis pour 20.000 objets, mais elle est déjà considérable. La Grande-Bretagne ouvrant le bal, tous les gouvernements européens se sont battus pour savoir qui ferait le plus gros plan de renflouement de ses propres banques, le plus gros plan de subsides aux secteurs de l’industrie en difficulté, comme l’industrie automobile. Ceci a déjà eu un effet catastrophique sur les pays les plus dépendants du commerce mondial – tels que le Japon, l’Allemagne, la Chine et les pays industrialisés d’Asie.

Les plans de relance peuvent-ils fonctionner?

Combien de temps cette crise pourra-t-elle durer, et le régime Obama pourra-t-il voler à la rescousse du capitalisme mondial grâce à ses plans de relance? Le capitalisme mondial et les plus sérieux de ses représentants, lorsqu’on parle de perspectives, avouent leur confusion, leur incertitude et leur manque de vision quant à ce qui pourrait se produire sur le front économique. Par conséquent, les éléments les plus conscients du mouvement ouvrier, les marxistes, ne peuvent donner de réponses définitives. La valeur des plans de relance des divers gouvernements capitalistes dans le monde a été estimée à 2% du PIB mondial. En Europe, pour l’instant, la valeur de ces plans équivaut à 0,85% du PIB européen, avec une réserve de 2,1% du PIB encore disponible sous forme de crédits étendus et autres garanties. Aux Etats-Unis, le plan de relance voté par le Congrès est d’une valeur de 787 milliards de dollars (5,6% du PIB américain), et le renflouement des hypothèques et les garanties prises pour Fannie Mae et Freddie Mac totalisent un surplus de 275 milliards de dollars. Toutes ces mesures contribueront à un déficit budgétaire estimé à 1,75 trillions de dollars (1.750 milliards de dollars), soit 12,3% du PIB américain ! Au Royaume-Uni, qui a opéré un des plus grands plans de relance – à part celui de la Chine – en termes de pourcentage comparé au PIB du pays, pour une valeur de 5% de son PIB – le dernier «plan d’allègement» de la Bank of England – , s’élèvera à 150 milliards de dollars. Ceci est un signe du désespoir du capitalisme, de leurs idéologues et de leurs partis, qui tentent tant bien que mal d’éviter ou d’amortir les effets du crash.

Le système financier – et en premier lieu les banques – est ruiné partout sur tout le système capitaliste mondial. Il ne fait aucun doute que la première et plus visible expression de cet état a été de critiquer le «modèle anglo-saxon» du capitalisme, surtout aux USA et au Royaume-Uni. C’est dans ces pays que le processus de «financialisation» a été poussé à son paroxysme, et c’est dans ces pays que les conséquences les plus catastrophiques se font maintenant sentir. Les banques en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis – si pas dans le reste du monde – sont aujourd’hui techniquement insolvables. Elles ne sont en fait rien de plus que des «banques zombies». Ceci malgré le fait que, dans la plupart du secteur bancaire britannique, le contrôle majoritaire est exercé par l’Etat, tout comme c’est aussi en réalité le cas aux Etats-Unis. Et pourtant, Brown comme Obama résistent tous les deux à l’idée de mettre un terme à la «zombification» des banques, comme l’a appelé Paul Krugman, un économiste capitaliste keynésien. Et cela pour les raisons que nous avons esquissées ci-dessus. Une nationalisation complète représenterait une confession ouverte de la faillite de «l’entreprise privée». Mais pourtant, même les valets les plus droitiers du système, tels que James Baker, Secrétaire du Trésor sous George Bush père, et l’ex-gourou économique Alan Greenspan, se déclarent maintenant en faveur dune «nationalisation temporaire». Même les keynésiens considèrent la nationalisation comme une «mesure à court terme», c.-à-d. regrettable mais inévitable, nécessaire afin de renflouer le système, un peu comme le gouvernement suédois l’avait fait, à une bien plus petite échelle, au début des années ‘90. Ils sont tellement acharnés à convaincre le régime Obama adopter ces mesures, que des keynésiens comme Krugman ont décidé d’abandonner le terme de «nationalisation» pour employer celui de «préprivatisation», c’est-à-dire d’abord une prise en charge par l’Etat, avant de le remettre de nouveau entre les mains des mêmes criminels financiers qui avaient ruiné ces entreprises. Malgré toutes leurs hésitations, au fur et à mesure que la crise s’amplifie – avec 600.000 chômeurs par mois en plus pendant les trois derniers mois aux Etats-Unis, les pires chiffres depuis 1945 – la pression pour une prise en charge du système financier par l’Etat pourrait devenir irrésistible pour les capitalistes. En même temps, nous devons mettre l’accent sur la nécessité d’un contrôle et d’une gestion démocratiques et socialistes de ces étatisations, comme nous l’avons expliqué dans notre article sur le programme transitoire paru dans la revue Socialism Today et sur le site international du Comité pour une Internationale Ouvrière, le CIO (www.socialistworld.net).

Les mesures d’Obama – de Brown et des autres gouvernements capitalistes – parviendront-elles à atteindre leur but, c’est-à-dire avant toutes choses amortir la chute du capitalisme mondial, afin de recréer la base pour un renouveau économique? La mise en oeuvre de la pompe étatique a été conçue afin d’éviter un piège déflatoire, ce que Keynes décrivait comme étant le «paradoxe de l’économie». Les taux d’intérêt sont proches de ou valent zéro, ce qui fait que les banques sont peu enclines à prêter, que les emprunteurs ne peuvent plus emprunter, et que les déposants sont peu enclins à déposer. Le problème du capitalisme en crise n’est pas tellement la question du crédit – bien qu’il y ait effectivement une «grève du crédit» opérée par les banques – mais un manque de « demande », comme l’ont fait remarquer de nombreux économistes pro-capitalistes. Qu’est-ce donc que cela, sinon une manifestation du phénomène de «surproduction» – ce qui était, comme Marx l’a bien expliqué, une absurdité lors des ères précapitalistes. Les classes dirigeantes d’Europe, d’Allemagne et du Japon ont tout d’abord attaqué le «modèle anglo-saxon» de financialisation, qui était selon eux responsable de la crise – se croyant eux-mêmes à l’abri de la récession. Mais en réalité, la crise de surproduction que nous connaissons actuellement était inévitable, avec ou sans crise financière. La combinaison mortelle de crise financière et de crise de «l’économie réelle» n’a servi qu’à renforcer, prolonger et approfondir la crise organique du capitalisme. Il est improbable que les mesures des gouvernements capitalistes entreprises afin de «stimuler» l’économie parviendront à accomplir leur objectif. Il n’est pas exclu, et il est même probable, qu’Obama sera capable d’amortir quelque peu la chute de l’économie américaine ; de même que Brown au Royaume-Uni. Nous devons cependant ajouter l’avertissement que la situation actuelle est unique de part son échelle, son ampleur et sa vitesse. Les mesures employées ou proposées sont elles aussi sans précédent, même en comparaison à la situation des années ‘30. Jamais au cours de l’histoire – pas même dans les années 30 – les capitalistes n’ont cherché de manière aussi désespérée qu’aujourd’hui à faire dévier la crise.

