C’était il y a tout juste 50 ans : le 5 janvier 1961

Pour les dirigeants ouvriers, il est urgent de réagir pour garder la maîtrise des troupes, car les grévistes débordent de plus en plus à l’ issue de manifestations qui prennent une tournure insurrectionnelle.

Cet article, ainsi que les autres rapports quotidiens sur la  »Grève du Siècle », sont basés sur le livre de Gustave Dache  »La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61 »

Ce jeudi, les représentants du PSB et de la FGTB se rencontrent à Bruxelles pour faire le point sur la situation. Le Comité de Coordination des Régionales Wallonne de la FGTB est représenté par André Renard, André Genot, Raymond Latin. A l’issue de la réunion est publié le communiqué suivant : «Les délégués du PSB et les délégués de la FGTB, réunis ensemble le 5 janvier 1961 à 12 heures à la Maison du Peuple de Bruxelles, après avoir procédé à l’ examen de la situation de la grève et de la situation politique, estiment à l’unanimité qu’une solution peut être recherchée dans le cadre des pourparlers qui pourraient être menés notamment à l’ initiative du chef de l’Etat. Les signataires se consulteront sur les termes de toutes solutions éventuelles».

Le gouvernement Eyskens s’ accroche à la Loi Unique qu’il entend faire voter au Parlement. Dans le camp de la bourgeoisie, c’est l’effervescence, le Roi reçoit en audience plusieurs personnalités politiques. On constate beaucoup d’iniquité de la part du gouvernement, qui cherche une solution qui ne lui ferait pas perdre la face et surtout ne pas donner raison aux grévistes en désavouant sa politique de fermeté suivie jusqu’ici. Mais certains journaux réactionnaires de droite commencent timidement à lâcher le gouvernement Eyskens, ils réclament des élections et le retrait de la Loi Unique.


C’ est ainsi que l’ Echo de la Bourse du 6 janvier 1961 écrit notamment : «nous exprimons principalement le souhait que le gouvernement, après s’être débarrassé de la pression de l’émeute, prenne le temps de la réflexion et renonce à accabler le pays de la loi unique.»

D’ un côté comme de l’ autre, on comprend que la lutte engagée est une lutte à outrance, c’est une lutte classe contre classe, dont l’ issue ne peut-être que la victoire, ou la défaite pour l’une où l’autre classe.

Aucune solution n’est en vue et la situation risque de devenir explosive et incontrôlable si rien ne se passe dans les prochains jours, car la classe ouvrière du pays tient toujours le haut du pavé et est en colère contre l’absence de mots d’ordre. Partout dans le pays, les manifestations sont de plus en plus tendues et nerveuses : il y a 30.000 manifestants à Anvers (la gendarmerie était cette fois invisible et il n’ y a eu aucun incident), 6.000 à Hemixem, 2.000 à Sprimont et 5.000 à Bruxelles, où l’atmosphère est électrique. Louis Stevens, le secrétaire régional de la FGTB bruxelloise, y prend la parole avant la manifestation, à la Maison du Peuple. Les grévistes scandent : «grève générale», « A l’ action tout de suite», «Marche sur Bruxelles». L’ orateur interrompu de partout, débordé, hué, et finit par annoncer que la Régionale bruxelloise de la FGTB va demander au Comité National de la FGTB un mot d’ ordre de «Marche sur Bruxelles» et l’ ordre national de «grève générale» (paroles rapportées par La Cité et Le Soir, mais que Le Peuple, le quotidien lié au PSB, se gardera bien de reproduire). On se rappelle en effet que la FGTB nationale s’était déchargée de sa responsabilité en laissant aux régionales le soin de décréter ou non la grève générale. A ces mots, la salle, remplie à craquer hurle son enthousiasme, qui se transforme en applaudissements et en cris frénétiques. Stevens a touché juste. Mais ce ne seront là que de belles paroles pour calmer les grévistes, plus décidé que jamais à passer à l’ offensive et à en découdre avec l’ Etat bourgeois.

A l’ issue de la réunion, une manifestation démarre de la Maison du Peuple de Bruxelles, où de nouveaux incidents éclatent entre grévistes et gendarmes. Dans les gros bastions industriels, là où l’action ouvrière est décisive, la lutte continue à battre son plein, on constate partout des actes de durcissement de l’ action, qui se multiplient et prennent la forme d’ actes insurrectionnels : entraves à la circulation, pavés dans des bus qui roulent, jets de bouteilles d’essence, les routes sont à nouveau dépavées, des bois des poteaux de signalisation empêchent la circulation. Les gendarmes procèdent à de nombreuses arrestations.

