Les syndicats doivent maintenant lancer notre riposte !
Ces élections furent celles du rejet. Elles ont à nouveau illustré la profondeur de la colère et de l’aliénation qui existent envers tous les partis traditionnels britanniques. Suite à ces élections, tous les partis majoritaires pansent leurs blessures, en essayant de regarder les résultats en face.
Hannah Sell, Secrétaire générale du Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)
Aux élections européennes, c’est un autre parti que les deux grands (les travaillistes et les conservateurs) qui l’a emporté, l’UKIP (United Kingdom Independance Party, Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni). Il s’agit de la première fois lors d’une élection nationale depuis 1910. Les Tories (Parti conservateur britannique) ont été relégués à la troisième place. L’ancien « parti protestataire », les Lib-Dems (Libéraux-Démocrates) a été réduit à un seul siège d’eurodéputé, arrivant en cinquième position derrière les Greens (le parti écologiste). Aux élections locales également, une minorité assez importante, estimée à 17% a voté pour l’Ukip. Alors qu’il ne comptait que deux conseillers municipaux en fonction avant les élections, il en a maintenant plus de 160.
Vote anti-establishment
La volonté centrale des électeurs était de secouer tous les partis de l’establishment, ou comme un des électeurs Ukip l’a exprimé, de faire peur au gouvernement, avec l’UE servant de catalyseur pour une colère généralisée. Six électeurs Ukip sur dix ont décrit leur vote comme une protestation générale car, pour le moment, ils sont mécontents de tous les partis politiques traditionnels.
Cela n’a pas été mentionné dans la presse capitaliste, mais une minorité importante des travailleurs a exprimé sa colère en votant pour le TUSC (Trade Unionist and Socialist Coalition, Coalition syndicaliste et socialiste, dans laquelle est activement impliqué le Socialist party). Il s’agit du plus grand mouvement à la gauche du parti travailliste depuis la seconde guerre mondiale : pas moins de 561 candidats anti-austérité se sont présentés aux élections locales et autres. Ils ont récoltés 65.000 voix.
La TUSC a obtenu plus de 1000 votes dans 21 circonscriptions. Dans 10 d’entre elles, il s’agissait même de plus de 2000. A Southampton, le conseiller municipal anti-austérité Keith Morrell a été réélu avec une majorité écrasante. Le Parti Travailliste, qui avait exclu Keith pour avoir voté contre les mesures d’austérité, a été ramené à la troisième place derrière l’Ukip.
Le Socialist Party – avec le RMT (National Union of Rail, Maritime and Transports, syndicat national du rail, de la navigation et des transports) – a également pris part à l’action « No2EU – Yes to Workers’Rights » (Non à l’UE – Oui aux droits des travailleurs) pour offrir une opposition de gauche et internationaliste face à l’Europe des patrons, dans sept régions.
Le Socialist Party avait soutenu la présence de la TUSC aux élections locales et européennes. Cela aurait indéniablement donné aux deux campagnes un profil plus élevé. Cependant il n’était pas possible de convaincre les autres forces impliquées dans l’action No2EU, particulièrement le Parti Communiste Britannique. Et malheureusement, cela a eu moins d’impact qu’en 2009, quand il avait été possible de mobiliser des travailleurs combattifs comme les grévistes du bâtiment de Lindsey et les travailleurs de l’industrie automobile de Visteon.
Les campagnes de la TUSC, en particulier, sont à considérer en tant qu’étapes sur la route conduisant à la création d’un nouveau parti de masse des travailleurs. Le besoin d’un tel parti est de plus en plus urgent. L’Ukip est un parti populiste de droite, fondé et contrôlé par des millionnaires, des aristocrates, des barons de la presse et des agents de change, mais il s’est donné une plateforme médiatique pour se poser en tant que parti des « petites gens ». Il a été capable de se positionner partiellement dans le vide immense laissé dans la politique britannique.
Jamais auparavant le fossé n’avait été si grand entre les partis de Westminster et les gens qu’ils sont censés représenter. Une colère profonde apparaît à la surface de la soi-disant apathie. Plus de 30 millions d’électeurs potentiels sont restés chez eux.
