C’était il y a tout juste 50 ans: Le samedi 24 décembre : Un Noël de combat

‘‘Les grèves continent à faire tâche d’huile même en Flandre’’ peut on lire dans titre l’Indépendance du 24 décembre 1960. Et ‘‘quelques actes de sabotages ont été commis sur les lignes du chemin de fer’’. Encore une fois, le constat est que la grève générale s’amplifie, elle atteint même les endroits les plus reculés de Flandre.

Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la  »Grève du Siècle », sont basés sur le livre de Gustave Dache  »La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61 »

Au Limbourg, les débrayages se succèdent et se renforcent, à Anvers, à Furnes, à Dixmude et à Louvain, où les grévistes ont bloqué le trafic ferroviaire, il en va de même. A la gare de Bruges, seulement trois trains ont quitté la gare. Les postiers sont dans la rue, le courrier n’est plus distribué. 15.000 travailleurs manifestent dans les rues de Gand. Les grévistes se rendent en nombre au local de la CSC pour réclamer un mot d’ordre de grève.

Les militaires stationnés en Allemagne en permission en Belgique doivent rejoindre leur unité par leurs propres moyens. Face aux nouvelles intensifications de la grève générale, la réponse du gouvernement est faite de manœuvres d’intimidations. Partout dans le pays, pour un oui, pour un non, des dizaines et des dizaines de grévistes sont arrêtés et incarcérés.

La position de la CSC nationale contre la grève ainsi que le refus de la FGTB nationale de lancer le mot d’ordre de grève générale ont pour conséquence d’instaurer la division d’une partie des travailleurs, dans ces circonstances toutes particulières où faire le jaune est dédouané par la direction nationale de la CSC. Les grévistes recourent de plus en plus à certains actes de sabotage, dont le principal objectif est d’empêcher les jaunes de se rendre au travail. La responsabilité de ces actes de sabotage commis par les grévistes incombe entièrement aux directions nationales de la CSC et de la FGTB.

Etant donné que la grève générale progresse toujours partout dans le pays, le gouvernement se prépare à l’affrontement et à la répression contre les grévistes. Plusieurs mesures sont prises telles que le renforcement de la surveillance des passages à niveau, des ponts de chemin de fer et des gares par les gendarmes et la troupe. Des concentrations de forces de répressions sont placées dans les grands centres où la grève est totale. Mais les forces de gendarmeries et la troupe ne peuvent se déplacer que très lentement : les routes sont parsemées de clous, les rues sont dépavées, des barricades avec des bois et des poteaux de signalisations sont mêmes installés à certains endroits stratégiques.

Le pouvoir bourgeois est paralysé, des gendarmes supplétifs ont été rappelés, les soldats ne peuvent en aucun cas être mis en contact avec les grévistes. A Liège, la police saisit un tract destiné aux soldats. Le journal « La Wallonie », dont André Renard est le directeur, est également saisi pour avoir publié l’appel aux soldats dont voici le texte :

‘‘Soldats, la classe ouvrière belge est entrée dans une lutte décisive pour son droit à l’existence. Le gouvernement va utiliser la troupe, aux côtés de la gendarmerie, pour tenter de briser les grèves et de réprimer le mouvement social en cours.

‘‘Nous vous demandons de comprendre et de faire votre devoir. Si on vous commande de travailler à la place des ouvriers dans des entreprises ou des services immobilisés par la grève, croisez-vous les bras!

‘‘Si l’ on vous met en face de grévistes ou de manifestants, souvenez-vous qu’ ils sont vos parents, vos frères, vos amis. Fraternisez avec eux. Vous êtes mobilisés pour défendre le pays, et non pour l’ étrangler. Ne craignez rien. Tout le mouvement ouvrier socialiste est là pour vous défendre.

‘‘Soldats, ne soyez pas traîtres à votre classe. Nous comptons sur vous. L’Action Commune’’

En plus des saisies, des perquisitions ont lieu le dimanche matin au domicile de plusieurs militants socialistes et syndicalistes FGTB, dont André Renard lui-même, ainsi que dans la plupart des locaux du PSB et de la FGTB. A la suite de ces perquisitions, une information est ouverte par le Parquet pour : ‘‘excitation de militaires à la désobéissance.’’

