Interview d’une opposante iranienne

« La façon de faire de la gauche, c’est de créer des liens, c’est de reposer sur une solidarité combative »

La récente arrestation en Iran de l’étudiante Ahou Daryaei a remis sur le devant de la scène la situation des femmes en Iran et de la lutte contre la dictature iranienne. Certains n’ont pas hésité à instrumentaliser l’événement pour venir au secours de la machine de mort israélienne. Nous en avons discuté avec Mina, une opposante de longue date au régime iranien aujourd’hui en exil. Enseignante, elle a milité dans diverses organisations de gauche et dans le mouvement de défense des travailleurs au sens large.

Bonjour Mina et merci de nous accorder cet entretien. Pour commencer, peux-tu revenir justement sur l’écho qu’ont trouvé en toi les souffrances du peuple palestinien ?

Ma solidarité avec les Palestiniennes et Palestiniens est déjà ancienne. Les activistes de gauche en Iran ont toujours eu une relation très forte avec la lutte pour la libération palestinienne, tout particulièrement envers le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). En tant que militante, j’ai très tôt été sensibilisée au problème palestinien. Il faut dire que dans les années ‘60 et ‘70, sous l’influence du combat contre la guerre du Vietnam ou de la révolution cubaine, on cherchait naturellement à élargir la lutte hors des frontières iraniennes.

Aujourd’hui, le FPLP a perdu beaucoup de son influence. Ce n’est pas propre à la gauche palestinienne, cela concerne également la gauche iranienne et ailleurs dans le monde. Nous devons nous attarder sur les questionnements que cela évoque, qui ne sont pas liés à des conjonctures purement nationales, mais mondiales. Il y a eu des mauvaises alliances, des mauvais calculs. Il faut le reconnaître et en tirer des leçons.

Car c’est aussi cela qui explique la montée de forces nationalistes, réactionnaires, religieuses,… Ces forces ont pris la place laissée vacante par l’orientation des partis de gauche. Bien entendu, le soutien financier et politique de la part de divers régimes régionaux envers des forces conservatrices a aussi joué. La gauche n’a jamais bénéficié de tels soutiens. Par exemple, le Hamas a été soutenu de manière à éclipser l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), qui elle-même a tout fait pour amoindrir l’influence de la gauche et du FPLP.

Comment définirais-tu les tâches de la gauche dans la région ?

La façon de faire de la gauche, c’est de créer des liens, c’est de reposer sur une solidarité combative. C’est bien entendu très compliqué aujourd’hui, dans la situation actuelle qui est faite de bombes, mais c’est la seule perspective qui offre une issue.

Il y a un peu plus d’un an, il existait en Israël des mouvements de contestation importants contre Netanyahou et son gouvernement de droite et d’extrême droite. C’était très enthousiasmant. L’attaque du 7 octobre a mis fin à ce mouvement qui avait un réel potentiel progressiste. Pourquoi le Hamas a-t-il attaqué à ce moment-là en s’en prenant aux civils ? Les conséquences de cette attaque du 7 octobre ont mené au renforcement des mouvements réactionnaires au détriment des courants qui aspiraient à des mesures plus démocratiques.

Et maintenant, nous assistons à la guerre des chefs armés jusqu’aux dents sous le regard attentif des grandes puissances impérialistes. Dans ce jeu de menaces et de morts, le sort des peuples iranien, israélien, libanais ou palestinien n’est jamais pris en compte. Proclamer haut et fort l’arrêt de la guerre et dénoncer l’expansion militaire israélienne sont primordiaux pour protéger les populations civiles et favoriser l’émergence d’autres alternatives, démocratiques, dans la région. 

Nous devons garder en tête que tout est lié. Partons de la situation des femmes. Lors du soulèvement “Femmes, vie, liberté » en Iran de 2022, suite à l’assassinat de Jina Amini par la police des mœurs, les femmes étaient au premier plan de la lutte, c’est évident. Mais le contexte de colère est bien plus vaste. Il y a eu des luttes des personnes pensionnées, des enseignants,… À côté des Perses, il y a différents peuples opprimés en Iran : les Arabes, les Kurdes, les Baloutches. Ces gens ont participé aux luttes dans leurs secteurs, de façon transversale, par-delà les frontières communautaires.

Jina Amini était kurde, mais les réactions ont fusé dans toutes les villes d’Iran, car la colère contre l’oppression du régime est si grande. Et ce n’est pas impossible qu’une étincelle redonne vigueur à la lutte sociale.

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