Les taux de participation sont souvent plus bas dans les régions de la classe ouvrière. Par exemple il n’était que de 21% à Hull, avec une moyenne nationale estimée à 36%. Cela reflète de manière basique la crise continue du capitalisme. Les annonces tonitruantes du gouvernement concernant le retour de la croissance économique sont largement dénuées de sens. La plupart des gens se sentent dans une situation pire qu’avant la récession. Le Trussel Trust (ONG de Salisbury qui s’occupe du seul réseau de banques alimentaires de Grande-Bretagne) rapporte que le nombre familles qui ont besoin de trois jours ou plus de nourriture en urgence de la part de leurs banques alimentaires a augmenté de 26.000 en 2009 à 900.000 en 2014.
Il y a eu des tentatives de minimiser les résultats de l’Ukip, en pointant le fait que les résultats obtenus dans les conseils communaux étaient plus bas que les 23% qu’ils avaient réalisés l’année passée, et qu’ils n’ont pas réussi à effectuer une percée à Londres, où ils ont bénéficié d’un résultat moyen de 7%. Cependant les élections de l’année passée, qui concernaient principalement les conseils régionaux, avaient été globalement plus rurales que les sièges décrochés cette année.
Cette année, il est probablement vrai que la menace de l’Ukip, couplée à l’expérience du gouvernement alliant conservateurs et démocrates, a en fait aidé les travaillistes dans la capitale. Alarmés par les idées nationalistes et racistes mises en avant par les candidats de l’Ukip, une couche de la population a voté sans enthousiasme pour les travaillistes parce qu’ils ont considéré que c’était le meilleur moyen de bloquer l’Ukip.
Dans quelques autres villes importantes, il s’est passé la même chose, à des degrés divers, l’Ukip récoltant moins de voix que dans beaucoup de plus petites communautés urbaines où une grande section d’électeurs traditionnellement attachés au Parti Travailliste a voté pour eux. A Rotterham, l’Ukip a gagné neuf sièges sur les 21 disponibles, tandis que le Parti Travailliste en perdait sept.
Les raisons pour lesquelles des travailleurs ont voté pour l’Ukip sont multiples. Au centre, il y a un désir de protestation contre les partis principaux, mais l’Ukip a aussi utilisé le racisme et le nationalisme. Le vote pour le BNP (British National Party, parti national britannique, extrême-droite) s’est écroulé dans ces élections, probablement transférés vers l’Ukip. Le fait que le nationalisme de l’Ukip a trouvé un écho ne devrait pas surprendre les défenseurs des idées du socialisme. Le nationalisme a été longtemps une arme politique utilisée par la classe capitaliste pour essayer de rassembler du soutien pour leur système en temps de crise économique. Les Conservateurs et le parti Travailliste ont tous deux utilisé le nationalisme à des degrés divers ces dernières années, créant ainsi un espace pour l’Ukip.
Et – dans une tentative semi-consciente de créer un exutoire électoral « sans danger » pour la colère des travailleurs – les médias capitalistes ont fait une publicité énorme à l’Ukip. Le New Stateman (magazine britannique orienté à gauche) a montré que depuis 2011, l’Ukip a reçu une couverture médiatique beaucoup plus importante que n’importe quel « petit » parti, y compris ceux qui ont des parlementaires. Nigel Farage a reçu quatre fois plus de couverture médiatique que George Galloway, de Respect, ou Caroline Lucas des Greens, par exemple. Pour ne pas parler du blackout total que subit la TUSC.
L’Ukip puise dans les peurs largement répandues des conséquences de l’immigration croissante. Ces peurs sont ressenties par de nombreux travailleurs qui se considèrent antiracistes, mais qui voient les grandes entreprises utiliser des immigrés surexploités pour faire baisser les salaires ainsi que les services publics sous-financés et soumis à de grandes pressions.
Construire un mouvement contre les coupes budgétaires.
En mars 2011, le TUC (Trade Union Congress, fédération syndicale britannique) a organisé une grande manifestation de 750.000 personnes contre l’austérité. Les supporters de l’Ukip ont répondu en essayant d’appeler à une manifestation pour soutenir les coupes budgétaires, quelques centaines de personnes à peine sont venues. Ceci a clairement montré quel est le réel équilibre des forces en présence.
