Fin janvier, le tribunal correctionnel de Bruxelles a décidé d’acquitter un barman pour deux chefs d’accusation de viol en 2021. Le procureur général avait demandé qu’aucune peine ne soit prononcée parce que l’homme était « victime d’un lynchage » sur les médias sociaux et parce que des manifestations avaient eu lieu. Le groupe d’action #BalanceTonBar, qui était à l’origine de la manifestation de 2021, a réagi vivement à la position du ministère public. Nous publions cette réaction.
La “sanction sociale” comme substitut à la justice
L’argument selon lequel le prévenu a déjà subi une « sanction sociale énorme » à cause des réseaux sociaux et des mobilisations est une insulte aux victimes. La justice ne peut se substituer à l’opinion publique ni s’en remettre à celle-ci pour « punir » les agresseurs. Ce type de discours détourne l’attention des faits criminels vers la « souffrance » des accusés, invisibilisant les conséquences pour les survivantes.
Preuve en est, les nombreux exemples d’agresseurs (présumés ou non), dont la vie publique ou professionnelle n’a absolument pas été touchée par des accusations publiques.
La justice patriarcale et le traitement différencié des victimes
L’insistance sur le comportement des victimes – leur état d’ébriété, leur décision de continuer la fête – est un exemple flagrant de victim-blaming. (‘Blâmer la victim’ est une attitude qui consiste à tenir les victimes d’une agression ou d’une injustice pour responsables de ce qu’elles ont subi. La culpabilisation de la victime permet d’éviter de condamner l’agresseur, qui se voit accorder des circonstances atténuantes).
Une personne en état de vulnérabilité, qu’elle soit alcoolisée ou droguée, a droit au respect de son intégrité. L’incapacité à donner un consentement explicite devrait suffire à établir un viol, sans nécessiter des preuves supplémentaires.
Une minimisation systématique des violences
Le choix de termes tels que « contexte bien moins crapuleux » pour parler de viols avérés montre une tendance inquiétante à minimiser la gravité des actes sous prétexte de « circonstances ».
Peu importe si la violence s’est produite dans un bar ou un appartement privé: un viol reste un viol. La suggestion que l’alcoolisation ou le cadre festif atténuent la responsabilité de l’agresseur est un dangereux rappel des mythes qui culpabilisent les victimes et excusent les agresseurs.
Une justice défaillante
Bien que nous ne soyons pas favorables au système carcéral en place actuellement, le faible taux de condamnations des dossiers de violences sexistes et sexuelles est préoccupant.
- 1 plainte pour viol sur 100 aboutit à une condamnation en Belgique: un chiffre révoltant qui montre l’impunité systémique.
- En 2023, la police belge a enregistré en moyenne 12 viols et 13 cas d’attentat à la pudeur ou d’atteinte à l’intégrité sexuelle par jour.
- Une étude de l’Institut des politiques publiques indique que 86% des affaires de violences sexuelles sont classées sans suite, avec un taux particulièrement élevé pour les viols, atteignant 94%.
- En 2020, Amnesty révélait dans une étude qu’en Belgique, les chiffres officiels étaient de 53% pour des dossiers classés sans suite. 68% des personnes estiment que cela risque de contribuer à l‘impunité des violeurs.
Un viol minimisé est un viol légitimé
Ce cas illustre la nécessité d’une réforme systémique. La justice doit reconnaître la gravité des violences sexuelles et cesser de faire peser sur les victimes la responsabilité des agressions qu’elles subissent. Les mouvements comme #BalanceTonBar jouent un rôle crucial en brisant l’omerta comme des lanceuses d’alerte.
Leur existence est une preuve accablante de l’échec des institutions à protéger les femmes et les personnes sexisées. Nous devons les soutenir, renforcer l’éducation sur le consentement, et lutter contre une culture qui excuse encore et toujours les agresseurs.