Conséquences pour la Chine

Comme nous l’avions expliqué à l’avance, la Chine n’est pas capable d’agir en tant que système de survie pour le capitalisme mondial. La relation entre les Etats-Unis et la Chine sur le plan économique ont été une variante de la «Destruction Mutuelle Assurée» entre le capitalisme et le stalinisme. La recette du cocktail qui consiste à payer les exportations chinoises aux Etats-Unis au moyen d’actifs dollarisés – pour un montant équivalent à 1.600 dollars pour chaque citoyen chinois – a permis de boucher le trou dans la balance commerciale américaine, et de garantir un marché pour les produits chinois. Mais aujourd’hui toutefois, si l’on en croit le journal londonien The Independant, la Chine serait «confrontée à sa pire crise financière depuis un siècle». En même temps, le FMI annonce que la croissance de l’économie chinoise sera bien inférieure aux 8% projetés par les autorités chinoises. Des milliers d’entreprises ont fait faillite, et le taux d’investissement direct est en chute, malgré «les garanties gouvernementales quant à l’annulation des barrières limitant le flux de liquidités étrangères» (International Herald Tribune). La quantité de capital américain déployé en Chine est tombée de moitié en janvier et février. Au même moment, la Chine utilise cette crise pour investir à l’étranger, rachetant des industries, en particulier en Afrique et dans d’autres parties du monde néocolonial.

Confronté à la perte de débouché pour ses produits aux Etats-Unis comme ailleurs, le régime s’est tourné vers le développement du marché intérne. A cette fin a été proposé un plan de stimulation d’une valeur d’au moins 580 milliards de dollars, le «plus gros plan de stimulation fiscal que le monde ait jamais vu» (The Independant). Mais ceci ne vaut que sur papier ; personne n’est très clair sur la question de savoir en quelle proportion les mesures promises sont quelque chose de neuf, ou ne consistent qu’en un recyclage de «vieil argent». Néanmoins, il y a une certaine possibilité – peut-être plus de possibilité, à cause du rôle de l’Etat – de puiser dans les réserves financières et d’introduire un relativement gros programme d’investissement dans l’ifnrastructure. Même s’il ne «sauvera» pas le capitalisme mondial, ce plan pourrait effectivement parvenir à adoucir la récession en Chine. Cette éventualité est d’autant plus probable à cause du rôle que joue le secteur étatique, qui est toujours considérable. Sa place dans l’économie est bien plus importante que celle occupée par les secteurs d’Etat d’autres pays, même asiatiques, comparables par le fait que l’Etat y exerce toujours un certain contrôle économique, tels que la Corée du Sud, etc.

La question de la part de l’économie qui demeure entre les mains de l’Etat ou qui se trouve au contraire dans le « privé » est toujours un sujet de discussion et de débat, y compris parmi les commentateurs bourgeois. Par exemple, dans un livre incisif basé «sur des extraits de données financières récemment découvertes», Ya Shin Wang, un des premiers critiques du «miracle économique» chinois, décrit comment, lors des dix dernières années, le pays est en réalité devenu «moins capitaliste et moins libre sur le plan économique». Il explique en effet que : «Au début des années ‘80, le gouvernement étranglait dans les faits les entrepreneurs privés qui commençaient à apparaître, et qui subissaient la concurrence à la fois des entreprises macro-étatiques, et des multinationales géantes». Ce sujet est toujours sujet de controverses en nos propres rangs, mais nous sommes d’accord sur le fait que l’Etat a commencé à s’affirmer – sous la pression immédiate de la crise, à la fois interne et externe, tandis que le secteur privé reste dormant. Le gouvernement et les élites privilégiées sur lesquelles il repose tentent d’éviter une explosion de colère populaire face à la hausse du chômage, du fossé immense entre riches et pauvres, etc. avec un mélange de «cooptation», surtout parmi la classe moyenne urbaine, et de répression. De telles méthodes n’ont que peu de chances de porter leurs fruits, et surtout pas sur les long et moyen terme. Mais nous devons suivre l’évolution de l’économie chinoise ainsi que la situation sociale et politique qui s’y développe, comme l’ont fait nos camarades.

Colère de la classe salariée

Le plongeon de l’économie américaine est tel que même Obama est en train de perdre sa position stratopshérique de départ dans les sondages d’opinion. Quelques mois à peine après avoir obtenu le pouvoir, sa popularité est moindre que celle de George W. Bush à la même période par rapport au moment où celui-ci était arrivé au pouvoir!

Ceci est une illustration de l’extrême volatilité qui marque cette crise. Il est devenu difficile pour les capitalistes, et donc aussi pour nous, de prévoir avec précision le déroulement probable des événements et les effets sociaux et politiques de la crise. Dans de nombreux pays, malgré sa sévérité, la crise apparaît comme faisant partie d’une «fausse guerre». Lorsque les «bombardements» vont commencer, toutefois, à travers une hausse soudaine du chômage, alors ce sera une autre affaire. Les capitalistes ont consciemment cherché à émousser la résistance de la classe salariée en recourrant aux coupes salariales et au chômage économique, plutôt qu’à la fermeture brutale des usines, bureaux et industries. Il y a aussi le fait que la conscience des travailleurs est héritée de la période précédente : nombreux sont ceux qui croient que la crise actuelle et ses conséquences ne sont qu’un «mauvais moment», et que tout reprendra son cours normal bientôt. Toutefois, la crise a déjà provoqué des réactions «réflexes» de la part de la classe salariée, en particulier là où la classe capitaliste a cherché à attaquer des acquis passés, comme en Irlande, France et Italie et, à une plus petite échelle, dans d’autres pays européens comme la Belgique. C’est la tentative de saper les allocations de santé, surtout du côté des personnes âgées, qui a provoqué des manifestations de masse en Irlande à la fin de l’année passée, et qui a été suivie par une immense manifestation en février à Dublin, et la menace d’une grève générale en mars, bien que les dirigeants syndicaux fassent de leur mieux pour faire dérailler le mouvement. Nous avons été témoins du même phénomène en France, avec une grève colossale en janvier et le 19 mars, et plus de trois millions de manifestants. Sarkozy, qui fanfaronnait encore il y a peu sur le fait que la France semblait «immunisée» aux grèves, a recommencé à parler, dans les premiers mois de cette année, du danger d’un nouveau «1968». L’occupation par les étudiants de la Sorbonne pourrait constituer un avant-goût de ce qui va suivre, tout comme la grève générale en Guadeloupe et en Martinique et ses effets au Guyane française.

Il y a aussi une hostilité de classe amère et généralisée vis-à-vis de ceux qui sont perçus comme étant les principaux responsables de la crise actuelle : les banqueirs et les financiers. Ceci a été énormément agravé par l’incroyable arrogance des banques et de compagnies d’assurance telles que AIG, qui a été renflouée par le gouvernement américain d’un montant de 170 milliards de dollars, et a maintenu sa décision de rétribuer ses actionnaires de 175 millions de dollars ! La levée de boucliers contre AIG et les banques a poussé Obama à accepter l’idée d’une taxe de 90% sur les «bonus de rétention» pour les banques qui reçoivent une aide étatique. Ceci a à son tour poussé les banques à dénoncer une «chasse aux sorcières McCarthyte» et l’odeur des échafauds et de la révolution française ! Tout cela, est un reflet de la polarisation de classe qui a déjà commencé à se développer, et un avant-goût d’un sentiment général d’opposition au système capitaliste dans son ensemble, et non plus seulement à une partie de celui-ci, et qui va prendre corps au cours de la prochaine période. Toute une couche de jeunes et de travailleurs sont déjà en train de tirer des conclusions socialistes et révolutionnaires, et se dirigent vers le CIO. Une autre couche observe le CIO et ses sections nationales, certains attendant de voir si nos pronostics sont fondés ou pas! Beaucoup d’entre eux peuvent et vont nous rejoindre sur base des événements et de notre travail.