Le mouvement syndical, avec sept millions et demi de membres, est potentiellement la force la plus puissante dans la société. Si le TUC avait utilisé cette manifestation comme rampe de lancement pour organiser un combat sérieux contre l’austérité, ça aurait transformé la situation. Un tel mouvement aurait pu s’en prendre également au racisme et au nationalisme – en affirmant clairement que la seule façon de prévenir la course vers la dérégulation est un combat uni pour que tous les travailleurs reçoivent un salaire juste.
En particulier, si une partie significative du mouvement syndical avait lancé un nouveau parti des travailleurs à ce moment-là, il aurait gagné le soutien de bon nombre de travailleurs qui se tournent pour l’instant vers l’Ukip pour exprimer leur colère.
Mettre sur pied une voix électorale claire pour les travailleurs et le seul moyen de couper le chemin à l’Ukip. Malheureusement, certains à gauche, dont le SWP (Socialist Workers Party, une des composantes de la du TUSC) a lancé une campagne « Ne sois pas utilisé par l’Ukip » conjointement avec des partis de l’austérité, qui organise notamment des distributions communes de brochures, etc. C’est une politique désastreuse qui ne peut pas atteindre les travailleurs qui se tournent vers l’Ukip, tandis qu’elle permet au Parti Travailliste d’utiliser en partie ceux qui s’opposent à l’Ukip pour renforcer sa position.
C’est la colère envers les partis de l’establishment qui a nourri la croissance de l’Ukip. Faire campagne avec le Parti Travailliste et les Lib-Dems contre l’Ukip permettra à l’Ukip de proclamer que les « socialistes » ne sont pas « différents du reste ».
Si l’Ukip était un parti fasciste, du type d’Aube Dorée en Grèce – avec une force de frappe qui effectue des attaques physiques sur les minorités et les syndiqués – ce serait correct pour les travailleurs d’organiser la défense de tous ceux qui subissent les attaques.
Et même dans ce cas, la plus importante priorité serait de s’organiser indépendamment autour d’un programme socialiste. Cependant ce n’est pas le caractère de l’Ukip, qui est une force populiste de droite qui se concentre à ce point-ci exclusivement sur des politiques électorales. C’est uniquement l’absence d’un grand parti des travailleurs qui lui a donné la place pour partiellement remplir le vide.
Malheureusement, jusqu’ici, la majorité des dirigeants de syndicats continuent à appeler à voter pour le parti Travailliste. Pourtant, une importante minorité de délégués syndicaux – dont le syndicat des transports RMT – ont commencé le travail vital de création d’une nouvelle voix pour les travailleurs via la TUSC. Cinquante membres du RMT se sont présentés sur des listes de la TUSC et ont pour objectif de construire sur cette base. C’est une préparation essentielle pour la période à venir, vers les élections générales. Les cyniques se moquent du fait qu’il est impossible de construire une nouvelle force à la gauche du parti Travailliste. Rien de neuf sous le soleil!
A la fin du 19ème siècle, les pessimistes d’alors crachaient leur mépris sur les tentatives de Kier Hardie et d’autres de créer un nouveau parti des travailleurs à la gauche des Libéraux et des Tories. L’Histoire, cependant, était du côté de ceux qui se sont battus pour construire un parti du travail, tout comme elle est aujourd’hui aux côtés de ceux qui voient que le Parti Travailliste est devenu un autre parti du big business.
Les dirigeants du Parti Travailliste ont constamment réaffirmé qu’un gouvernement travailliste continuerait avec l’austérité et les coupes dans les dépenses publiques. Quand les travailleurs font des grèves contre l’austérité, le dirigeant travailliste Miliband rejoint le chœur de l’opposition à leur action, menaçant même qu’un gouvernement travailliste envisagerait de durcir les lois déjà hautement répressives contre les syndicats.
C’est le manque total d’alternative à l’austérité qui est responsable de la terne performance des travaillistes le 22 mai. Tandis qu’ils gagnaient plus de 300 sièges, ces 31% de votes ne sont que deux points au-dessus de ceux de 2013. Ce n’est pas assez pour que le Parti Travailliste ait confiance dans une victoire à l’élection générale.
