La victoire de Donald Trump représente-t-elle un moment “Weimar”, en référence au nom de la république qui a précédé l’accession au pouvoir d’Hitler ? Un fasciste arrivera-t-il au pouvoir avec l’investiture de Trump comme 47e président pour les États-Unis ?
Par Stef (Anvers)
Fasco-bingo
En apparence, Trump, son mouvement MAGA (Make America Great Again) et le “Projet 2025” peuvent cocher un grand nombre de cases. Ils crachent sur tout ce qui est progressiste, sont ultranationalistes, s’en prennent aux femmes, aux personnes immigrées et aux droits des personnes LGBTQIA+, prêchent la vengeance contre leurs adversaires politiques et n’hésitent pas à recourir à la logique conspirationniste. Trump bénéficie du soutien d’un large segment de la classe capitaliste américaine. L’administration précédente de Trump a fait de son mieux pour repousser les syndicats. Parallèlement, ils affirment qu’ils ramèneront les jours de gloire, l’emploi et la prospérité.
L’extrême droite applaudit Trump, sa confiance gonflée par cette victoire. Mais les partisans du magnat de l’immobilier sont-ils tous gagnés à l’idée d’un Quatrième Reich en Amérique? Se limiter à conclure que Trump a gagné cette élection grâce à ses opinions conservatrices, cela sert les Démocrates qui tentent d’imputer leur défaite au rejet du “wokisme”. Les électeur.trice.s américain.ne.s cherchent une issue face à l’effondrement de leurs conditions de vie. D’ailleurs, dans un certain nombre d’États où Trump a réussi à s’imposer, des référendums ont au même moment renforcé le droit à l’avortement ou encore augmenté le salaire minimum local.
Des projets d’expulsions racistes
Ces dernières années, Trump et ses semblables sont passés à la vitesse supérieure en matière de racisme. Tous les “illégaux” doivent être expulsés du pays, l’Amérique doit “rester blanche”. On estime à 11 millions le nombre de personnes sans papiers aux États-Unis, dont 7 millions travaillent. Trump envisage même de déchoir de leur citoyenneté des personnes immigrées régularisées. L’interdiction de l’immigration en provenance des pays musulmans menace à nouveau.
Les projets d’expulsion de millions de personnes impliquent inévitablement de séparer (à nouveau) les enfants de leurs parents, de détruire les communautés et de porter un coup énorme à divers secteurs de l’économie. La seule façon d’organiser une telle déportation est de facto d’organiser des camps de concentration. Dans l’UE, quelque 100.000 demandeurs d’asile sont expulsés chaque trimestre et, là aussi, il y a des centres fermés et des frontières avec barbelés… Le racisme est enraciné dans le capitalisme.
Autoritaire, mais pas bagarreur
Trump est une figure autoritaire populiste de droite. Sous sa direction, la droite s’emploie à interdire les livres, à sanctionner les enseignant.e.s, à restreindre les droits des femmes, à interdire les soins d’affirmation de genre et à brider les syndicats. Les attaques contre les médias et les opposants politiques sont légion, bien qu’elles s’en tiennent le plus souvent aux menaces verbales.
Pourtant, Trump prend quelque peu ses distances avec les manifestations les plus visibles de l’extrême droite. Il les laisse faire, mais ne s’entoure pas de milices privées et ne les déploie pas activement comme troupes de choc. Seule exception: la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Bien que Trump porte sans aucun doute la responsabilité de cet assaut, il ne s’agissait pas d’une tentative bien coordonnée de prise de contrôle de l’État.
La refonte de la bureaucratie de l’État figure en tête de l’agenda du second mandat de Trump. Il souhaite remplacer les fonctionnaires par des loyalistes. Lors de son précédent mandat, il avait déjà pris un décret pour licencier 50.000 fonctionnaires. Au Pentagone aussi, Trump est libre de remplacer les hauts gradés de l’armée par des généraux qui ne se tiendront pas au travers de sa route.