Dans cette situation de durcissement de l’ action, les grévistes débordent de plus en plus les appareils du PSB et de la FGTB. La presse de droite est manifestement inquiète, comme l’indique le journal Le Soir du vendredi 6 janvier 1961 qui titre : «L’heure de la négociation va-t-elle enfin sonner ?» On peut également y lire : «C’ est qu’à l’heure actuelle, il n’ y a pas que la loi unique qui est en cause. Il y a bien plus : les rapports entre les deux communautés, l’unité même du pays. De l’avis de gens pondérés, il serait dangereux de laisser plus longtemps certains esprits s’échauffer sur des problèmes dont dépend l’existence de la nation, de laisser s’élargir le fossé qui commence à séparer nos populations.»

Le premier numéro de l’ hebdomadaire Combat, dont André Renard est le principal rédacteur, sort de presse ce 5 janvier. En première page, on trouve comme slogan : «La Wallonie en a assez.» A ceux parmi les nombreux grévistes qui s’ étonnent de voir Renard et ses amis syndicaux et politiques revenir en force avec le problème wallon, Renard répond : «Il n’ y a absolument rien d’ illogique dans cet enchaînement, au contraire. Si la grève est totale en Wallonie – à cause et contre le projet de loi unique – c’ est précisément parce que les travailleurs wallons ont senti l’ entièreté de la menace. En effet, le réflexe wallon aux attaques du projet de Loi Unique a été foudroyante tant par l’unanimité des forces syndicales socialistes que l’unanimité des forces politiques socialistes, ce qui fait bien en Wallonie «la majorité».

«Cette fois, le NON des travailleurs est non seulement catégorique mais il est lourd, très lourd de signification. Nous en avons assez, disent les travailleurs wallons, de ne pouvoir avancer à cause d’ une Flandre où souffrent nos camarades flamands sur le chemin de la libération économique et sociale.

«La constatation que plus les jours avancent, plus la nécessité de solutions économiques et politiques fondamentales envahit les consciences wallonnes n’ étonnera que ceux qui ont voulu, jusqu’ici, ignorer les réalités wallonnes. Voici venir la deuxième phase de la grève générale.

«Aux travailleurs maintenant de déterminer l’ instrument qu’ils vont retourner contre un gouvernement qui s’ obstine à employer des gendarmes et des soldats pour essayer de prouver qu’il a raison.

«Pour passer de la grève générale à la grève absolue, les travailleurs disposent de l’arme ultime : l’abandon de l’ outil. Ils ont suffisamment observé l’adversaire que pour lui dire : «notre décision est prise ; si vous persistez, ce sera la grève absolue.»

Effectivement, le NON des travailleurs à la Loi Unique est très lourd de signification, mais pas pour autant, le détourner de son objectif de classe qui était dès le départ le renversement du gouvernement Eyskens et son projet de loi. Ensuite il a naturellement évolué politiquement vers le renversement de l’ Etat bourgeois. On s’ apercevra aussi qu’André Renard lui-même parle maintenant de grève générale et qu’il revient encore et toujours avec le mot d’ ordre d’ abandon de l’ outil. Qui Renard veut-il encore duper ?

Tout le monde a bien compris que sous des discours et écrits d’ apparence radicale, ce réformiste de gauche ne mettra pas cette menace à exécution. Et même si elle l’ était, l’expérience de la lutte de classe révolutionnaire de tous les pays nous enseigne que la classe dominante est prête à payer le prix fort pour conserver son pouvoir.

Le slogan lancé par Combat est l’objet de nombreux commentaires lourds de signification communautaire wallingante. André Renard et ses amis syndicaux et politiques font oeuvre de manoeuvres et de division de la classe ouvrière du pays en plein combat de classe. Ils font une profession de foi fédéraliste, brisant ainsi l’unité du front de la grève générale, méprisant complètement que même si la grève générale n’ est pas absolue en Flandre et à Bruxelles, elle est effectivement générale dans tout le pays. Ce slogan, c’est comme si seulement et uniquement les travailleurs de Wallonie en avaient assez du chômage, des brimades, des vexations, des plans de régressions sociales et de l’exploitation capitaliste. C’est comme si les travailleurs flamands et bruxellois n’étaient pas touchés par les mêmes maux que les travailleurs wallons.

A Liège, plusieurs manifestations ont lieu, mais une concentration de masse de l’ensemble de la régionale de Liège est prévue pour demain, le 6 janvier.

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