Crise Politique en Allemagne : gouvernement tombe le jour de la réélection de Trump

Début octobre, nous avons publié la première partie d’un dossier sur la situation politique et sociale en Allemagne.Cette deuxième partie se concentre principalement sur la discussion concernant la migration mais, étant donné le temps écoulé depuis le mois d’octobre, nous tenons tout d’abord à faire le point sur l’évolution de la crise politique en Allemagne.

Par Christian (Louvain)

Le 6 novembre, le chancelier allemand Olaf Scholz a limogé son ministre des Finances Christian Lindner du parti (ultra)-libéral FDP. Avec la démission de trois autres ministres libéraux, ceci a entraîné la chute de la coalition ‘feu tricolore’ (Ampel-Koalition) composée du Parti social-démocrates (SPD), du Parti libéral-démocrate (FDP) et de l’Alliance 90 / Les Verts. Ce qui resta fut un gouvernement minoritaire SPD et Vert. Comme prévu, le 16 décembre, le gouvernement a perdu le vote de confiance auquel il avait été contraint de se soumettre au Bundestag. Des élections législatives anticipées auront lieu le 23 février, sept mois plus tôt que la date prévue pour les élections fédérales.

Scholz avait d’abord essayé de repousser le vote de confiance et les élections à une date ultérieure, respectivement le 15 janvier et en mars. Cette proposition avait été rejetée autant par les partis d’opposition, notamment les chrétiens-démocrates, largement donnés comme gagnants lors des prochaines élections, que par l’opinion publique.[i] La coalition minoritaire espérait encore faire passer des projets de loi sur base de majorités parlementaires bricolées, mais ceci était voué à l’échec.

La coalition fédérale était surtout divisée concernant la manière de répondre à la crise économique. Il ne s’agit ici pas d’une crise passagère, mais d’une crise de l’ensemble du modèle allemand des dernières décennies (voir l’article lié ci-dessus).

La coalition fédérale était extrêmement impopulaire. Le FDP risque même de passer sous le seuil électoral de 5 %. N’ayant rien à perdre, il semble que Lindner ait décidé de saborder la coalition tout en ralliant sa base à travers une adhésion absolue à la « Schuldenbremse » (frein à l’endettement, limitation des dépenses). Lindner propose des coupes budgétaires (réduction des prestations sociales), de s’attaquer aux objectifs environnementaux (fin à l’élimination progressive du charbon, fin aux subventions aux énergies renouvelables, l’introduction de la fracturation hydraulique pour obtenir du gaz allemand), tout en prévoyant des cadeaux aux entreprises et aux riches sous forme de réductions d’impôts et d’un gel des « entraves bureaucratiques » (comme la limitation des heures de travail). Cette approche est accueillie avec des applaudissements par les chrétiens-démocrates.[ii]

Le SPD et les Verts, de leurs côtés préfèrent aider le capital allemand à sortir de la crise en gardant une certaine flexibilité budgétaire pour des dépenses ciblées, tel que des tarifs préférentiels pour l’électricité industrielle ou des primes à la casse en faveur des voitures électriques.

Chose assez incroyable, la coalition ‘feu tricolore’ a été la première coalition tripartite en Allemagne depuis la deuxième guerre mondiale. Avant 2021, un ou deux partis suffisaient toujours pour former un gouvernement. Cela montre à quel point l’Allemagne jouissait d’une stabilité relative par rapport à une grande partie du continent.

Avec la crise du modèle allemand, l’Allemagne rattrape rapidement son retard en termes d’instabilité. Alors que les chrétiens-démocrates CDU/CSU sont en tête dans les sondages, le FDP, s’il survit aux élections, sera trop faible pour former un gouvernement de centre-droit avec ceux-ci. Le CDU/CSU devra former une coalition avec le SPD ou l’AfD, actuellement en troisième et en deuxième position respectivement dans les sondages. Avec le SPD, cela pourrait s’avérer difficile en raison des différences de stratégie face à la crise, tandis qu’une coalition avec l’AfD paraît encore peu probable à ce stade, surtout au niveau fédéral, en raison du manque de retenue tactique de l’extrême droite.

La chute du gouvernement et l’élection de Trump, qui promet d’augmenter les tarifs douaniers contre ses alliés européens, ont encore davantage miné la confiance économique. L’économie allemande, dépendante des exportations, est fort vulnérable à une guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE. D’ici 2027 et 2028, cela pourrait représenter une contraction de 1,5 %. L’économie allemande devrait se contracter pour la deuxième année consécutive en 2024, et une stagnation ou une contraction est probable pour 2025. Il s’agira alors de la plus longue période sans croissance économique depuis la réunification en 1990.[iii]

C’est dans ce contexte que se dérouleront les prochaines élections et que des débats auront également lieu sur, entre autres, les problèmes économiques et les tentatives de les lier à la migration.


[i] https://www.dw.com/en/political-wrangling-starts-after-german-coalition-collapse/a-70725678 D’après un sondage deux-tiers des Allemands n’étaient pas disposés à attendre mars pour les élections fédérales anticipées.

[ii] https://www.sozialismus.info/2024/11/nach-der-ampel-rechts/    

[iii] https://www.reuters.com/markets/europe/germanys-coalition-collapse-brings-more-pain-its-ailing-economy-2024-11-07/ Bien que pour l’Allemagne la crise de 2008/2009 ait été plus profonde que la crise actuelle, celle-ci fut aussi plus brêve.

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