Effondrement des anciens pays staliniens

C’est également ce qui va se passer dans les anciens Etats staliniens de Russie et d’Europe de l’Est. Par une ironie de l’histoire, l’implosion économique y est plus importante que quasi nulle part ailleurs, mais la conscience de masse y est toujours à la traîne, plus que nul part ailleurs. Le «capitalisme mafieux» a échoué, mais le «véritable capitalisme démocratique» doit encore être tenté, se disent de nombreuses personnes, et même des travailleurs. Ces illusions rose-bonbon vont être détruites par les événements tumultueux qui pointent à l’horizon, pas seulement dans cette région mais ailleurs. L’apparition de partis ouvriers de masse et de forces marxistes particulièrement puissantes en Europe occidentale, aux Etats-Unis, au Japon et dans le monde néocolonial va exercer une influence décisive au niveau de la vision des travailleurs, et paver la voie pour la croissance de nos forces dans la région.

En même temps, il y a eu des explosions spontanées de colère dans les rues d’Europe de l’Est et de Russie. Nous avons vu des manifestations en Lettonie, à Vladivostok en Russie orientale et ailleurs, ce qui laisse présager un mouvement de masse encore plus grand étant donné l’aggravation catastrophique de la position des économies d’Europes de l’Est et de Russie elle-même. Plusieurs pays d’Europe de l’Est se trouvent « au bord du gouffre » : c’est le cas pour la Hongrie, la Roumanie, l’Ukraine et d’autres, ainsi que pour la Russie elle-même. Par exemple, on s’attend à ce que le chômage en Russie double cette année, passant de 6,3% à 12%. Ceci s’ajoute au fait qu’un demi-millions de Russes attendent des arriérés salariaux, et que l’économie connaît toujours une inflation à deux chiffres. L’effondrement du marché automobile en Europe et dans le monde va avoir un contrecoup extrêmement rude pour les pays d’Europe de l’Est et pour la Russie. La relocalisation dans la région d’usines par les multinationales de l’automobile suivait une logique de réduction des coûts salariaux, et donc d’augmentation des profits via l’exportation de voitures vers les pays d’Europe occidentale, le Japon et les Etats-Unis. Maintenant que le marché s’est effondré, il en sera de même pour des régions entières, qui dépendent de la production automobile. L’industrie domestique russe sera également affectée. Par exemple, 60% des habitants de la Volga sont impliqués dans la production de la Lada à l’usine Togliatti, alors que ses ventes se sont effondrées. La majorité de ces gens vont donc se retrouver au chômage. Selon un commentateur moscovite, la crise actuelle sera pire que celle de 1998, et « la situation est pire qu’au début des années 90 ». Et comme si ça ne suffisait pas, la liste des personnes les plus riches du magazine Forbes indique que le nombre de milliardaires russes est passé en un an de 87 à 32. Il ne faut donc guère s’étonner quand l’ancien président soviétique Gorbatchev – qui a lui-même servi de portier pour le retour du capitalisme en Russie – déclare que « le meilleur du socialisme et du capitalisme » est à venir. En fait, c’était là son slogan lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1985 et prônait un stalinisme « réformé ». L’Europe de l’Est et la Russie fourniront au cours de la prochaine période certains des pires exemples de l’absurdité capitaliste.

Les répercussions de l’effondrement de toute une série de régimes d’Europe de l’Est, tel qu’en Hongrie, sont sérieuses, de même que les effets qui pourraient s’en faire sentir sur les banques de pays majeurs d’Europe occidentale. Par exemple, l’Autriche est menacée d’un effondrement similaire à celui qu’elle a connu en 1931 au cas où, comme cela est possible, les pays baltiques et d’Europe de l’Est devaient « boire la tasse » à cause de la crise. Les banques autrichiennes et suédoises reposent fortement sur des dettes massives, prêtant de l’argent dont elles ne disposent pas encore. Les banques autrichiennes et italiennes sont les plus exposées. Les prêts des banques autrichiennes aux pays d’Europe de l’Est sont à peu près équivalents à 70% du PIB autrichien. Ceci signifie que ni l’Italie, ni l’Autriche ne peuvent se peremttre de renflouer leurs propres banques, et recherchent désespérément un « plan de relance » européen qui puisse les renflouer. En fait, l’Europe est plus exposée à la « crise des subprimes » que même les Etats-Unis. La situatio nen Russie est identique. Les treize pays qui autrefois formaient l’Union Soviétique avaient accumulé ensemble une dette auprès de banques étrangères, en devises étrangères, d’une valeur dépassant le trillion de dollars (mille milliards de dollars). Une partie – minuscule – de ces emprunts ont été investis, mais la plupart, comme aux Etats-Unis, a servi directement à alimenter la consommation et le secteur immobilier. Le International Herald Tribune a exprimé ainsi l’inquiétude de la classe dirigeante européenne : « La crise de la dette en Europe de l’Est est bien plus qu’un problème économique. Le déchirement et le déclin du mode de vie causé par la crise y provoque des troubles sociaux. Les emprunteurs de subprimes américains qui ont vu leur maisons se faire ressaisir ne sont pas – du moins pas encore – en train de lancer des émeutes dans les rues. Mais les travailleurs d’Europe de l’Est bien. Les racines de la démocratie dans la région ne sont que peu profondes, et le spectre du nationalisme de droite constitue toujours une menace. »

Ceci illustre comment l’intérgation du capitalisme – à un niveau jamais égalé, même en comparaison à la période d’avant la Première Guerre – signifie que la crise dans un secteur ou une région peut provoquer une réaction en chaîne qui se répercute dans les autres secteurs et régions. Nous avons vu cela dans les années 30, avec la faillite et la défaillance de la dette pour de nombreux pays en Europe et dans le monde néocolonial, surtout en Amérique latine, en conséquence de la dépression. Quelque chose de similaire se déroule de nos jours. Le PIB letton a dimuné de -4,6% l’an passé, et on estime qu’il chutera encore de -12% cette année ! Le chômage y dépasse maintenant 10%, ce qui laisse présager une période « d’instabilité » qui va « certainement créer une ouverture pour un dirigeant populiste » (Financial Times). Dans le langage codé de la bourgeoisie, ceci fait référence aux partis d’extrême-droite qui ont commencé à croître en Hongrie, en Lettonie et dans d’autres pays d’Europe de l’Est. Avec l’Irlande, l’Espagne, la Grèce et le Portugal, ce sont ces pays qui vont sans doute connaître le pire déclin dans la période à venir.