Le Parti Travailliste n’a pas réussi à capitaliser
Les résultats des élections et les enquêtes d’opinion ultérieures ont probablement été suffisants pour assurer à Miliband la poursuite de son leadership, du moins pour l’instant. Sans aucun doute les « ultra-blairistes » en tireront la conclusion que le Parti Travailliste a besoin de se positionner plus vers la droite. Le Chancelier du cabinet fantôme Ed Balls a déjà dit que le parti devait avoir une voix plus forte sur l’immigration. Le carriériste blairiste Alan Milburn et d’autres demandent que Miliband deviennent davantage pro business.
En réalité, à chaque fois que Miliband a fait des déclarations qui apparaissent comme étant du côté des 99% contre les 1%, ils ont été populaires. Une enquête ComRes faite juste avant le 22 mai a montré que les annonces des travaillistes sur le salaire minimum, la limitation des augmentations de loyers, le gel des prix de l’énergie et l’augmentation du plafond d’imposition ont rendu les électeurs plus enclins à voter pour eux. Cependant, la même enquête a montré aussi que les électeurs – correctement – ne croyaient pas que le Parti Travailliste allait réellement mettre en place ces politiques.
Un gouvernement travailliste, comme il travaillera pour les intérêts du capitalisme, ne mettra même pas en place les mesures incroyablement modestes qu’il propose actuellement pour améliorer les conditions de vie des travailleurs, à moins qu’il n’y soit forcé, comme n’importe quel autre parti capitaliste le serait, par un mouvement de masse. La tâche de construire une alternative électorale à l’austérité sera urgente, de même que la lutte syndicale pour défendre les conditions de vie des travailleurs.
Les restrictions salariales continues du secteur public pour une soi-disant reprise sont un problème qui provoque l’envie d’action immédiate. Une action de grève planifiée et coordonnée pour le 10 juillet serait une importante préparation pour les luttes énormes qui seront menées sous le prochain gouvernement.
Il n’est pas encore possible de deviner ce qui ressortira des élections générales, étant donnée la nature instable des politiques en cette période. Si les travaillistes l’emportent, ce sera dû plus à l’extrême impopularité des Conservateurs et des Libéraux plutôt qu’à l’enthousiasme pour le Labour.
Une coalition Labour/Libéraux est aussi une issue possible pour les élections générales. Dans un certain sens, cela conviendrait aux dirigeants du Labour qui pourraient utiliser les libéraux comme cache-sexe pour justifier leurs politiques contre la classe des travailleurs. Cependant, après avoir été utilisé de la sorte par les Tories pendant cinq ans, on doute de trouver encore beaucoup de libéraux. Clegg pourrait même être mis de côté dans les mois qui viennent dans une tentative désespérée des Lib-Dems pour limiter l’étendue de leur défaite.
La chute des Lib-Dems devrait avertir les délégués syndicaux qui se tournent toujours vers le Labour, du destin qui attend les partis qui agissent dans les intérêts de la classe capitaliste en temps de crise économique. Le résultat inévitable est une extrême impopularité dans le meilleur des cas, ou dans le pire, l’oubli, comme cela a été vu en Grèce, en France et dans d’autres pays européens.
Besoin d’un nouveau parti des travailleurs.
Il n’est pas possible d’évaluer ce qu’Ukip fera aux élections générales. Cependant il n’est pas exclu qu’il puisse améliorer ses résultats sur leur base locale avec une campagne intensive. Si Ukip parvient à obtenir un ou plusieurs parlementaires, il est possible qu’un certain nombre d’eurosceptiques passent des Tories à Ukip après les élections.
L’établissement d’une force populiste de droite en Grande-Bretagne – comparable à celles qui existent dans bon nombres de pays européens – serait un développement dangereux dans la politique britannique. La seule façon d’entraver cela est le développement d’un vrai parti de masse de la classe des travailleurs en Grande Bretagne et internationalement.
Même s’ils sont modestes, les réalisations dans cette élection – particulièrement l’étendue du défi des élections locales de la TUSC – marquent une étape importante sur le chemin vers la construction d’une telle force.