Dans cette phase de la grève générale, l’appel aux soldats est le slogan le plus dangereux pour le pouvoir bourgeois. Celui-ci le sait mieux que quiconque. C’est aussi la démonstration claire qu’elle n’est pas absolument sûre de ses troupes et que la situation peut lui échapper à tout moment face à l’attraction que la grève générale exerce sur l’armée et sur la population. Cet important mot d’ordre n’est venu ni du PC, ni de La Gauche, mais de la tendance Renard.

La bourgeoisie belge garde le souvenir de la désagrégation de son appareil répressif mobilisé contre les grévistes en 1950 et de nombreuses précautions sont prises, la discipline a été renforcée. Cependant, en bien des endroits, des tentatives de fraternisation ont lieu entre les grévistes et la troupe, les grévistes rentrent en contact avec les soldats.

Ce samedi 24 décembre, c’est la nuit d’un Noël de combat, dans les quartiers ouvriers, aux portes des usines, les piquets de grève sont à leur poste de combat. Les grévistes FGTB et CSC sont au coude à coude. On chante l’Internationale, la Marseillaise, le Chant des Partisans,…

Le centre de Bruxelles capitale est en état de siège. Des convois militaires prennent position, des patrouilles circulent l’arme au poing. L’E tat n’a pas trop de toute sa police et de toute son armée pour tenter de faire croire qu’il est resté maître de la situation. Le gouvernement comptait sur une démobilisation des mouvements de grève, mais c’est bien le contraire qui se passe. Les travailleurs chrétiens participent même toujours plus nombreux à la grève.

Les éditoriaux de la presse de droite qui soutiennent le gouvernement font tous preuve d’inquiétude et de désarroi : ils ont compris que c’est le régime lui-même qui est en danger. La Libre Belgique appelle le gouvernement à la solution de force : ‘‘Le gouvernement semble avoir commencé à comprendre qu’il ne pouvait tout de même pas tolérer qu’une infecte anarchie d’origine communiste continue à s’installer dans le pays et qu’ il est totalement inadmissible que les dirigeants des syndicats socialistes se substituent aux autorités régulières pour contrôler la circulation dans les rues, le travail dans les ateliers, l’ ouverture et la fermeture dans les magasins. Il convient de mettre fin immédiatement à cette anarchie. C’est un domaine où toute capitulation de l’autorité est un crime contre la nation. Tout de même l’ordre est indivisible. Toute reculade en entraîne d’autres.’’

L’effroi de la bourgeoisie est porté à son comble par l’ordre ouvrier qui s’établit spontanément partout dans le pays. Les grévistes sont maîtres de la rue… Au cours de sa montée, aucune force réactionnaire n’est capable d’arrêter la lutte.

Du côté des journaux ouvriers, Le Drapeau Rouge, l’organe du Parti Communiste, publiera le 26 décembre un long éditorial qui affirme: ‘‘La grève est puissante, puissante par ses objectifs, qui mettent en cause toute la politique des monopoles, et, par conséquent, du moins sous certains aspects, le régime lui-même. Il est bien certain que M. Eyskens aurait déjà abandonné une partie qu’ il sait perdue d’ avance pour lui et pour ses associés, si les banques, la Cour et Malines (où réside Van Roy) ne pesaient pas de tout leur poids sur ses épaules pour le clouer à son inconfortable siège ministériel. Si le mouvement se développait sans entraves, on pourrait prévoir que, ce prochain mercredi, la Chambre serait convoquée d’ urgence pour s’ entendre dire sans doute que le gouvernement abandonne son projet de loi de malheur, et s’ en va.’’

Ainsi pour les dirigeants du Parti Communiste stalinien, cette grève met en cause le régime lui-même, mais ce n’est pas pour eux le régime qu’il faut abattre, mais plutôt la seule personne du premier ministre G. Eyskens. Pour les dirigeants du PC, il ne s’agit pas de se battre comme les grévistes contre les banques, les monopoles, la Cour ou le Cardinal qui interviennent pour entraver le mouvement de grève. D’ ailleurs, pour la direction du PC, les grèves doivent se dérouler dans ‘‘l’ordre, le calme et la discipline’’ – comme le préconise la bureaucratie de la FGTB. Arrêter les frais : après une semaine de grève générale, c’est le désir de toute la droite du pays ; mais aussi et surtout des directions réformistes du PSB et de la FGTB qui, depuis le début, se posent la question : où cette grève générale va-t-elle nous conduire, qu’allons-nous encore bien pouvoir faire pour empêcher qu’elle ne débouche sur un affrontement révolutionnaire, alors que nous n’avons déjà pas réussi à empêcher le déclenchement de celle-ci ?