Le capitalisme européen en crise

On estime que l’économie irlandaise pourrait se contracter de -20% dans les prochaines années, ce qui produira des convulsions sociales et politiques d’une ampleur encore jamais vue même comparées au passé tumultueux de l’Irlande. De plus, l’euro, qui a agi au début de la crise comme un bouclier pour les pays économiquement exposés tels que l’Irlande, va maintenant jouer le rôle d’une grande camisole de force. Aucun plan de « réajustement » sur base d’une dévaluation de la monnaie n’est possible tant que l’Irlande demeure dans l’eurozone. Par exemple, on estime que le taux de change italien, lorsqu’on prend en compte l’inflation, est en réalité d’un tiers plus haut que ce qui serait requis au vu de la gravité de la situation à laquelle est confrontée son économie. Des données ahurissantes ont commencé à émerger, qui montrent l’implosion économique qui a traversé l’Italie dans la période récente. L’Italie est étouffée par une bureaucratie massive, avec des frais de « représentation politique » équivalent à ceux de la France, de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de l’Espagne réunis ! Sous ce poids, et à cause de son manque de compétitivité avec ses plus proches voisins, l’économie italienne plonge de plus en plus loin sous la surface. Les dépenses pour l’éducation, qui ont dimuné chaque année depuis 1990, ne s’élèvent plus qu’à hauteur de 4,6% du PIB (au Danmark, on est à 8,4%). Seule la moitié de la population poursuit ses études après l’enseignement obligatoire, 20% de moins que la moyenne européenne. Le nombre de lits d’hôpital par habitant a dimuné d’un tiers sous la « nouvelle république », et vaut la moitié de ce nombre en France ou en Allemagne. L’encrassement colossal du système légal a eu pour conséquence que deux retraités septuagénaires qui demandaient un procès contre l’institut de sécurité sociale se sont vu répondre qu’ils pourraient avoir une audience en 2020 ! Le chômage, qui s’élevait à 12% dans les années 90, est « officiellement » tombé à 6%. Mais la plupart – la moitié en 2006 – de ces nouveaux emplois sont basés sur des contrats à court terme et sont extrêmement « précaires ».

L’Italie, l’Espagne et les conséquences sur l’Eurozone

Sur base du capitalisme, l’Italie, tout comme le Japon, n’est qu’une entreprise agonisante. Il n’y a pas si longtemps, lors de la « seconde république », l’Italie bénéficiait du deuxième plus grand PIB par habitant de tous les grands pays européens, mesuré en termes de pouvoir d’achat, ce qui la plaçait à cet égard juste derrière l’Allemagne – un niveau de vie en termes réels qui était plus élevé que celui de la France ou du Royaume-Uni. Aujourd’hui, ce niveau de vie est bien inférieur à la moyenne européenne (UE), qui a pourtant fortement baissé après l’adhésion à l’UE des pays d’Europe de l’Est, et l’Italie est « en train de se faire rattraper par la Grèce ». Une part de la responsabilité de cet état de fait repose bien entendu sur les épaules de la « gauche », surtout des ex-dirigeants du PC qui se sont retrouvés dans les DS (Démocrates à Gauche) et ensuite dans le PRC (Parti de la Refondation Communiste). Cette situation, toutefois, est en train de préparer des explosion de masse en Italie, et un renouveau de la tradition radicale et révolutionnaire du passé. Nos petites forces, opérant dans des conditions difficiles, avec un immense afaiblissement de la gauche, sont aujourd’hui bien placées pour jouer un rôle dans la renaissance du socialisme et du marxisme authentique en Italie.

L’Espagne a vu une hausse colossale du chômage – 3,3 millions de travailleurs sans emploi. Le déficit budgétaire vaut au moins 6,5 du PIB, et l’économie va plonger de -3% cette année. La construction de logements – qui contribuait à 7,5% du PIB en 2006 – est presque à l’arrêt. Il ne faut donc pas s’étonner du commentaire d’un groupe de réflexion selon lequel « Ceci est le cadre parfait, en conjonction avec la crise financière, pour une dépression ». La réputation des principaux clubs de foot espagnols, renommés à travers l’Europe et le monde entier, a elle aussi été profondément affectée. Par exemple, David Villa, qui a marqué le premier goal espagnol lors d’une récente victoire contre l’Angleterre, est membre de l’équipe de Valencia. Son club croulant sous les dettes, son salaire a été postposé de manière « indéfinie » !

Des manifestations de travailleurs ont éclaté ; les dirigeants syndicaux ont organisé des parades, mais aucune action décisive n’a encore été entreprise afin de mettre un terme à la spirale descendante. Un commentateur procapitaliste a déclaré dans le Financial Times que « L’économie espagnole ne va pas commencer à croître à 3% avant environ sept années. Les Espagnols vont perdre la moitié de leur richesse. C’est horrible. »

A un moment, l’Espagne utilisait la moitié du ciment européen dans un boum de la construction massif et surprolongé. Ce boum s’est maintenant effondré au nez et à la barbe du capitalisme espagnol, laissant un million de maisons vides, et un chômage de 14%, qui menace de grimper à 20% dans la période à venir. Ces chiffres évoquent pour le futur proche le spectre d’une situation similaire, qui mena directement à la guerre civile espagnole. Marx décrivait l’effondrement de l’Espagne comme un « flétrissement long et sans gloire ». C’était lorsque l’Espagne faisait partie des nations les plus arriérées et reculées d’Europe. L’espagne « moderne » s’est développée à une vitesse pêle-mêle durant la phase de croissance, et menace d’un effondrement aussi rapide lors de la prochaine période. Le pays, comme c’est le cas pour certains autres pays d’Europe méridionale, est au bord de la catastrophe, et il est vital que le CWI cherche à aider le développement des forces révolutionnaires et marxistes authentiques qui vont émerger dans ce pays.

L’Eurozone pourrait s’effondrer, à cause du désengagement de ses membres les plus pauvres et les plus assiégés. Mais l’initiative de la destruction de l’Eurozone pourrait provenir des « plus riches », comme l’Allemagne, qui est peu encline à renflouer les pays plus pauvres, et pourrait refuser de payer la facture du maintien de l’Eurozone. Le « point chaud » du marché immobilier européen qu’était l’Irlande s’est écroulé en quelques mois. Les répercussion politiques dans chaque pays varieront en fonction de l’histoire récente. En Irlande du Sud, le gouvernement de coalition Fianna Fáil-Verts peut chuter à tout moment. La résurgence des partis d’opposition, en particulier du Labour, indique un tournant important au niveau des consciences. Les forces socialistes et marxistes authentiques en Irlande du Sud, telles que le Socialist Party (CIO Irlande du Sud), sortiront renforcées de la prochaine période.

L’extrême-droite et l’immigration

Comme nous l’avons dit plus tôt, la droite,et en particulier l’extrême-droite, est elle aussi en marche. C’est le cas dans les pays d’Europe de l’Est qui incluent d’importantes minorités tziganes. Par exemple, Jobbik, un parti d’extrême-droite hongrois qui prend pour cible cette minorité, a remporté 8,5% des voix lors des élections communales de l’an dernier. L’hostilité vis-à-vis des « immigrés » et des autres minorités monte à travers toute la région, et en Europe dans son ensemble. Le danger du racisme et de l’extrême-droite est évident dans les pays plus développés aussi. En Espagne, les résidents et colporteurs de rue africains ont manifesté deux fois en février, à Madrid, contre le racisme et les descentes de police. On apprit ensuite par une fuite que la police avait reçu un « quota » hebdomadaire d’immigrés « clandestins » à arrêter. Dans le sud de l’Espagne, qui est une des régions les plus pauvres, comme en Andalousie, des milliers d’immigrés sans nourriture ni abri se sont déversés sur les villages au début de l’hiver, « chassant en vain des boulots dans la cueillette des olives, qui avaient déjà été pris par des chômeurs espagnols ». En conséquence, nous voyons déjà au moins le début de la formation de « bidonvilles », jusqu’ici une caractéristique des pays néocoloniaux, et que les Etats-Unis ont connus dans une certaine mesure dans les années 30. Même au Royaume-Uni, les travailleurs immigrés originaires d’Europe de l’Est, surtout de Pologne, et qui ont perdu leur emploi, ont maintenant commencé à habiter en marge des villes, formant des sortes de nouveaux bidonvilles. Le même désespoir face à la détérioration des conditions sociales a commencé à se manifester en Espagne. La faillite des petites entreprises a par exemple conduit le patron d’une société de construction ruinée par la crise à organiser cinq hold-ups dans des banques ! Un autre patron de la construction a menacé de s’immoler à moins que le Conseil municipal ne rembourse les emprunts qu’il lui devait. Un désespoir similaire pouvait être perçu dans d’autres pays où des accidents « terroristes » impliquaient parfois des travailleurs individuels ou en petit groupe. Par exemple, début mars, un travailleur turc s’est tiré une balle dans la tête devant le bureau du Premier Ministre turc, en guise de protestation contre l’aggravation de la situation économique.