Un gouvernement de riches
Le fascisme classique a mobilisé de larges pans de la population avec une rhétorique faussement anticapitaliste pour ensuite établir une sanglante dictature de fer pour sauvegarder la domination capitaliste. En tant que mouvement principalement composé de la classe moyenne aisée, le fascisme de Mussolini et d’Hitler a été perçu à leur époque comme le parfait sauveur du capitalisme. Ils ont protégé le système en écrasant physiquement les organisations ouvrières et en réprimant violemment la moindre opposition. Aux États-Unis également, à l’époque, certains secteurs du grand capital étaient favorables au fascisme afin d’empêcher la mise en œuvre du New Deal de Roosvelt. Mais après l’expérience du fascisme dans les années 1930 et 1940, les capitalistes réfléchiront à deux fois avant de s’engager dans une voie aussi redoutable.
Trump n’est pas particulièrement synonyme de discrétion, ce qui vaudra aussi pour son soutien au capital. Trump et sa bande ont tenté de faire reculer l’Affordable Care Act (la Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables) et ont bloqué diverses augmentations du salaire minimum dans les États. Trump veut faire pleuvoir les réductions d’impôts sur la classe capitaliste. Il veut que le kleptocrate Elon Musk réduise de 500 milliards de dollars le fonctionnement des services fédéraux. Les capitalistes américains sont clairement aux commandes. De même, les attaques contre les personnes transgenres ne sont nouvelles que dans le sens où le genre n’était pas sur le radar des Républicains il y a 20 ans. Au niveau des États, ils s’opposent même encore au mariage homosexuel. La puissance culturelle et institutionnelle du MAGA rend inévitable l’intensification des attaques. Nous l’avons déjà constaté dans plusieurs États et avec l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade (l’arrêt de la Cour Suprême des États-Unis qui garantissant l’accès à l’avortement).
Les projets de Trump et du mouvement MAGA comportent des éléments fascistes. Mais à bien des égards, ces plans s’inscrivent parfaitement dans l’ordre actuel des choses dans le pays. Là où Trump rompt avec les traditions de son parti, c’est principalement dans la manière dont les États-Unis mènent leur politique impérialiste. L’expansionnisme a toujours été inhérent à la politique étrangère traditionnelle des États-Unis. Trump, en revanche, prêche la suprématie économique avant tout. Lorsqu’on lui demande s’il défendrait Taïwan contre la Chine, par exemple, sa réponse est beaucoup moins claire que celle de ses prédécesseurs.
Trump : “Aussi américain que la tarte aux pommes”, tout comme la résistance
Présenter Trump comme un fasciste alors que, disons, l’esclavagiste Andrew Jackson ou George Bush ne le sont pas, revient au fond à blanchir l’histoire politique américaine. Le capitalisme américain soutient invariablement des régimes d’extrême droite et a imposé une ségrégation stricte à son propre peuple. Cela dit, un second mandat de Trump est une véritable menace pour les droits démocratiques de la classe travailleuse. Les attaques contre la fonction publique, la société civile et les mouvements sociaux ne manqueront pas.
Organiser des milices pour les déployer dans les rues et assister les plans de déportation, par exemple, générerait sans aucun doute une riposte antiraciste majeure. A fortiori si ces milices privées étaient déployées contre des manifestant.e.s, des syndicalistes, des Prides… Trump n’a pas à avoir peur des Démocrates et de l’establishment, mais bien des explosions massives de colère et des mouvements sociaux. N’oublions pas que Black Lives Matter a atteint son apogée au moment où Trump était président.
Arrêter Trump et ses attaques est possible si la classe travailleuse s’organise dans des syndicats et des comités d’action. La classe travailleuse américaine a derrière elle une riche histoire de résistance. C’est à partir de là que l’opposition politique doit se développer. Trump a remporté l’élection en raison de l’inquiétante incertitude économique et de la colère de larges pans de la population. Il ne dispose d’aucune réponse face à tout ça. Mais mettre un terme au trumpisme exigera bien plus que de recourir une nouvelle fois au “moindre mal” dans quatre ans. Il faudra développer un mouvement révolutionnaire, rien de moins.