Le journal La Gauche, organe de la tendance de gauche du PSB, titre le 24 décembre: ‘‘Tous dans la grève, jusqu’au retrait pur et simple du projet capitaliste de la loi unique’’ Jusque-là rien à redire. C’est un objectif correct, voulu par l’écrasante majorité des grévistes, mais il est limité. La Gauche le comprend très bien, et c’ est pourquoi elle poursuit en ajoutant ‘‘A sa place, les travailleurs imposeront des solutions socialistes.’’

Mais là où cela se complique, c’est quand il fait référence au programme des ‘‘réformes de structures’’, qui n’est d’ ailleurs autre que le programme officiel du PSB et de la FGTB. Les ‘‘réformes de structures’’ sont certes des mesures de fond (comme le service national de soins de santé, la nationalisation de l’énergie, la planification de l’économie), mais la réalisation de ces mesures ne ferait qu’aligner le capitalisme belge sur certains autres capitalismes voisins plus évolués que lui et qui ont déjà réalisé une partie ou l’ensemble de ces réformes, tout en étant toujours sous le joug du régime capitaliste d’ exploitation effrénée. Par exemple, le service national de santé existe en Angleterre.

Les capitalistes anglais ont cédé cette réforme en vue d’apaiser, avec la complicité des dirigeants travaillistes, les objectifs socialistes révolutionnaires du prolétariat britannique. De même, les capitalistes français, craignant de tout perdre, avaient dû accepter la nationalisation de l’énergie en 1945 pour contenir, avec l’aide des staliniens et des réformistes, la montée révolutionnaire des masses afin qu’elle reste dans le cadre de l’ordre bourgeois.

En fait, ces revendications ne peuvent être considérées comme « socialistes » que dans la mesure où les travailleurs imposent par leur action le contrôle ouvrier sur les nationalisations, contrôle réalisé par les travailleurs eux-mêmes, par le biais de comités élus et sous contrôle de la base ouvrière.

Ce n’est pas par hasard que dans le programme de La Gauche, aucune référence ne soit faite au contrôle ouvrier, qui se place au-delà de ce que la bourgeoisie peut accepter sous la pression de la grève générale tout en préservant son système de profit. Le programme de La Gauche se situe non pas dans la perspective révolutionnaire, mais bien dans le cadre d’ une politique réformiste de pression exercée sur la classe dominante qui ne va donc pas au-delà de ce que la bourgeoisie peut accepter, comme ce fut le cas en Angleterre et en France notamment.

En évitant de mettre le contrôle ouvrier comme condition indispensable à la nationalisation de l’énergie ainsi que l’expropriation sans rachat ni indemnité, les dirigeants de La Gauche se refusent à poser le problème du renversement de l’ E tat bourgeois. De ce fait, ils vident le mot d’ordre de la nationalisation de tout son contenu révolutionnaire, et transforment une revendication transitoire en un mot d’ordre réformiste.

Il suffisait de parcourir la Belgique durant la grève générale pour constater à quel point les travailleurs étaient conscients du « complot » des banques, de la S.G.B. (l’ancienne Société Générale) contre leur niveau de vie. Il n’était pas trop tôt non plus, loin de là, pour lancer aussi le mot d’ordre transitoire de l’expropriation des banques privées. Une telle agitation aurait très exactement répondu à la portée révolutionnaire de la grève générale, mais La Gauche y a substitué des mots d’ordre lamentables par leur timidité, en se plaçant derrière les appareils réformistes. L’étude approfondie de la collection de La Gauche durant cette période est riche en enseignements sur la politique défendue par la tendance Mandel, dirigeant de La Gauche. Nous y voyons s’affirmer le caractère profondément capitulard, réformistes et liquidationniste, totalement étranger au marxisme, qui explique les positions prises durant cette grève générale par les représentants de La Gauche de Mandel.

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