Les travailleurs français se mettent en action

Un mouvement plus conscient de travailleurs devient véritablement évident, menaçant ou effectuant des occupations, en France, en Ecosse et en Irlande, et pourrait devenir la norme dans d’autres pays au fur et à mesure que la situation économique se détériore. The Economist décrivait ainsi la situation en France dans son édition du 19 mars :

«Serge Foucher, chef de Sony en France, a été pris en otage le 12 mars par des ouvriers de son usine qui cherchait de meilleurs conditions de licenciement. Ils l’ont enfermé dans une salle de réunion et ont barricadé l’usine à l’aide d’énormes troncs d’arbres. Relâché le lendemain, M. Foucher semblait prendre les choses du bon côté : «Je suis heureux d’être libre et de voir à nouveau la lumière du jour», a-t-il confié.

Les hommes d’affaires en France ne sont pas amusés. Ils remarquent que les autorités n’ont pas demandé à la police de libérer M. Foucher. Au lieu de ça, le vice-préfet local l’a accompagné lors des négociations suivantes avec les salariés, qui ont obtenu ce qu’ils désiraient : un meilleur contrat de licenciement. Tout ceci confirme le manque général de sympathie pour les affaires qui vit en France, se plaint un cadre.

Prendre des cadres en otage est une tactique bien établie en France, un pays qui a toute une histoire de relations de travail conflictuelles. Mais cette tactique semble devenir de plus en plus courante. En janvier 2008, le dirigeant britannique d’une usine de crème glacée a été détenu toute une nuit après avoir annoncé un plan de licenciement de la moitié de ses salariés (à cette occasion, la police est intervenue). En février 2008, le directeur d’une usine de pièces détachées automobiles a été enfermé après que les salariés aient réalisé qu’il préparait une opération de délocalisation vers la Slovénie. Dix jours plus tard, les ouvriers d’une usine de pneus appartenant à Michelin ont enfermé deux cadres supérieurs pour protester contre le plan de fermeture de l’usine.»

Le même journal craint que ces actions ne créent un précédent :«Il arrive aux salariés des autres pays d’enfermer leurs patrons, mais la France est la seule nation où cela se produit souvent. Cette pratique pourrait-elle se répandre ? « A cause de l’état de l’économie mondiale, je ne serais pas surpris si les patrons se voyaient plus fréquemment détenus par leur personnel », dit David Partner, expert en kidnapping et rançons à Miller Insurance, une compagnie d’assurances affiliée à Lloyd’s de Londres.

Les occupations deviennent déjà plus courantes. En décembre, des ouvriers ont occupé une usine de vitres à Chicago pendant cinq jours afin de s’assurer de l’obtention de l’allocation de licenciement qui leur était due. En février, les ouvriers de Waterford Wedgwood, en Irlande, ont marché sur les bureaux de Deloitte, une firme de compatabilité, et ont refusé de partir jusqu’à ce qu’ils obtiennent une réunion avec le chef de cette entreprise. Selon Gary Chaison, professeur des relations industrielles à la Clark University du Massachusetts, les travailleurs aux Etats-Unis vont sans doute devenir plus militants, à cause du sentiment d’injustice par rapport au salaire. «Je verrais bien des captures de cadres se produire dans quelques mois», a-t-il dit.»

Le Premier Ministre « socialiste » espagnol, Zapatero, est parvenu à maintenirla plupart du soutien pour son parti lors des récentes élections régionales, malgré l’effarante situation économique. Ceci est en partie dû à la peur du Parti Populaire (PP), qui tire son origine de la période franquiste, et à l’espoir répandu parmi les masses que la crise ne sera que «temporaire». De plus, la structure familiale – tout comme dans d’autres pays d’Europe méridionale, comme en Grèce – agit plus en tant que filet de secours en période difficile que ce n’est le cas en Europe septentrionale. Ceci amortit dans une certaine mesure les pires effets de la crise économique, mais il y a une limite à cela. Une fois que le caractère durable de la crise aura été perçu par la majorité de la classe salariée, les traditions militantes de la classe salariée espagnole – qui semble en surface être restée dormante pendant toute la dernière période – seront ravivées. Dans la situation explosive qui s’ouvre devant nous, il est urgent que le marxisme authentique puisse trouver son chemin jusqu’aux meilleurs travailleurs et jeunes d’Espagne. On peut dire la même chose du Portugal.

La Grèce : le «maillon faible»

En ce moment, la Grèce est toujours le maillon faible du capitalisme européen. Le CIO en Grèce a clairement exprimé, dans des articles sur le site du CIO, quels sont les processus à l’oeuvre dans le pays, et qui inclut les grèves générales et l’humeur parmi les salariés et les jeunes. Malgré le creux dans le mouvement actuel – ce qui est invitable après une telle explosion d’énergie et sans aucun résultat immédiat et tangible tels que la chute forcée du gouvernement – la situation objective sous-jacente contient toujours d’importants éléments de situation prérévolutionnaire. Plus encore, le statu-quo actuel est hautement instable, et une explosion de convulsions sociales est entièrement possible. La Grèce, avec son déficit budgétaire de 14%, pourrait bien se voir mettre « hors-jeu » par les agences de cotation de la dette gouvernementale. Ceci pourrait à son tour provoquer une «faillite nationale», qui serait suivie par de nouvelles coupes brutales au niveau des acquis sociaux, des salaires et des conditions des salariés grecs. Ceci provoquera de nouveaux incendies sociaux.

La crise en Irlande

L’Irlande n’est pas très loin derrière la Grèce ; en effet, avec le temps, elle est confrontée à une situation potentiellement pire encore que la situation grecque, parce qu’elle est tombée de bien plus haut. Jouissant d’un des plus hauts niveaux de vie dans l’UE – le plus haut même, selon une estimation – la vitesse de la chute irlandaise est, d’une certaine manière, égale à celle de l’Islande, avec laquelle elle a déjà été comparée. Le taux de croissance annuelle de 9% du passé ne sera bientôt plus qu’un souvenir lointain, avec une contraction annoncée d el’économie à hauteur de -6,5% rien que pour cette année. Ceci a à son tour forcé le gouvernement du Fianna Fáil à lancer des attaques brutales sur le mode de vie, avec l’imposition récente par l’Etat d’une coupe salariale de -7,5% pour les employés du secteur public. Ceci a provoqué une manifestation massive en février, la plus grande en Irlande depuis trente ans. La pression est montée en faveur d’un appel à une nouvelle manifestation pour le 30 mars, mais la structure chapeautant les syndicats officiels, le Congrès Irlandais des Syndicats (Irish Congress of Trade Unions – ICTU), a décidé de n’y convier que les syndiqués qui n’avaient pas reçu leur paye conformément à la Convention salariale annuelle. Notre parti a demandé de manière correcte que tous les syndicalistes soient appelé à manifester le 30 mars, puisque c’est l’ensemble de la classe salariée qui est confrontée à la catastrophe, avec le chômage qui monte en flèche, jusqu’à probablement déjà un demi million. Une grève des travailleurs publics bassement payés, et l’occupation de la verrerie Waterford Glass, montrent le mécontentement croissant parmi la classe salariée irlandaise. Le socialisme authentique pourrait maintenant grandement se répandre, au milieu de cette situation potentiellement explosive, en particulier parmi la classe salariée.

