Sans surprise, fin novembre, la Conférence de Bakou sur les changements climatiques, ou COP 29, fut un nouveau forum pour les contrats et la diplomatie des énergies fossiles. Le pays organisateur, l’Azerbaïdjan, est l’un des dix premiers États pétro-gaziers au monde, tandis que la présidence de la conférence avait été confiée à Moukhtar Babaïev, un cadre de la State Oil Company of Azerbaijan Republic. Il y a de quoi s’arracher les cheveux.
Par Constantin (Liège)
Comprendre l’échec
Pourquoi une telle impuissance à sortir des énergies fossiles ? Une des raisons fondamentales, c’est que “les marchés” sont loin d’être des exemples d’efficience, contrairement à ce que nous assène l’idéologie capitaliste dominante. La logique du marché crée sans cesse de nouvelles situations absurdes, où se mêlent gaspillage des ressources naturelles et destruction massive de marchandises.
Friedrich Engels, le camarade et ami de Karl Marx, avait déjà souligné cette inefficacité à la fin du XIXe siècle. Le système capitaliste repose sur la production marchande, c’est-à-dire sur la production de biens et de services destinés à être vendus sur un marché dans l’objectif d’en dégager un profit. Ce type de production – qui fonctionne sur base de la concurrence de chacun contre tous et toutes – favorise le chaos. “Toute société reposant sur la production marchande a ceci de particulier que les producteurs y ont perdu la domination sur leurs propres relations sociales. Chacun produit pour soi, avec ses moyens de production dus au hasard et pour son besoin individuel d’échange. Nul ne sait quelle quantité de son article parviendra sur le marché ni même quelle quantité il en faudra; nul ne sait si son produit individuel trouvera à son arrivée un besoin réel, s’il retire ses frais ou même s’il pourra vendre. C’est le règne de l’anarchie de la production sociale.” (Engels, Anti-Dühring – Monsieur Eugen Dühring bouleverse la science, 1877)
Le marché de l’électricité : un cas d’école
Prenons le marché de l’électricité et la question du renouvelable. Pour respecter les ambitions fixées par l’accord de Paris en 2025 – limiter le réchauffement de la planète à 1,5° Celsius par rapport aux températures préindustrielles – il faudrait un rythme de pose de panneaux solaires équivalent à 450 gigawatts tous les ans (ce qui représente 70 km2) jusqu’en 2028, selon l’Agence Internationale de l’Énergie. De la même manière, il faudrait implanter assez de dispositifs éoliens afin d’atteindre un niveau de production de 135 gigawatts par an sur la même période. Pour ce faire, il faudrait investir 1.000 milliards par an dans le renouvelable jusqu’en 2030. Or, les investissements réels n’atteignent même pas les 500 milliards.
Pourtant, le renouvelable coûterait même moins cher que le fossile, selon l’Agence Internationale des Énergies Renouvelables (IRENA). Les coûts liés à la production d’électricité en charbon ou en gaz seraient compris entre 60 et 250 dollars par Mégawattheure, contre entre 24 $/MWh et 96 $/MWh pour le photovoltaïque en 2023.
Le prix de l’électricité est déterminé par ce qu’on appelle le “merit order”. Pour faire simple, il s’agit d’une manière de déterminer l’ordre de priorité attribué aux différentes sources d’énergie en fonction de leurs coûts variables. Concrètement, cela consiste à trier les centrales en fonction de celle qui coûte le moins cher à celle qui coûte le plus cher. Ce processus est très simple lorsqu’une seule entreprise possède toutes les centrales, comme lorsque c’était le cas avant les directives votées en 1996, 2003 et 2009 qui ont privatisé le secteur de l’énergie.
Mais si l’on substitue le monopole public par l’anarchie de la libre concurrence, alors le “merit order” se détermine par le biais d’un marché. Et pour obtenir un “merit order” avec un marché, la seule solution c’est de fixer le prix de l’électricité au niveau de la centrale la plus chère dont on a besoin pour répondre à la demande. Ce prix n’a cependant rien à voir avec le coût réel de la production d’électricité, qui correspond à la moyenne des coûts de production des différentes centrales.
C’est pour cette raison que les prix de l’électricité ont explosé en 2022, lorsque le prix du gaz a augmenté. Malgré le fait que le coût moyen de la production d’électricité n’avait pas du tout changé, le fait que les prix du gaz aient monté en flèche a poussé tous les prix à la hausse, ce qui a permis aux multinationales de l’énergie de se goinfrer sur le dos de l’ensemble de la population.
Cette méthode de calcul rend le marché de l’électricité particulièrement volatile, surtout concernant le renouvelable, puisqu’il subit l’effet de l’intermittence, contrairement aux centrales à gaz ou à charbon. De fait, les éoliennes ne peuvent pas fonctionner sans vent. Alors que le renouvelable coûte moins cher que les énergies fossiles, il reste moins rentable : le taux de rentabilité du fossile atteint les 15% contre 6%.
L’alternative : la planification écologique et socialiste
Ce type d’aberration exemplifie parfaitement l’échec du marché. L’absurdité de la situation est d’autant plus dramatique qu’elle nous mène droit à notre perte. Sortir de l’irrationalité paralysante du marché est une absolue nécessité. A bien des égards, la solution semble évidente : si le problème est la propriété privée des moyens de production, la solution est la collectivisation de ceux-ci. Si le problème, c’est l’anarchie du marché, alors la solution réside dans une économie rationnellement et démocratiquement planifiée.
D’autant plus que, bien que le marché soit totalement irrationnel et désorganisé, la production marchande a ceci de particulier qu’elle doit être extrêmement organisée au sein de l’entreprise, et ce, pour maximiser la productivité. Par conséquent, les éléments de planification dont nous avons besoin existent déjà, dans une certaine mesure.
Par exemple, pour les produits qui peuvent se détériorer, les supermarchés appliquent déjà une planification “en temps réel”: les données de vente sont directement transmises le long des chaînes d’approvisionnement ; la production est retardée ou accélérée à l’instant même. Mais si l’économie doit être planifiée, il faut aussi qu’elle soit démocratique. Une économie planifiée a besoin de démocratie autant qu’un corps a besoin d’oxygène, comme le soulignait Trotsky face à la monstruosité bureaucratique stalinienne. Nous défendons donc l’expropriation, sans rachat ni indemnité, et la nationalisation du secteur de l’énergie, comme de tous les secteurs principaux de l’économie (finance, pharmacie, transport collectif…), sous contrôle et gestion démocratiques des producteur.trices, c’est-à-dire de la classe travailleuse.
Les moyens technologiques dont nous disposons sont largement suffisants pour assurer une production au service des besoins et non des profits. Mais pour que cela advienne, il faudra nécessairement se débarrasser du capitalisme, de l’avidité du profit ainsi que de l’irrationalité et des diktats du marché. Celles et ceux qui détruisent la planète sont les mêmes qui nous écrasent sur l’enclume du profit avec le marteau du blocage des salaires et de l’inflation. L’angoisse de la fin du monde et celle de la fin du mois ne sont pas des luttes étrangères. Au contraire, il s’agit d’un seul et même combat, contre un même système, celui qui exploite la nature et les êtres humains : le capitalisme.