Même le Labour Party irlandais, pourtant pro-marché, et qui s’est trouvé sur la paille depuis des décennies, connaît maintenant un renouveau, au fur et à mesure que les masses laborieuses partent en quête d’une alternative au Fianna Fáil et au Fine Gael, maintenant discrédités. Les anciens partis ouvriers – ce qui inclut le Labour Party irlandais – n’offrent que peu d’espace pour l’entrée et la radicalisation des salariés. Mais là où certains de ces partis n’ont pas été récemment associés avec les gouvernements au pouvoir, il n’est pas exclu qu’ils puissent de nouveau profiter d’une croissance électorale, mais aussi d’un certainflux de nouveaux travailleurs et de jeunes gens cherchant à lutter. Les marxistes n’ont pas de dogme bien arrêté sur quoi que ce soit, et encore moins concernant les perspectives pour des partis qui prétendent se tenir du côté du mouvement ouvrier. Il n’est pas exclu que le Labour Party irlandais puisse connaître une résurgence en termes de membres, ce que les marxistes chercheraient à influencer. Mais en même temps, la lutte industrielle est d’une importance cruciale sur le court terme, avec un scénario menaçant pour l’Irlande à l’horizon des quelques prochaines années, similaire à celles auxquelles à dû faire face la classe salariée irlandaise dans la période immédiatement avant la Première Guerre. Cette période a connu des batailles de classes caitales, qui ont culminé dans le Lockout de Dublin en 1913. Les grèves générales et partielles en Irlande en sont les annonciatrices. De la même manière, le plan électoral est vital, car le gouvernement irlandais du Fianna Fáil pourrait s’écrouler d’un coup sous le poids de ses propres contradictions et au milieu de la puanteur de corruption qui l’entoure. Au cours de la période dans laquelle nous entrons, un nouveauchapitre extrêmement important pourrait s’ouvrir pour le marxisme en Irlande.

La grève générale en France

De pareilles opportunités commencent à poindre au-dessus d’autres pays européens, parmi lesquels la France n’est pas des moindres. La grève générale de janvier 2009, suivie par la démonstration massive de puissance ouvrière en mars, avec jusqu’à trois millions de manifestants, a transformé la situation sociale et politique en France. Soixante-dix-huit pourcent des Français considèrent que la grève générale de mars était « justifiée ». Sur une affiche, on voyait «Les Français ont donné l’autorisation au mouvement syndical d’articuler leur opposition à Nicolas Sarkozy». Un grand homme d’affaires a averti que la France est confrontée à une «guerre de classes» qui pourrait saper les efforts de réformes de Sarkozy. Le chef de l’agence de sondages Publicis a déclaré : «Les gens sont vraiment fâchés». Il a aussi ajouté que le gouvernement «attisait le mécontentement». Au même moment, le Financial Times déclare que «Il est loin d’être clair si oui ou non, la tension sociale (manifestée dans les grèves et les occupations) va se cristalliser en un mouvement politique cohérent et capable de paralyser le gouvernement de M.Sarkozy». Le fait qu’ils aient une telle confiance en eux est entièrement dû à la corruption des dirigeants syndicaux qui sont prêts à laisser le mouvement se dissiper.

Les patrons demandent des «sacrifices»

A travers toute l’Europe, la politique que va suivre la bourgeoisie vis-à-vis de la classe salariée sera de « diviser pour mieux régner ». En Irlande, les médias bourgeois sont en train de mener une féroce campagne afin de tenter de liguer les travailleurs du privé contre les employés « privilégiés » du secteur public. Ces travailleurs « goulus » vivent aux dépens – d’autant qu’ils reçoivent apparemment de bien meilleurs pensions et salaires – des pauvres, des vieux et de tous ceux du secteur privé. Une campagne similaire a visé les employés communaux et les fonctionnaires en Grande-Bretagne, à un point tel qu’elle pourrait jouer un rôle particulièrement aigu lors de et après la prochaine campagne électorale. A l’avant-garde de cette campagne européenne, on retrouve la Banque Centrale Européenne : elle a appelé à « une reprise en main des salaires et des dépenses publiques ». Selon sa logique tortueuse, « les restrictions de payement aideront à prévenir le chômage qui affecte une grosse proportion de la population en âge de travailler… Les gouvernements devraient poursuivre une politique courageuse de restriction des dépenses, surtout dans le cas des salaires publics ». La réponse à cette politique distinctement « anti-keynésienne » a été donnée par les travailleurs allemands qui « sont partis en grève… cette semaine en réclamant une hausse de salaires – avec l’argument que de plus hauts salaires sont nécessaires pour renforcer l’économie européenne » (Financial Times). Les absurdités du capitalisme sont telles que ses représentants européens, alors que tout le monde est d’accord pour dire que nous sommes dans une situation de « chute de la demande », soutiennent des mesures « anti-demande ». Mais, bie nentendu, c’est la logique même du capitalisme, dont les points de départ et d’arrivée coïncident avec la nécessité de maximiser les profits et la part destinée à la classe dirigeante. Les profits se sont déjà contracté au cours de cette crise ; les dividendes – la quantité payée aux porteurs de coupons, qui vivent sur le dos des travailleurs – sont au plus bas depuis 1938. Il y a aussi une hausse de la « surcapacité » de l’industrie. Ceci est un autre indicateur de la crise généralisée du capitalisme.

Au même moment, les travailleurs du public ne sont pas les seuls à qui on demande de faire un « sacrifice » ; des couches entières de travailleurs du privé, surtout dans l’industrie automobile, ont subi des coupes salariales de -10, -15, parfois -20%. Pour les ouvriers de Toyota au Royaume-Uni, qui viennent d’accepter une coupe salriale de -10%, ceci signifie une perte de revenu annuel de 2000£ ! Par conséquent, la possibilité de combiner la lutte des travailleurs du secteur public comme du privé n’a jamais été aussi grande, puisque ce sont toutes les sections de la classe salariée qui sont maintenant confrontées à la baisse de leur niveau de vie, à une érosion des acquis du passé, à un allongement de la semaine de travail dans les industries qui sont toujours viables, à des attaques sur les soins de santé et les pensions, etc. Ce processus affecte les pays les plus pauvres d’Europe aussi bien que ceux qui jusqu’il y a peu se trouvaient dans la catégorie des pays « riches ».

L’Allemagne et l’Europe septentrionale

L’Allemagne, moteur de l’Europe, plutôt que de se diriger vers les perspectives économiques ensoleillées établies par le gouvernement Merkel, est, comme nous l’avons mentionné plus tôt, confrontée à une autre implosion économique soudaine. Forcé d’introduire son propre « plan de relance » – après des mois de résistance obstinée –, le gouvernement Merkel parle toujours de sa crainte de voir s’accroître la dette publique et de créer un excédent de liquidités. Un « expert » économique déclarait que « Les banques centrales aux Etats-Unis et au Royaume-Uni sont maintenant littéralement en train d’imprimer de l’argent. Ceci crée un potentiel inflatoire qui est difficile à arrêter ». Les capitalistes, dans leur ensemble, ont décidé qu’une petite pincée « d’inflation » est la seule manière de se sortir du piège de la déflation dans lequel se dirige le capitalisme mondial en ce moment. Avec le souvenir de l’hyperinflation sous la république de Weimar – surtout en 1923 – la classe dirigeante allemande craint de devoir avancer sur cette pente. Mais l’alternative à cela, sur base capitaliste, est une énorme hausse du chômage, comme ça commence à être le cas en Allemagne.

Les autres puissances en Europe sont elles aussi happées par le tourbillon économique. En Belgique, les salariés subissent le chômage économique et de grosses coupes salariales. Les Pays-Bas vont suivre la même voie, de même que la Scandinavie. La Suède est confrontée pour la prochaine période à son plus grand défi social et économique, sans doute plus grand que celui des années 90. Le pays est en ce moment « à la mode » dans les cercles économique capitalistes, à cause de l’expérience du début des années 90. Cette solution est maintenant considérée comme un modèle pour la politique qui pourrait être menée dans la crise actuelle par les plus gros pays. Nouriel Robini, le « M. Apocalypse » du capitalisme mondial, a déclaré, de même que beaucoup d’autres économistes, que « Nous sommes maintenant tous Suédois ». La nationalisation au moins des entreprises en faillite, telles que les banques : voilà la route à suivre, dit-il. Pourtant, le capitalisme suédois n’a nationalisé nque deux banques lors de cette période : Nordbanken, qui était déjà contrôlée par l’Etat, et Götabanken. Qui plus est, comme l’a fait remarquer Paul Krugman, la nationalisation n’est pas juste un phénomène suédois, mais est « Aussi américaine que la tarte aux pommes ». En effet, on nationalise en ce moment deux banques par semaine aux Etats-Unis – mais avec moins de tapage médiatique. Qu’est-ce donc qui paraît si attractif dans le « modèle suédois » aux yeux de la classe dirigeante ? La nationalisation était temporaire – bien qu’elle ait duré plus longtemps que quelques mois (plusieurs années, en fait) – et le lien entre les banques nationalisées et le gouvernement, comme c’est le cas au Royaume-Uni aujourd’hui, est resté plutôt lointain. Toutefois, la crise suédoise, bien que sérieuse, s’est déroulée juste avant le début de la reprise économique dans les années 90.

Effets de la crise pour l’Union Européenne

Un tel scénario de conte de fées n’est plus disponible pour le capitalisme mondial, pas plus pour le capitalisme européen. La crise, loin « d’approcher le fond », peut aller encore plus loin et durer encore plus longtemps que même les plus « pessismistes » des commentateurs capitalistes osent imaginer. Philip Stevens, l’éditorialiste politique du Financial Times (Londres), a récemment déclaré que le Royaume-Uni « n’a pas d’argent ». C’est une exagération puisque, comme le gouvernement l’a bien montré, il peut déjà recourir à la planche à billets – bien que cela se fasse de nos jours de manière électronique – afin d’amorcer la pompe. Mais cela montre l’incertitude et la confusion sous-jacentes des principaux commentateurs du capitalisme. Les Etats-Unis ont suivi les traces de Brown, avec une considérable injection d’argent. Ceci ne peut pas résoudre la crise, mais peut former un matelas qui, combiné avec d’autres mesures, pourrait amortir l’impact. Mais l’empilement colossal de dettes d’Etat signifie une collision inévitable entre les classes dans le futur. Le déficit budgétaire combiné des quatre plus grands pays de l’Eurozone – l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne – va atteindre les 6,4% du PIB en 2010 et vaut 5,8% cette année, alors qu’il ne s’élevait qu’à 2% du PIB l’an dernier ! On prévoit que cette dette publique grimpe à 83% du PIB l’an prochain, à partir de 79% cette année et de 71% en 2008. Les capitalistes vont tenter de faire repartir cette tendance en sens inverse, soit via des hausses de taxes – déjà prévues par le gouvernement Brown pour le futur – ou via des attaques directes sur l’emploi, les allocations sociales, etc. L’UE va à son tour se retrouver déchirée par ces développements. Déjà, la crise a vu la vengeance de l’Etat-nation, dont les commentateurs capitalistes et des groupes de gauche tels que la Quatrième Internationale (LCR en France et Belgique) avaient prophétisé l’enterrement par « l’intégration européenne ». Comme des criminels enchaînés à un chariot, les capitalistes ont été forcé de collaborer, mais les 27 membres de l’UE ne vont pas hésiter à se donner des coups les uns aux autres afin de protéger leurs intérêts « nationaux ». Les mesures protectionnistes extrêmes entreprises par Sarkozy pour promouvoir l’industrie automobile en France sont sagement acceptées par la Commission Européenne, avec le minimum de ronchonnements. Une chute de l’Euro – une possibilité distincte, qui dépend d’à quel point la crise sera sévère et profonde – renforcerait ces divisions.

Opportunités à gauche

Dans notre lutte contre capitalisme européen, nous ne tombons pas pour autant dans le nationalisme étroit, mais y opposons une alternative ouvrière et socialiste. A cette fin, la participation de tout un nombre de sections du CWI lors des prochaines élections européennes est très importante. En Suède, en Belgique, en Irlande, et surtout au Royaume-Uni, nous avons des opportunités de présenter notre programme, même si ce n’est pas pour obtenir un vote significatif. Au Royaume-Uni cependant, l’alliance électorale avec le syndicat du rail, le RMT, et avec le Parti Communiste de Grande-Bretagne (Communist Party of Britain – CPB), malgré les faiblesses exposées dans un article paru la semaine passée sur notre site international (www.socialistworld.net), constitue néanmoins un important pas en avant. Déjà, dans les conférences de presse et dans ses commentaires, Bob Crow, Secrétaire Général du RMT, a souligné l’idée d’une « Europe des travailleurs », en opposition à l’Europe capitaliste. Il ne fait aucun doute que cette avancée très importante en direction d’une voix indépendante de la classe salariée – malgré les objections stridentes de la plupart des groupes d’ultra-gauche – a la possibilité de faire passer une opposition ouvrière à l’UE. C’est aussi un point de ralliement important contre le BNP, parti d’extrême-droite, qui pourrait bien remporter des sièges au Parlement européen. L’article de la semaine passée explique avec grande clarté les raisons pour lesquelles nous pensons – malgré bien des hésitations – que ceci est une grande avancée. Il n’y a aucune garantie de succès, surtout si on parle de la lutte électorale, qui est le plus bas niveau de lutte de classe ; mais malgré d’immenses obstacles, cette alliance électorale a la possibilité de toucher les meilleurs parmi les travailleurs et les jeunes. Qui plus est, cette initiative pourrait être à la base d’un nouveau parti des travailleurs de masse en Grande-Bretagne, apportant par là une solution à un problème aigu de la situation actuelle.

Le développement de nouveaux partis des travailleurs de masse est toujours une question cruciale en Europe, comme elle l’est d’ailleurs sur le plan mondial. Il n’est pas nécessaire ici de nous étendre à nouveau en long et en large quant au pourquoi de cette analyse. L’apparition de Die Linke (La Gauche) en Allemagne, de Syriza en Grèce, et maintenant du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) en France, n’est pas du tout accidentelle. Le leader du NPA, Olivier Besancenot, est déjà considéré comme étant la figure politique la plus importante en France après Sarkozy. De plus, selon un sondage récent, Besancenot, décrit comme « le leader trotskyste d’extrême-gauche », est maintenant aussi « crédible » que le Président. Malgré les faiblesses du NPA, à la fois en termes de programme et en termes de structure, ce parti représente un important pas en avant, et est soutenu par le CWI en général, et par notre section française, en particulier. La question de savoir, toutefois, si oui ou non, le NPA pourra grandir en termes de nombre d’adhérents, attirer de nouvelles couches et s’implanter dans la classe salariée, n’est pas encore tranchée. Il doit encore passer le test des élections. Mais, étant donné la situation sociale explosive en France – même Ségolène Royal, l’ancienne candidate du Parti Socialiste, a déclaré récemment « N’oubliez pas la Révolution française » – et le manque d’une alternative électorale viable à gauche, le NPA pourrait remplir le vide à gauche et gagner un soutien significatif. Ceci, cependant, ne ganrantirait pas son succès. La question du programme, de l’intervention dans les luttes sociales et industrielles, est vitale si le NPA veut trouver un écho significatif et durable parmi les nouvelles couches qui cherchent certainement une alternative.

La question du programme du parti est cruciale pour le NPA, surtout la question d’une alternative gouvernementale à Sarkozy. Parce qu’il n’y a pas de parti des travailleurs de masse en France, et puisque le NPA doit encore être testé, nous ne pouvons pas désigner spécifiquement les partis qui devraient former cette alternative gouvernementale. Lorsque le Parti Socialiste et le Parti Communiste Français étaient encore des partis ouvriers-bourgeois, nous pouvions mettre en avant le slogan d’un gouvernement « socialiste-communiste ». Ceci n’est d’ailleurs qu’une variante de l’approche suivie par les Bolchéviks en 1917. Contre la coalition bourgeoise, les Bolchéviks proposaient « Tout le pouvoir aux soviets », alors que c’étaient les Menchéviks et les Social-Révolutionnaires qui détenaient la majorité au sein des soviets (conseils ouvriers). C’était un appel à un gouvernement Menchévik – Social-Révolutionnaire, excluant les partis bourgeois, et basés sur les soviets, avec les Bolchéviks dans une position « d’opposition loyale ». Dans la pratique, le gouvernement de coalition de Kérensky fut renversé par la révolution socialiste d’octobre 1917, lorsque les Bolchéviks prirent le pouvoir.

La question d’une alternative gouvernementale prend un caractère différent aujourd’hui, avec une forme plus algébrique, à cause de l’absence de tels partis de travailleurs de masse. Mais la lutte contre le gouvernement Sarkozy, les salariés vont partir à la recherche d’un gouvernement à soutenir en opposition à Sarkozy. En plus de l’abolition de la présidence et du Sénat, et de demander une assemblée unicamérale, nous devons soulever la question d’un « gouvernement des travailleurs ». C’est la lutte qui déterminera quelles sont les forces qui occuperont une telle position. Ceci est une réponse que nous donnons aux travailleurs qui demanderont qui sera dans ce « gouvernement des travailleurs ».

La formulation de revendications transitoires, de l’agitation et de la propagande prend une grande importance en cette période. Les marxistes vont chercher à intervenir dans de nouvelles luttes et, là où nous disposons de forces suffisantes, à apporter une direction aux luttes qui commencent à se développer. Au Royaume-Uni, nous avons lancé la campagne « Les Jeunes se battent pour l’Emploi ». Mais, sur le plan européen, d’autres mouvements de jeunes peuvent se développer, y compris sur base des grèves de lycéens. La gravité de la crise, qui affecte plus particulièrement la jeunesse, combinée avec les attaques sur l’éducation, qui vont en réalité restreindre les ouvertures vers la sphère de l’éducation supérieure qui existaient pour les générations précédentes, pose la question d’une contre-attaque par les lycéens. Ceci pourrait mener au développement de grèves lycéennes sur le mode des récentes grèves en Allemagne, et de celles qui se sont produites sous notre direction en 1985 et en Espagne en 1986.

Les perspectives pour le CIO en Angleterre et Galles dans la prochaine période sont particulièrement pertinentes. Le capitalisme britannique est parmi les plus exposés à la crise, avec une situation quasi comparable à celle qui existe en Europe méridionale. Le gouvernement Brown ne tient plus qu’à un fil, et peut chuter d’un instant à l’autre. Les perspectives en ce qui concerne Brown sont sans nul doute qu’il tente de « bricoler » une « reprise » à court terme et qu’il espère que ceci pourra se lier aux mesures d’Obama afin de lui donner la possibilité de mener un quatrième gouvernement New Labour. Cependant, si jamais David Cameron et les Tories parvenaient au pouvoir, le scénario auquel serait confronté le Royaume-Uni serait similaire à celui qu’on voit maintenant se dérouler aujourd’hui en France sous le gouvernement Sarkozy. A cause de cela, l’idée d’un « gouvernement national », d’une coalition, s’est fait jour. Il ne peut être exclu que l’on aille vers un « parlement suspendu », sans aucun parti qui y remporte une claire majorité après les prochaines élections.

A travers tout ceci, l’inadéquation des partis capitalistes sera de plus en plus évidente, et la probabilité de voir émerger un nouveau parti, de plus en plus grande. La participation du CIO dans Die Linke en Allemagne – malgré ses efforts futiles pour maintenir les camarades du CIO en-dehors –, dans Syriza en Grèce, et maintenant dans le NPA en France, justifie à la fois les perspectives du CIO quant à l’émergence de nouveaux partis des travailleurs de masse, mais inaugure aussi une période cruciale durant laquelle les idées marxistes seront mises à l’épreuve de nouveaux publics de travailleurs et de jeunes.

Le capitalisme, y compris le capitalisme européen, est confronté à une crise de longue haleine, qui aura pour conséquence d’énormes explosions sociales, y compris la possibilité de grèves générales, de manifestations d emasse et d’occupations d’usines. Les événements vont développer encore plus loin la conscience de la classe salariée, surtout si celle-ci est combinée avec la croissance d’idées et d’organisations socialistes et marxistes, comme celles du CIO. Le CIO participera dans tous les mouvements authentiques de la classe salariée qui représentent une avancée, malgré des faiblesses de programme et d’organisation, y défendant notre programme et nos perspectives, en guise de préparation pour des forces marxistes de masse dans le futur.

Le CIO est sorti renforcé idéologiquement et numériquement de la dernière période, surtout de celle des années 90 et de la première partie de cette décennie, et bien préparé à intervenir dans la nouvelle situation explosive. Sur cette base, nous pouvons faire progresser de manière notable les forces du marxisme authentique, appeler les nouvelles couches de la classe salariée qui se mettent en action à nous rejoindre, attirer les meilleurs militants de gauche au CIO. Le CIO peut jouer un rôle clé en rassemblant dans l’action les forces authentiques du marxisme en Europe, afin de fournir une réelle alternative pour les couches les plus développées de la classe salariée et de la jeunesse, en tant que premier pas vers la mise sur pied de partis marxistes de masse en Europe, en tant que membres d’une Internationale de masse.

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